Le premier lundi matin de la dernière semaine de novembre, Jana pénétra dans la salle située au deuxième étage du bâtiment de la Cité scolaire internationale avec une énorme boule au ventre. Selon l’usage de cet établissement, chaque année, à la fin du mois de novembre, les professeurs du collège et du lycée avaient l’habitude de soumettre l’ensemble des élèves à des évaluations de fin de trimestre. Mais Jana était éreintée. Même si elle avait décidé de stopper ses recherches, elle ne pouvait pas empêcher son cerveau de tourner à plein régime. La lettre reçue plus tôt tournait en boucle dans sa tête. Elle n’était jamais réellement au repos. Ni le jour, ni la nuit. Les cauchemars incessants n’arrangeaient évidemment pas son état général. Fort logiquement, ses résultats scolaires ne s’étaient pas améliorés et s’étaient même beaucoup dégradés au point d’être réellement préoccupants. Elle voulait se reprendre en main mais malgré toute sa bonne volonté, elle ne trouvait aucune solution pour y parvenir tant elle était épuisée.
Ce matin-là, la jeune collégienne allait devoir passer son évaluation de mathématiques. Les autres élèves de sa classe étaient eux aussi stressés mais certainement pas autant que Jana. Le manque de sommeil et l’absence flagrante de sérénité dans sa vie quotidienne faisaient qu’elle n’avait pu préparer cette évaluation dans des conditions adéquates. Monsieur Zanoni, son professeur de maths, avec son détachement naturel habituel, distribua les consignes du devoir surveillé. Au moment de déposer la feuille sur le bureau de Jana, il s’attarda un instant et dévisagea longuement la jeune fille. Il ne dit pas un mot mais son regard insistant suffit à Jana pour comprendre qu’il attendait d’elle qu’elle se ressaisisse et leur montre enfin ce dont elle était réellement capable. Il posa le document et le tapota trois fois avec son d’index comme pour accentuer son avertissement muet de trois points de suspension. Puis il chuchota :
— La suite, c’est maintenant.
— …
— A vous de jouer, mademoiselle, lança-t-il en reprenant le cours de sa distribution.
Sans aucun regard sur les élèves, il regagna sa chaise, déclencha son minuteur et se pencha sur une énorme pile de copies à corriger. L’épreuve de trois heures démarra. Alors que tous les autres élèves s’empressèrent de se lancer dans les premiers calculs sur les nombres relatifs, Jana préféra faire le tour de l’ensemble des exercices proposés. Cette lecture transversale ne résultait en aucun cas d’une quelconque méthodologie apprise ça ou là mais plus d’une stratégie d’évitement. Elle voulait voir l’ampleur du travail qui l’attendait et cherchait surtout désespérément un exercice qu’elle serait capable de réaliser. Rien. Elle ne vit rien à sa portée. Au contraire, tous les chiffres s’emmêlaient, toutes les figures géométriques se confondaient au point que tout se brouilla sous ses yeux pour ne plus laisser apparaitre qu’une feuille entièrement blanche. Jana fut prise de gros maux de tête. Elle ferma les yeux et eut envie de crier pour exorciser sa douleur. Souhaitant soulager son supplice, elle se massa les tempes tout doucement avec ses index. Tout s’agitait dans sa tête. Elle aurait tellement voulu être ailleurs. Les douleurs semblèrent finalement s’estomper progressivement jusqu’à disparaître entièrement comme par magie. Ce très court laps de temps qui n’avait pas excédé plus de quelques secondes lui parut pourtant avoir duré des heures entières.
Elle ouvrit délicatement les paupières. Et là, tout était clair et limpide. Les chiffres qui s’emmêlaient quelques instants auparavant se rangeaient désormais pour lui offrir la solution sur un plateau, les figures géométriques se dessinaient avec volupté sous ses yeux ébahis. Jana n’en revenait pas. Comment cela était-il possible ? Elle jeta un regard inquiet vers la gauche puis vers la droite pour être sûre qu’elle ne rêvait pas. Tout autour était normal. Les élèves étaient penchés sur leur copie respective et les noircissaient ou bien ils scrutaient le plafond dans l’espoir de trouver la réponse tant convoitée. Jana regarda à nouveau sa feuille. Pythagore en personne était en train d’écrire son fameux théorème AC² = AB² + BC² pour démontrer que le triangle de l’exercice 5 était rectangle en A. Des graphiques se traçaient seuls pour prouver que les données de l’exercice 7 relevaient d’une situation de proportionnalité. Sans chercher à comprendre davantage la nature de ce nouvel évènement hors du commun, Jana s’empressa d’attraper sa copie à carreaux et son stylo pour résoudre l’ensemble des exercices réclamés dans ce devoir surveillé. Ses mains s’agitaient à une allure folle tantôt pour poser des calculs sur les décimaux, tantôt pour rédiger une démonstration en géométrie, ou encore pour tracer de multiples droites et segments aboutissant à la réalisation de figures complexes. Tout était simple et logique. En trente-cinq minutes seulement tous les exercices étaient faits. Jana ne prit même pas le temps de relire. Elle rassembla ses affaires, les mit dans son sac à dos, se leva, rangea sa chaise sous la table et se dirigea vers le bureau de Monsieur Zanoni. Pensant qu’elle abandonnait, les autres élèves qui avaient levé le nez de leur copie pour l’observer s’y replongèrent aussitôt.
— Voilà, j’ai terminé, déclara Jana à Monsieur Zanoni en lui tendant sa copie.
— Très bien mademoiselle, répondit le professeur de mathématiques sans même s’étonner de la rapidité d’exécution de la jeune adolescente.
— Je peux sortir ? demanda alors timidement Jana encore secouée par ce qui venait de se produire dans cette salle de classe où les cerveaux des étudiants s’échauffaient.
— Mais bien sûr ! répondit-il avec un air amusé. Je savais que je pouvais compter sur vous, ajouta discrètement Monsieur Zanoni en lui indiquant la direction de la sortie.
Etonnée par cette remarque surprenante et pour le moins inattendue, Jana se figea. Comment Monsieur Zanoni ne pouvait-il pas être surpris par la vitesse de réalisation de ce devoir surveillé ? Comment pouvait-il espérer et être aussi certain, surtout au regard des derniers mois, que sa situation scolaire puisse connaitre un tel revirement de situation ? Jana fixa son professeur de mathématiques avec un regard interrogateur dans l’espoir que celui-ci fasse la lumière sur cette dernière remarque. Pour toute réponse, elle n’obtint qu’un hochement de tête, indiquant une nouvelle fois, la porte de la classe. Ne souhaitant pas perturber le déroulement du devoir sur table, la jeune fille se dirigea pleine de doutes vers la sortie. En refermant la porte, elle jeta un dernier regard en direction de son professeur et crut apercevoir le temps d’une seconde ce dernier lui adresser un clin d’œil.
Alors qu’elle se dirigeait vers la station de métro Stade de Gerland, encore déboussolée par ce qu’il venait de se passer dans cette salle de classe, Jana vit Elliott sur le trottoir d’en face qui discutait avec des amis. La collégienne passa devant Elliott sans même lui adresser un regard ou un sourire. Elle était trop pressée de rentrer pour tenter de comprendre ce qu’il venait de se passer. Il y a encore quelques semaines, elle se serait empressée de venir tout lui raconter, quitte à le déranger, pour qu’il la soutienne et l’aide à y voir plus clair. Leur relation, auparavant si fusionnelle, s’était distendue. Elliott, blessé par le comportement de sa sœur, ne réagit pourtant pas. Ce dernier était conscient de l’attitude étrange de sa sœur depuis son anniversaire. Elle ne lui avait plus parlé de rien. Il avait d’abord pensé qu’elle était victime d’un trop plein de bizarreries, puis finit par imaginer qu’elle avait cessé, tout bonnement, de donner du crédit à tous les évènements étranges arrivés dernièrement. Il faut dire que cette situation l’arrangeait un peu. Depuis le baiser qu’il avait échangé avec Ava Sørensen le jour de son anniversaire surprise au Parc de la Tête d’Or, le lycéen ne pensait plus qu’à faire grandir sa relation avec la belle danoise. L’éloignement volontaire de Jana lui convenait très bien et lui permettait de consacrer tout son temps libre à Ava. Il n’avait plus à se partager entre les deux. Le soir, après les cours, il ne rentrait plus directement à la maison avec sa sœur comme il avait l’habitude de le faire auparavant. Il préférait faire découvrir la ville à sa petite copine, main dans la main. Ils se promenaient çà et là, de la Place Bellecour, aux berges du Rhône ou de la Saône, en passant par les fameuses traboules du vieux Lyon. Personne ne trouvant rien à redire à ses absences quotidiennes, le jeune homme profitait logiquement de la situation. Son père, très absorbé par son travail et ses nouvelles recherches, avait à peine remarqué ses absences à répétition. Sa mère, trop inquiète pour Jana, approuvait toutes les demandes de sorties de son fils et allait même jusqu’à les financer en donnant régulièrement de l’argent supplémentaire à celui que l’adolescent recevait chaque semaine sur son compte bancaire pour payer un jour le restaurant, un autre le cinéma... En effet, elle considérait ces évènements comme normaux en comparaison des divagations récentes de sa fille. Peut-être aurait-elle agi différemment en d’autres circonstances.
Depuis leur tentative d’explication avortée dans la cuisine le lendemain de l’anniversaire des deux adolescents, Lena Lefèvre n’avait jamais réussi à obtenir un quelconque début d’éclaircissement de la part de sa fille. Chaque fois qu’elle tentait d’aborder la question, Jana se renfermait pour ne plus laisser paraître qu’un mur épais et infranchissable. Cependant, même si leur relation mère-fille était très froide lorsqu’elles étaient seules, chacune des deux faisait son possible pour que ces tensions ne paraissent pas aux yeux des autres membres de la famille. Ainsi, en présence de Laurent ou d’Elliott, elles restaient aimables et courtoises l’une envers l’autre. Mais malgré tous ces efforts, les deux hommes de la maison n’étaient pourtant pas dupes. La famille connaissait pour la première fois une crise sans précédent. Chacun faisait comme si tout allait bien et pourtant tous étaient conscients du malaise général sans réellement pouvoir en expliquer la cause.
Assise la tête contre la vitre, Jana vagabondait dans ses pensées, bercée par le mouvement du métro lyonnais qui la ramenait lentement vers chez elle. Elle essayait de se remémorer chacune des étapes qui auraient pu entrainer son illumination pendant l’évaluation de maths. Elle se souvenait qu’elle s’était assise, que Monsieur Zanoni avait distribué les feuilles énonçant les différents exercices, qu’il lui avait parlé personnellement, qu’il avait donné le signal de départ, qu’à cet instant elle s’était retrouvée perdue face à tous les exercices qui lui semblaient tous plus complexes les uns que les autres, et que d’un coup, tout s’était éclairé, tout était devenu clair et limpide. Pourquoi ? Comment ? Sa réflexion fut interrompue par la voix très lente de la ligne B annonçant la station Charpennes. Jana descendit dans le flot des voyageurs. Mais plutôt que de se diriger vers la voie de la ligne A pour prendre sa correspondance jusqu’à Foch, elle décida de remonter à la surface et de rejoindre le cours Franklin Roosevelt à pied.
L’air était froid et sec. La jeune collégienne prit tout de même la précaution de rabattre le haut de ses mitaines en laine gris perle. Depuis qu’elle avait demandé à ses parents adoptifs de l’inscrire à des cours de piano, il y a de cela près de cinq ans, elle avait appris à prendre soin de ses mains. Déambuler dans les rues lui faisait réellement du bien. Toutes les tensions accumulées dernièrement semblaient disparaitre. Elle observait les passants qui la croisaient en sens inverse. Certains flânaient tranquillement, seuls ou en petits groupes, le sourire aux lèvres, en profitant de cette météo clémente. D’autres, souvent seuls, pressaient le pas en levant à peine les yeux de leurs chaussures comme s’ils étaient guidés par une force mystérieuse.
En arrivant au pied de son immeuble, elle ne fut pas surprise de voir Elliott l’attendre, l’air de rien, les mains dans les poches.
— Ah, t’es là ? lança-t-il innocemment. Je viens juste d’arriver et je cherchais mes clés.
— Oui, bien sûr, murmura Jana tout en ouvrant la porte en bois massif menant dans un petit hall de style classique très joliment pavé de carreaux de ciment.
— Bon alors, ton contrôle de maths ? Ça s’est passé comment ? demanda timidement Elliott craignant au fond de lui d’entendre la réponse de Jana, qu’il avait vu quitter la CSI bien trop tôt.
— Bizarre, vraiment bizarre, balbutia la jeune fille, ne sachant pas trop quoi dire.
— Comment ça bizarre ? T’as réussi à t’en sortir ou pas ? insista-t-il en refermant la grille de l’ascenseur.
— Je vais t’expliquer. Allez, ouvre la porte. Et surtout pas un mot à maman sur le fait que je sois sortie bien avant la fin des trois heures. T’as compris ? commanda Jana d’un ton déterminé.
— Mmh, mmh, acquiesça le grand gaillard intimidé par la fermeté de sa petite sœur.
Les deux adolescents entrèrent le plus naturellement possible dans le grand appartement très lumineux et toujours très bien tenu. Le craquement du parquet d’origine révéla rapidement l’arrivée imminente de leur mère. Le sourire de façade de Lena masquait maladroitement l’inquiétude qui la submergeait. La manière qu’elle avait de presser ses pouces dans la paume de ses mains, finissait de la trahir.
— Vous êtes en avance ! lâcha Madame Lefèvre craignant aussitôt d’avoir dévoilé ses craintes.
— On n’a pas traîné sur le trajet, mentit habillement Elliott. Jana voulait que je l’aide à réviser pour son contrôle d’histoire de cet après-midi.
— Et ce matin, alors ? Ça s’est passé comment ? enchaina Lena en direction de sa fille, sans relever l’incohérence des propos d’Elliott.
— Mes révisions de ces dernières semaines ont porté leurs fruits, je pense, enjoliva Jana pour couper court à l’interrogatoire qu’elle sentait s’installer sournoisement.
— Allez, championne ! On monte réviser tout de suite pour ne pas perdre de temps, poursuivit son frère sur le même élan.
— A tout à l’heure maman. Tu nous appelles pour manger, acheva la jeune fille en embrassant bruyamment sa mère.
Madame Lefèvre observa, sans bouger, ses enfants disparaitre dans l’ouverture du haut plafond aux moulures élégantes et raffinées. Elle mit quelques secondes avant de se diriger vers la cuisine pour préparer le repas de midi. Elle se demandait ce qu’elle devait penser de leur attitude et si leur empressement soudain pour les révisions était bien sincère. Elle savait pertinemment qu’il ne servirait à rien de chercher à en savoir plus pour le moment. Il valait mieux ne pas briser cet élan s’il avérait réel. Et puis, de toute façon, elle serait vite fixée car les bulletins ne tarderaient pas à lui fournir des réponses.
Au même instant, Jana et Elliott pénétraient plein d’entrain dans la chambre de la jeune fille.
— Bon alors raconte. Je ne comprends plus rien. T’as menti à maman ou tu lui as dit la vérité ? s’empressa de questionner le lycéen avant même que sa sœur n’ait eu le temps de refermer la porte.
— Chut ! l’arrêta Jana avec un doigt sur la bouche. Attends une seconde. Assieds-toi. Je vais t’expliquer.
Comme elle l’avait fait dans le métro, Jana reprit point par point ce qui s’était passé dans la salle L204. Elle marqua un temps arrêt dans son récit juste avant le phénomène.
— Donc, t’as raté l’épreuve, quoi ? s’impatienta Elliott, trop pressé.
— Et bien justement, non ! grogna Jana face à l’attitude impatiente de son grand frère.
— Quoi ?
— Tais-toi et écoute, ajouta-t-elle, les sourcils froncés. Au moment où j’ai rouvert les yeux, tout est devenu très clair.
— Si t’avais révisé c’est normal, après tout. T’as juste eu un moment de panique avant de te reprendre, conclut Elliott, étonné par tant de chichis.
— Ben, le truc, c’est que je n’avais rien révisé, avoua honteusement la jeune fille. Et puis attends, je n’ai pas fini. Quand je dis que tout est devenu clair, tout est vraiment devenu clair, mais de manière irréaliste. J’ai vu Pythagore en personne me faire la démonstration prouvant que mon triangle était rectangle…
— Tu plaisantes ? l’interrompit son frère.
— Mais non je te jure, contesta Jana. Il était là, en chair et en os. Il y avait aussi des graphiques et des figures géométriques qui se traçaient tout seuls. Et les opérations ! Elles se résolvaient aussi comme par enchantement. C’était complètement dingue !
— Mais comment c’est possible ? s’exclama Elliott complètement estomaqué par ce qu’il venait d’entendre de la bouche de sa cadette.
— Je ne comprends pas plus que toi, tu sais. J’ai essayé d’y réfléchir sur le trajet du retour mais je ne comprends toujours pas.
— Attends, on va reprendre. Tu t’es assise, Zanoni a distribué les consignes, tu n’as rien compris, récapitula Elliott.
— Il m’a parlé ! le coupa Jana.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit exactement ? répliqua le jeune homme brun.
— En gros, il m’a dit qu’il comptait sur moi pour me reprendre, assura Jana. Enfin il me l’a fait comprendre, quoi.
— Non, pas en gros, gronda Elliott. Sois précise. Réfléchis bien. C’est peut-être important !
La jeune collégienne se replongea dans ses pensées pour retrouver les paroles exactes prononcées par son professeur de mathématiques. Sous le regard impérieux de son grand frère, elle peinait à les retrouver. Pour échapper à son insistance et ainsi gagner en concentration, elle ferma les yeux et se massa les tempes lentement avec les deux index. Surprise d’entendre une voix étrangère dans sa chambre, elle rouvrit hâtivement les yeux et chercha d’où elle venait. Médusée, elle vit Monsieur Zanoni en personne lui répéter ses propos du matin : La suite, c’est maintenant. A vous de jouer, mademoiselle.
— Tu le vois ? hurla Jana en agrippant la main de son frère.
— Qui ça ? s’interrogea Elliott.
— Monsieur Zanoni…, cafouilla Jana. Il est là ! Juste devant nous. Il répète en boucle ce qu’il m’a dit tout à l’heure.
Le jeune homme à la carrure imposante plissa les yeux et chercha tout autour de lui le moindre indice prouvant la présence du professeur de mathématiques.
— Non, je ne vois absolument rien, réfuta-t-il dégouté de ne pas pouvoir lui aussi assister à ce nouveau phénomène mystérieux. Que dit-il ?
— La suite, c’est maintenant. A vous de jouer, mademoiselle. La suite, c’est maintenant. A vous de jouer, mademoiselle… rapporta la jeune fille en essayant d’imiter la voix pincée de son professeur.
— Attends, répète encore, je vais noter ses paroles, rajouta-t-il en attrapant la première feuille volante attrapée dans le fond de son sac à dos.
L’apparition humaine s’effaça aussi vite qu’une bulle de savon qui éclate. Jana resta bouche bée encore quelques secondes avant de reprendre ses esprits. Alors qu’elle était en train de chercher à expliquer le phénomène mystérieux du matin, il venait juste de se réaliser à nouveau. Comment cela s’était-il produit ? Encore !
— Hé, Jana, tu m’écoutes ? soupira Elliott en secouant sa sœur avec un manque de délicatesse propre à l’adolescent maladroit qu’il était.
— Elliott, laisse tomber les paroles du prof de maths pour le moment, lui ordonna Jana tout en restant focalisée sur ses longs doigts. Je crois que je viens juste de comprendre ce qui s’est passé ce matin.
— …
— Le lien entre ces deux phénomènes d’apparitions mystérieuses… Ce n’est pas Monsieur Zanoni, c’est moi ou plutôt ça, annonça solennellement Jana en pointant son index droit en direction de son frère. Cette marque est la clé du phénomène. J’en suis sûre.
A cet instant, la porte de la chambre de la jeune collégienne s’ouvrit délicatement.
— Les enfants, il est l’heure de venir manger, annonça Lena Lefèvre.
— On arrive maman, riposta Elliott. Jana finit de répondre à ma question sur la réunion des Etats généraux
— Euh, balbutia Jana, surprise par le sujet de la question de son frère.
Par réflexe et pour confirmer l’argument avancé par son frère, la jeune fille se massa à nouveau les tempes et reprit tout naturellement.
— Ils se sont réunis le 5 mai 1789 à Versailles dans l’Hôtel des Menus Plaisirs. Le 17 juin, ils se constituèrent Assemblée nationale. Puis devant la résistance farouche de Louis XVI, les députés jurèrent, dans la salle du Jeu de paume, « de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ». C’est le Serment du Jeu de paume du 20 juin, conclut l’adolescente.
— Bon je crois que tu es au point, félicita Elliott, estomaqué par ce résumé aussi complet qu’improbable.