Chapitre VI.

Huit mois passent. Ils se suivent sur les réseaux, ils se croisent en soirée. Toujours, il répond à ses stories « t’es tellement belle ». De tous, elle trouve cela pesant ; de lui, non. Ses messages ont une saveur différente. L’agression pour certains est muée en douceur, avec Ismaël. Début décembre, elle l’invite à son anniversaire au Roxo, le bar à cocktails des Bains. Il arrive, tard. S’installe devant le comptoir, solitaire, mystérieux. Il semble timide, réservé. Merci d’être venu. Quelques mots échangés. Camilla, affairée par sa bande de copains, n’a pas de temps à lui consacrer. Pour le nouvel an 2023, il lui demande de le rejoindre à la soirée où il joue. Réflexion. Elle n’y va pas, je préfère rester seule chez moi, je suis fatiguée et j’ai envie de débuter l’année dans le calme. En réalité, elle ne supporte pas le Nouvel an. De janvier à mars, c’est calme. L’hiver est rude. Moins de sorties, moins d’excès, plus de travail et de sport. Camilla se concentre sur ses écrits. Elle se programme un voyage, seule. Dix jours au Pérou, du 15 au 25 mai. Ce ne sont pas des vacances, ni un voyage classique mais initiatique. A Pisac « la ville du condor », elle rencontre Paullo Candel, héritier d’une authentique lignée de shamans incas. Et, au cœur de la cordillère des Andes, lors du lever du soleil sur le Machu Picchu, elle se révèle. Ça commence, entend-elle. Confiante, elle peut rentrer à Paris.

Vivian revient tout juste de Mongolie. Café à la main, elle l’attend à l’entrée du terminal 3.

Vivian : Comme je suis heureuse de te voir ! Tu es splendide !

Camilla : On récupère ma valise et on va chez toi ?

Vivian : Oui ! Je suis passée chez Cédric Grollet. On a une tarte aux fraises et du champagne qui nous attendent !

Camilla : T’es une merveille.

Paisible, le soleil s’étiole. Elles s’installent sur la petite terrasse perchée au cinquième étage. Cocon idyllique. Bruyères violettes, hortensias roses et pétunias rouges sont associés aux figuiers, citronniers et bananiers nains. Un petit potager en permaculture offre des tomates cerises divines, des framboises, mûres et groseilles exquises, en été. C’est sauvage et ordonné. Un bijou, cet endroit. D’ailleurs, Camilla s’y rend souvent pour écrire, loin de l’agitation. Delamotte blancs de blancs pour nos retours à Paris ! Le champagne coule dans les verres Zalto Denk'Art. La tarte est succulente. Les deux amies finissent de se raconter leurs aventures, enthousiastes. Le soleil disparaît. Vivian passe un sweat-shirt molletonné vert émeraude.

Camilla : Ça m’avait manqué un tel voyage. Mes missions humanitaires me semblent si loin …

Vivian : T’as pas envie de t’y remettre ? Tu peux venir bosser avec nous une fois. On t’accueillera tu sais.

Camilla : Je vais y réfléchir. M’occuper un peu des autres me ferait du bien. Je suis devenue très autocentrée ces dernières années… Je vais surement repartir un coup en juillet. C’est pas évident de se retrouver seule face à soi-même mais c’est vraiment très salvateur.

De son côté, Ismaël avance, lui aussi. Usé par un entourage toxique, il a besoin de se retrouver.

« On dit que le système l’emporte toujours sur l’individu. Un mauvais entourage bloque le meilleur » -  Franck Nicolas -

Usé, fatigué, Ismaël l’était. L’année passée, pour la première fois, il avait pris son courage à deux mains pour rejoindre la commune de San-Giuliano, au sud de Bastia. Une place Chez Costa, un petit restaurant familial où dîner les pieds dans l’eau, s’était libérée ; une opportunité en or. Les midis, il tenait le bar, les soirs, plusieurs fois par semaine, il jouait, entre 18 et 22 heures. La vie y était simple, douce. Coupé de ses démons, tout était plus facile. Sensible, rêveur, amoureux de la nature, il avait, à nouveau, besoin de retrouver ces émotions, celles ressenties lorsqu’on est loin du connu.

Alors que Camilla était au sommet des Andes, lui s’était envolé vers l’Afrique. Est-ce que je fuis ? Bien sûr, il se l’était demandé. Quoiqu’il en soit, le besoin de couper avec le familier était vital. De ce fait, jusqu’au mois d’octobre, il allait travailler à l’Azal Laggons Resort, à Abu Simbel. Personne n’avait vraiment compris son choix. Pourquoi tu ne vas pas en saison à l’île Maurice ou au Mexique plutôt ? T’as eu une drôle d’idée encore. Ça ne craint pas un peu là-bas ? C’est dangereux non ? Et tu l’as dit à maman ?  Lui avait signalé sa petite sœur, Mya. Ismaël est comme ça, dans son monde, et cela lui va.  Alors qu’il se prépare pour aller prendre son poste, une story de Camilla attire son attention. Elle croque dans un énorme burger de chez Siseng. Il sourit.

Message / Ismaël : Tu me rejoins en Égypte cet été ? Je suis à Abou Simbel – Au tac au tac – Réponse / Camilla : Oui.

Elle ne réfléchit pas. Son instinct sait. Cet été, après son escale à Madagascar, elle irait le rejoindre. D’aucun trouverait cela un peu fou de retrouver une personne qu’on connait à peine, si loin. Pour elle, c’est tout à fait normal. C’est sa norme, son fonctionnement.

Message / Camilla : Je viendrai en août. On se redit pour les dates.

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