Une ombre sur Doel
La bombe était lancée, nul n’avait eu besoin de dégoupiller la grenade, l’identité de l’adolescent les poursuivra jusqu’à ce que toute la vérité soit faite.
Une vérité funeste pour Roméo Delcroix.
Le silence pesait autour d’eux, étouffant les sons venant de la scène de crime. Tous repensaient à ce qu’ils avaient découvert, leurs regards revenant sans cesse sur cette lame de rasoir. Aucun doute : ce n’était pas anodin. Pas un simple objet glissé là par hasard. Tous savaient, au fond, à quoi elle devait lui servir. Et déjà, une peine sourde s’insinuait en eux, alors même qu’ils ignoraient tout du garçon.
Chacun, à présent, semblait digérer ce nom, cet âge, cette réalité trop brutale. Marius fut le premier à reprendre contenance, la mâchoire crispée et le regard déterminé.
- On a ce qu’il faut pour commencer. Annonça-t-il la voix dure. Je m’occupe de mettre tout ça sous scellés. Les journaux intimes en priorité, on ne sait pas ce qu’il contient, ils pourraient garder des éléments importants pour comprendre ce qui a amené ce jeune à mettre fin à sa vie. Je veux que personne ne les ouvre sans moi. Sa voix claqua dans l’air figé, tranchante, presque militaire.
Il jeta un regard circulaire à la pièce avant de planter son regard appuyé sur Antoine, un mélange d’avertissement et de confiance, que son collègue comprit sans aucun mal. Pas un seul des mots contenus dans ces carnets ne devait fuité avant d’avoir été analysés.
- Antoine vérifie si ce charognard de journaliste n’est plus dans les parages. Et pendant que tu y es, assure-toi qu’il ne manque rien dans la voiture.
L’écho de sa voix se portait aux oreilles de chacun comme un chant militaire, millimétré, où chacun comprenait instinctivement sa place et ce qu’il devait faire. Marius était parti pour mettre tout son être dans cette affaire, après tout cet adolescent avait le même âge que son fils.
Le blond hocha la tête, prêt à tout pour que cette affaire puisse se dérouler de la meilleure manière qu’il soit. Philippe qui était resté assez silencieux et observateur jusque là, intervint de sa voix continuellement maîtrisé, cette fois, il comptait bien se faire entendre.
- Antoine, je compte sur toi pour ramener Marion chez nous. Dit-il en détournant le regard vers la jeune femme qui commençait à froncer les sourcils. Ecoute, s’expliqua t’il en mettant ses mains en coupe sous le visage de la rousse pâle et immobile. Je vais m’occuper du corps, et j’ai besoin de calme pour bosser, je compte sur toi pour te reposer et noter tout ce que tu pourrais savoir de près ou de loin sur ce jeune homme.
Marion, lassée, exténuée par cette journée qui touchait quasiment à sa fin, obtempéra. Elle saurait les avancées en temps et en heure mais là tout ce qu’elle souhaitait, c’était de retrouver le confort de son chez soi.
Philippe eut un rictus amusé en voyant l’air revêche de sa femme. Il lui déposa un baiser rapide avant de se détourner, le visage à nouveau impassible, se dirigeant vers les techniciens pour prendre en compte les premières constatations et se vêtir de sa propre combinaison.
L’institutrice, quant à elle, se laissa guider par Antoine,qui, d’un signe de tête, fit comprendre à Marius qu’il s’en allait immédiatement. Il se rejoindrais au poste afin de savoir la marche à suivre.
Marius, lui, soupira, attrapa le sac à dos avec une infinie précaution, conscient qu’il tenait entre ses mains une partie de l’âme de la victime. Ses doigts gantés frôlèrent un instant le porte clé qui réfléchissait les dernières lueurs du jour. Par ce simple contact, c’était comme ci un fragment de la douleur du garçon pouvait l’habiter, à cet instant. Puis ravalant l’émotion qui menaçait de le submerger, il fit signe aux techniciens proches de lui.
- Je veux que tout soit listé, photographié, scellé. Rien ne quitte cette pièce sans que je n’en donne l’ordre.
Son ton n’admettait aucune réplique, si bien que les équipes opinèrent et s’éloignèrent en silence,se mettant aussitôt au travail.
L’enquêteur, de son côté, s’agenouilla, une tension lui nouait sa nuque, il regarda Philippe s’avancer en combinaison blanche vers le corps toujours pendu. Celui ci, avait regardé sa femme s’éloigner avec le policier, le choc encore peint sur ses traits tirés. Il avait conscience que cette épreuve allait tester leur couple, il se sentait parer à tenir debout pour deux s’il le fallait.
Il reporta son attention sur le corps qui n’attendait plus que lui. Le moment était venu de reprendre sa place, il l’assumerait jusqu’au bout. Lentement, il enfila la dernière pièce de sa combinaison, des gants en latex bleus, dans un claquement sec dans le relatif silence de la pièce.
- On commence les premières constatations, souffla t-il. Je veux les clichés de chaque angle, pas un oubli, pas une seule erreur.
Sa voix posée était presque aussi glaçante que la vision du corps du jeune homme qui continuait à se balancer lentement de gauche à droite au gré des brises qui rentraient par les fenêtres cassées. Cependant, au fond, chacun savait qu’il s’agissait là que d’un masque, suffisant pour faire la part des choses entre le domaine privé et professionnel. Philippe, comme les autres, pouvait sentir l’ombre de ce garçon s'étirer et s’accrocher à eux.
Marius se redressa finalement, son regard glissant sur la silhouette frêle de l’adolescend, inerte. Il pouvait maintenant voir le visage du garçon que le médecin légiste avait dégageait de tout écharpe et bonnet pour poursuivre ses constatations.
Il inspira profondément, l’air du jeune homme semblait comme torturé, c’était une vision que Marius pourrait qualifier, plus tard, de poignante. Il ne savait rien de lui, pour autant ce Roméo le touchait déjà. Il s’efforçait de reprendre le fil de la procédure, à remettre sa carapace qu’il sentait pourtant, déjà fissurée.
- Roméo Delcroix… marmonna-t-il dans un souffle. Comme ci mettre un nom sur cette affaire pourrait suffire à l’éloigner de son esprit, à faire comme si, cette histoire serait comme toutes celles avant elle.
Mais ce n’était pas le cas, son fils Adam, avait le même âge, fréquentait le même établissement scolaire. Il se promit d’interroger son fils, histoire de savoir s' il connaissait Roméo. Dans cette petite ville, tous se connaissaient plus ou moins.
Le médecin légiste leva brièvement les yeux, croisant ceux de Marius, un simple échange d’homme à homme, sans qu’aucun mot supplémentaire ne soit nécessaire. La gravité de ce nom, désormais, ils allaient tous la porter.
Philippe aidé par d’autres combinaisons blanches dépendèrent le jeune homme. Maintenant, le légiste pourra donner ses dernières constatations. Vérifier s’il n’y avait pas de trace de lutte qui pourrait indiquer un tout autre scénario que celui qui semblait prendre forme dans l’esprit de tous.
- Je termine ici, annonça Philippe en se redressant. Quand j’aurai fini, on transfère le corps. Pas avant. Je veux m’assurer qu’on loupe rien. Ce gamin mérite au moins ça.
Marius hocha la tête, la mâchoire crispée. Il referma soigneusement le sac à dos désormais sous scellés et le confia à l’un des agents, en insistant :
- Ça va direct au poste, dans le coffre des pièces sensibles. Pas un détour, pas un arrêt. Compris ?
L’agent acquiesça aussitôt, les épaules raidies sous la pression. Il se détourna et décampa sur le champ. Dans l’air vicié de la pièce, on n’entendait plus que les cliquetis des appareils photo et les murmures des techniciens. Chacun semblait marcher sur un fil, conscient de l’importance de ce qu’ils tenaient entre leurs mains. Ce n’était pas juste un corps, ni juste une enquête de plus. C’était un drame qui allait les suivre longtemps, ils le savaient.
Philippe finit ses dernières observations et donna son aval pour que le transport du corps vers l’institut médico-légal pour l’autopsie. Il se rapprocha ensuite de Marius, qui attendait que le médecin lui fasse un topo. Celui -ci avait l’estomac noué d’appréhension. Sur le visage de son meilleur ami, aucune émotion, rien qui pourrait se préparer à entendre ce qui allait suivre.
- J’ai noté la présence de nombreux bleus sur la poitrine, sur les bras et au niveau du dos. Tu auras remarqué que je n’ai pas poussé l’examen trop en avant, avec tout ce qui traîne ici, je n’ai pas envie de contaminer de potentielles preuves présentes sur le corps.
Marius hocha la tête, attentif et conscient que c’était bien un miracle d’avoir repéré le sac du garçon ici au milieu de tous ces détritus et de ces marres d’eau qui se formaient çà et là.
- Le sillon cervical laissé par la corde est bien ascendant, ça coïncide avec une pendaison classique avec chute. Par contre, il y a des traces, comme ci, au dernier moment il avait essayé de revenir en arrière, ce qui est étonnant.
Marius fut déboussolé.
- Pourquoi ça serait étonnant, c’était peut-être un réflexe de dernière minute ?
- Non, les traces sont trop nombreuses, ça ne coïncide pas. Ce jeune homme semblait être déterminé à en finir, la preuve étant, qu’en vérifiant ses poignets, j’ai remarqué qu’il s’est aussi tailladé les veines, et qu’il y a d’anciennes traces d’une autre tentative de suicide antérieure.
Marius ferma les yeux une seconde, tentant de digérer l’information. Ce n’était donc pas un geste soudain, une impulsion malheureuse… Non, ce gamin portait ses blessures depuis bien plus longtemps que cette nuit fatidique. Il était décidé d’en finir, coûte que coûte.
- Ça veut dire qu’il a essayé avant… souffla-t-il, presque pour lui-même.
Philippe hocha lentement la tête, les traits tirés par la fatigue de cette journée qui lui semblait interminable.
- Oui… et cette fois, il a mis toutes les chances de son côté. Double méthode. Si la pendaison échouait avec ce plongeoir instable, l’hémorragie aurait fait le reste. Cependant, il y a des lésions qui ne s’expliquent pas par le fait de s’enlever la vie, on dirait qu’il s’est fait battre ou qu’il s’est battu juste avant d’en finir. Philippe s’interrompit pour se passer une main lasse sur le visage. Vu la rigidité cadavérique et les conditions météorologiques… Il réfléchit un instant puis reprit. Le froid ralentit la décomposition, mais on reste sur une mort survenue entre 12 et 18 heures.
Sa main, cette fois, passa sur sa nuque, mal à l’aise. Ce genre de constats, même pour un médecin légiste aguerri, laissait toujours un arrière-goût amer.
- C’était une véritable volonté d’en finir Marius, pas un appel à l’aide, il est parti de chez lui en sachant pertinemment qu’il ne reviendrait jamais… C’est un suicide abouti…réfléchi. Toutefois, vu les ecchymoses que j’ai relevées, je veux qu’on vérifie s’il n’y avait pas quelqu’un ici avec lui… Peut-être qu’on a raté un truc !
L’enquêteur releva les yeux, accrochant le regard de son ami. Il ne pouvait se résoudre à penser à ça, c’était… Inimaginable pour lui !
- Tu crois… qu’il a eu de l’aide ? Ou qu’on l’a poussé à bout ?"
Philippe haussa les épaules, impuissant.
- Je ne sais pas encore. Mais je veux qu’on n’écarte rien. Pas avant l’autopsie. Il y a trop d’ombres autour de ce gosse… Et j’avoue que ça me fout la trouille.
Un silence pesant s’installa entre eux, seulement brisé par le bruit du brancard qu’on préparait pour transporter le corps.
Marius se racla la gorge et reprit, plus ferme :
- Je vais fouiller sa vie. Son entourage, l’école, ses fréquentations. Si quelqu’un l’a poussé… je te jure que je le trouverai.
Philippe esquissa un sourire sans joie.
- Je n’en doute pas, vieux. Mais prépare-toi à ce que ça fasse mal. Parce que mon intuition me dit qu’il n'y a pas qu’une seule personne en cause dans cette histoire.
Marius hocha la tête en silence. Il le savait déjà. Roméo Delcroix n’était plus un simple nom. C’était devenu une promesse.
Plus loin, le corps de l’adolescent était déposé délicatement sur un brancard, prêt à partir pour l’IML. Quand l’un des techniciens remit correctement la tête du jeune homme, sa main passa rapidement à l’arrière de son crâne, dans ses longs cheveux bouclés et noirs.
Il sentit à travers ses gants, du sang coagulé.
- Monsieur Dumont ! Monsieur Van Der Meer ! Hélas le technicien, laissant sa main à l’endroit de la plaie afin de la localiser plus facilement pour le médecin légiste et l’enquêteur.
Les deux hommes se retournèrent dans un même mouvement et s'avancèrent rapidement vers le rouquin qui les avait interpellés.
- J’ai senti quelque chose quand j’ai voulu remettre la tête correctement, venez constater Philippe.
Celui-ci consentit, remit une paire de gants et s’accroupit à la hauteur du roux. Il glissa sa main à l’arrière du crâne jusqu’à sentir les doigts du technicien qui les retira pour laisser la place au légiste.
La plaie était assez profonde, les cheveux avaient collés directement dessus, il faudrait qu’il fasse des analyses lors de l’autopsie. En dégageant les cheveux pour avoir une meilleure visibilité, le médecin pouvait dire que la blessure avait été faite ante-mortem.
- Marius, dit-il d’une voix emplie de doute, je crois que ce n’est pas quelqu’un qui l’a aidé ou qui l’a poussé à bout. Il fit une pause, regardant son meilleur ami qui avait le visage figé, attendant les derniers mots qui achèverait la sentence.
Mais je pense qu’on a cherché à le tuer.
Je reprends avec un chapitre à l'atmosphère toujours lourde et bien retranscrite selon moi. J'aime voir le contraste entre la détermination des enquêteurs, et la tragédie qui se dévoile.
La découverte de la blessure à la tête de Roméo vient complexifier une situation déjà tragique, transformant un suicide apparent en une possible agression (ce qu'on se doutait, mais qui méritait bien une révélation aussi tonitruante !).
La détermination de Marius, face à l'écho de son propre fils, est touchante et crédible. On ressent son humanité derrière la carapace de l'enquêteur.
La rigueur professionnelle de Philippe, malgré l'émotion palpable, est également bien rendue. Sa méticulosité et son souci de rendre justice à ce jeune homme sont des éléments forts du récit.
L'annonce finale, "je crois qu’on a cherché à le tuer", est un coup de théâtre qui relance complètement l'intrigue et nous laisse avec un sentiment d'inquiétude et d'injustice profond.
On se retrouve tout de suite dans le prochain chapitre !
Il ne fallait pas tout relire voyons ! 🥹
J'aime beaucoup finir tous mes chapitres sur ce cliffhanger, c'est un peu devenu ma marque de fabrique.
Tu fais bien, je trouve ça vraiment bien ces petites phrases de fin. Et je pense que pour toi ça doit-être un exercice d'écriture super intéressant.
Exactement, ça me force à amener une certaine émotion, le bon timing etc, c'est plutôt chouette à mettre en place.