Contre toute attente, Novi-Fyr s’était déroulée sans aucun incident et la sécurité de la reine Théa n’avait été mise en danger à aucun moment. Les festivités avaient suivi leur cours pendant quasiment toute une semaine, mais elles touchaient désormais à leur fin. Elinora contemplait la multitude de lumière flottant paisiblement sur le lac. Le dernier soir, il était de tradition pour de nombreuses familles de Dérios de construire une petite embarcation en bois sur laquelle ils allumaient une bougie pour chacun de leurs membres. Toutes ces embarcations étaient par la suite envoyées voguer sur le lac à la tombée de la nuit, offrant un formidable ballet lumineux. Elinora ne savait dire si cette coutume avait été initiée par les adeptes de Pyra ou de Pyrel, mais les deux institutions la toléraient.
Elle resta de longues minutes à son emplacement favori en haut des remparts, l’esprit vagabondant vers l’horizon. Bien qu’Ignis était toujours retenu prisonnier, ils étaient dans une impasse. Les recherches n’avaient rien donné, aucune trace de Lucio ou d’une quelconque amulette. La reine Théa commençait à s’impatienter et se demandait un peu plus chaque jour si elle avait fait le bon choix en leur faisant confiance. Pire, une partie des Brûlés étaient partis secourir Lux sans en avertir qui que ce soit au préalable. Lorsque Minos l’avait appris, il était rentré dans une colère noire. Ils n’étaient plus très nombreux suite à la bataille du Tertre Blanc et ils ne pouvaient se permettre ce genre de folie alors qu’ils étaient si proches du but. Son état l'inquiétait d'ailleurs. Depuis leur départ, le Brûlé était encore plus austère qu'à l'accoutumé. Il ne se reposait jamais et passait son temps à organiser des recherches ou à interroger des prisonniers. Au fond, Elinora pensait que la présence de Lux lui manquait à elle également.
Elle était en quête de réponses et quand la nuit commença à fraîchir, elle se leva et prit le chemin vers son temple. Les rues étaient encore animées de fêtards en tout genre, mais le pic des festivités étant passé, le calme revenait peu à peu dans la cité. Elle arriva sans encombre jusqu’au temple qui était plongé dans la pénombre. Après avoir vérifié qu’elle était bien seule, Elinora s’agenouilla devant l’imposante statue de Pyrel et se mit à prier.
— Juste Pyrel, je sais que vous m’entendez. J’implore humblement votre aide ici-bas.
Elinora resta assise ainsi plusieurs minutes sur le sol en pierre dur et froid dans une concentration totale. Puis, elle se mit à ressentir de nouveau cette douce chaleur si familière l’envelopper. Elle ouvrit les yeux et aperçut sa déesse qui lui souriait sous sa forme éthérée. Elle émettait une douce lumière pâle qui venait éclairer le grand hall dans lequel elle se trouvait.
— Tu m’as l’air bien perdue, mon enfant, dit-elle avec sa douceur habituelle.
— Je suis humblement venu vous demander conseil, Grande Pyrel. Malheureusement, les choses n’avancent pas comme nous le voudrions. Le médaillon demeure introuvable et Lucio court toujours. Votre lumière ne pourrait-elle pas nous éclairer dans notre quête ?
Pyrel afficha aussitôt une mine contrariée.
— Cet objet a détourné les Brûlés de leur quête. Il vaut mieux qu'il reste perdu à jamais.
— Et pourtant, ce médaillon est peut-être notre seule chance d'arrêter votre sœur, répliqua Elinora. Je vous en supplie, dites-moi tout ce que vous savez à son sujet.
Pyrel hésita un instant puis soupira.
— Il fut créé lorsque ma sœur et moi ne formions qu’un. Nous l'avions offert à Ignis quand celui-ci était encore roi d'Aurora.
— Ignis ? Fit-elle surprise.
— Lui-même, dit-elle nonchalamment en lévitant avec grâce dans la pièce. Il était censé le protéger pour l’éternité. Une création remarquable, dois-je dire avec modestie. Il a disparu dans les flammes après que ma sœur ait tenté de fusionner avec ce dernier.
— Mais il est réapparu ?
— Il semblerait. Peu après l'incendie, l'un des Brûlés prétendit avoir trouvé un objet d'une grande puissance dans les ruines d'Aurora. Au lieu d'arrêter Ignis, il quitta l'Ordre et s'en servit pour fonder la dynastie des Tefras et ce qui deviendra plus tard la cité dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Bien que les rumeurs ne furent jamais confirmées, tout le monde s'accordait pour dire que le talisman qu'il possédait était celui d'Ignis.
— Où est-il à présent ?
Pyrel secoua la tête.
— Ma sœur et moi l'ignorons. C'est un objet d'une grande puissance, fait pour échapper à tout contrôle, même celui des dieux.
— Pourquoi avoir fait une chose pareille ? Qu’aviez-vous à y gagner à ce qu'un mortel puisse échapper à votre contrôle ?
— Les dieux aussi éprouvent des sentiments. Nora, répondit-elle avec nostalgie. Je crois que toi aussi, tu sais quel est le prix de l'amour.
Elinora fit de son mieux pour ne pas rougir. Pyrel connaissait son passé et les amants qu’elle avait pu avoir autrefois. Mais également le tragique sort que cela lui avait coûté. Cependant, elle était sous le choc qu’elle, une déesse, ait pu avoir une liaison avec qui que ce soit. Pire encore, un être humain.
— Donc le talisman à l'origine de la dynastie des Tefras était celui d'Ignis. Mais Dérios fut fondé il y a des siècles et les guerres familiales furent nombreuses par le passé. N'importe qui peut l'avoir en sa possession désormais.
— En effet, cependant, il a été conçu pour n’être porté que par ceux ayant l’âme suffisamment digne. Je doute que l'actuelle famille royale de Dérios en fasse partie.
Cela ne répondait pas vraiment à sa question. Si Elinora appréciait la reine Théa, elle devait reconnaître qu’elle se montrait parfois cruelle et capricieuse. Peut-être son mari, le roi Éléon, aurait été plus digne de posséder un tel objet ?
— Pensez-vous que les Brûlés puissent vaincre Pyra sans lui ?
— Cela sera compliqué. Ignis reste mortel et il peut être blessé comme n'importe lequel d'entre vous. Mais ma sœur fera tout pour le protéger. Et sans la présence de la cheffe des Brûlés à leur côté, il leur sera difficile de se protéger de ses flammes.
— Mais vous interviendrez en notre faveur ?
— Si toi seule m'en fais la demande, alors je t'aiderai, je t'offrirai tous les pouvoirs dont je dispose. Toutefois, cela nécessitera une quantité importante d’énergie que je ne pourrais pas recréer avant plusieurs dizaines d'années.
— Autrement dit, il n’y aura pas de seconde chance.
Pyrel acquiesça.
— Il faudra que tu juges le moment opportun pour m’invoquer.
Elinora réalisa alors l’énorme poids qui pesait sur elle.
— Êtes-vous certaine de choisir la bonne personne ? Demanda-t-elle.
Pyrel se rapprocha et posa une main sur son épaule. Bien que celle-ci n’était qu’un amas lumineux, elle ressentait son toucher.
— Tu es forte Elinora, bien plus que tu ne le penses. Tant que ni toi ni Ignis n’auront abandonné, il y aura de l’espoir.
Elinora se remémora toutes les interactions avec ce dernier. Son regard cruel et oppressant ainsi que sa voix féminine lui revenaient en priorité, mais elle se souvenait également de quelques moments où il s’était montré plus humain.
— Attendez, se pourrait-il que Pyra ne le contrôle pas totalement. Se pourrait-il qu’il soit encore conscient ?
Pyrel hocha la tête.
— Mais c’est impossible ! Novi-Fyr s’est produit il y a mille ans ! Vous voulez dire que depuis tout ce temps, il continue de lutter ?
— C’est exact.
Elinora était sous le choc. Comment un mortel pouvait résister pendant tant d’années à l’emprise d’une déesse ?
— J’ignore s’il est encore sain d’esprit ou s’il a fini par totalement perdre la raison, continua-t-elle. Chaque sacrifice, chaque ville réduite en cendres renforce peu à peu l’emprise de ma sœur sur son esprit. Si Dérios tombe à son tour, il est probable qu’il y succombe pour toujours.
Comme à chaque fois qu’elle abordait le cas d’Ignis, Elinora semblait percevoir une légère mélancolie dans sa voix, mais avant qu’elle n’ait le temps de lui en demander davantage, Pyrel s’exclama :
— Quelqu’un vient ! Je dois mettre un terme à notre rencontre.
— Quand vous verrais-je enfin sous votre forme physique ?
— Je te l’ai déjà dit. Cela me demande beaucoup d’énergie pour revêtir un corps mortel, je le garde pour ceux qui sont réellement dans le besoin. Mais ne t’en fais pas, Nora, je veille sur toi.
Elle disparut subitement et le temple fut de nouveau plongé dans la pénombre. Elle attendit alors une voix résonner derrière elle.
— Qu’est-ce que vous faites à parler toute seule ici à cette heure ? Les rumeurs disaient donc vrai, les prêtresses sont vraiment folles.
— Je priais, répliqua Elinora en reconnaissant Finn qui venait à sa rencontre. Et tu devrais te montrer plus reconnaissant envers celle qui a soigné tes blessures.
— Ouais, ouais, je pense à Pyrel tous les jours, dit-il sans en tenir compte. Je suis venu vous demander si vous aviez des nouvelles de Tanwen.
— Ton amie a quitté Dérios la semaine dernière avec un groupe de Brûlés. Ils comptaient libérer leur cheffe prisonnière à Spyr.
Finn laissa échapper un rire.
— Je la reconnais bien là, elle ne peut s’empêcher de foncer tête baissée. Espérons que sa bonne étoile continuera à la suivre là-bas.
Cela faisait un moment que Finn s’était remis de ses blessures, mais il continuait de loger au temple. Par moments, il disparaissait pendant plusieurs jours avant de réapparaître et de récupérer son lit dans l’infirmerie. Elinora ne savait pas comment il faisait pour échapper à la vigilance des prêtresses en permanence, mais cette situation lui était insupportable. Car en plus de n’avoir aucune manière ni respect pour le culte, Finn s’amusait à déconcentrer les novices dans leur recueillement.
— Puisque je vois que tu es pleinement guéri, tu vas enfin pouvoir quitter le temple.
— Vous me mettez à la porte ! C’est comme ça que vous portez assistance aux plus démunis ? Dit Finn faussement offusqué.
— C’est un hôpital qui accueille les malades, pas un orphelinat. Et j’ai passé l’âge de surveiller qu’un garnement ne fasse pas n’importe quoi dès que j’ai le dos tourné. Alors si tu es rétabli, je vais te demander de partir.
— C’est bon, c’est bon, capitula Finn. Je m’en vais. Néanmoins, je voulais vous faire un cadeau avant mon départ, même si vous m'avez déjà confisqué ma carte. Voyez-vous, je n’ai pas passé les derniers jours à me tourner les pouces, et malgré le coup d’éclat de votre Ordre, des Kléptars courent toujours dans la nature. Il est vrai que Lucio se fait discret, et même entre eux, ils s'interrogent sur ce qu'est devenu leur chef. Mais ils ont repris du service dernièrement, et je suis sûr que vous seriez surpris de savoir qui leur donne des ordres désormais.
— Qui ça ? Demanda Elinora qui n’avait pas la patience de jouer aux devinettes.
— La princesse du royaume en personne !
— Daélia ?
Finn hocha la tête avec malice.
— Cette fille n’a aucune jugeote et bien trop de manières pour s’allier à des…
Elinora se remémora tout d’un coup l’entretien qu’elle avait surpris entre elle et Ignace. La reine Théa la faisait surveiller en permanence et elle était toujours escortée par plusieurs gardes du corps. Se pourrait-il que malgré tout, elle ait réussi à trouver un moyen d’entrer en contact avec Lucio ?
— Où l'as-tu aperçue ?
— Dans l'un des marchés de la haute-ville. Je surveillais un apothicaire qui y tient tous les jours un étal avec des herbes de toute sorte. L'homme doit quelques services à Lucio. Daélia s'y est rendue avec son escorte pour lui en acheter quelques-unes. Au moment de payer, elle lui remit quelques pièces en main propre et y glissa grossièrement une note. Ses gardes ne remarquèrent rien du tout et elle s'en alla vers un autre commerçant, satisfaite d'elle-même. Mais n'importe quel observateur avec un peu de jugeote aurait aperçu son tour de passe-passe.
— Je commence à être sceptique quant à tes informations. Aucun projet d'attentat contre la reine n'a eu lieu lors de Novi-Fyr et je ne vois pas pourquoi Daélia entretiendrait des liens avec les Kléptars. Elle a toujours un penchant immodéré pour le luxe et les établissements de renommée, pas les tavernes miteuses de Lucio.
— Ça alors, vous ne savez vraiment rien d'elle, n'est-ce pas ?
Elinora fut quelque peu déboussolée par sa question. À ses yeux, Daélia n'était rien d'autre qu'une jeune fille coquette née d'une famille bourgeoise et complexée de ne pas faire partie de la noblesse de Dérios. Elle ne devait sa place à la cour qu'au fait d'avoir pu enfanter un héritier avec le roi.
Voyant son air égaré, Finn continua.
— Elle était la fille d'un marchand accablé de dettes. Pas le meilleur parti pour un roi, vous en conviendrez. Et devinez envers qui cet homme était endetté ?
— Lucio.
— Exactement. La plupart des personnes qui doivent de l'argent aux Kléptars savent qu'elles jouent avec le feu. Pourtant, cet homme n'a jamais réglé ses dettes et personne n'est venu saccager sa boutique. Mais si j'ai bien appris une chose depuis que je vis à Dérios, c'est que les Kléptars se font toujours payer d'une façon ou d'une autre.
— Tu veux dire que Daélia fut le prix à payer pour qu'il annule ses dettes ?
Finn sourit.
— Tout cela, c'est passé au moment où la reine cherchait désespérément une femme pour son fils. Elle était prête à prendre n'importe qui. Lucio a dû flairer le coup et demander à cet homme qu'il propose sa fille afin que Daélia ne lui serve d'espionne au plus près de la couronne. Et miraculeusement, toutes ses dettes ont disparu et il est même devenu l’un des plus riches marchands de la cité.
— C'est impossible, voyons ! Un plan aussi grossier ne passerait jamais inaperçu.
— Pourtant, je ne crois pas que les autres nobles aient beaucoup protesté lors de la nomination de Daélia, quand bien même elle n’était pas noble. Peut-être que certains d’entre eux qui avaient des contacts avec Lucio étaient au courant de l’affaire.
— Quand bien même…
— Son père est mort peu après qu’elle ne donne naissance au prince héritier. Une belle mort dans son lit, à ce que l'on dit. Daélia n’a pas conservé son commerce qui a été repris par un ami de Lucio nouvellement arrivé en ville. Je vous l’ai dit, les Kléptars obtiennent toujours ce qu’ils veulent.
Elinora restait sceptique. C’étaient des informations qui allaient bien plus loin que tout ce qu’elle avait pu imaginer, et elle se demandait bien comment ce petit homme avait pu se les procurer.
— Je te remercie, répondit machinalement Elinora qui avait l’esprit perdu dans ses pensées.
— Je savais que ça vous serait utile. Avouez que vous avez plus besoin de moi que je n’ai besoin de vous.
— Ne t’avance pas trop, répondit-elle. Et je veux toujours te voir partir d’ici demain à la première heure.
Elinora quitta le temple en entendant Finn maugréer dans son dos. Une rencontre avec Daélia s’imposait.
De retour avec Elinora. Et, bon je m'en doutais, c'est Daélia qui donne des infos à Lucio. Et l'histoire raconter par Finn est intéressante. Daélia est une espionne depuis le tout début.
Elle demande encore à Pyrel de l'aider. Et on sait qu'elle aura un choix important à prendre.
A voir la suite du chapitre. La discussion avec Daélia :)
Rien à dire sur la forme :)