Mais le combat avait déjà débuté pour Jasper, une lutte à mort qu’il menait de toutes ses forces, pourchassé par une créature de cauchemar : un grand varan de la Forêt d’en Bas.
Malgré tous ses efforts, il n’avait pas réussi à trouver un abri, ni à se libérer de ses menottes. D’abord, c’étaient deux araignées tigres de la taille d’un chien qui l’avaient poussé à quitter les sous-bois, dès qu’il eut compris que ces créatures pouvaient se tapir dans les hautes-herbes, prêtes à bondir. Ensuite, il avait erré dans cette jungle durant de longues heures, sans succès ni repères, jusqu’à enfin apercevoir un ruisseau qui allait lui permettre de rejoindre les parois, puis un recoin de ce monde souterrain où il pourrait profiter d’un peu de répit. Malheureusement, à peine eut-il commencer son chemin qu’un ours immense, dotée de longues cornes recourbées et de défenses acérées, vint le chasser des rives. Par chance, la bête voulait simplement boire en paix, et elle se contenta de le poursuivre sur quelques dizaines de mètres en rugissant, avant qu’il ne pense pouvoir reprendre son souffle. Évidemment, c’est à ce moment que ce varan monstrueux vint se jeter à sa poursuite, pour le traquer aussi loin qu’il le faudrait, depuis plus d’une quinzaine de minutes à présent.
Pourtant, ce foutu lézard pourrait me lâcher, aurait-il pu s’agacer intérieurement s’il n’était pas trop concentré à fuir, ou s’il n’avait pas compris que cette espèce mutante n’avait pas grand-chose en commun avec celles qu’il avait vu à la surface. Le Varan clouté d’en Bas était une très vieille espèce, trois fois plus longue que son cousin de Komodo et quatre fois plus lourd qu’eux, aux écailles noires tachetées d’un jaune vif, couronné d’une crête luisante et rougeâtre courant jusqu’au bout de sa longue queue. Et, bien que Jasper ait vu un certain nombre d’horreurs au cours de sa vie, la démarche surarticulée de ce reptile rasant la végétation lui mettait la peur au ventre. Il aurait été incapable de dire ce qui était le pire, entre son regard brillant d’échos rouges dans la nuit, le sifflement de ses coups de langue ou les griffes tordues bardant chaque articulation de ses pattes. Bien sûr, il avait tiré sur la bête à plusieurs reprises, ne serait-ce que pour la ralentir, mais les balles avaient toutes glissées sur la peau gluante du mutant, à tel point qu’il préférait se concentrer sur sa course. Seulement, à force de ne pas savoir où courir, il finit par prendre les mauvais chemins.
C’est ainsi qu’il se retrouva dans un corridor rocheux, puis dans une impasse, en train de filer à toute vitesse vers une paroi de trois ou quatre mètres. C’est foutu, s’avoua-t-il intérieurement, en voyant l’obstacle se rapprocher seconde après seconde, si vite qu’il n’avait déjà plus le temps d’y réfléchir. Alors, il donna toute la force de ses jambes dans ses dernières foulées, puis bondit du plus haut qu’il put, jusqu’à venir accrocher le sommet de ce mur, pour hisser son torse et rouler loin du vide d’où le varan pouvait encore surgir. D’ailleurs, il était encore au sol lorsqu’il vit ce monstre dresser sa tête par-dessus la paroi, les griffes bientôt posées sur ce qui n’était qu’un petit muret à ses yeux. Cependant, Jasper était loin de s’avouer vaincu et, tandis que le prédateur grimpait, il s’empressa de brandir son pistolet pour tirer l’une des dernières balles qu’il lui restait, en plein torse de la bête qui retomba dans un sifflement furieux. Évidemment, il en faudrait beaucoup plus pour décourager ce mutant, mais cela suffit à offrir au chasseur une nouvelle chance de s’enfuir, dans ce couloir grisâtre où il s’enfonçait, la bête à ses trousses. Partout sur leur chemin, de plus en plus d’ossements gisaient au sol, si nombreux que Jasper en vint, bientôt, à les écraser dans sa course débridée, jusqu’à trébucher pour s’écraser contre la pierre. Sans attendre, tandis qu’il rampait encore dos contre sol, il brandit de nouveau son pistolet vers la gueule du varan, approchant lentement de lui avec un regard aussi affamé qu’attentif. Je n’aurais pas le droit à l’erreur, divaguait intérieurement Jasper, en priant pour que les deux balles qui lui restaient suffisent, en plongeant son regard dans celui de ce dragon, exactement là où il ajustait sa visée, le seul endroit où il avait une chance de réellement le blesser, mieux le tuer. Mais le reptile était loin d’être stupide ou amnésique, il se souvenait parfaitement des tirs qu’il avait déjà déviés ou encaissés, et il guettait patiemment le bon moment pour se lancer, jusqu’à s’immobiliser complètement.
Durant de longues secondes, ils restèrent ainsi, fixes, leur regard suspendu à celui de l’autre, prêt à réagir au premier geste, lorsque Jasper releva brutalement son canon en enfonçant la gâchette à moitié. Prise dans la feinte, la bête convulsa aussitôt sur elle-même pour écarter sa gueule de la trajectoire du canon, avant qu’il n’ouvre le feu dès qu’elle retoucha le sol. Pourtant, si son tir fusa en pleine narine, avec assez de force pour ouvrir le varan jusqu’à la paupière, il ne fit que le balafrer dans une traînée de sang qui le poussa à plonger sur sa proie, désespérée au point de cracher sa dernière balle. Finalement, le chasseur avait raté son coup, et même si le second parut transpercer la gorge du reptile, rien ne pouvait plus l’arrêter désormais. C’est vraiment foutu, finit-il par s’avouer intérieurement, en entendant le clic de son petit calibre s’actionner dans le vide, lorsqu’un souffle brutal projeta le monstre contre la paroi rocheuse, tel une bourrasque jaillie de derrière lui. Ensuite, Jasper sentit un grand appel d’air chaud derrière lui, une aspiration tellement forte qu’il en resta pétrifié, jusqu’à ce qu’elle se décharge à nouveau dans un éclat de lumière rosée.
Cette fois, la déflagration écrasa complètement le grand varan contre la paroi, ne laissant qu’une immense tache de sang sur la roche fracturée où glissa le cadavre, sous les yeux incrédules de l’Alsacien que ce vent divin venait d’épargner.
— Alors, c’est ça l’aide providentielle que le destin m’envoie ? lâcha une voix masculine avant que Jasper ne se retourne vers elle, pour découvrir la silhouette d’un trentenaire, habillé comme le chasseur du RFA qu’il avait combattu à Verdun.
— J’ai cru que c’était vous l’aide providentielle, mais nous sommes peut-être réunis pour nous entraider, sourit Jasper, jamais à court d’aplomb, et bientôt soulagé de voir cet inconnu lui tendre une main amicale.
— Hm ! Cet accent, vous êtes alsacien, non ?
— Mes parents m’ont donné cette chance, et vous ? s’amusa-t-il.
Son sauveur en rit, puis lui confia son nom : Yerri Marckolsheim, ancien renard du RFA, le frère de Laurenz, Faustin et Hans, la célèbre fratrie alsacienne du département.
— Jamais entendu parler. Moi, c’est Jasper Pleyelle, ça vous dit quelque chose ou nous sommes deux anonymes ?
Heureusement, son sauveur semblait ignorer que son aîné était mort des mains de Jasper au printemps dernier, et c’était d’autant plus heureux puisqu’il était certainement capable de le tuer sans forcer.
Néanmoins, il ne se priva pas de l’interroger sur ce qu’il faisait ici, dans cette forêt souterraine où personne n’atterrissait par hasard, tandis qu’il le ramenait vers la petite grotte qu’il occupait au bout de ce corridor montagneux. D’ailleurs, un homme normal ne serait pas arrivé jusqu’ici avec les mains liées, même avec des yeux fêlés comme les tiens, tel qu’il le fit remarquer à son congénère, légèrement hésitant à l’idée de passer aux aveux. Après tout, Yerri était un agent du RFA, quelqu’un qui ne doit pas aimer les chasseurs de mutants français, comme Jasper le suggéra pour que son sauveur en ricane, quand je disais ancien renard, c’était dans tous les sens du terme. En effet, Yerri était à la fois l’un des premiers à avoir intégré le département, dès l’année 1871, et l’un des seuls à l’avoir quitté sans y donner sa vie. Selon ses dires, c’étaient des expériences inavouables de son directeur, Emil, qui l’avait poussé à s’enfuir, même s’il devait maintenant errer pour sa survie. Bien sûr, Jasper voulut sauter sur l’occasion d’en apprendre plus au sujet de cet ancien professeur de Maria, mais Yerri lui confia avoir perdu un frère dans ces tragiques évènements, et cela le peinait bien trop pour qu’il révèle ses secrets au premier venu. En revanche, il se montra beaucoup plus loquace dès qu’il apprit que Jasper était au service de Maria, et ce dernier comprit vite pourquoi : il était à la recherche d’antiquités convoitées par le RFA. Apparemment, la Forêt d’en Bas était une véritable mine d’or pour les chasseurs de trésors les plus aguerris, si bien que les promesses de pouvoirs et de bénédictions extraordinaires avaient attiré l’ancien second renard du RFA jusqu’ici.
Ta patronne serait très intéressée par toutes ces choses, lui confia-t-il en arrivant dans un tunnel où trônait un feu mort près d’une cape étalée au sol, il serait très profitable que nous fassions équipe, si tu souhaites la retrouver et découvrir ce que recèle cet endroit, comme moi.
— J’en suis convaincu, mais je ne risque pas d’être d’une grande utilité tant que j’ai les mains liées, proposa Jasper pour que Yerri ne comprenne où il voulait en venir.
— Ça n’est qu’une formalité, écarte tes chaînes, je vais briser les maillons, lui répondit-il tout naturellement.
A la surprise du Français qui tendit ses mains, curieux de voir comment il allait être libéré.
— À vrai dire, si nous devons être allié maintenant, je devrais en profiter pour t’apprendre les techniques martiales de mon école, reprit-il en plaçant ses deux mains sur les chaînes.
Il cligna des yeux pour qu’une lueur rosée jaillisse d’entre ses doigts, puis vienne comprimer le métal jusqu’à ce que des maillons tombent au pied de Jasper, surpris de revoir une telle magie à l’œuvre.
— C’est justement le genre de pouvoirs dont je comptais te parler, les discussions s’enchaînent vite avec toi ! s’amusa-t-il, le sourire jusqu’aux oreilles tandis qu’il s’apprêtait à révéler les secrets qui s’apprenaient au Département Impérial.
D’après le renégat, il n’y avait pas de quoi être étonné par cette magie des échos, bien au contraire, c’était l’évolution logique de l’homme au contact du LM.
En réalité, la guérison de la faim ou de la fatigue n’était qu’une facette des possibilités offertes par la molécule nouvelle, des pouvoirs aussi étonnant que variés, précisément parce qu’elle était si imprévisible et dépendante d’une myriade de facteurs. Mais au prix de milliers d’heures à examiner le sujet, Friedrich et ses collègues étaient parvenus à théoriser l’acquisition de ces talents magiques ou, du moins, les plus rudimentaires d’entre eux. Ainsi, le choc cinétique dont Jasper fut témoin était un geste martial que maîtrisaient tous les renards, sous sa forme la plus simple, c’était la première leçon des Füchschen – les renardeaux comme il les appelait affectueusement. Bien sûr, Yerri comme l’écrasante majorité de ses collègues mettaient des jours entiers à l’étudier puis le maîtriser, sous la supervision de leurs savants et dans des locaux adaptés pour cela, creusés dans la montagne du Lisenser Spitze. Pourtant, et même si Jasper n’avait pas le quart de son savoir au sujet des échos, il pouvait espérer approcher cette magie en dix fois moins de temps, grâce à ce prétendu don qu’il avait reçu à Verdun : ses iris fêlés de rouge et blanc, symptôme d’une double altération au LM alpin et oriental, les composants principaux de ma thérapie.
— Je serais plus qu’heureux d’apprendre ça, Yerri, on s’y met quand tu veux. J’ai des gens remuants à protéger, j’aurai des dangers plus grands que ce foutu varan sur mon chemin, reconnut-il pour que son compatriote n’enchaîne aussitôt, sur un air brutalement désespéré.
— Et il n’y a pas besoin d’être un visionnaire pour le comprendre… Il n’y a pas un jour où la mutation ne gagne pas du terrain, où les passions ne se déchaînent pas un peu plus, où notre espèce ne semble plus condamnée au fur et à mesure qu’elle avance vers les vérités du passé. C’est à l’enterrement de notre monde dont nous assistons, Jasper !
— C’est vrai que l’avenir ne semble pas radieux mais il ne faut pas être défaitiste. Il y a plein de nouvelles perspectives dans ce monde qui vi –
— Non. Tu ne vois rien de là où tu es, surtout depuis l’entourage de la Lune Pâle, faut croire qu’elle n’a pas volé sa réputation d’aristocrate recluse… soupira Yerri en peinant à se ressaisir, avant de lui expliquer pourquoi il ne devait pas se laisser berner par ces illusions, par ces jolis discours de perspectives grandioses et d’évolution forcément positive.
Le monde n’était pas à l’aube d’une période pleine d’opportunités, bien au contraire, l’avenir était sombre aussi sombre qu’Alessia semblait le croire, voire peut-être davantage.
Par la mutation ou les guerres, la violence et la tristesse vont se propager ; par les sectes ou les espoirs placés dans le LM, le fanatisme et la démence vont se répandre ; par la soif des plaisirs ou de la justice, l’anarchie et la révolte vont s’installer, clamait-il avec une certitude digne d’un sermon appris par-cœur, afin de conclure sur la théorie des échos stagnants dans l’atmosphère, accélérant toujours plus cette dynamique. L’âge d’or de l’Humanité était sur le point de s’achever, cette planète va pourrir sous nos yeux, et seul Dieu pourrait y faire quelque chose.
— Mais personne ne veut voir Dieu revenir, je te le dis, j’ai découvert les secrets d’Emil, et c’est une illusion mortelle. Si Dieu revient, nous mourrons tous, ce fou n’accorde aucune considération aux individus que nous sommes. Pour lui, l’Humanité n’est qu’un projet qui peut être redémarré ou suspendu, il nous aime comme un auteur aime son œuvre. Rien de plus.
— Je – Je t’avoue ne pas avoir pensé à toutes ces questions mais je te crois, Dieu aurait déjà rasé des villes entières sans ciller aux dires des curés de mon village, lui accorda Jasper.
Il essaya de se remémorer ses quelques cours de catéchisme, puis interrogea son nouveau camarade.
— Mais qu’est-ce qu’on peut espérer selon toi ? C’est bien joli de dire que le monde est fichu, mais nous allons continuer à lutter pour notre survie, non ?
— Lutter ici, ne sert à rien. J’ai une solution, et c’est justement cette solution que je cherche ici. D’ailleurs, ta maîtresse en serait très satisfaite si tu lui apportais, je peux te le garantir ! s’amusa Yerri.
Il débordait d’une envie qui le faisait légèrement trembloter.
— Sur Terre, il existe pleins d’objets créés par les anges. Certains sont complètement pourris, mais d’autres sont juste … incroyables. Et celui que je cherche nous sauvera tous, il permet de créer un autre monde, Jasper, lui avoua-t-il.
A la grande surprise du paria qui lui demanda de continuer sans attendre.
— Il y a quatre sanctuaires dans cette forêt. Celui contrôlé par le Vol de Jais abrite une carte et une clé, qui nous permettront d’ouvrir les sanctuaires où sont gardés le trésor que je cherche, un des Disques de la Création. Ensuite, imagine que cet objet tombe entre les mains d’une personne de bonne volonté comme toi ou moi, qu’est-ce que tu en ferais ?
— Eh bien … Je créerai un monde immense et paradisiaque où l’on ne manquerait de rien, et où on ne se marcherait pas sur les pieds. Puis j’inviterais toute l’Humanité à venir en profiter pour l’éternité, lui confia Jasper pour que Yerri ne s’en réjouisse au point d’en frissonner, puisque c’était exactement ce qu’il souhaitait lui-aussi.
Après tout, plutôt que de vouloir guérir les maux terrestres à la manière du Conseil, il valait mieux quitter la création terrestre tout simplement, surtout si ce Dieu destructeur et moraliste rôdait dans les parages, sans même parler des mutants, ni des démons en lesquels ce renégat croyait dur comme fer.
Alors si ce Disque existait bel et bien, les deux chasseurs comptaient bien le trouver, même si le Français restait légèrement dubitatif à l’écoute d’une telle histoire, sans pour autant l’avouer à son sauveur. Jasper était plus impatient à l’idée de maîtriser l’art du choc cinétique que de palabrer sur un artéfact divin si lointain, ne serait-ce que pour narguer Alessandre et attirer l’attention de Maria – c’était visiblement comme ça qu’il fallait faire avec elle. Cependant, vu l’état dans lequel il était, il dut d’abord passer une bonne heure pour manger, boire, et laisser au LM le temps de régénérer ses forces ou ses plaies, grâce aux médicaments résonnants que Yerri lui proposa bien volontiers, tous de la meilleure qualité du marché noir. En plus, c’était l’occasion rêvée de partager quelques souvenirs sur leur Alsace natale ou des conseils de survie face aux mutants, à tel point que Jasper avait presque l’impression de retrouver un vieil ami.
Ensuite, l’ancien renard l’invita à le suivre plus profondément dans le tunnel, afin de se rendre dans un lieu où il pourrait lui enseigner le choc cinétique, sans que cela ne les empêche de continuer leur discussion sur les trésors de cette Forêt d’en Bas. Néanmoins, le Français lui apprit que sa patronne ou ses alliés ne venaient pas ici pour ça, qu’ils avaient déjà fort à faire entre la Voix, le Cœur et ce sanctuaire du Vol de Jais qu’ils comptaient découvrir, tout cela faisait beaucoup pour une seule forêt. Mais Yerri préféra clarifier la situation tout de suite, il ne fallait pas se laisser endormir par ce genre de délires mystiques, il traînait dans cette forêt depuis quelques semaines et n’avait jamais entendu une quelconque voix, à part ma propre bêtise. Quant au Cœur, c’était juste une plante très ancienne qui poussait au premier étage de cette forêt, comme il le résuma sobrement, lorsqu’ils aperçurent enfin la lueur du jour au bout de ce souterrain. À la grande surprise de Jasper, ils arrivèrent alors sur le seuil d’une petite pelouse ensoleillée, baignée par la lumière que les lierres mutants irradiaient depuis la voûte sur les edelweiss rosés, tout autour du grand monolithe abimé qui trônait au centre de cette cavité. D’ailleurs, celui-ci était on ne peut plus curieux, haut de plusieurs mètres et gravés d’étranges symboles écarlates, tous du même éclat que les filaments d’échos flottant autour de la pierre, semblables à des vaguelettes figées dans l’air. En bref, c’était un lieu féérique, si différent du couloir grisâtre et lugubre où le Varan avait failli le déchiqueter.
Mais Yerri revint très vite à des sujets plus concrets, en tendant son sabre à Jasper puis en l’invitant à se placer devant ce grand monolithe.
— Normalement, ça devrait être une formalité pour quelqu’un d’aussi doué que toi, et nous avons la chance d’avoir une antenne. » lâcha-t-il en s’écartant de Jasper.
Celui-ci restait planté à quelques mètres du monolithe, curieux de ce qu’il allait apprendre, et de comment pouvait marcher cette fameuse antenne.
— Plus ou moins comme celle d’une radio, lui confia l’ancien chasseur.
Il sortit de sa tenue un curieux appareil, avant de saisir que la radio était un concept assez obscur pour Jasper.
— Cette pierre peut recevoir et émettre des échos, à cause des symboles qui ont été gravés dessus, c’est comme des mots, des instructions que suivront les échos. Elle t’aidera aussi à exciter le LM en toi et à te concentrer, c’est un outil parfait pour s’entraîner au choc cinétique, nous en avions une à la Mondlicht-Turm.
— Ah, ça, c’est vraiment magique ! s’excita-t-il, avant que l’Allemand ne soit obligé d’arrêter ses rêveries, en lui disant que les runes avaient été vraisemblablement gravées par des outils en nachtstein, puis imprégnées d’un mélange de LM bien précis, à une certaine température et une certaine exposition à la lumière ou l’humidité – bref, des détails scientifiques qui refroidirent le cœur innocent de Jasper.
D’ailleurs, si la roche blanche de ce monolithe était particulière, excessivement rare, elle restait déjà connue et étudiée par le RFA : c’est du santomarbro, Emil et ses collègues en ont découvert ailleurs dans les Alpes.
Tout a donc une triste explication, se désola Jasper, pendant que Yerri réglait son petit appareil qui devait résonner avec le monolithe, ça ne pouvait pas être juste une pierre unique et millénaire avec un joli nom. Heureusement, le sourire des Alsaciens revint très vite, quand le renégat parut trouver la bonne fréquence, et que les runes finement scintillantes de l’antenne se mirent à rayonner en exhalant une douce vapeur rouge luminescente : l’entraînement de Jasper pouvait alors commencer. Seulement, s’il savait dans quelle fâcheuse posture se trouvait sa bien-aimée, il n’aurait peut-être pas pris la peine de suivre les enseignements de son sauveur. Il se serait dépêché de la rejoindre, quitte à filer au hasard…