CHAPITRE VI – La Forêt d’en Bas - Partie 20

Même en serrant son précieux médaillon, elle se sentait déjà tellement écrasée par sa culpabilité, par celles de ses amis, par la tournure gravissime qu’avait prise cette expédition, cette forêt si féerique ou son cher liquide métaphysique.

Bien sûr, elle avait redouté croiser des démons terribles comme cette Voix d’en Bas, Satan ou tout le mal que pouvait receler les profondeurs du monde, mais elle n’avait jamais supposé qu’elle fût parmi eux depuis le début, qu’elle avait presque attiré les véritables malheurs sur ce sanctuaire enfoui. Pire, elle hésitait encore, elle se sentait toujours partagée entre sa sympathie pour ces démons et ce que son intuition lui chuchotait : aider Aegidius, dont la cape pourpre arborait un grand chrisme doré – les initiales grecques du Christ, comme pour lui rappeler de quel côté elle devrait être. Qu’elle fasse l’un ou l’autre de ses choix, elle se le reprocherait toute sa vie, alors peut-être vaudrait-il mieux que je ne fasse rien de plus, que je m’en remette au Seigneur ? Après tout, prier était peut-être la meilleure chose à faire, la seule qui ne débouche pas sur une catastrophe, se désolait-elle en peinant à imaginer ce que ses amis en penseraient, lorsqu’une voix furieuse retentit au point de rompre sa réflexion. Seul au milieu des cadavres carbonisés de ses proies, drapé de leurs fumées qui lui montaient dans les narines, Kveldulfr rugissait au point d’en percer le vacarme des combats, si rageusement qu’il faisait vibrer les échos au chant de sa colère.

Car le Berserk d’Ardaric, n’avait pas obtenu ce titre d’un autre, il l’avait conquis sur les champs d’honneur, il avait lutté des confins de la Norvège jusqu’en Gaule pour avoir le droit de siéger un jour dans un paradis éternel d’excès charnels - celui qu’Arcturus serait prêt à tuer pour goûter. Depuis tout jeune, il rêvait de rejoindre le Folkvangr où Freyja l’attendait sûrement, lui, le dernier fils de Nor comme sa tante le surnommait. Pour cet honneur unique, il avait vaincu tous ceux de sa tribu avant même de partir à la guerre avec eux, pour cette glorieuse bataille de l’Ours qui devait décider du sort des siens. Ce jour-là, les Geats du sud avait rassemblé des milliers d’hommes pour assujettir leurs voisins du nord, tellement d’hommes que ces derniers attendaient la charge en tremblotant derrière leurs boucliers, à la grande déception du jeune Kveldulfr. Ainsi dégoûté par ces faux guerriers, le jeune homme s’avança donc seul, moqua cette peur, puis s’élança au-devant de l’ennemi en hurlant le nom de ses ancêtres déjà au Valhalla, bientôt suivis par tous ses frères d’armes. Mais le courage ne garantit rien de plus qu’une mort honorable et, un à un, il les vit tous tomber autour de lui, emportés par ce flot contre lequel il se débattait sans relâche. Où qu’il pose ses pieds, il ne trouvait plus que les corps ensanglantés de ses amis ; où qu’il tourne ses pensées, il n’entendait plus que les cris de ses ennemis : où qu’il jette son regard, il ne voyait plus que des promesses de mort ; et lorsqu’il ouvrit la bouche pour inspirer ses frères à l’arrière, une effusion de sang lui gicla sur les lèvres. C’était la réponse de ses dieux, il était seul, l’heure de son jugement approchait.

Alors, ivre de rage et d’espoir, Kveldulfr se mit à rugir comme une bête sauvage et tua tous ceux qu’il put, jusqu’à ce que sa hache ne rompe, puis qu’il ramasse celle qui gisait à ses pieds. Durant près d’une heure, il massacra tant d’hommes que les Geats finirent par le craindre, par se replier devant les tribus du nord qui rejoignirent bientôt leur héros, changé, presque transformé. Plongé dans sa transe guerrière, le Berserk se jeta sur eux en réclamant leurs têtes pour ses trophées, si rageusement qu’ils durent fuirent eux-aussi. Lorsqu’il retrouva ses esprits, Kveldulfr était ainsi banni, seul dans le froid, près du corps inerte d’un grand ours blanc, redouté comme un démon partout où il erra, toujours en quête de ces batailles qui lui offrirait l’éternité, au point de rallier le continent dès qu’il entendit parler des guerres qui y faisait rage. Là-bas, il fut repéré par le roi des Gétules, Ardaric, et remporta d’innombrables batailles aux côtés des Huns, jusqu’à ce triste jour de l’an 451, où le Berserk fut vaincu par Aegidius et Mérovée. Pire, les deux hommes l’épargnèrent, l’enchaînèrent puis le conduisirent en ce lieu sombre, pour une éternité de veille silencieuse.

Mais il n’avait pas oublié celui qui l’avait privé de son salut, il n’avait pas tant combattu pour finir dans la servitude d’un de ses anciens ennemis, même Alessia le ressentit dans sa voix cette nuit-là.

— Aegidius !! J’exige le Hólmganga ! Pour mon honneur de guerrier, tu vas mourir ! Tu m’as privé de mon Salut ! Toi et ton Dieu ! Mais ton Dieu n’est plus, et les miens revivent ! O-din !! Entends-moi, libérons-nous !! s’écriait-il au point que ses iris se balafrent de rouge, brûlant avec une telle intensité qu’ils révélèrent à la religieuse ce symbole qu’elle avait déjà vu tant de fois : deux symboles d’infini superposés en hélice.

C’est exactement le symbole gravé sur la couverture du Testament, ou même celui que formaient les hallucinations visuelles du bassin d’Indochine, réalisa-t-elle, prête à se demander si cet emblème n’était pas celui de ces dieux voilés, lorsque le chef des Veilleurs se retourna pour répondre à cette rébellion.

— Combien de fois faudra-t-il que je te vainque avant que tu réalises ta folie ?! Ton dieu est fou et il est mort !! lui lança-t-il tandis que les mutants abandonnaient le champ de bataille, afin de laisser place au nouveau champion de la Voix.

Cependant, Alessia n’eut pas la chance d’entendre la suite de leur échange, puisque la voix d’Arcturus vint soudainement la sortir hors de ce spectacle.

William, s’écria-t-il pour qu’elle aperçoive son collègue saxon esquiver de justesse le tranchant électrifié de Brennos, avant d’encaisser un coup d’épaule en plein visage, tellement brutal qu’il partit s’écraser lourdement sur le sol, presque assommé net. Et le Gaulois ne comptait pas laisser filer une si bonne occasion d’achever l’un des voleurs, tout en étant bien moins impatient que Kveldulfr. Ainsi, il prit d’abord un instant pour se retourner dans un balayage furieux qui dispersa des éclairs devant ceux qui vinrent menacer ses arrières, jusqu’à faire face au choc cinétique de Yerri qu’il encaissa de plein fouet. Seulement, bien que l’ex-renard du RFA canalisa sa déflagration à merveille, Brennos n’eut qu’à faire cligner son regard illuminé pour qu’elle glisse sur son armure comme l’eau sur la roche, sans même le soulever. Alors, pendant que la lumière finissait de couler contre sa silhouette, Alessia vit la lame du Gaulois se dresser dans les airs, déjà prête à se rabattre sur le visage ensanglanté de William, incapable de retrouver ses esprits. Malheureusement, il n’avait pas suffisamment de LM en lui pour déclencher la réaction qui le sauverait, son corps était encore trop humain pour qu’il n’assiste pas, impuissant, à sa fin, même si c’est un autre regret qui fusa dans son esprit en ce dernier instant. J’avais tellement à accomplir, pensait-il en discernant les éclairs malgré le sang qui embuait ses yeux, que va-t-il advenir du monde si je n’y suis plus… est-ce seulement important si je n’y suis plus ?

Enfin, lorsqu’il en vint à se demander pourquoi il avait fait tant d’effort si c’était pour mourir ici, il sentit tout son corps se cabrer sous la douleur des éclairs, tandis que ces yeux lui offraient une ultime vision avant le vide total : une silhouette de dos, fine, dressée à ses pieds contre cette lumière grésillant entre ses lames. Finalement, Maria était arrivée à temps pour le sauver de l’épée de Brennos, mais pas de la foudre qu’elle encaissait elle-aussi de plein fouet, tétanisée, au point de ne laisser échapper que des gémissements sous le choc qui traversait tout son corps. Néanmoins, sa thérapie avait beau lutter contre l’électrocution, même lui donner la conscience de retenir l’acier du Veilleur, elle finit très vite par hurler sa douleur d’être transpercée par ces milliers d’éclairs, jusqu’à ce qu’elle finisse par tomber au sol, choquée, ses mains serrées sur la garde de ses sabres fumants. Pourtant, Brennos ne put les achever, tant il tremblait de la très mauvaise surprise qu’il venait d’avoir, jusqu’à ce que Jasper et ses compagnons le force à reculer. Visiblement, quelque chose lui avait renvoyé le choc électrique, à partir du moment où les sabres jumeaux des Jagellon s’étaient illuminés, presque sans raison. Cette femme a du métal angélique au fond de ses glaives, l’Agneau n’a pas scellé tous les artéfacts, réalisa-t-il pendant qu’il repoussait les chasseurs, avant de jeter un regard rancunier à cette religieuse latine qui se ruait au chevet des profanateurs, et qu’est-ce qu’elle fait, elle, pourquoi ne nous aide-t-elle pas ?

Toutefois, la situation dérapait beaucoup trop pour qu’il ne perde du temps à réfléchir et, tandis qu’Arcturus rejoignait ses trois amis, le Veilleur jeta toutes ses forces dans le combat.

— Putain, qu’est-ce qui lui a pris de se rapprocher comme ça ? Ça va, Maria ? s’inquiétait le Britannique en aidant sa collègue à retrouver ses esprits, pendant qu’Alessia leur inoculait déjà des soins d’urgence.

— Ils sont vivants, Maria est encore un peu sonnée. Oh merci, mon dieu, William, eut-elle le malheur de lui répondre, pour que la Française réagisse soudainement à ces derniers mots, comme s’ils venaient de la ramener de son état de choc.

— Ton Dieu n’y est pour rien, ne vas-tu pas nous aider ?! s’énerva-t-elle, en repoussant Arcturus afin de se tourner vers la religieuse d’un air furieux.

— Si tu comptes rester là à ne rien faire, ne soigne pas William, il aura au moins la chance d’avoir une mort douce. Aide-nous ou pars maintenant, lui asséna-t-elle avec plus de fermeté que la Florentine n’aurait été capable d’en donner au Singe, quand Arcturus décida d’intervenir pour calmer ce conflit.

Après tout, la pontife et ses chevaliers n’étaient pas obligés de sacrifier leur foi, comme il lui promit, si vous nous laissiez votre LM, nous pourrions porter le coup décisif.

Certes, rien ne dit que ça suffira, tel que Maria leur fit remarquer, avant de comprendre que l’Anglais était en pleine manœuvre pour persuader leur consœur, toujours hésitante face à ce dilemme, son regard bientôt baissé vers le visage inerte de William qu’elle tenait dans ses bras. Alors, finalement, Alessia autorisa ses deux chasseurs à partager tout ce qu’il pouvait et à participer au combat, ce que seul Ezio s’empressa de faire au nom de Rome, pendant qu’Appio restait auprès de sa seigneuresse et des blessés. Mais le plus difficile pour elle, ce fut de se résoudre à œuvrer au décès d’un autre être humain, un crime à mille lieux de tout ce qu’elle avait pu s’imaginer commettre, y compris contre ce dangereux Prophète ou les assassins de sa propre famille. Malgré tout, sa meilleure amie avait raison, elle ne pouvait pas rester sans rien faire plus longtemps, et ses prières n’avaient manifestement pas été entendues. En vérité, ce n’était pas seulement la vision de son ami frôlant la mort qui finit par la convaincre, c’étaient également les lueurs malsaines battant au rythme des cris du Berserk auquel Aegidius faisait toujours face. Car qui sait ce qu’il adviendrait si le Romain perdait ici, si le champion d’en Bas gagnait contre celui du Très-Haut ?

D’ailleurs, même si ce duel se déroulait à quelques mètres d’elle, sa violence se ressentait autant que le combat de ses compagnons juste sous ses yeux, et il n’avait rien à voir avec tout ce qu’Alessia pouvait imaginer. C’était comme un aperçu des combats que l’Apocalypse des bergers de Fatima lui réservait, surtout si son Conseil venait de rompre l’équilibre de ce dieu mort en sommeil. Ces deux héros avaient chacun des armes fabuleuses, un talent inégalé, et leurs amures comme leurs réflexes donnaient à ce duel un aspect de légende, digne des sagas tel que le criait ce Berserk fou – quand sa rage lui laissait articuler autre chose que des grognements sauvages. Entre les flammes bleues qui rampaient sur le sol jusqu’à effleurer la cape d’Aegidius, entre les souffles furieux qui soulevaient la terre dans le sillage de Kveldulfr, il leur restait toujours assez de force pour entrechoquer leurs aciers bénis dans un impact de feu et de poussière, si puissant que les fleurs se dispersaient en cendre tout autour d’eux. Pourtant, ils continuaient à lutter avec acharnement, sous les yeux terrifiés d’Alessia qui craignait de voir tomber ce veilleur chrétien, toujours fidèle à son serment éternel, à son Seigneur qu’elle chérissait tout autant que lui. Au fond d’elle, la religieuse espérait encore trouver un terrain d’entente avec lui, elle aurait tant voulu lui crier ses nobles intentions, mais c’était déjà trop tard - là aussi. En plus, Brennos empêchait quiconque d’aller distraire son compagnon durant le Hólmganga, si sûrement qu’elle n’avait plus qu’une seule solution pour espérer obtenir le pardon d’Aegidius : tuer ce héros gaulois qu’elle admirait néanmoins, pour le devoir sacré qu’il remplissait désormais avec un si grand zèle.

Alors, Alessia fouilla dans ses pensées à la recherche d’un moyen de percer les défenses de Brennos, sans s’approcher de lui, puisqu’elle avait instantanément compris que c’était du gâchis, voire du suicide comme ses deux amis l’avaient prouvé malgré eux. D’ailleurs, même l’arrivée d’Ezio ou de quelques stimulants supplémentaires ne changea rien au combat, quand bien même sa vivacité ou celles d’Alessandre et Cathair parurent mettre le champion en difficulté, l’espace d’un instant aussitôt balayé par un revers de lame. Clairement, les vigies du Christ ne semblaient avoir aucune faiblesse pour des mortels comme nous, s’avoua Alessia, jusqu’à ce qu’elle repense à des armes qui se fichaient bien des armures angéliques ou des bénédictions divines, d’un mécanisme physique qu’elle avait vu tracer une tranchée de mort sur toute une forêt – du moins, avant que les bergers ne lui révèlent le miracle. Toutefois, son fidèle chevalier dut lui faire remarquer un problème de taille, il avait bien une amarre pour former un arc d’échos, mais Brennos n’est pas un vulgaire mutant, nous ne pourrons pas la lui planter dans le dos sans qu’il ne la retire aussitôt. Malheureusement, c’est la seule solution que nous avons, s’exaspéra la pontife quand elle sentit William s’éveiller dans ses bras. Les soins du Conseil étaient certes puissants, ils ne rétablissaient pas d’une inconscience si violente aussi vite - à croire que la molécule était encore plus efficace que d’habitude.

Toutefois, à peine eut-elle expliquer son idée au Saxon, pendant qu’il buvait la gourde d’eau qu’elle lui tendait, qu’il lui donna une solution simplissime, comme par réflexe.

— Si on ne peut pas placer l’amarre sur Brennos, alors placez Brennos sur l’amarre et le tour est joué, lâcha-t-il dans un demi-sommeil encore gêné par les sensations désagréables du LM qui réveillait sa conscience de force, sous les airs ébahis de sa collègue.

— Mais – c’est une idée brillante ! Il suffit de faire un circuit entre les amarres et de faire en sorte … que Brennos tombe dedans, lui confia-t-elle d’un sourire qu’elle réprima à ses derniers mots.

William reprit la parole pour lui dire d’aller rassembler les nombreuses amarres nécessaires à ce piège, pendant qu’il s’occupait de le concevoir – non sans vider cette précieuse gourde d’eau.

Alors, pendant qu’elle accourrait à cette tâche, le Saxon sortit son carnet d’observation à la dernière page pour la noircir de schémas et de calculs, sous les conseils d’Appolonio qui connaissait parfaitement le fonctionnement de cet outil.

Car il n’allait pas suffire de poser des amarres au hasard sur le sol pour qu’elle forme un circuit stable, surtout avec tous les échos excités qui saturaient cette plaine, ou les filaments qui se cabraient toujours au rythme du chant de Kveldulfr. William n’avait donc pas le droit à l’erreur, s’il ne voulait pas que le plan d’Alessia n’aboutisse à une gigantesque déflagration qui éradiquerait toute vie sur des kilomètres à la ronde. Il suffisait d’un mauvais calcul pour que l’énergie des amarres dévie de son circuit, puis qu’elle entre en contact avec la toile qu’il voyait crépiter au-dessus de sa tête, c’était comme jouer à relier des paratonnerres en plein orage sans attirer la foudre. D’ailleurs, la Florentine vint même lui suggérer de rameuter ses deux collègues du Conseil pour qu’il l’aide dans cette tâche si méticuleuse, mais c’était ben trop risqué ça-aussi. En effet, il vaut mieux maintenir notre piège secret le plus longtemps possible, Brennos pourrait le comprendre, ou au moins se douter de quelque chose, lui fit-il remarquer, avant de lui tendre son carnet à cette page qu’il avait gribouillée de haut en bas. Néanmoins, le Souffle Pourpre s’était largement montré à la hauteur de sa réputation d’expert en résonnance : avec douze amarres réparties en deux triangles équilatéraux superposés, son circuit pouvait couvrir une cinquantaine de mètre carrés tout en restant parfaitement stable. Et avec une treizième au centre, réglée sur une fréquence légèrement différente, il pouvait créer des arcs à l’intérieur de cet espace sans dérégler ses bordures, depuis n’importe quel angle. Dans le pire des scénarios, il supposait même qu’un emballement imprévu du circuit n’aboutirait qu’à une explosion canalisée par cette dernière amarre, de telle sorte que le souffle formerait comme un pilier de lumière plutôt qu’une onde de choc. En bref, il n’a aucune chance d’en réchapper, à condition de tomber dans notre piège.

Sans plus tarder, Alessia félicita donc son collègue avant de se tourner vers celui qui devait l’assister dans cette tâche périlleuse, puisqu’elle ne pouvait pas demander à William d’aller planter les amarres sous les yeux du Veilleur. Heureusement, elle connaissait le candidat idéal pour une tâche aussi discrète : Renard, tapi dans un buisson derrière eux, mais à mille lieux de s’attendre à ce qu’elle vint lui demander. Il avait beau rassembler tout son courage, la seule vue des éclairs le mettait mal à l’aise, sans parler des cris furieux qui se dégageait de cette mêlée confuse. Malgré cette peur, Alessia sut trouver les mots pour le rassurer, même ceux pour l’encourager car, au fond de lui, il savait qu’il pouvait avoir confiance en elle. Alors, après une dernière caresse sur le museau, le goupil finit par prendre deux piolets dans sa gueule, afin d’aller les planter de son côté avant de revenir vers Alessia pour les suivantes, tandis qu’elle s’affairait à former l’autre moitié du circuit en évitant soigneusement d’attirer l’attention. Ensemble, ils posèrent ainsi les douze premières amarres, disposées comme une étoile de David, ce qui ne manqua pas de faire la sourire nerveusement quand elle se retourna pour apercevoir ses petits phares en sommeil, avec le dernier en main.

Cependant, elle perdit très vite ce petit rictus dès qu’elle reporta son attention sur le combat de ses camarades, dont la situation était sans cesse plus critique. Finalement, Arcturus n’avait pas pu empêcher Siarl de prendre un coup par insouciance, si violent qu’il gisait maintenant inconscient, à l’écart du combat, sous la surveillance d’Iverna qui s’occupait également de Cathair, d’Eluned, de Wallace, et des autres. Car il en allait de même dans tous les groupes du Conseil, chacun réduit de moitié, avec Alessandre, Raphaël, Nastia puis Ezio pour venir grossir les rangs de cette pseudo-infirmerie que William se pressait de rejoindre. Pourtant, de son côté, Brennos semblait tout juste commencer à vaguement haleter, après vingt minutes de combat effréné. Nous devons agir avant qu’une vie ne soit prise, lança-t-elle alors à Renard qui appréhendait la dernière étape du piège avec la peur au ventre. Puisque pour stabiliser tout le circuit de William, il fallait aller placer cette treizième amarre presque sous les pieds du Veilleur, tant qu’il était encore bien placé.

Seulement, Alessia ne pouvait pas y aller, c’était à la fois trop risqué pour le plan et pour elle, il fallait quelqu’un de suffisamment discret et petit pour passer inaperçu.

— Mais il va me tuer moi aussi ! Je ne suis qu’un renard insignifiant pour ce géant !

— Tu n’es pas tout seul, et tu n’es pas juste un renard. Tu as résisté au cauchemar de la Voix, puis tu nous as suivi à travers toute cette forêt. Si tu ne doutes pas, nous réussirons, nous n’avons pas le luxe d’attendre, conclut-elle, pour que le goupil accepte timidement l’amarre qui allait devoir planter au milieu du chaos.

Aussitôt, Alessia fit donc signe de la main à William pour qu’il s’attelle à l’ultime phase de leur plan, pendant que Renard rampait en direction de la mêlée qu’il ne quittait plus des yeux.

De part et d’autre du chemin qu’il devait emprunter, le goupil voyait grésiller des arcs électriques aussi hauts que lui, fourmillant sur le sol d’où certains se dressait pour crépiter contre les échos de LM, flottant parfois en amas dans le sillage des combattants. Cependant, à la différence des humains, il ne savait à quoi s’en tenir, il n’avait aucune idée de la colère qui pouvait gronder dans ces éclats de lumières ou ces brumes inquiétantes, si ce n’est le souvenir du hurlement perçant de Maria. Tout défilait tellement vite sous ses deux petits yeux, à tel point qu’il ne savait même pas s’il pourrait accéder à l’endroit précis qu’Alessia lui avait désigné, sans être piétiné ou provoquer un drame qu’il se reprocherait à jamais. Après tout, s’il venait à gêner Jasper en plein combat, il savait qu’il serait incapable de terminer sa mission, et encore moins se le pardonner. En vérité, il aurait tant voulu rester là où il se trouvait, allongé dans l’herbe à quelques mètres de ce vacarme, à patienter qu’il se décale de quelques mètres, mais les mots d’Alessia revenaient toujours dans son esprit, il ne faut pas perdre plus de temps sinon ils seront tués… qu’est-ce qu’aurait fait papa ou maman ?

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