CHAPITRE VI - La Forêt d'en Bas - Partie 21

Notes de l’auteur : Bonsoir, j'espère que la lecture vous plaira.
J'ai dû suspendre la publication pour me concentrer sur la dernière relecture et gagner un peu d'argent. Mais la suite sera mise en ligne demain, avec un petit texte pour vous résumer où j'en suis
J'espère envoyer mon manuscrit entre ce week-end et la semaine prochaine.
Portez-vous bien et n'hésitez pas à commenter.
Je reviens vers vous demain.

Alors, Renard s’élança d’un seul coup entre les silhouettes, jusqu’à manquer de bousculer Théo et Lysander pour se figer à un petit mètre de la cape du Veilleur, déjà conscient de l’arrivée d’un assaillant dans son dos. Ainsi, le goupil eut tout juste le temps de planter la pointe de l’amarre sur le sol, de commencer à forcer dessus pour l’enfoncer avec ses pattes, lorsqu’une silhouette hurlante fondit sur lui. Même s’il avait encore l’occasion de s’enfuir, de sauver sa vie, il continua à pousser cet outil dans le sol de toutes ses forces, quitte à baisser les oreilles en fermant les yeux sous la terreur qui lui saisit le cœur. Il ne saurait pas ce qu’il adviendrait après son départ, si son sacrifice ne serait pas vain, aussitôt balayé par cette armure horrible. Mais il pourrait au moins se réjouir d’une chose : il n’avait pas failli aux siens. En vérité, son seul regret était de décevoir sa mère et son frère, ils n’auraient certainement pas aimé le voir partir ainsi, bien que ça n’ait peut-être plus d’importance maintenant. Après tout, je suis seul et maudit, Jasper peut avoir de l’espoir, lui, il vivra pour nous tous, se consolait-il encore, lorsqu’il sentit les premiers éclats de la décharge le transpercer, jusqu’à ce que la lame de Brennos lui tranche le corps, ou le bout de la queue plus exactement. Car, dès qu’il rouvrit les yeux, il découvrit la silhouette de Jasper à quelques mètres de lui, figée en pleine posture martiale, encore drapée des échos dispersés par le choc qui venait de bousculer le Gaulois in extremis. Malheureusement, la contre-attaque de ce dernier ne se fit pas attendre, si vite que Renard avait à peine commencé à détaler quand il vit le Veilleur filer vers l’Alsacien d’un seul bond, à tel point qu’il n’était plus possible d’esquiver le contact des lames. Aussitôt, Jasper poussa donc un hurlement de douleur qui se grava à jamais dans l’esprit du goupil, déjà traumatisé à la vue du corps tétanisé de son ami.

S’il ne faisait rien, la force de Brennos allait très vite l’emporter, alors le grand renardeau s’apprêtait même à s’élancer en direction du combat, lorsque Maria l’attrapa pour le porter à l’écart.

— Mais pourquoi tu fais ça ?! s’étonna-t-il en hésitant à se débattre contre l’emprise de la très sévère patronne de son nouveau grand frère.

— Parce qu’ils savent se débrouiller, et parce que c’est fini. Nous avons enfin gagné, lui répondit-elle en jetant un regard en arrière, vers Yerri et Théo qui venaient déjà au secours de son lieutenant, avant de franchir les limites du circuit des amarres, sous les yeux d’Alessia qui prit aussitôt la parole.

— Brennos ! Nous allons vous rendre tout ce que nous avons volé dès maintenant et nous allons nous rendre, quelle que soit votre sanction. Épargnez simplement nos hommes, ils ne sont pas témoins des secrets de cet endroit, lança-t-elle sur un ton suppliant qu’elle jouait à merveille, au grand étonnement du Gaulois qui s’arrêta de poursuivre les derniers chasseurs essoufflés, presque prêts à capituler.

Toutefois, Brennos était loin d’être naïf, la Florentine n’avait finalement gagné que quelques secondes, jusqu’à ce qu’il remarque les petits phares scintillants tout autour de lui.

Le Veilleur s’apprêta à bondir pour sortir du piège, tandis que William et Kyril préparaient encore leur tir, mais il était déjà trop tard. Après avoir levé son fourreau devant lui, Yerri fit alors luire son regard d’un éclat plus intense que tout ce qu’il avait pu montrer à Jasper, d’une lumière presque aussi bleue que ses yeux blanchis par le LM. Il ne dégaina pas sa lame, au contraire, il la serra du plus fort qu’il put pour la retenir dans son fourreau, tant elle vibrait aussi violemment que la force translucide sous laquelle se débattait le Veilleur. À cet instant, Brennos semblait comme écrasé par un vent si fort qu’il en dispersait les brumes d’échos, après avoir aspiré leur couleur dans ce souffle qui cernait complètement sa proie, formant telle une cloche autour de lui. Et malgré tout cela, même face à la technique personnelle de Yerri, capable d’immobiliser n’importe quel mutant selon les rumeurs du RFA, Brennos semblait sans faille, si inépuisable qu’il commençait déjà à se redresser, en dépit des efforts du renégat.

Quand Maria se retourna vers son collègue, William donnait déjà l’ordre d’ouvrir le feu à son Orateur, allongé juste à côté de lui, avec son viseur braqué sur les trois amarres alignées. Aussitôt, l’étrange fusil à échos de Kyril se mit alors à luire intensément, tandis que les deux injecteurs de LM s’enfonçaient progressivement au fond de son canon, jusqu’à ce qu’il libère un rayon de lumière rouge qui illumina tout le circuit en une fraction de seconde. Alessia vit son étoile sainte apparaître sous ses yeux et le tir n’eut qu’à redoubler d’intensité pour que la treizième amarre résonne à son tour, puis qu’un faisceau d’énergie dévastatrice n’embrase le Veilleur. William était loin de se réjouir, car son rayon ne transperçait pas Brennos comme prévu, ils le faisaient brûler à force de s’accumuler dans la chappe que Yerri imposait avec ses dernières forces. Éteins ton canon, cria le Saxon à son Orateur quand il réalisa que sa belle étoile était devenue une bombe à retardement, avec assez de lucidité pour que Kyril puisse s’exécuter à temps, juste avant que l’ancien renard du RFA tombe à genou près de son fourreau brûlant.

Entraînée par les échos du choc cinétique, l’explosion se dressa tel un pilier de lumière parfaitement hexagonal, au centre du circuit qu’il aspirait à une vitesse si démente que les douze amarres furent compressées, vidées jusqu’aux derniers atomes. Son fracas était alors si effroyable que tous les mortels en plaquèrent leurs mains sur leurs oreilles, jusqu’à ce qu’ils finissent par tomber en avant sous l’aspiration dégagée par ce souffle ardent, après qu’il eut déjà percuté la paroi de plein fouet. Bien que le Gaulois ne pût crier dans cette déflagration d’émotion, Aegidius comme Kveldulfr interrompirent instinctivement leur duel à la vue d’un spectacle aussi destructeur, digne du pouvoir des Anges. Ainsi, durant de longues secondes, toute la Forêt d’en Bas resta suspendue à ce déluge, à sa lueur, à son vacarme, à ses vibrations qu’il dégageait du sol au plafond, jusqu’à ce que finalement, quelque chose réponde à cet appel. En dépit du chaos, Alessia crut alors entendre un son curieux, comme le gémissement d’une baleine perdue au fin fond de l’océan, avant que le phare ne se brise en cristaux, puis ne s’envole dans une dernière impulsion vers le ciel, sans un bruit. Lorsque ses compagnons rouvrirent les yeux, ils ne virent que le casque de Brennos retomber contre son armure fumante, dans un silence de cathédrale, sur une plaine vidée de tous ses échos. En définitive, le Second Conseil avait réussi à triompher d’un Veilleur angélique au combat — et l’un des néphilim qui plus est. C’était une prouesse dont tous les chasseurs pourraient se vanter pendant les décennies à venir, et même Maria souriait de bon cœur à la vue d’un tel succès, au point d’en féliciter Renard à grand renfort de caresses.

Mais de son côté, Alessia ne prit qu’une seconde pour se réjouir, puis se pressa d’aller assister au dernier affrontement qui se jouait devant le sanctuaire, sur cette terre déjà brûlée et craquelée par les deux combattants.

— Ton temps est révolu, Aegidius ! Ton Dieu ne règne plus, mais les miens revivent ! C’est un nouveau cycle qui arrive !

— Tu parles de forces que tu ne comprends pas, sale barbare. Il n’y a rien que le chaos hors de la Loi du Très-Haut, lui répondit-il en profitant de ces quelques instants pour reprendre son souffle, là où Kveldulfr n’hésitait pas à le gaspiller.

— Ah ! C’est ce que tu crois ! L’Humanité n’a pas besoin de ton Dieu cruel, ni pour vivre ni pour grandir ! Les dieux sont aussi nombreux que les rois, et le tien est le plus félon d’entre eux. Il n’a fait que trahir ses frères, il a chassé ses propres enfants, il est indigne de prononcer une quelconque loi ! Mais le Dieu qui dort sous cette vieille forêt, lui, ne trahit pas ! Odin !! Sois témoin de ma foi ! s’écria-t-il de plus belle pour invoquer cabrement des filaments d’échos, comme si la volonté de la Voix d’en Bas résonnait avec celle de son nouveau champion.

En revanche, lorsque le Romain invoqua les noms successifs de la Trinité chérie par Alessia, strictement rien de visible ne se produisit, au grand désarroi d’Alessia qui assista à la reprise de ce duel, toujours impuissante.

Il faut aider Aegidius, au nom de notre serment du Graal, répéta-t-elle à ses trois amis, sans trouver mieux que des visages surpris, puis les réponses négatives qu’elle redoutait déjà. Après ce qu’ils avaient subi, la Française ne comptait certainement pas venir en aide à l’un des Veilleurs ni jeter ses dernières forces dans un combat aussi risqué, tout comme ses confrères. Car ni William ni Arcturus ne voyait l’intérêt de rester ici, et encore moins celui de continuer à combattre plutôt que d’enfin quitter cette foutue forêt. D’autant plus que Cyrus était toujours en haut, à veiller sur les otages du Vol de Jais si tant est que la surface n’ait pas été touchée par cette fausse nuit du Dieu d’en Bas. Enfin, le Saxon ne se priva pas de leur faire remarquer une évidence qu’ils avaient apparemment tous oublié : rien ne dit qu’il ne va pas nous attaquer dans la foulée, nous sommes toujours des voleurs à ses yeux, des voleurs exténués qui plus est.

Malgré tout, Alessia ne comptait pas lâcher l’affaire, et c’est donc seule qu’elle commença à s’avancer, sous les regards inquiets de Renard qui observait la scène depuis le chevet de Jasper.

— C’était une erreur de t’épargner après les Champs. J’ai peut-être échoué à mon devoir, mais je vais corriger cette erreur-là, lâchait alors Aegidius en décrochant l’attache de sa cape tandis que le Berserk resserrait sa poigne sur sa hache, visiblement réjoui à la vue de cette scène qui lui rappelait leur ancien duel.

— Hm ! Tu es tout seul cette fois ! Le Franc ne te sauvera p —.

— Non, il n’est pas tout seul, l’interrompit une voix féminine dans le dos du Romain, dans un latin parfait, avec un ton déterminé qui étonna tout le monde, au point qu’Aegidius lui demanda si elle était bien le Cœur battant entre les Étoiles ? Euh — oui ! balbutia-t-elle, avant de tourner son regard vers Appolonio qu’elle était déjà certaine de trouver à ses côtés. Vous voyez ? Il y aura toujours un autre fidèle pour se dresser avec vous contre le mal, reprit-elle, pour que son chevalier déploie un grand fauchard à lame creuse doublé d’un canon de 14 mm, largement de quoi faire sourire nerveusement Aegidius.

— Merci. J’avais mauvais, à priori, de vous, Sainte Alessia. Toutefois, je dois bien avouer que vous n’avez rien à voir avec ces trois immondes pillards que votre cœur chérit. Peut-être êtes-vous aussi naïve et innocente qu’on le dit…, en conclut-il simplement, lorsque Kveldulfr l’interpela d’un ton amusé.

— Alors, c’est ça ton équipe cette fois, un grand efféminé et une bonne femme ?! Il n’y a pas à dire, les duels à mort, c’était mieux avant ! s’amusa-t-il, visiblement plus que prêt à reprendre l’affrontement après cette petite raillerie qui fit à peine ciller ses adversaires — si ce n’est Appolonio, toujours rasé de si près qu’il paraissait imberbe.

Néanmoins, Aegidius préféra refuser l’aide d’Alessia et d’Appolonio, en leur annonçant que ce combat était le sien et qu’ils auraient les leurs à conduire, lorsque l’inéluctable viendra.

Aussitôt, les vents se remirent à tournoyer autour de lui, avec une ardeur telle qu’ils formaient presque des tornades autour de ses glaives — sous les regards réjouis de Kveldulfr, lui qui aimait, par-dessus tout, ces instants de suspens si grandioses. Leur dernier duel aussi s’était décidé sur un dernier choc, mais le Berserk semblait sûr de vaincre cette fois, car les temps avaient changé. Désormais, les Cieux étaient de son côté, la vermine engendrée par Abraham et son Dieu égoïste allait enfin laisser place aux autres lignées, comme celles de Nór, de Dan ou d’Osten. Ces mille et une lueurs écarlates en étaient la preuve matérielle, le signe, et son destin unique en était témoin, c’était sa cause à lui qui était juste, c’étaient ses dieux et leurs lois qui redonneraient à l’Humanité sa liberté, sa vraie nature. Alors, à ces pensées, le feu de sa hache s’intensifia encore davantage, jusqu’à atteindre un éclat turquoise, presque blanc tant il était brûlant, tandis qu’Aegidius prenait une dernière inspiration calme pour invoquer à voix basse la mémoire de son ancien camarade : Mérovée des Francs Saliens. Ils s’élancèrent tous deux sur la terre calcinée, pour les derniers échanges de leur duel, en y mettant toute leur force, leur courage, leur audace. Tout s’enchaîna si vite qu’Alessia put tout juste discerner comment s’acheva le duel. D’un seul bond, Kveldulfr vint s’abattre sur la gauche d’Aegidius, sa hache enflammée prête à fendre son épaule en diagonale jusqu’à son cœur, avec une brutalité telle qu’il n’aurait aucune chance d’y résister. Pourtant, il ne brandit qu’un seul de ses glaives pour contenir sa fureur, et serra le second dans sa main droite jusqu’au moment opportun, jusqu’à ce qu’il puisse l’enfoncer profondément dans la gorge du barbare. Ainsi, lorsque le cou du Berserk éclata en une centaine d’effusions de sang, Aegidius sentit son avant-bras craquer, emporté par le tranchant qui vint lui briser l’épaule, puis lui brûler la chair, jusqu’à ce que leurs magies ne s’éteignent.

Et les deux silhouettes s’effondrèrent l’une contre l’autre, glissant chacune sur l’armure rivale pour sombrer côte à côte dans la terre brûlée, casque contre terre.

— Le Valhalla m’attend… Je reviendrais à la fin du Fimbulvetr, Aegidius… Rien n’est figé… J’attendrai le Ragnarök aux côtés de tous mes frères, nous serons prêts… Mes Dieux sont immortels… et ils sont justes…, lâcha Kveldulfr dans un dernier souffle, avant que ses yeux et son expression ne se figent lentement, définitivement, sous les crachats ensanglantés de son ennemi juré.

— Tes dieux perdront à nouveau… même si nous échouons ici, les autres gardiens vivent encore… Il y aura toujours une bougie pour tenir vos ombres à distance… Rome est… éternelle, finit par grogner le dernier Veilleur d’en Bas, pendant qu’il essayait tant bien que mal de se redresser sur ce lit de cendres, sous les interpellations inquiètes d’Alessia qui se pressa à ses côtés.

Malheureusement, il était sacrément mal en point, l’armure enfoncée, le torse en partie détruit par la double hache du Berserk, le cœur tout juste battant derrière un poumon partiellement démoli.

Il n’a que peu de chance de s’en sortir, pensèrent les chasseurs en voyant la vitesse à laquelle le sang s’écoulait de cette large plaie, en dépit des efforts de la pontife pour le sauver, quitte à appeler ses collègues à l’aide en espérant qu’il reste des soins nouveaux à quelqu’un. Mais Aegidius l’interrompit sans tarder, il refusait d’être contaminé physiquement par l’essence du dieu d’en Bas, il aurait préféré mourir plutôt que de blasphémer de la sorte, tel qu’il se retint de l’asséner trop sèchement à la religieuse qui replongea aussitôt dans ses doutes. L’aurai-je tenté comme un diable de la pire espèce, se reprocha-t-elle, le regard bientôt baissé sous la culpabilité qu’Aegidius vint très vite remercier, puis même consoler. Car il n’était pas encore mort, et il espérait bien survivre à cette terrible blessure, grâce aux bénédictions que le Christ avait placées sur lui et Brennos, bien que cela n’ait pas suffi à protéger ce dernier de la puissance du Conseil. D’ailleurs, le Veilleur semblait profondément peiné par la perte de celui qui avait assiégé Rome près d’un millénaire avant sa naissance, il n’avait jamais imaginé que l’un des pires ennemis de son peuple puisse se révéler être un coéquipier aussi fidèle et déterminé.

C’était aussi le cas d’Alessia, au point qu’elle demande son pardon, pour elle comme pour tout le Conseil, ceux qui avaient brisé l’harmonie de la Forêt d’en Bas, au mépris de tous les avertissements sur leur chemin.

— Ne vous laissez pas entraver par la culpabilité. Si ce sont vos mauvais amis qui vous ont guidé jusqu’ici, c’est qu’il était déjà trop tard… La Tombe de l’Envie était cachée et scellée depuis la venue de notre Seigneur. Mais si une brèche s’est formée dans l’enveloppe de pierre noire qu’il a formée, cela signifie forcément que l’heure est venue, que le Très-Haut a consenti à tout cela… Le Jugement Dernier approche, votre présence ici en est la preuve, peina-t-il à résumer dans les bras d’Alessia, prête à lui répondre qu’elle avait été prévenue de ce drame inévitable, mais qu’elle cherchait précisément à le repousser afin de pouvoir préparer l’Humanité aux quatre épreuves.

C’était même pour cela qu’elle était venue ici, sur les conseils de Samaël.

— J’ai entendu parler de lui… seulement, je doute que vous ayez les mêmes objectifs. Les Anges et nous sommes deux races bien distinctes, elles sont sœurs, mais leurs destins sont différents, ne l’oubliez jamais… Quant à l’Apocalypse que vous souhaitiez repousser… C’était nous, les trois Veilleurs, qui devions réaliser le rituel, les fidèles de Dieu n’avaient qu’à nous appeler en priant sous le cœur de l’évêque, celui que votre amie a arraché… C’est comme cela que la Chouette Astrale nous avait appelés la dernière fois, alors qu’il était encore trop tôt…, lui expliqua-t-il pour qu’Alessia baisse à nouveau les yeux, de honte et de regret, en imaginant ce que dirait Marco-Aurelio, cette chouette astrale, à la vue de son voyage à elle — les quatre Élèves s’étaient finalement comportés comme des gamins pillards et irresponsables.

— N’y a-t-il pas un moyen de corriger nos erreurs ? Dites-moi et je le ferai !

— Non, j’aimerais beaucoup vous donner une occasion de vous racheter. Néanmoins, vous devrez combattre vos regrets en votre for intérieur… Vous ne pouvez pas accéder aux autres outils de sûreté que le Seigneur a laissés derrière lui, ils sont à l’abri de nos ennemis, dans des paradis inatteignables par les chemins mortels… Je vais fermer la porte derrière moi, puis accomplir mon devoir au cœur de la Forêt d’en Bas. Vous feriez mieux de partir dès à présent, Cœur battant entre les étoiles, le Dieu d’en Bas enverra ses horreurs s’il vous voit m’aider à œuvrer contre lui, lui confia-t-il, avant qu’elle n’insiste de plus belle, jusqu’à demander si elle pouvait l’accompagner afin de l’aider d’une quelconque manière, mais le Veilleur ne comptait certainement pas l’exposer au danger. Au contraire, s’il y a bien quelqu’un qui doit subsister coûte que coûte, c’est vous… Cette Apocalypse n’est pas une fin, c’est une croisée de chemin, et les fidèles auront besoin de gens comme vous pour les guider au travers des Épreuves à venir.

— Je — très bien, mais que pouvez-vous me dire sur ces épreuves, sur ce dieu voilé ? Vous me parlez comme si je devais tout savoir, mais ce n’est pas le cas, je ne sais presque rien ! eut-elle à peine le temps de reprendre, lorsque les cris des mutants commencèrent à s’emballer dans toute la forêt — car la Voix d’en Bas n’appréciait visiblement pas la tournure que prenait le voyage du Conseil.

Comme pour les avertir de sa colère, Renard fut à nouveau subitement attaqué par le cauchemar, tandis que les chasseurs croyaient percevoir comme une forme de tension dans l’air, un sentiment de malaise que même William arrivait à ressentir.

Il est temps de partir, affirma donc Arcturus, avant d’ordonner à tous les chasseurs de ramasser le butin du Conseil pour se préparer à enfin remonter de ces bois souterrains, au grand soulagement de William ou Maria. Quant à Alessia, même si elle aurait tant aimé rester avec Aegidius, c’est avec peine qu’elle dut se résoudre à suivre ses collègues, non sans jeter un dernier regard derrière elle pour le voir boiter vers le sanctuaire souterrain, dont les vestiges fumants à l’entrée témoignaient encore de la violence du Conseil. Cependant, avant qu’ils ne se séparent, le Romain avait offert un ultime conseil aux quatre Astres tel qu’il les nommait avec respect : l’origine du LM n’est qu’une partie de la vérité, et le retour des Premiers Dieux n’est qu’une moitié de la menace ; cherchez dans l’héritage des Anges si vous voulez découvrir ce qui vous attend et comment y survivre, ils sont loin d’être étrangers à tous les malheurs de ce monde ; seul l’Agneau est véritablement immaculé, aussi innocent qu’un nouveau-né sur une terre en guerre.

Toutefois, si cet avertissement suffit à replonger Alessia dans ses doutes les plus obscurs, elle revint très vite à des pensées plus concrètes. Car il y avait peut-être des mutants à leur poursuite, ou même sur leur chemin vers la surface, comme ces grosses araignées tigres dont Jasper avait failli croiser les crocs. Alors, ils étaient trop fatigués et encombrés pour se montrer imprudents, pour ne pas se concentrer à fuir l’en Bas et sa Voix, toujours tapie dans un coin de leur esprit, toujours bouillante au fond de leur cœur. En toute hâte, le Conseil quitta donc la Forêt d’en Bas pour remonter la rampe puis les tunnels du Vol de Jais, vers le village où Cyrus devait encore les attendre, vers le monde extérieur où tout devait se jouer.

Mais aucun d’entre eux ne pouvait imaginer ce qu’ils allaient rencontrer à la surface…

« Au fait, si l’un de ces Dieux Primordiaux venait à s’incarner sur votre monde… Bonne chance. Je ne veux certainement pas vous inquiéter, au contraire, faites de votre mieux comme Notre Père l’attend de vous… Les humains sont peut-être plus fragiles que nous autres, ils ont un adorable sens de l’obstination, je l’ai remarqué très tôt, dès mes premiers travaux ici-bas… De l’adversité naît l’adaptation, et des choses grandioses peuvent naître de l’adaptation si l’on y mélange les bons ingrédients, entre les mains du bon cuisinier, sur un bon feu et sous une belle étoile… Mais bon, c’est vous les chimistes après tout ! Moi, je ne suis plus qu’un archiviste… »

L’Archange Raziel souriant à Marco-Aurelio à la fin de leur discussion, avant de disparaître dans les vagues du lac de Corbara, Italie, 1867.

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