Chapitre VI : La fuite

Par mehdib

     Elle fut réveillée par un son.

« Maman ? grogna-t-elle, c'est déjà l'heure ? »

Mais il ne s'agissait pas de sa mère. Le bruit ressemblait plus à un claquement de dents. Et des pas, lents et réguliers. Elle ouvrit les yeux : elle était assise sur des toilettes, dans une cabine à la porte fermée. Une douleur sourde hurlait dans son crâne. Elle ne sentait plus sa jambe, et lorsqu'elle baissa le regard, elle vit qu'elle avait pris une couleur sombre violacée, maculée de sang séché.

Les pas se rapprochèrent. Les claquements s'étaient transformés en grincements.

Ce fut lorsqu'elle vit la paire de sneakers aux rayures multicolores apparaitre sous la porte qu'elle se rappela enfin où elle était.

Les chaussures s'arrêtèrent juste devant sa cabine.

Ses dents se mirent à claquer aussi, mais de peur.

La porte s'ouvrit lentement en grinçant.

     Thomas, la dominant de toute sa hauteur, avait maintenant le visage brulé et décomposé. Ses dents étaient tellement limées qu'elles disparaissaient quasiment sous ses gencives noircies.

     — J'aurai dû quitter cette putain de ville quand j'en avais l'occasion, dit-elle sur un ton de résignation.

— Oui, dit-il. Mais tu ne l'as pas fait.

— Va te faire foutre, cracha-t-elle.

Il sourit.

— C'est la fin de la chasse, on dirait. Ton pote est parti. Mais quoi qu’il fasse, il ne pourra pas arrêter ce qui va se passer ce soir...

Il leva son arme sur elle.

— Non, répondit-elle, il a dit qu'il allait reveni...

Le hurlement de l'arme couvrit sa voix, et sa tête fut balayée contre le mur. Des morceaux de carrelage volèrent dans tous les sens, et le vacarme continua ses échos encore quelques secondes après qu'il ait relâché la gâchette, pour mourir lentement et laisser place au silence.

     Les cartouches continuèrent de rouler au sol et la fumée du canon s'éleva jusqu'au plafond tandis que la tâche de sang vint se répandre sous les autres cabines. Ensuite, le monstre plaça l'arme dans la bouche de son hôte, et il fit feu. Le haut de sa tête partit en avant et alla s'écraser contre le mur. Le reste du cadavre s'effondra au sol comme un sac de ciment, la mâchoire inferieur toujours accrochée au reste du corps, la langue en feu. Ensuite, le silence revint, et cette fois-ci, dura.

 

***

 

     Raphaël roulait trente kilomètres à l'heure au-dessus de la vitesse maximale autorisée, des larmes de rage aux yeux. Il ne se dirigeait pas vers Jordane, mais à l'opposé : chez lui.

     Il l'avait appelé, l'avait demandé de l'attendre pour qu'il vienne la chercher et partir de cet enfer. Elle avait répondu qu'il était de leur responsabilité de prouver que quelque chose se passait dans cette ville. Que des innocents étaient morts, et que d'autres allaient aussi l'être s'ils ne mettaient pas un terme à tout ça. Raphaël ne le savait que trop bien, qu'il y avait eu des victimes ; mais ce n'était pas à eux de gérer ça. Ils s'étaient disputés, et la dernière phrase qu'elle prononça avant de raccrocher l'avait piqué au vif :

« Si tu veux encore t'enfuir, c'est ton problème. Je n'ai pas besoin de toi, alors tu peux rentrer. »

Et c'est ce qu'il avait fait : un demi-tour en plein milieu de la route, et il était reparti dans le sens inverse. Pour qui elle se prenait, merde ? Il était désorienté et fou de rage. Lui ? S'enfuir ? C'était plutôt elle qui ne vivait pas dans le monde réel. Qu'est ce qu'elle allait faire, quand elle croiserait une chose comme lui avait vu ? Elle ne s'enfuirait pas, là ?

     Il essaya de se calmer. Déjà, la lumière se faisait plus rare et la nuit commençait à tomber. Une pensée parasite vint s'accrocher à son esprit : il pensait à son ex. Il ne savait pas pourquoi, mais dans un moment pareil, il pensait à elle. Comment ça avait fini entre eux. Ce n’était pas de sa faute, il avait été accepté pour un nouvel emploi à l'autre bout de la région, un super poste, mais elle n'avait pas voulu le suivre. Enfin, pourquoi ça l'avait étonné ? Elle était dentiste, et elle avait son propre cabinet. Avec toute une clientèle. Elle n'allait pas tout lâcher comme ça. Et en fait, on n'était pas venu le chercher pour ce poste. C'est lui qui avait postulé. Pourquoi ? Pourquoi il avait postulé à cette offre en sachant que ça allait mettre fin à son couple ?

Il ne le savait pas.

Il ne savait même pas pourquoi il pensait à tout ça.

     Il vit sur sa droite le panneau de direction indiquant la prochaine sortie pour Duli, à trois cent mètres. Il résista à l'envie de donner un coup de volant pour faire une embardée et arracher le panneau ; mais il fut assez déconcentré pour voir au dernier moment la femme qui était plantée au milieu de la route. Lorsqu'il la vit, il était trop tard : il ne put que regarder avec horreur, la bouche imitant un cri, la fille le fixer. Elle avait une jambe en sang, un garrot sur la cuisse. Elle avait un air triste, ou plutôt déçu. Déçue qu'il l'ait abandonné, qu'il soit parti sans elle, pour la laisser à son sort.

     Il donna un coup de frein et tourna le volant : mais il s'aperçût, trop tard de nouveau, qu'elle n'était plus là. Qu'elle n'avait peut-être pas été là pour commencer. Les pneus de la voiture hurlèrent, et le véhicule glissa sur le côté. Il surcompensa, et il fit une sortie de route : le côté gauche arracha la glissière de sécurité, et il vint s'abattre contre un arbre, déclenchant les airbags, et l'envoyant dans les limbes de l'inconscience.

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