Notes 16 novembre 2006,
Je te regarde, et je suis sûre que tu me vois. Oui. Je suis là. Moi. Seulement moi.
Regarde. Ouvre les yeux.
Plus je te regarde, plus je me répète que tu n’es rien pour moi.
(c’est faux, tu le sais)
Cela me permet de rester calme malgré le chaos qui règne en moi. Si je laisse mon cœur s’exprimer, je ne contrôlerai plus rien. Et je ne veux pas être la proie du désespoir. J’en suis presque arrivée à prier, alors que je dois être la personne la plus athée de la planète.
Peut-être car tu es mon dieu ?
Je m’attends à ce que le flic revienne à tout moment avec dix collègues pour m’embarquer au poste de police. J’ai déconné, je le sais. Comme la fois où j’ai cassé la gueule de Boris parce qu’il avait dit que tu étais un connard.
J’aime pas qu’on te critique. Personne ne peut te critiquer.
Tu es tellement parfait.
Bon, peut-être que je n’aurais pas dû m’emporter autant avec ta femme mais elle dépasse les bornes. J’ai l’impression qu’elle fait ressortir le pire en moi. Je pense que c’est cette satanée blessure qui ressurgit, du fait que tu l’aies choisie plutôt que moi.
Mais je sais que c’est un choix de façade.
Parce que je ne suis pas présentable.
Parce que je fais peur.
Parfois, la douleur m’étreint le ventre tellement fort que je suis obligée d’exploser. Ce n’est pas parce qu’elle est enceinte que je dois être tendre.
J’ai eu une vie de merde, tu le sais.
Personne n’a été tendre avec moi. Je ne vois pas pourquoi je ferais des cadeaux aux autres.
Carla leva la tête en entendant des bips inquiétants. Une infirmière vérifiait les données sur l’écran accroché au lit.
— Le docteur va venir l’examiner d’ici une heure, l’informa-t-elle.
La jeune femme acquiesça en suivant des yeux l’intruse. Celle-ci finit par disparaître dans le couloir. Des pas lourds se rapprochèrent et une voix d’homme résonna, conversant avec le personnel : Arthur Jakes revenait à l’attaque.
Le policier passa la porte d’entrée avec une foulée déterminée. Il lui adressa un bonjour poli, déposa son trench et son chapeau sur le porte-manteau puis tira une chaise pour se placer à côté de Justin et en face d’elle.
Aucune trace d’un acolyte ou d’un collègue. Étonnant. Elle avait toujours eu l’impression que les flics travaillaient par pair. En tout cas, il ne comptait pas – pour le moment – l’embarquer au poste. Cela la rassura, elle n’aurait pas aimé être maintenue éloignée de Justin pour une durée indéterminée. Décidément, il lui laissait beaucoup de chances, c’en était presque louche.
— Je ne partirai pas tant que vous n’aurez pas répondu à mes questions, déclara-t-il d’un ton ferme.
Carla se mit à faire claquer sa langue pour lui montrer son mécontentement, mais elle reconnut intérieurement qu’il méritait l’entretien.
Il lui sourit. Elle fronça les sourcils. Ce type avait vraiment un souci au niveau des maxillaires, les gens normaux ne souriaient pas autant…
Elle rangea soigneusement son carnet de notes dans son sac et attendit son interrogatoire. Le temps lui sembla long. Il ne se décidait pas, passait son temps à analyser Justin et elle-même comme s’ils étaient les pièces maîtresses dans un musée. Valait mieux qu’il se dépêche avant qu’elle ne change d’avis et d’humeur !
Finalement, il demanda :
— Vous êtes la meilleure amie de Justin Cruzet, c’est cela ?
La jeune femme le dévisagea atterrée. Cinq minutes de réflexion pour accoucher de cette question… Un vrai Speedy Gonzales.
— Oui.
— Depuis combien de temps le connaissez-vous ?
— Quinze ans.
— Et comment l’avez-vous rencontré ?
— Au collège.
Il nota scrupuleusement les réponses dans son carnet avec une application qui intrigua presque la jeune femme.
— D’accord. Et que faites-vous dans la vie ? reprit-il d’une voix plus intéressée.
— Je travaille, à l’entreprise PapierMot à la sortie de la ville.
— Comme Monsieur Cruzet, je présume ?
— Non. Il s’est fait virer, il y a trois mois.
— Ah.
La nouvelle sembla le surprendre et il gribouilla quelque chose dans son calepin.
— Et il n’a pas trouvé d’autres emplois ?
— Je crois pas.
— Très bien et cela fait longtemps que vous êtes à son chevet ?
— Trois jours.
— Ah, bon ? Vous avez pris des congés ? s’enquit-il intrigué.
— Vous êtes inspecteur du travail ? rétorqua la jeune femme en le fusillant du regard.
— Non, mais…
— Si je reste ici, c’est que je le veux. Point final. Le reste du monde peut aller se faire foutre.
— D’accord, je crois que cet élément est limpide, assura-t-il avec une moue amusée.
Carla eut l’impression que ses provocations lui faisaient plaisir, alors que n’importe quel autre flic l’aurait déjà menottée et emmenée de force au commissariat.
— Vous êtes son amante ?
La jeune femme ne cilla pas. La question la désarçonna quelques secondes mais elle ne préféra pas le montrer. Elle s’attendait à ce qu’on l’interroge sur sa relation avec Justin, mais de manière plus subtile.
— Non, je suis sa meilleure amie.
— Une meilleure amie très fidèle à ce que je vois…
— L’amitié est dévaluée et mal comprise dans ce monde.
Sa phrase philosophique plana dans le silence de la chambre tandis que le flic la fixait en plissant les yeux, à mi-chemin entre l’intérêt et l’incompréhension.
— Ah ! Vous faîtes de la philosophie de comptoir ?
— ça fait parler les… Idiots.
Le flic ne releva pas l’observation. Peut-être valait-il mieux éviter d’insulter le flic.
— Vous êtes vraiment amoureuse de lui…
Ce n’était pas une question. Carla posa ses yeux sur Justin. Elle entremêla ses doigts aux siens.
— Tant de gens parlent d’amour et si peu savent aimer, asséna-t-elle avec un air grave.
Le stylo du policier passa entre ses doigts dans un ballet de figures aériennes. Son regard s’arrêta sur le livre posé sur la table.
— Jean-Jacques Rousseau ?
Carla haussa les sourcils, surprise.
— C’est bien. Vous n’êtes pas complètement inculte…
— J’ai une bonne connaissance des auteurs misogynes.
L’inspecteur ne lui laissa pas le temps de répondre et se pencha au-dessus du corps de Justin. Il l’examina puis s’exclama :
— Pourriez-vous me parler de cette fameuse nuit ? Pourquoi avez-vous été la première sur les lieux ?
Carla ne voyait pas trop ce qu’elle pouvait lui dire sans trahir son âme sœur.
— Il m’a envoyé un message cette nuit-là.
— Vous l’avez encore ?
Carla acquiesça et sortit un portable vieux comme le monde de son manteau. C’était un ancien Nokia, épais et peu maniable. Rares étaient ceux qui en possédaient encore.
Le policier se rapprocha et tendit la main pour le récupérer. Carla hésita, lui dédia un regard suspicieux puis lui donna l’objet. Ses doigts frôlèrent sa paume chaude. La sensation la dégoûta.
— Vous n’avez qu’un numéro inscrit dans votre répertoire.
— En effet.
— Et vous n’avez qu’un fil de conversation.
— Oui. Je connais les autres numéros par cœur.
C’était un mensonge. Elle ne connaissait aucun autre numéro et elle n’en voulait pas d’autres, seul Justin comptait.
— Viens tout de suite, lut-il à voix haute. Ce message date du jour de l’accident. Treize minutes avant qu’il ait lieu. Étant donné que vous habitez à dix minutes du lieu de l’accident. Vous avez pu y être arrivée à temps.
— Je ne serais pas à son chevet si c’était le cas…
Le lieutenant extirpa de sa poche un sachet en plastique et déposa le téléphone à l’intérieur.
Le sang monta immédiatement au cerveau de Carla et elle se releva d’un bond.
— Ah non ! Vous allez me rendre mon portable sur le champ !
La menace ne l’intimida pas. Il resta calme.
— Asseyez-vous. C’est une preuve, j’en ai besoin pour l’enquête. Je vous le retournerai bientôt.
Carla, à contrecœur, se rassit. Pendant un instant, elle hésita à récupérer le téléphone de force en imaginant sans mal maîtriser Arthur Jakes avec une ou deux prises de judo puis se rappela qu’il s’agissait d’un flic.
— Pourquoi vous a-t-il demandé de venir à cette heure tardive ? reprit l’inspecteur. Et comment saviez-vous où aller ? Il ne mentionne pas de lieu… Qu’est-ce qu’il faisait sur cette route de campagne ?
Carla se mordit les lèvres. Elle n’aurait jamais dû lui donner le portable. Elle préféra lui répondre de manière plutôt vague.
— Je ne sais pas. Il avait rendez-vous avec quelqu’un, je crois. Il m’a juste dit où il allait avant.
L’inspecteur nota ses propos et ajouta :
— Qui ça ? Pourquoi ça ?
— Je n’en sais rien, vous êtes bouché ou quoi ?
— Dites-le-moi, Mademoiselle Cole, cela n’a pas de sens de vous prévenir qu’un rendez-vous a lieu si vous n’aviez pas connaissance de l’enjeu…
La mâchoire de Carla se crispa. Elle baissa les yeux.
— Vous devez tout me dire, insista le lieutenant. Si vous souhaitez retrouver cette personne vous-même et vous faire justice, cela est contraire à la loi. Laissez-moi vous aider. Je ne suis pas l’ennemi ici…
Il ne pouvait rien faire. Il n’était qu’un incapable comme les autres, bon à lui promettre la lune et à la balader. Elle ne pouvait avoir confiance qu’en Justin. Son silence sembla énerver Arthur Jakes qui soupira et se mit à faire les cent pas dans la pièce pendant quelques minutes.
— Et cette boîte ? Vous entendiez la musique ?
— Au début, oui. Elle était posée sur son torse.
Carla se remémora l’ombre de cet objet maudit, elle se rappela le mot qui lui était adressé à l’intérieur. Tu es la prochaine. La boîte lui apparut comme une prison bleutée. La statuette du Petit Prince se mouvait dans son esprit, tournoyant sans cesse devant ses yeux à une vitesse accélérée. La musique lui revint comme un soufflet, renversant au passage sa réalité et transformant l’ensemble en cauchemar.
— Je crois que je l’ai jetée.
— En effet, c’est pour cela qu’elle est cassée maintenant.
— Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? Que je l’emballe précieusement ? répliqua la jeune femme piquée par son observation.
— Excusez-moi, c’était un constat, non un reproche.
Repenser aux évènements faisait couler dans ses veines une rage, une haine incommensurable. Elle eut l’impression d’étouffer de nouveau. Elle n’avait qu’une envie : hurler au monde sa fureur et sa tristesse. Elle replia ses jambes contre sa poitrine.
Arthur Jakes déposa sur le lit une petite carte.
— Je repasserai bientôt, mais vous pouvez me joindre à toute heure.
Il se releva, récupéra ses affaires et disparut dans le couloir. Carla fixa la carte.
Mais quel blaireau ! Comment pouvait-elle l’appeler sans portable ?
Arthur me plaît bien, je n'arrive pas encore à entrer en empathie avec lui, mais ça viendra sûrement.
Détail :
« l’impression que les flics travaillaient par pair » : paire
Oui, Carla est très désagréable et elle est assez détraquée (mais tu sauras bientôt pourquoi :p).
Je suis contente si tu apprécies Arthur :p
Merci ^pour ton petit détail ;)
A bientôt !
Pleins de bisous volants <3
Et avoir un tel pour un seul numéro hahaha, elle a pas peur Carla, pauvre Justin, ça doit coller une pression de folie d'avoir quelqu'un qui compte ainsi sur toi pour être son univers. Perso, ça me ferait flipper de ouf
Oui Atrhur est le flic parfait pour cette affaire (ou pas :p)
Encore un chapitre haut en couleur : décidément, Carla et Justin nous cachent bien des choses !
J'ai hâte qu'Arthur puisse obtenir quelques pistes des événements passés, grâce au portable...
Un petit passage que j'ai trouvé très amusant :
"— Si je reste ici, c’est que je le veux. Point final. Le reste du monde peut aller se faire foutre.
— D’accord, je crois que cet élément est limpide, assura-t-il avec une moue amusée."
J'aime bien le cynisme d'Arthur, en réaction aux paroles amères de Carla. Il a un certain détachement qui montre qu'il contrôle la situation... Et la phrase finale, haha, bravo ! J'ai hâte de lire la suite !
C'est sur que Carla et Justin nous cache des choses :p
J'adore moi aussi le passage que tu as relevé !
J'espère que la suite va te plaire <3
Bisous volants !
En effet, le fonctionnement de Carla est différent du commun des mortels^^ahah. Justin a une place très (trop) importante dans son monde !
En effet, cette histoire est une histoire d'apprivoisement, Arthur et Carla puis ensuite Halima et Carla.
Je suis contente que les petites touches d'humour te plaisent :)
A bientôt !
Merci de ta lecture !
Me revoici par ici ! Aussitôt posté, aussitôt lu ;)
Chapitre très intéressant. Des réponses, des esquisses de réponses, de nouvelles questions.... Ni trop, ni trop peu pour que le suspens soit maintenu !
Alors comme ça Justin aurait choisit quelqu'un d'autre ? Ils se connaissaient depuis le collège ? Il venait de perdre son boulot ? Carla sait quelque chose qu'elle ne veut pas dire ?
Bon j'ai pas encore assez d'éléments, comme Arthur, mais j'aime bien mener l'enquête à ses côtés !
A bientôt pour la suite !
"Chapitre très intéressant. Des réponses, des esquisses de réponses, de nouvelles questions.... Ni trop, ni trop peu pour que le suspens soit maintenu !"=> Super ! Cela me rassure, j'essaie de doser mais c'est pas facile !
"Bon j'ai pas encore assez d'éléments, comme Arthur, mais j'aime bien mener l'enquête à ses côtés !"=> Je t'en prie :)
Merci de ta lecture <3 A bientôt sur ton histoire ou sur la mienne <3