Après quelques semaines passées aux enfers, les premières âmes revinrent au paradis.
On les crut d’abord de bonne foi. Le visage plissé de regret, la langue lourde de remords, elles formulèrent un tas de paroles empêtrées de repentir. Il fallut un certain temps et le retour de quelques mauvaises habitudes pour qu’on commence à remarquer les sourires au coins des bouches. Un petit creux sombre. Une fossette, parfois, si minuscule, si bien cachée sous les regards bas et les expressions contrites qu’on la discernait à peine ; en pleine lumière, elle devenait invisible. Mais ces sourires ne pouvaient être à jamais retenus. Ils finissaient par imploser et les comportements condamnés revenaient, identiques ou plus forts. Les Anges se confrontaient à une nouvelle forme d’ironie ou a des actes de sarcasmes renforcés. On se faisait plus insolent, plus audacieux dans les manquements, on jouait avec les limites.
Les anges ne comprenaient plus.
Ils tentèrent bien d’interroger les concernées. Elles racontèrent avec des rires cousus de mensonges les affreux traitements qu’on leur avait réservés. « Ne nous envoyez plus là- bas ! » supplièrent-elles, les mains nouées en prières. Les anges n’en apprirent pas plus et se trouvèrent bien moqués. Saraphiel lui, percevait le nœud du problème, mais se garda bien de toute pensée.
Il était soulagé. Les âmes, ses petites âmes dont il avait eu la charge, qu’il avait administré nuits et jours, à qui il avait donnait tout son temps, allaient bien. Il était attentif. Il vérifiait les sursauts, scrutait les pâleurs, s’inquiétait du moindre cillement. Mais aucune d’elles n’avait l’air de partager ses symptômes. De cela, il était apaisé. Pour le reste Saraphiel se coulait dans une lente apathie irritable.
Du contact permanent des âmes à l’accomplissement de leurs plus infimes requêtes, il était devenu le maître en charge des anges qui exécutaient ce travail. Au début, il avait eu de la satisfaction dans le fait d’administrer ses anciens collègues, mais le temps allant, les relations d’avec les clients du paradis avait fini par lui manquer. Ce grand bureau, donc la découverte avait été sa fierté, l’avait peu à peu dégoûté par son isolement. Son secrétaire péchait de rigueur et même le chant de sa bouilloire, capable d’infuser le meilleur thé qu’il n’ait jamais bu, s’était mué en gargouillis risibles et ne réchauffait plus qu’une boisson au goût de poussière.
Il évitait soigneusement les archanges. Du désir d’intégrer les secrets de sa hiérarchie, ne restait plus qu’un bleu que lui avait laissé l’impacte de la tempête. Lorsqu’il posait son regard sur eux, il ne pouvait se préserver de l’image avilissante d’un Gabriel échevelé de rage, lui hurlant de se taire dans des tremblements d’outre-tombe. Plus le temps allait moins il comprenait pourquoi les Enfers existaient. Ces incertitudes nappaient sa réussite d’un goût de plâtre.
Ainsi les rêves de Saraphiel s’étiolaient-ils et l’ange, inexorablement, se laissa-t-il couler.
Quelques semaines passèrent encore avant que le verdict ne tombe : Les Enfers ne réglaient rien, c’était certain désormais. Pire, ils aggravaient les cas des plus téméraires et entraînaient dans leur giron celles qui se tenaient encore. Les anges prévinrent Saraphiel qui, loin d’être surpris, informa les archanges à son tour. Ceux-ci lui confièrent le soin de calmer les troupes, et assurèrent qu’ils prendraient le problème à bras le corps.
Le lendemain, Saraphiel était à nouveau convoqué.
Le séraphin posait autour de lui une mollesse de regards vides. Que pouvait-on lui dire, que rien n’avait changé ? Il le savait déjà. Les Archanges pourraient l’interroger sur le fond de ses rapports, il n’aurait pas grand-chose de plus ajouter que ce qu’il avait scrupuleusement rédigé et expliqué auparavant. Il espérait que la réunion soit brève et qu’on le laisse retourner ne pas penser aux Enfers, et ce le plus rapidement possible.
Au reste cette grande salle l’impressionnait moins depuis qu’il y était convié tous les trois jours.
— Saraphiel, séraphin de Dieu, l’interpella Michel, nous ne t’apprenons rien en évoquant les troubles qui perdurent au sein de notre belle Entreprise.
Saraphiel leva un œil languissant, puis cilla à plusieurs reprises.
— Sur la base de ce qui nous a été rapporté, poursuivit l’archange, nous avons discuté d’un plan d’action. Étant donné la qualité du compte rendu de la mission que nous savons et l’investissement dont vous avez fait preuve pour la mener à bien, étant donné aussi qu’à présent vous possédez du sujet une expertise unique, il nous a semblé juste et logique de vous laisser la place d’honneur et la possibilité de poursuivre ce projet.
— Merci... ?
Saraphiel avait répondu d’une voix murmure. C’était un réflexe séculaire qui avait formé ce mot au creux de ses lèvres sans qu’il n’en perçoive les sonorités. Son esprit fatigué peinait à donner un sens aux détours de l’archange, mais son instinct, récemment très éveillé lorsqu’il s’agissait de panique, se mettait doucement en alerte.
En face de lui, Michel inclina la tête.
— Nous comptons sur vous pour analyser le problème et en dresser un rapport aussi exemplaire que celui que vous nous avez déjà prodigué.
Saisi de suspicion, Saraphiel se fit plus attentif.
— Heu... D’accord...
— Vous pouvez partir dès maintenant ! conclut Uriel, enthousiaste.
Autour de lui, les six archanges opinèrent.
— Partir ? Partir où ça ?
Incertain, Michel lança un regard à Gabriel. Celui-ci croisa les bras, les posa lentement
sur la grande table de marbre, puis, comme s’il s’adressait à un enfant récalcitrant, dit doucement :
— Saraphiel... Vous devez retourner aux Enfers.
Son essence déserta le séraphin. En une seconde à peine, il devint transparent.
— C’est non.
Sa voix hoqueta.
— Saraphiel...
— Non ! Je refuse de remettre un pied là-bas.
Inconscient de son corps qui perdait en consistance, il avait fait reculer sa chaise comme
pour s’éloigner de son public. Sa perception de lui-même se dissolvait, attentif seulement à la terreur qui lui dictait de lutter de toutes ses forces contre cet ordre inéluctable.
— Rétrogradez-moi, enfermez-moi s’il le faut, peu m’importe, je ne redescendrais pas ! éructa-t-il.
— Saraphiel, calmez-vous.
— Je suis parfaitement calme ! Vous m’avez déjà eu une fois, vous saviez ce qu’ils faisaient en bas, je ne serais pas tributaire à nouveau du fait que vous évitez de vous salir les mains en refusant de regarder la vérité en face !
Un calme abrutissant suivit cette exclamation. Face à lui, sept archanges assis, droits dans leurs sièges, leurs traits parfaits figés, inexpressifs. Lentement, le discours qu’il venait de tenir et l’attitude qui l’avait accompagné se frayèrent un chemin sous son crâne. Il eut brusquement honte et peur. Il plaqua ses ailes contre lui pour s’en faire une armure.
Dans le silence de mort, Gabriel se leva. Son corps se déplia sans un bruit et il s’appuya sur la table, les yeux fermés. Quand il les rouvrit, sa pupille brillait d’un éclat de glace brûlant. Saraphiel se recroquevilla instinctivement, craignant le fouet d’un nouvel ouragan.
L’archange demeura très calme.
— Saraphiel, Saraphiel, Saraphiel... dit-il lentement, vous oubliez vos objectifs, ces derniers temps. N’êtes-vous pas satisfait de votre promotion ? Ne désirez-vous pas vous hisser plus haut encore, donner à vos qualifications et à votre dignité la valeur qu’elles méritent ?
Saraphiel ne répondit rien. Il baissa les yeux et l’époque si proche où dans sa vie n’existait rien d’autre que ce désir de briller dans son métier lui revint en mémoire. Il avait suffi d’un après-midi pour que tout s’écroule.
— Dites-moi si je me trompe, cher séraphin, poursuivit Gabriel de sa voix de miel, mais vos talents seraient nettement mieux exploités ici, au Paradis, qu’au service de Lucifer. N’est- ce pas ?
Saraphiel leva la tête
— Ils ne refusent jamais un nouvel ouvrier pour alimenter leurs chaînes, en bas, murmura Gabriel, et il serait détestable de devoir se passer de vos services.
La gorge de Saraphiel s’assécha. Longuement, il clôt les paupières pour faire disparaître cet univers dans lequel il n’avait plus de marque.
Pauvre Saraphiel. Après les cris et la menace physique, le voilà sous une menace bien plus forte. Tout ça parce qu’il veut protéger toutes les âmes…
Mes propositions de correction :
Il fallut un certain temps et le retour de quelques mauvaises habitudes pour qu’on commence à remarquer les sourires au coins des bouches.
→ aux coins
Les Anges se confrontaient à une nouvelle forme d’ironie ou a des actes de sarcasmes renforcés.
→ ou à des
mais le temps allant, les relations d’avec les clients du paradis avait fini par lui manquer.
→ avaient fini
Ce grand bureau, donc la découverte avait été sa fierté, l’avait peu à peu dégoûté par son isolement.
→ dont la découverte
je ne redescendrais pas ! éructa-t-il.
→ redescendrai
je ne serais pas tributaire à nouveau du fait que vous évitez de vous salir les mains en refusant de regarder la vérité en face !
→ serai
Longuement, il clôt les paupières pour faire disparaître cet univers dans lequel il n’avait plus de marque.
→ le verbe « clore » n’ayant pas de passé simple, il faut changer cette phrase afin de modifier le verbe (par exemple : il ferma les paupières).