Chapitre VIII : Abandon de poste

Les jours se succédèrent et Aydan continua ses recherches. Il se sentait en bien meilleure forme, comme s’il venait de se remettre d’une terrible maladie. Mais cela signifiait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps avant que sa permission ne soit levée et qu’on ne l’envoie de nouveau en mission. Il fouilla chacun des temples de la ville ainsi que leurs souterrains où y étaient enfermés les prochains sacrifices. Dans chacun d'entre eux, un capitaine venait le rappeler à l'ordre et, malgré son armure de garde, on lui ordonnait de partir avant qu'il n'ait le temps de fouiller l'endroit. Le seul qu'il put inspecter de fond en comble fut un petit temple en bordure de la ville. Là-bas, Aydan profita du fait que le capitaine soit en pause pour se faufiler dans les caveaux. Ces derniers étaient remplis de prisonniers mal en point. Ils étaient jeunes, trop jeunes, les plus âgés n’avaient même pas la trentaine et Aydan se dit qu’il aurait pu se retrouver à leur place. Il dut se faire violence pour supporter tous les regards de désespoir posés sur lui ainsi que les sanglots des enfants arrachés de leur famille. Mais toujours aucune trace de sa sœur. Il passa plusieurs jours à inspecter les moindres recoins de la ville en essayant à plusieurs reprises de pénétrer dans d'autres temples, toujours sans succès. Bien que cela lui déchirait le cœur, il dut se rendre à l’évidence. Mira était certainement morte. Le drame avait dû se produire il y a plusieurs jours juste sous son nez, sans même qu’il ne soit au courant ou qu’il ne tente quoi que ce soit pour la sauver.

Il continuait néanmoins ses recherches pour se persuader du contraire, mais aussi, car il ne savait pas comment annoncer la nouvelle à sa famille. Il rendait parfois visite à la Brûlée. Malgré le ressentiment à son égard, il avait l’impression qu’elle commençait, si ce n’est à l’apprécier, tout du moins à tolérer sa présence. Il avait aussi remarqué une chose lors de sa quête, pas un seul habitant ne lui avait lancé un regard reconnaissant lorsqu'il déambulait dans la ville. Au contraire, son armure de garde ne lui attirait que des mépris et terreur. En y repensant, ce n'était pas nouveau, Aydan ne l'avait juste pas remarqué auparavant, car cela lui était alors parfaitement égal.

Il était à la caserne et il venait de rentrer d’une énième journée de recherche infructueuse lorsque l’on toqua à la porte de sa chambre. Il l’ouvrit et découvrit Liam qui lui présenta fièrement sa nouvelle tenue de capitaine de la Garde.

— Alors ? Qu’en penses-tu ?

— C’est génial, répondit Aydan sans véritablement le penser. Il voulait être heureux pour son ami, mais sa récente prise de conscience ne lui faisait voir plus que du dégoût dans leur armure étincelante.

— Et ce n’est que le début, Atrius a demandé à me voir en personne, il veut que je serve d’exemple pour les autres gardes.

— J’en déduis que ta mission s’est bien passée.

— Mitrium ? Oui, la ville s’est rendue sans combattre. Le plus dur fut de me retenir de m’en prendre à Sirius. Son air blasé et suffisant m’énerve. Il se croit supérieur à nous alors qu’il n’est rien du tout. Je ne comprends toujours pas pourquoi Atrius ne s’en est pas déjà débarrassé.

— C’est un bon général, il veut sans doute le garder sous le coude si la situation dégénère. Et puis son prestige est utile pour calmer les rebelles dans la légion.

— Tout ça, ce n'est que du vent. Il n’avait aucun plan pour prendre la ville et on a dû l’attendre plusieurs fois dans la montée, car il était à bout de souffle.

— Et que vas-tu faire maintenant ? Demanda Aydan qui n’avait pas envie de parler de Sirius plus longtemps.

— Une guerre contre Dérios se prépare, j’ai hâte d’y participer !

— Et tu n’as pas peur ?

— Peur de quoi ? Demanda Liam étonné.

— Je ne sais pas, on pourrait mourir dans la bataille. Et même si l’on s’en sort en vie, qu’est-ce que cela nous apportera ?

— De la gloire pour Pyra, bien entendu. Ces hérétiques persécutent nos adeptes. On raconte que les Adorateurs du Brasier ont tous été exécutés et que quiconque prétend vénérer Pyra est pendu sur-le-champ.

— Ce sont des bobards, répliqua Aydan. Personne n’en sait rien.

— Quand bien même, l’on ne peut laisser nos fidèles dans cette situation. Et puis cela fait longtemps que Spyr et Dérios doivent en découdre de toute façon.

— Et alors quoi, l’on va tous se jeter corps et âme vers notre mort pour satisfaire la soif de sang de Pyra ?

— Dans notre renaissance, Pyra fera de nous des hommes nouveaux. N’as-tu donc rien appris durant tout ce temps ?

— Ce n’est pas…

— C’est cette Brûlée, c’est ça ? Continua-t-il avant qu’il n’ait le temps de répondre. Elle t’a retourné l’esprit durant mon absence, je me disais bien que tu allais la voir un peu trop souvent à mon goût. Mais ne t’en fais pas, je parlerai de son cas à Atrius et il s’occupera d’elle. Tout retournera dans l’ordre.

— Ne fais pas ça ! Cria-t-il.

— Pourquoi ?

— Si tu lui en parles, il la tuera et lentement.

— Et alors ? Qu’est-ce que cela peut bien te faire ? Ne me dis pas que tu l'aurais prise en affection ?

— Tu n’étais pas comme ça Liam, quand tu t’es engagé. Que nous est-il arrivé ?

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Aydan vit que son ami le dévisageait l’air méfiant.

— Luke avait raison en fin de compte. Il a essayé de nous avertir, mais nous ne l’avons pas écouté.

— Écoute, dit Liam qui s’impatientait. Je ne comprends rien de ce que tu ne racontes ni qui est ce Luke, mais je vois que tu ne vas pas bien. Donc repose-toi, je vais parler à Atrius de cette fille et il fera ce qu’il faut. L’on se revoit ce soir pour la cérémonie au temple, ajouta-t-il avant de partir.

Aydan resta assis piteusement sur sa paillasse. Tout devenait plus clair dans son esprit. Tout depuis le massacre dans la forêt, la séance de torture dans la prison et la première fois qu’il avait participé au rituel des Adorateurs. Tout s’était déroulé graduellement jusqu’à faire d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui. Des pantins sans âmes ni conscience obéissant aveuglément à Atrius qui leur prêchait la volonté de Pyra. Il avait lui-même aperçu secrètement la déesse au palais et son visage était resté ancré au plus profond de sa mémoire. S’il avait d’abord été émerveillé par sa beauté et sa grâce, il ne se remémorait d’elle qu’un visage froid déridé par un sourire cruel.

Il sortit de sa tunique le petit talisman en bois qu’il avait volé à Sirius et se mit à le faire jongler entre ses doigts. Il était étonnamment chaud, et le manipuler, l’apaisait. Aydan n’en était pas encore sûr, mais il avait le sentiment qu’il représentait bien plus qu’un simple bout de bois grossièrement taillé. Il referma brusquement sa main et remit le médaillon à sa place avant de se lever. Il ne lui restait que peu de temps avant la tombée de la nuit, mais Aydan avait fait son choix. Il prit tout son équipement avec lui et ne laissa que sa flamberge qu’il n’osait même plus toucher, puis se mit en route vers la prison.

Une fois à l’intérieur, il se rendit directement au poste de garde.

— Je vais faire une ronde, dit-il au groupe d’hommes en pleine partie de dé.

Ils relevèrent à peine la tête tant ils étaient habitués à voir Aydan arpenter les couloirs de la prison récemment. Il réussit sans difficulté à subtiliser les clefs puis se dirigea vers la cellule de la Brûlée.

Elle était allongée contre un mur et redressa à peine la tête lorsqu’elle l’aperçut.

— Ah, c’est toi ? As-tu eu des nouvelles de ta sœur ?

Aydan ne répondit pas et commença à tester les clefs dans la serrure.

— Qu’est-ce que tu fais ? Demanda-t-elle surprise en se relevant.

— Je choisis mon camp, dit-il alors qu’un crissement métallique retentit et que la porte de la cellule s’ouvrit. Il faut faire vite, ils ne vont pas tarder à remarquer que les clefs ont disparu.

La Brûlée s’avança prudemment vers la sortie en le dévisageant.

— Tu es sûr de toi ?

— Votre Ordre en a après Pyra, non ? Moi aussi, je veux l’arrêter. C'est elle qui dicte sa conduite à Atrius et qui est responsable de tout ça.

Il lui fit signe de le suivre, lorsqu’elle lui attrapa le bras.

— Je ne peux pas partir sans mon équipement.

— Tu plaisantes ? On n’a pas le temps.

— Cette épée est importante pour moi, je ne partirai pas sans elle.

Aydan soupira et finit par accepter, et il l’emmena vers la salle où l’on stockait les effets personnels des prisonniers. Elle inspecta la pièce en vitesse et un sourire vint éclaircir son visage lorsqu’elle attrapa un glaive posé sur un établi.

— C’est tout bon, dit-elle.

Ils sortirent de la pièce en vitesse, mais une fois dans le couloir, ils tombèrent nez à nez sur un garde de patrouille.

— Que faites-vous ici ?

— Je l’escorte jusqu’au temple, s’empressa d’inventer Aydan. Un Adorateur m’a confirmé qu’elle était prête.

— Sans chaîne ?

— Je n’en ai pas trouvé.

— Dans ce cas, tu aurais au moins pu lui enlever son arme imbécile.

Il dégaina son glaive et se mit en position de combat. Aydan n’eut pas le temps de réagir que la Brûlée fonça déjà sur le garde. Ils échangèrent rapidement quelques coups, mais elle était affaiblie par sa captivité et l’homme eut vite l’avantage. Il la repoussa violemment en arrière d’un coup de pied dans les côtes.

— Vous ferez des sacrifices de choix pour Pyra, cria-t-il en s’approchant d’Aydan.

N’ayant plus le choix, il dégaina son arme face au garde qui l’attaqua. Aydan n’était pas un excellent bretteur, il évitait plutôt les combats d’habitude. Pourtant, il lui sembla que les mouvements de son adversaire étaient extrêmement lents. Il para toutes ses attaques sans la moindre difficulté. Le garde s’énerva, il voulut faire un coup d’estoc en avant, mais Aydan l’esquiva. Profitant de l’ouverture, il fit glisser son arme jusqu’à la gorge de son adversaire et la trancha d’un coup net.

Il resta quelques secondes indécis à contempler ce qu’il venait de faire avant de sentir la Brûlée lui tirer le bras.

— Vite ! Il ne faut pas qu’on reste là !

Aydan reprit ses esprits et il la guida en vitesse dans les couloirs de la prison. Alors qu’ils allaient quitter le bâtiment, un cor retentit.

— Cours ! Cria Aydan en filant vers la sortie tandis que des voix de gardes empressés raisonnaient derrière eux.

Ils coururent comme des dératés jusqu’à débouler dans les rues de Spyr et ne s’arrêtèrent qu’une fois à bout de souffle dans une ruelle peu animée.

— Que vas-tu faire maintenant ? Lui demanda la Brûlée entre deux respirations.

Aydan réfléchit. Avec ce qu’il venait de faire, il ne pouvait plus regagner sa caserne. Même rester à Spyr lui semblait dangereux. D’un autre côté, il doutait d’être bien accueilli dans l’Ordre après tout ce qu’il avait fait.

— Je vais t’accompagner jusqu’à Brys. De là, tu pourras rejoindre les tiens à Dérios. Il faudra être prudent, ils vont sûrement envoyer des gardes à nos trousses.

La Brûlée le dévisagea longuement avant de répondre.

— Très bien, mais ne vas pas croire que cela suffit à pardonner tous les crimes que tu as commis.

— Je le sais, répondit sobrement Aydan.

— Ne traînons pas ici dans ce cas, tu l’as dit toi-même, ils sont déjà à nos trousses.

La Brûlée se remit en marche avant de s'arrêter subitement et de se retourner vers Aydan.

— Au fait, je m’appelle Tanwen, ajouta-t-elle.

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Talharr
Posté le 09/08/2025
Re,
J'attendais ça, je crois déjà depuis la 1ère partie ahaaaa :')
J'étais sûr que ces deux là allaient à un moment s'allier.

Je reviens sur mon commentaire du passage précédent (j'oublie à chaque fois que les deux parties sont du même chapitre), tu as mis qu'il sait ce qu'il se passe. Mais pour la partie des parents je pense que tu as la possibilité de faire monter l'émotion si tu le souhaites :) C'est peut-être parce que j'adore le faire moi-même, mais y a vraiment quelque chose à faire pour pousser encore plus loin :)

Sinon tous le reste est vraiment fluide, bien écrit et prenant. Le moment avec Tanwen est chouette, ça va pas trop vite. J'espère qu'à cause de ce qu'il vient de faire sa famille ne va pas le payer. (et je suis très content de son choix aha)

Juste deux retours de formes :

"Le plus dur fut de me retenir, de m’en prendre à Sirius" et "Il était étonnamment chaud et doux et le manipuler, l’apaisait" -- je pense pas que les virgules soient utiles. Et pour la deuxième phrase peut-être trouver une autre formule pour éviter les deux "et"

Hâte de voir la suite avec ce duo qui promet :)

A plus !
Scribilix
Posté le 10/08/2025
Re,
Et oui s'était inévitable mais leur recontre n'allait pas de soi. Comme pour le chapitre précédent je vais voir pour rendre ca plus émotif si j'y arrive.
A la prochaine,
Scrib
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