Aydan se sentait toujours mal, très mal. Il n’avait plus d’appétit, ses nuits étaient courtes et agitées et, surtout, la fatigue l’accablait en permanence. Néanmoins, son état semblait légèrement s’améliorer et il n’était plus obligé de passer ses journées alité. On lui avait accordé plusieurs jours de repos et il ne savait comment les occuper. Liam était parti en mission d’escorte à Mitrium le laissant tout seul à Spyr. Bien sûr, il y avait bien les autres gardes, mais il avait de plus en plus de mal à s’entendre avec eux. Depuis quelques jours, il leur trouvait quelque chose de dérangeant, bien qu’Aydan ne savait pas dire quoi exactement. L’ambiance à la caserne commençait à lui être pesante et c’est avec joie qu’il partit faire un tour en ville dès que sa force le lui permit.
L’agitation de Novi-Fyr était retombée et les rues étaient étonnamment calmes. Il faut dire que les patrouilles de gardes s’étaient intensifiées et que les mesures d’urgence prises par Atrius étaient très strictes. Ils étaient bien souvent escortés par des prêtres qui n’hésitaient pas à faire usage de la force pour faire régner l’ordre. Ils allaient parfois jusqu’à embarquer des individus sur de simples allégations. Les malheureux étaient emmenés soit à la prison, soit directement dans l’un des temples des Adorateurs. Une fois là-bas, ils n’en ressortiraient jamais et Aydan savait très bien le sort qu’il leur était réservé. Il avait lui-même participé à plusieurs de ces rafles. À l’époque, il trouvait ça juste que les coupables se repentent de leur acte aux yeux de Pyra. Aujourd’hui, il n’en était plus aussi convaincu.
Il déambula dans plusieurs ruelles jusqu’à arriver au niveau d’une place animée par un petit marché. Celui-ci était bondé et il dut esquiver plusieurs groupes d’enfants qui se poursuivaient en courant entre les étals des commerçants. Les adultes discutaient entre eux des dernières nouvelles de la cité ou se querellaient sur le prix des marchandises. La vie y suivait son cours malgré tout. Son regard s’arrêta sur un stand de produits frais où une jeune fille aidait sa mère à vendre leurs produits. Elle n’était pas bien âgée et Aydan se dit que sa sœur aurait pu faire la même chose. Cette vision lui provoqua un déclic et il s’arrêta net au milieu du marché. Sa famille ! Cela faisait combien de temps qu’il ne leur avait pas rendu visite ? Lui qui s’assurait de les voir quasiment chaque semaine, comment avait-il pu ainsi les oublier ?
Aydan quitta le marché en vitesse et se dirigea vers l’atelier de son père. Lorsqu’il arriva à proximité, il fut soulagé de constater que l’échoppe était encore là. Il entra à l’intérieur en s’attendant à découvrir le cadre chaleureux qu’il avait quitté, mais tout était sombre et froid. La poussière s’accumulait dans les recoins de la pièce et les étaux étaient tous vides ou remplis uniquement de morceaux de cuirs mal tannés et de lanières à moitié déchirées.
Il poursuivit sa route jusqu’à leur cuisine qui était dans le même état. Des fruits pourris trônaient dans un panier en osier, tandis que des bols en terre cuite sales étaient empilés sur une table. Il régnait dans la pièce une odeur de vin fermenté et Aydan remarqua plusieurs pichets vides dans un coin.
Il allait continuer son exploration lorsqu’il aperçut sa mère sortant de la chambre à coucher. Elle portait une tunique poussiéreuse et tachée et il lui sembla qu’elle avait pris vingt années tant son visage était cerné.
— Ay… Aydan ? Dit-elle d’une voix étonnée.
Il voulut s’approcher, mais elle fonça vers lui pour l’enlacer en pleurant.
— C’est maintenant que tu te pointes ? Dit la voix rauque de son paternel.
Il sortit à son tour de la chambre un verre à la main et affichait le même air dévasté que sa mère.
— Que s’est-il passé ?
— Parce que tu te sens concerné à présent ? Répondit-il froidement.
Il vida son verre d’un trait et se dirigea piteusement vers la cuisine. Il ramassa un pichet et entreprit de s’en servir un nouveau, mais celui-ci était vide et il ne parvint qu’à récupérer quelques gouttes de vin.
— Même pas possible de se saouler correctement dans cette fichue ville.
Aydan s’écarta de sa mère qui avait arrêté de pleurer avant de leur demander :
— Où est Mira ?
Il eut un lourd silence dans la pièce, sa mère se retint de fondre de nouveau en larmes tandis que son père but d’un coup sec les quelques gouttes de vin qu’il avait dans son verre. Aydan était inquiet et voyant qu’il n’obtenait pas de réponse, il leur redemanda :
— Où est-elle ? Est-ce qu’elle va bien ?
— Demande à tes amis les gardes. Ils sont au courant, eux. Répliqua son père avec amertume.
— Dan ! Cria sa mère en lui jetant un regard réprobateur.
Son père soupira et se mit à arpenter la cuisine à la recherche d’alcool.
— Des gardes du Palais l’ont enlevée, déclara sa mère la voix brisée. Un Adorateur l’aurait accusé d’avoir volé de la nourriture dans un temple. Je sais que c’est faux, jamais Mira ne ferait une chose pareille.
— Quand est-ce que c’est arrivé ?
— Il y a deux semaines ! Cria son père en remuant plusieurs amphores vides dans un coffre en bois.
— Pourquoi ne pas m’avoir prévenu !
— On a essayé, mais les gardes ont refusé de nous laisser entrer dans la caserne pour venir te parler, dit sa mère. Et puis tu n’as plus donné de nouvelles depuis des mois, l’on ne savait pas s’il t’était arrivé quelque chose ou bien si tu étais encore parti en mission. Ton père a essayé de rançonner des gardes pour la retrouver, mais…
— Mais ces ordures se sont bien moquées de moi, compléta-t-il. Ils ont pris l’argent et je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles. Et comme tu n’envoyais plus rien, je n’ai pas eu d’autre choix que de mettre la clef sous la porte.
Aydan était sous le choc. Il avait du mal à croire que cet endroit était le même qu’il avait quitté la dernière fois. Surtout, le fait de voir ses parents dans un tel état lui fendait le cœur. Quant à Mira, si cela faisait réellement deux semaines qu’il l’avait prise alors… Non ! Il ne voulait pas penser à cette éventualité.
— Je vais la retrouver ! Dit-il. Je chercherai dans tous les temples des Adorateurs et je ferais toutes les prisons de Spyr jusqu’à la retrouver. Je vous le promets !
— Je t’en supplie, dit sa mère en lui prenant le bras. On raconte toutes sortes de choses sur ce qu’il se passe dans ces temples. Et savoir que ma petite Mira se trouve là-dedans… Je ne peux pas l’imaginer. Elle se remit à pleurer et Aydan la consola du mieux qu’elle put.
— Je reviendrai vous voir dès que j’aurais de ses nouvelles, je vous le promets.
Il déposa une bourse sur la table contenant toutes les pièces qu’il avait sur lui, puis il salua ses parents avant de se diriger vers la sortie. Alors qu’il allait quitter l’échoppe, il sentit son père lui attraper le bras.
— Sois prudent, Aydan, dit-il.
Il le regardait droit dans les yeux. Son regard illuminé par l’ivresse était rempli de tristesse, mais Aydan y lut également de la sincérité. Il hocha la tête puis sortit dans la rue.
Plus la journée avançait et plus Aydan sentait la fatigue diminuer. Depuis qu'il avait quitté l'échoppe familiale, il se sentait rempli de force et de détermination. Il prit la route le menant jusqu’au temple le plus proche et y pénétra sans problème. Bien que les températures commençaient à fraîchir, il faisait toujours une chaleur écrasante à l’intérieur. Plusieurs fidèles étaient venus se recueillir ou demander conseil à des Adorateurs bien contents de leur réciter leurs dogmes. Malgré toutes les accusations qui planaient sur eux, leur prêche continuait de faire effet, au moins, sur une partie de la population de Spyr. En y repensant, Aydan avait rarement vu un temple vide lorsqu’il avait été de garde à l’intérieur de l’un d’entre eux. Il dépassa tout ce beau monde assez rapidement pour se diriger plus en profondeur dans le temple lorsqu'un garde du Palais vint lui barrer la route.
— Halte, cette zone est réservée aux prêtres.
— Je suis un garde du Palais, répondit Aydan, laisse-moi passer.
— Et où est ton armure pour le prouver ?
Aydan vit que le garde était assez jeune, la sangle de son casque était mal attachée et il ne semblait pas très à l’aise dans sa cuirasse. Visiblement encore, une nouvelle recrue qui avait rejoint la Garde la tête pleine de rêves et de gloire. Il ne tarderait pas à déchanter comme les autres.
— Je m’appelle Aydan et je suis également un garde. Alors soit tu t'écartes, soit j'informerai Odric de l'excès de zèle déplacé de certaines de ses recrues.
En entendant le nom de l’entraîneur, le visage de la recrue se décomposa.
— Non, non, je t’en prie, passe.
Il s’écarta et Aydan ne put s’empêcher de sourire. Visiblement, certaines choses ne changeaient pas. Odric continuait à terroriser les nouveaux venus. Alors qu'il progressait plus en avant, un capitaine remonta d'un escalier en pierre et l'aperçu.
— Faites demi-tour, ce n’est pas un endroit pour les fidèles.
— C’est également un garde, s’empressa de le défendre la recrue.
— Il n’a pas d’armure, il n’a rien à faire ici, qu’il fiche le camp.
Le jeune homme lui lança un regard peiné.
— Je suis désolé, vous l’avez entendu.
— J’étais à la bataille du Tertre Blanc. Déclara Aydan auprès du capitaine.
— Je n’en ai rien à faire, dit-il. Sors d’ici immédiatement.
— Il faut que je rentre, ma sœur est à l'intérieur.
Le capitaine soupira et dégaina son arme.
— Je te laisse une dernière chance de partir. Si tu tiens tant que ça à visiter les caveaux, tu y resteras pour de bon.
Voyant que le capitaine était prêt à en découdre et que d’autres gardes venaient de remonter dans le hall depuis le même escalier en pierre, il obtempéra à contrecœur. On l’escorta jusqu’à la sortie en le poussant sans ménagement dehors. Aydan n’avait pas souvenir que les gardes étaient aussi hargneux. Lui-même n'avait jamais fait preuve d'autant d'hostilité lorsqu'il revêtait son armure, du moins lui semblait-il. Avant de sortir, il jeta un regard en direction de la recrue qui se faisait violemment réprimander par les autres hommes. Les Adorateurs et les fidèles présents lui lançaient également des regards réprobateurs et dévisageaient Aydan comme s’il était un pestiféré. Il ne comprenait pas pourquoi les gardes faisaient preuve d'autant de violence. Mais il ne pouvait pas en rester là. Il décida donc de rentrer à la caserne pour enfiler son armure et il prit par la suite la route vers la prison pour continuer ses recherches.
Il arpenta les cellules une à une, elles contenaient toutes des pauvres gens qui n’avaient pas, pour la plupart, mérité leur sort. Il les inspecta toutes sans résultat jusqu’à tomber sur celle de la Brûlée. Atrius ne lui avait pas encore rendu visite, il était trop préoccupé par la situation au sein de l’empire. Cela n’avait pas empêché ses geôliers de lui en faire baver au vu des hématomes sur son visage. Dès qu’elle le reconnut, elle lui lança aussitôt un regard mauvais.
— Tiens, voilà le pleurnichard sans honneur. Tu viens encore essayer de jouer les gros durs ?
Aydan ne ressentait plus autant de haine envers elle, bien qu’il la trouvait toujours aussi insupportable.
— On a encore la force de parler à ce que je vois ?
— Tes amis font les malins derrière leur déesse, mais ils ne tiendraient pas deux jours dans les bas-fonds de Dérios.
— Je suis pressé et je n’ai pas de temps à perdre avec toi, répondit-il. Tu pourras me vanter les mérites du taudis dans lequel tu as grandi un autre jour.
— Vraiment, tu t’es trouvé quelqu’un d’autre à torturer pour te sentir exister ?
— Je ne suis pas là pour ça.
— Qu’est-ce qui t’amène donc dans les glorieuses prisons de Spyr, dit-elle avec sarcasme.
— Qu’est-ce que cela peut te faire ?
— Allez, au moins tu tiens un peu compagnie. Ces brutes ne font que hurler dès que j’essaie de leur parler.
— Sur ce point, je les comprends.
Aydan soupira. Il allait faire quelque chose de stupide, il le savait. Mais il avait l’étrange impression qu’elle pouvait mieux le comprendre que n’importe quel garde auquel il avait adressé la parole depuis ces derniers jours.
— Je cherche quelqu’un. Lâcha-t-il.
— Une autre de tes victimes ?
— Ma sœur.
— L’on m’avait avertie que les gardes du palais étaient cruels, mais je ne le pensais pas à ce point.
— Je savais que je n’aurais pas dû t’en parler. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris.
Il allait s’en aller lorsqu’elle se leva et se précipita contre les barreaux en criant.
— Attends ! Tu cherches vraiment ta sœur ?
Elle n’avait plus ce regard moqueur et hargneux. Pour la première fois, il lui semblait qu’elle lui parlait normalement.
— J’ai l’air de mentir ?
— Que ferait-elle ici ? Tu es l’un d’entre eux, non ?
— Je l’ignore. Se contenta-t-il de répondre. Je sais simplement que des Adorateurs du Brasier l’ont enlevée.
— J’ai vu beaucoup de monde passer par ici, même des enfants. Mais ils ne restent jamais bien longtemps, un prêtre vient toujours les chercher pour les emmener au temple.
— Je le sais, mais si elle est au temple, c’est qu’il est déjà trop tard.
— Pourquoi, que font-ils là-bas ?
Aydan hésita à répondre.
— Des sacrifices, dit-il. Ils les offrent en offrande à Pyra.
— Bandes d’ordures ! Ce sont des gosses ! Tout ça pour une foutue déesse qui n’en a rien à faire ni de vous ni des habitants de cette cité.
Aydan n’avait pas les mots. C’est comme s’il ne réalisait que maintenant la gravité des actes qu’il avait commis jusqu’alors.
— Je… Je suis désolé, lâcha-t-il à demi-mot.
Sa réaction ne fit que renforcer la colère de la Brûlée.
— Va le dire à tous ceux que tu as assassinés ! Quand je pense que Luke est mort pour toi !
Aydan eut un nœud au ventre en entendant le nom de son ancien ami. Il ne savait quoi répondre et n’avait ni la force ni la volonté de répliquer. En réalité, il se sentait coupable, profondément coupable. Il partit sans dire un mot alors que la Brûlée continuait de l’incendier de jurons.
Un chapitre comme je les aime ahaa de l'émotion !
La fin m'a mis la boule au ventre. Aydan n'a jamais été mauvais tout comme ses comparses et la faute (même si elle vient aussi de son côté) vient surtout des adorateurs.
S'imaginer être dans cette situation où tout d'un coup tu te rends compte que tout ce que tu as fait ça te dégoute et que c'est pas toi, pffff le choc. Et la famille...
Je pense d'ailleurs que tu aurais même pu ajouter deux-trois lignes par rapport aux parents et à l'échoppe. Je trouve que c'est un peu trop en retrait. Il cherche sa soeur et il a vite envie de la retrouver et c'est très bien écrit. Mais perso je pense que je serais sortie de chez mes parents la boule au ventre m'en voulant et ne comprenant pas comment j'ai pu les oublié (il le dit à un moment ça). Mais ça ajouterait peut-être encore plus de forces à ce qu'il est en train de réaliser, même il pourrait se poser des questions sur ce qu'on lui a fait :)
Enfin voilà une suggestion, sinon le chapitre fonctionne très bien et j'avais hâte de retrouver Aydan qui je trouve retrouve un nouveau souffle à partir de la fin du précédent :)
Juste une petite erreur :
"En attendant le nom de l’entraîneur" -- "entendant"
Je continue ce chapitre :)
content que ce chapitre te plaise, Aydan va remonter la pente jusqu'à la fin. Je note pour ta remarque sur la famille. Je vais terminer de publier l'histoire puis je retravaillerai cette partie pour la rendre plus émotive.