Marco attendait à côté de son cheval. Enric discutait avec la capitaine Harken et la Kharmesi. L’impression de déjà-vu de la scène l’aurait fait sourire si tout cela n’était pas aussi sérieux. Au moins, sous le masque, cette fois, il était sûr de trouver le visage d’Alara. Il lui avait fait promettre de ne pas prendre de risque, de ne pas venir. Il avait fallu argumenter longtemps, supplier presque, pour qu’elle finisse par accepter de ne pas se joindre à la troupe. Et encore, il n’était pas sûr qu’elle écoute. Elle était bien trop têtue pour ça.
Enric salua la femme au masque et monta en selle. Autour de lui, tout le monde fit de même. Marco attendit un peu. Alara marcha jusqu’à lui et s’arrêta. Il s’inclina devant elle, comme l’aurait fait n’importe qui. Personne ne devait savoir ce qu’il se passait entre eux.
— Archiviste, j’aurais pensé que vous resteriez ici, dit-elle.
Il garda la tête basse. Elle n’était pas au courant de son départ. Il ne lui avait rien dit pour la convaincre de rester à l’abri de la Maison des Mères. Il n’osait pas posé les yeux sur elle de peur d’y voir de la colère ou de la déception. Il n’avait pas la moindre idée de ce qui serait le pire. Sûrement les deux en même temps.
— Je serais utile là-bas, répondit-il.
— Je n’en doute pas.
La pause qu’elle marqua sembla bien trop longue au jeune homme. Il osa enfin lever la tête. Elle fixait un point derrière lui. Ses mains serraient les pans de sa jupe rouge sang à s’en blanchir les doigts. Lui en voulait-elle ? C’était plus que probable, surtout après lui avoir extirpé la promesse de rester là. Il pouvait s’estimer heureux de ne pas être une nouvelle fois brûlé par la colère de la jeune femme.
— Ma dame, je…
— Promets-moi juste de revenir, souffla-t-elle assez bas pour que lui seul l’entende.
Elle fit un pas vers lui. Il tendit la main pour serrer la sienne, juste quelque seconde. Il aurait tellement voulu la prendre dans ses bras. Il se contenta de ce geste furtif.
— Je te le promets.
Elle hocha la tête et le dépassa. Son parfum flotta encore un peu dans l’air. Marco soupira et se retourna. Elle avait déjà traversé presque toute la cour et se dirigeait vers le comte Alan, sur le perron du château. Elvire l’avait rejointe. Au moins, elle n’était pas seule. Bien que ce ne soit pas sa dame de compagnie qui pourrait la défendre. Elle n’avait pas besoin de ça.
Il grimpa en selle. Il mit son cheval au pas pour rejoindre Enric à l’avant.
Son ami patientait difficilement. Il ne tenait pas en place, tout comme sa monture. Sa hâte se transmettait à tous ses hommes. Dès que le dernier soldat fut prêt, il donna l’ordre du départ. La colonne mit un moment à s’ébranler, donnant le temps à Marco de se retourner une dernière fois. Un mouvement remarqué par le jeune comte.
— C’est devant que l’on regarde, Marco.
Le jeune homme sursauta. Son ami retint un ricanement. Il ne fit pas la moindre remarque sur ce que Marco regardait. Tant mieux. Il aurait été compliqué de l’expliquer.
— Nous serons aux ruines de Nézia au plus tard demain matin si tout va bien. J’espère que personne ne s’est trompé en proposant cet endroit pour une contre-attaque.
— Tu n’es toujours pas d’accord avec cette idée.
— Ce n’est pas que je ne suis pas d’accord, Marco. J’ai confiance en nos compétences. Tu es aussi bon archiviste que stratège. Nous avons été formés par les mêmes personnes. Mais nous nous apprêtons à tenter l’impossible. Le comte de Lucin n’est pas un abruti. Il va en falloir beaucoup pour qu’il vienne exactement là où nous l’attendrons. Sans la présence de la Kharmesi, je doute qu’il vienne. C’est à elle qu’il en veut, plus qu’à mon père ou à moi. Or, elle reste bien gentiment à l’abri ici pendant que nous, nous partons au casse-pipe.
Marco se crispa. Cela, il le savait très bien. C’était pour ça qu’il refusait de la voir débarquer à Nézia. Ils ne pouvaient pas prendre le risque qu’elle soit blessée ou pire.
— Tu aimerais la faire venir sur place ? En pleine guerre ?
— Disons que c’est une possibilité. J’en ai parlé avec la capitaine Harken. Elle n’est pas contre cette idée.
— La Kharmesi n’a rien d’une guerrière. Sa place n’est pas sur un champ de bataille, s’énerva-t-il.
Il ne manquait plus que ça, qu’on la fasse venir alors qu’il avait réussi à la faire rester à la Maison des Mères. Pourtant, il savait qu’Enric avait raison. Alara sur place, et on était sûr de voir débarquer de Lucin.
— Je ne suis pas d’accord. La Déesse Rouge est une divinité combattante. Ça m’étonnerait beaucoup que la Kharmesi ne sache pas se battre. Et qu’elle n’aurait pas quelques pouvoirs cachés non plus. Elle a mis le feu à une simple feuille, imagine si elle pouvait faire plus.
L’archiviste caressa la cicatrice sur sa paume. Si Enric savait… Alara serait à ses côtés en ce moment.
— Si cela avait été le cas, je ne doute pas qu’elle serait ici.
Cela semblait suffire à son ami. Il ne parla plus de la présence de la jeune femme parmi eux, au grand soulagement de Marco. Il se sentait déjà assez mal de devoir mentir à Alara mais aussi à Enric. Il préféra se murer dans le silence, évitant à l’avenir toute mention de la Kharmesi.