Chapitre vint-trois

Par Oriane

Enric renvoya Harken à ses occupations. Elle protesta pour la gloire avant de quitter la tente, laissant entrer un air un peu plus frais dans l’atmosphère confinée.

La capitaine ne venait ici que pour se plaindre depuis leur arrivée à Nézia. Marco assistait à chacun de leurs échanges, impuissant. Il comprenait les points de vue de chacun. Les ruines présentaient des avantages certains si tout le monde y mettait du sien.

Les fermiers des environs n’avaient pas chaumé bien que tout restait rudimentaire. La forteresse ne résisterait pas pourtant si de Lucin et son armée décider de l’attaquer. Il manquait encore trop de chose pour en faire une véritable place forte. Enric l’avait vite compris. Harken aussi, supposa Marco, mais elle voulait faire honneur à sa maîtresse. Si la Kharmesi disait que l’on pouvait se servir de Nézia, il fallait le faire.

Enric se laissa tomber sur une chaise. Il s’avachit autant qu’il lui était possible sans se retrouver par terre et ferma les yeux. Marco resta debout, attendant de savoir si son ami aurait besoin de lui ou non.

— Je t’avais bien dit que ce n’était pas un bon plan, déclara Enric. Si nos éclaireurs ont raison, dans trois jours, une partie de l’armée de Lucin sera sûr nous. Nous ne serons jamais prêts. Nézia restera une ruine. Elle offre quelques avantages pour la défense mais ce n’est pas une forteresse à part entière.

— Tu es bien défaitiste, aujourd’hui. D’habitude, ce genre de situation à tendance à t’exciter.

— Oui, mais d’habitude, nous n’enchaînons pas les mauvaises nouvelles.

Sur le bureau de campagne d’Enric, quelques missives attendaient encore d’être ouvertes. Marco ne demanda pas le contenu de celles qui l’étaient. Il s’en doutait. Lui et Harken recevaient des nouvelles du château et de la Maison des Mères. Les rumeurs allant bon train, il savait ce qu’il se passait là-bas. Si la capitaine tentait de cacher les problèmes des Mères, ce n’était pas le cas du seigneur Alan.

Il se murmurait que la Kharmesi n’avait pas été vue depuis deux jours. Personne ne savait où elle était. C’était tout aussi préoccupant pour Enric que pour Marco. Le jeune noble comptait toujours la faire venir jusqu’à Nézia. Marco s’inquiétait qu’Alara n’ait décidé de faire une bêtise.

— Peut-être que l’une de ses missives contient une bonne nouvelle, tenta l’archiviste.

— J’apprécierais que l’on m’annonce que de Lucin renonce à sa guerre contre nous et la Kharmesi. Ou même que quelqu’un me dise où elle se trouve en ce moment. Mais pour l’instant, tout ce que j’ai, c’est des rapports inquiétants. Les éclaireurs auront peut-être mieux, mais j’en doute.

— Que proposes-tu alors ?

— Tenir bon et prier. Il me semble d’ailleurs qu’il y a un autel dédié à la Déesse Rouge dans ces maudites ruines.

— Tu comptes vraiment prier ? s’étonna Marco.

Enric ne répondit pas. Il se redressa et prit l’un des papiers sur le bureau. Il le tourna et le retourna avant de le parcourir rapidement. Un changement s’opéra dans le comportement du jeune homme. Il balaya tout d’un coup de main, vérifia ses cartes. Il marmonnait alors que ses doigts dansaient au-dessus du papier. Plus rien ne comptait si ce n’était le plan devant lui.

— Enric ? hasarda Marco.

Les yeux de son ami se détachèrent des cartes. Il souriait de toutes ses dents.

— Nous n’aurons peut-être pas besoin de prier.

— Tu m’expliques ?

— Lis ça.

Il lui tendit le rapport. Marco le parcourut à son tour. Des incidents se produisaient sur le chemin de l’armée ennemi depuis peu. Pas grand-chose en apparence, de petits escarmouches, des accidents de chariot, des feux aussi, beaucoup et souvent imprévisibles.

L’archiviste soupira. Elle n’avait tout de même pas osé ?

— C’est tout ce que l’on sait sur ça ? Personne n’a la moindre idée de qui en est à l’origine ?

— Ça vient des éclaireuses de Harken. Elle sait peut-être.

— Elle vient à peine de partir de ta tente. Elle en aurait parlé si elle savait. Surtout vu comment tu lui as parlé. Les éclaireuses font leur rapport en double. Un pour Harken, un pour toi. Tu l’auras lu plus vite que la capitaine.

À moins qu’elle ne cache la présence d’Alara dans les campagnes alentours… Marco serra les poings. Pourquoi ne pouvait-elle pas rester en place ?

— Il faut découvrir qui fait ça, réfléchit Enric sans se préoccuper des états d’âme de Marco. Et voir s’ils ne peuvent pas aider Lucin à venir jusqu’à nous, mieux, prendre l’armée en tenaille. Cela change la donne, complètement.

— Ce ne sont peut-être que des paysans. Des groupes sans la moindre organisation.

— Marco, relis le rapport, s’il te plaît. Un groupe de paysan ne ferait pas autant de dégâts en si peu de temps.

— Qui pourrait vouloir nous aider ? Un autre comté ? Le roi ? Nous sommes seuls face à Lucin.

Enric attrapa un verre sur la déserte à côté de son bureau. Il le remplit de vin mais n’y but pas. Il joua un instant à en faire tourner le liquide avant de le reposer.

— Des paysans, donc. Entraînés et sachant parfaitement où il faut taper. Je n’y crois pas beaucoup. Et je sais que toi non plus. Qui reste-t-il alors ?

Les épaules de Marco s’affaissèrent. Enric reprit son verre et recommença son petit jeu. Ils se connaissaient assez pour savoir que l’un d’eux allait craquer et que ça ne serait pas le jeune noble. Autant en parler maintenant.

— La Kharmesi. Il ne reste qu’elle et les gardes que Harken a laissé à la Maison des Mères. On a pas de nouvelle d’elle depuis deux jours et les incidents ont commencé à peu près à cette période.

— Sans parler du fait que cette charmante femme a un tempérament de feu capable de la faire aller jusqu’au cœur de la bataille si personne ne l’en empêche. Elle m’en veut toujours de ne pas l’avoir prise avec moi lors de notre dernière campagne.

Sauf qu’elle y était, pensa Marco. Encore une fois, elle n’en faisait qu’à sa tête.

— Si c’est bien elle, nous devons entrer en contact rapidement. Nos plans changent. Il faut la faire venir ici, et le faire savoir à Lucin.

Tout ce que l’archiviste redoutait. Il opina pourtant du chef, pas le choix. Il s’expliquerait plus tard avec Alara. Lorsqu’elle viendrait à Nézia.

En l’attendant, il fallait revoir les plans d’attaque et surtout de défense des ruines. Marco se plongea dedans en essayant de ne pas penser à la jeune femme. Penché sur les cartes avec Enric, il se rendit compte que ce n’était pas si simple que ça, plus particulièrement lorsqu’ils marquèrent les emplacements des incidents. À chaque fois, il l’imaginait se mettre en danger pour ralentir l’armée de Lucin. Ce n’était peut-être pas une mauvaise idée de la faire venir à Nézia. Au moins, il serait en mesure de la protéger, même si elle semblait ne pas en avoir besoin.

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