Chapitre 10. un coeur immense
“Paolo Valez… non, il n’y a personne de ce nom qui travaille ici.”
Si elle devait proposer tous les autres noms sous lesquels Paolo s'était caché dans le passé, afin d'accomplir dans le secret les milles desseins obscurs des Teodre, elle en aurait certainement pour la nuit. Soupirant, quelque peu excédée, elle regarda autour d’elle, les patients, infirmiers et docteurs qui gravitaient dans le Hall de l’hôpital. La nuit était sur le point de tomber, et pourtant, on était bien loin de s’endormir, ici.
Avait-elle parié sur le mauvais hôpital ? Aubéry en comptait un second, plus petit et bien moins coté. Elle reporta son regard sur l’hôtesse d’accueil qui patientait sagement. Elle devait avoir reconnu la pseudo héritière Termentier. Où qu’ils allaient, les gens aussi riches et puissants qu’elle se faisaient repérer facilement. Etait-ce par leur arrogance, leurs air supérieurs, ou à cause de leurs vêtements ? Après tout, elle portait sur elle l’équivalent d’un millier et quelques d’euros, ça avait tendance à se voir. Elle ne savait pas vraiment, pour être honnête, c’était rarement elle qui achetait ses propres habits.
“Peut-être que si vous m’en disiez un peu plus, je pourrais vous indiquer un département, ou un numéro de téléphone…
-Où sont les étudiants de la L2C, les stagiaires ?
-Ils travaillent en tant qu’aides-soignants un peu partout dans l’hôpital, ils assistent les infirmiers et les infirmières.
-Je me suis peut-être trompée de nom de famille, je n’ai pas une excellente mémoire, prétendit-elle avec un sourire faussement gêné. Y a-t-il un Paolo parmi eux ?
-Un petit instant, je vais vérifier cela pour vous.
-Merci.”
Kim n’était pas certaine que l’employé avait le droit de divulguer les noms de ses collègues mais elle appréciait le manque de professionalisme. Suivre les règles était d’un ringard… ça ne menait nulle part de bien classe.
“Oh, il y a un Paolo Coronas, lit-elle alors.
-Coronas ! Voilà, ah, mon dieu ! J’étais bien loin,” plaisanta Kim en sortant son porte-feuille Vuitton.
Ce portefeuille non plus, elle ne l’avait ni acheté, ni choisi, elle ne l’aimait d’ailleurs même pas, mais il avait un avantage certain. Les gens reconnaissaient le motif dans la seconde, c’était assez efficace durant une négociation. Elle l’ouvrit, la fermeture Éclaire jouant une petite mélodie qui attira aussitôt le regard de l’hôtesse, et Kim en tira deux billets qu’elle déposa sur le comptoire.
“Vous travaillez tard, compatit Kim. Ce weekend, si vous avez une soirée de libre, vous n’avez qu’à aller vous amuser un peu.
-Maintenant, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de mal…”
Mais les billets étaient déjà entre ses mains, et Kim sourit doucement.
“Rassurez-vous, si vous aviez fait quelque chose de mal, je vous aurais donné bien davantage.”
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La fille de l’accueil lui avait dit que Paolo prenait son service dans deux heures et Kim se félicita d’avoir pensé à apporter avec elle son ordinateur portable. Installée dans un fauteuil, orange et plutôt confortable, dans un petit coin salon du Hall, elle se mit à bosser l’un de ses plus gros devoirs de la semaine. La sonnerie personnalisée de Cash retentit et elle repêcha son smartphone de son sac.
“Le match va bientôt commencer, t’es où ?”
Kim fronça un instant les sourcils, le temps nécessaire pour qu’elle se souvienne qu’on était vendredi, et que c’était un jour de match de Hockey entre écoles. Et en effet, il était 19h20, le match allait commencer, les équipes devaient être en train de parader devant les foules, sciant leur mini-banquise de leurs patins acérés. Et Roff, Prince des Glaces, était pile dans son élément, sous le feu des projecteurs froids de la patinoire.
“J’ai un truc à faire…
-Kim ! T’avais dit que tu viendrais !
-C’était sous-entendu que je viendrais seulement si je n’avais pas autre chose…
-Roff va faire la gueule.
-C’est lui qui dit que je porte la poisse, rappela-t-elle. Après tout, mon fiancé est mort.
-Viens, l’ignora-t-elle. Au moins, pour la fin…”
Elle sentit alors qu’on l’observait et presque inconsciemment, elle tourna la tête vers sa droite. Plus musclé et moins jeune que dans ses souvenirs, avec une barbe entretenue, se tenait nul autre que Paolo qui venait certainement de passer les portes automatiques. Kim rejeta instinctivement un regard à sa montre ; il était en avance de vingt minutes. Ça lui ressemblait bien, ça. Paolo sembla hésiter, l’air pensif, mais il finit par marcher vers elle.
“Kim ?
-D’accord, répondit-elle. Je te laisse, Cash.”
Paolo ne s’assit pas, mais il finit par sourire quand il fut assez proche pour que personne d’autre ne puisse le remarquer. Au fond, ça avait toujours été un timide.
“C’est une trop grosse coïncidence, je suppose que c’est moi que tu attendais. Je te pensais pourtant un peu trop occupée en ce moment pour que tu puisses gaspiller ton temps comme ça.
-Je n’ai jamais rien gaspillé de ma vie.
-T’as déjà mangé ?
-J’ai arrêté.
-De manger ?”
Il éclata de rire et elle éteignit son ordinateur en souriant.
“Allez, viens, la bouffe de la cafét’ est pas trop dégueu, le vendredi soir.”
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C’était un mensonge particulièrement infâme. La purée était pratiquement liquide et les saucisses, bien trop salées. Seulement le pain était correct alors, pour faire bonne figure, elle le mangea.
“Je bosse dans dix minutes, alors, je vais pas pouvoir rester longtemps.
-Je reviendrai, rétorqua-t-elle. De toute façon, j’ai un match.
-Tu vas pas en voir grand-chose.”
Kim le fixa. Quatre ans qu’elle ne l’avait pas vu, quatre ans qu’il s’était évanoui dans la nature, et il savait encore quand les matchs de Roff commençait, à la minute près. Lisant facilement les pensées de la jeune blonde, Paolo se mit encore à rire. Ce n’était pourtant pas un grand rigolo mais il fallait croire qu’il avait développé un sens de l’humour, pendant ses quelques années sabbatiques.
“Tu croyais quand même pas que j’étais parti très loin ?
-Bah je ne sais pas… je pensais que tu étais à un endroit sans téléphone, ni wifi.
-Je ne pensais pas que j’allais te manquer suffisamment pour que tu me fasses des reproches.
-J’ai des dettes envers toi, si tu disparais pendant une décennie, comment veux-tu que je fasse les comptes ?”
Ils échangèrent un sourire et il lui piqua ses saucisses délaissées, puisqu’il avait déjà dévoré les siennes. Kim évitait de le regarder s’empiffrer, elle sentait l’ombre d’un haut-le-coeur s’approcher… et si elle ne voulait pas complètement loupé le match, elle devait monter à bord d’une voiture sous peu.
“T’as beau critiquer les Teodre, tu parles comme une gangster, la taquina-t-il.
-Je ne suis pas venue pour me faire insulter, railla-t-elle.
-Pas que ça me fasse pas plaisir de voir une vieille amie, mais pourquoi t’es venue ? C’est pour l’enquête ?
-Ne t’en mêle pas, lui dit-elle. J’ai déjà embarqué Cash et mon majordome là-dedans, et je ne sais pas comment ça va finir. Je saurais les protéger, c’est ce que je me dis, et Cash est riche, sa famille est influente, mais toi… Je suis venue pour te dire de rester en dehors de ça, peu importe ce que Roff te dit de faire. Et... je suis venue… pour voir comment tu allais.
-Kim, tu me connais pourtant, j’ai besoin d’être protégé ? rit-il, presque touché.
-T’as juste assez morflé dans ta vie.
-Selon qui ? J’ai plus morflé que toi, peut-être ? Comment tu calcules ça ?
-Moi, je suis dans la merde, c’est fait, s’agaça-t-elle. Les flics m’ont dans le collimateur. J’ai apprécié tes infos mais reste en dehors de ça, maintenant.
-C’est mon boulot, Kim, c’est pour ça que Roff me…
-Pourquoi t’arrêtes pas ?”
Paolo mit en suspens son festin et s’essuya la bouche, servit de l’eau à Kim. Il était devenu parfaitement sérieux et elle en était heureuse, c’était ce qu’elle voulait. Parler vraiment, du vrai problème. Roff l’avait sorti de la mare de boue où il était né. Elle n’allait pas faire semblant qu’elle ne le savait pas, Roff l’avait sauvé. Mais ça faisait presque dix ans, maintenant. Paolo avait payé pour le service rendu, il avait aussi le droit à sa vie, une vie tranquille et un minimum respectable. Travailler pour les Teodre, c’était travailler pour le commerce de la mort. Un jour ou l’autre, on prenait une balle, un coup de couteau et c’était fini. La mère de Roff était morte comme ça.
La mafia, c’était un univers sexy et glamour, c’était grisant. Un véritable royaume underground, où y régnaient les plus cruels et les plus forts. Elle comprenait que ça attire ceux à la recherche des existences dangereuses et du grand frisson. Mais Paolo n’était pas comme ça, alors pourquoi ne se défaisait-il pas de tout ça ?
“J’y ai pensé, le concéda-t-il. Mais je ne suis pas aussi fort que toi, visiblement, qui peux même arrêter de manger. C’est mon monde, maintenant, et Roff est mon boss. Je ne saurais rien faire d’autre.
-Je continue à obéir à mes parents, parce que ce sont mes boss, rétorqua-t-elle, parce que je ne sais pas quoi faire d’autre. Si je te conseille d’arrêter, c’est parce que je sais que je devrais. C’est parce que je sais comment ça va finir.
-Et si on arrête, ça finira mieux pour nous ?”
Kim but son verre d’eau. Evidemment, elle avait déjà longuement réfléchi à la question -puisqu’elle ne dormait pas la nuit, elle avait tout le loisir d’étreindre ses idées noires.
“Parfois, je me dis que ça ne peut pas être pire, mais souvent, je me dis plutôt que je délire.
-C’est mieux qu’on remplisse juste nos missions sans trop réfléchir,” approuva Paolo.
Quelles étaient leurs missions, exactement ? Il devait infiltrer la police, devenir même Vengeur s’il arrivait à survivre aux quatre années de stages, c’est vrai qu’il avait fait bien pire dans sa jeunesse. Et elle, oh, elle avait de multiples missions. C’était sans doute parce qu’elle avait deux boss différents. Elle devait réussir son concours, éclipser Gaëtan avant qu’il ne lui pique l’entreprise familiale sous le nez, et elle allait certainement devoir se trouver un nouveau fiancé. Et tout ça, en évitant un séjour en taule.
“Je sais que t’es morte de peur, Kim, mais tout ira bien, lui promit-il. Roff ne laissera rien vous arriver, à Cash et à toi, et même à ton majordome si tu lui demandes.
-Et s’il n’est pas aussi puissant que tu l’imagines, comment on va faire ? Je ne peux pas attendre les bras croisés pour voir s’il arrive à nous sauver !
-Aux dernières nouvelles, vous étiez pas mal en froid, fit alors Paolo sans répondre à sa question. Mais si tu vas au match, j’imagine que vous vous êtes réconciliés… Je me souviens d’une époque où t’avais plutôt pas intérêt de louper un de ses matchs…
-Ca remonte au collège, rétorqua-t-elle avec toujours cette même irritation quand on évoquait cette période. Autant dire, une éternité.
-Vous étiez au lycée, contesta-t-il avec un sourire en coin. Et c’était y’a quatre ans.
-On t’a jamais dit qu’une seconde pouvait durer une éternité ? ironisa-t-elle. Alors, imagine quatre ans.”
Et sans consulter sa montre, elle se leva de table en déclarant qu’il ferait mieux de se dépêcher parce qu’il était déjà en retard pour la reprise de son boulot.
“Tu me diras s’il perd… que je l’évite pendant au moins une semaine.
-Faudrait-il encore que j’ai ton numéro, contra-t-elle.
-J’ai le tien.
-Le contraire m’aurait étonnée.”
Même si en quatre ans, il ne l’avait pas appelé une seule fois.
“Je t’enverrai un message,” lui promit-il.
J'apprécie le personnage, et me demande vraiment comment il va intervenir dans l'histoire.