Chapitre X.2. un coeur immense
On aurait dit qu’on entendait le raffut de la foule à plusieurs kilomètres à la ronde, c’était vraiment impressionnant de se tenir à l’extérieur du bâtiment qui refermait la patinoire et percevoir si distinctement les slogans et noms scandés. Il y avait bien sûr le nom de Roff qui revenait souvent, qu’ils appelaient le Prince des Glaces, à son plus grand plaisir, mais il y en avait d’autres. Les joueurs de Hockey étaient des vedettes, à Saint-Paul. Et ce n’était vraiment pas bon pour le développement intellectuel de Roff, son melon était déjà assez gros comme ça.
Elle resta quelques minutes juste devant les portes. Il faisait froid, et le vent s’était levé ; elle savait qu’il se passait nettement plus de choses à l’intérieur, qu’elle y aurait chaud. Mais le trajet en taxi avait été trop court pour qu’elle ait le temps de bien faire le tri dans ses pensées. Il y avait de nombreux sujets qui la gênaient, elle était une fervente adepte des tabous et non-dits, elle préférait le silence. Mais bien sûr, c’était naturel pour Paolo de parler de l’époque qu’il avait quitté en partant. Quand elle avait seize ans, et que, de sa quatrième à sa seconde, ça faisait trois ans consécutifs que Roff et elle étaient dans la même classe et qu’ils passaient le plus clair de leur temps ensemble.
A cette époque déjà, ils étaient différents mais ils l’étaient moins, et ils étaient jeunes et plus tolérants. Des milliers de désaccords et disputes les séparaient désormais de cette époque, et elle, en particulier, avait changé. Dans quelques semaines, elle aurait vingt ans et elle était déjà pourrie jusqu’à l’os. Quant à Roff, il était le Prince des Glaces, successeur du patron de la Mafia d’Aubéry et où qu’il aille, il y avait toujours trop de monde. Que ce soit au deuil, à l’école ou à la patinoire. Il avait mille choses fabuleuses à accomplir par jour, des matchs à gagner, des filles à séduire, des grandes bastons au Deuil à calmer et des statues de glace à sculpter, et elle n’avait juste pas le temps pour du fabuleux. Elle tapait plus dans le pathétisme et l’art de la survie. C’était obligatoire qu’ils aient fini par se détester.
Alors, que faisait-elle là ? Quand elle n’aimait ni le hockey, ni l'événement, et qu’elle avait bien mieux à faire. Roff lui ferait la gueule ? La belle affaire. Il passait sa vie à lui faire la gueule pour un oui, pour un non, il l’avait même boycottée de nombreuses fois de sa maudite boîte. Comme si c’était son lieu préféré, quel petit con prétentieux. Quand elle écoutait Cash et Paolo lui parler de Roff, elle avait l’impression d’être celle qui s’était mise à le détester en premier, et non l’inverse, et elle ne comprenait vraiment pas d’où venait cette confusion. Elle aurait voulu leur expliquer pour qu’ils ne lui en reparlent jamais plus, qu’ils sachent qu’à chaque fois qu’elle comptait dans sa tête les personnes qu’elle avait aimé et qui l’avaient quittée du jour au lendemain, elle en avait mal au ventre. Et comme elle n’arrivait plus à pleurer, c’était devenu impossible d’en parler, même à Cash. Elle avait plutôt décidé de faire le deuil de tous ces déserteurs. Et pourtant, elle était là, à ce stupide match.
Elle était juste une putain d’idiote, décréta-t-elle en elle-même quand elle entra finalement.
Ca paraissait bruyant de l’extérieur, mais ce n’était qu’un amuse-tympan ; il suffisait d’entrebâiller les portes d’un centimètre pour comprendre ; les hurlements de la foule, les fracas des crosses et des hommes qui se bousculaient comme un troupeau de phacochères ; et les échos de tout ça qui rebondissaient dans un endroit bien trop hermétique ; c’était milles fois pire à l’intérieur. Dans les gradins, quasiment tout le monde était debout, c’était la fin de la deuxième période, la pression était à son comble. Kim consulta le tableau électronique des scores. C’était serré, mais l’autre équipe menait de plusieurs points.
Roff serait fou de colère s’ils perdaient sur sa patinoire, ça irriterait bien trop son penchant territorialiste. Et ce serait mieux pour tout le monde s’ils gagnaient, un Roff énervé n’était agréable pour personne.
Il y avait bien trop de gens collés à la vitre, Kim ne pouvait rien voir du match et elle se demandait comment, avec toute cette chaleur humaine, la glace ne fondait pas. Elle devina sans peine où Cash et les filles, et la bande de Roff, se trouvaient ; au meilleur emplacement pour suivre le match, c’est-à-dire à exacte distance entre les deux cages, tout en haut du gradin. Elle dut batailler pour se frayer un chemin mais elle finit par arriver à bon port, pile au moment où la deuxième période se finitssait. L’équipe de Saint-Paul perdait toujours et à présent, Kim le voyait ; il bouillonnait de colère.
“Kim !! T’es là !” l’accueillit Cash.
Cash elle-même était clairement sur les nerfs, et toute la cour de Roff affichait des visages de dix mètres de long. L’équipe de Saint-Paul était la fierté de l’école. L’année dernière, elle avait participé au championnat national. Mais s’ils perdaient ce match, ce serait compliqué pour se qualifier. A ce niveau, Kim pouvait comprendre Roff. Elle vivait en perpétuelle compétition, un match nul était à peine tolérable. Quand elle faisait les compétitions de natation, même la seconde place était un échec. Sa mère apprenait toujours la nouvelle d’une façon ou d’une autre.
Quoique, pour Roff, c’était différent. Ils n’avaient pas les mêmes parents.
“Il va encore défoncer sa crosse…, soupira Martin. Doit y’avoir de l’ambiance dans les vestiaires…”
Plusieurs grimacèrent à cette remarque. Ils ne savaient que trop ce que ça pouvait donner, l’une des colères de Roff Teodre.
“Ils ont encore une période pour se refaire, relativisa Kim.
-Il va dire que c’est de ta faute, prédit Martin.
-Parce que je n’étais pas là au début ou parce que je suis venue ?”
Martin haussa les épaules, et Kim se mit à rire, un drôle mélange de désarroi, d’exaspération et d’incompréhension.
“Ca dépendra de son humeur.
-Roff est vraiment un mec difficile à satisfaire…, philosopha Cash en soupirant.
-Depuis quand c’est moi qui dois le satisfaire ? Ca devrait pas être son Aubépine aux yeux de biche ?
-Elle est là-bas, fit Cash en indiquant un autre coin de leur gradin, et en effet elle y était, assise juste à côté de Gaëtan. Roff arrête pas de la mater et de faire le beau devant elle pour qu’elle le regarde. C’est assez ridicule.
-Ca explique pourquoi ils perdent, cingla Kim.
-Mais c’est pas parce qu’elle est là, qu’il a pas remarqué que toi, t’étais pas là, contra Martin.
-Il veut pas une troupe de pompom-girls aussi ?
-Oh, il serait pas contre !”
Une putain de grosse idiote, voilà ce qu’elle était. Rien qu’une heure plus tôt, elle avait frimé devant Paolo à affirmer qu’elle ne gaspillait jamais rien mais elle était là, à perdre son temps pour un abruti, comme une cruche. Et maintenant, elle était une idiote particulièrement agacée.
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Les gradins se soulevèrent, puis rebondirent, en criant et chantant. Kim ignorait ce que Roff leur avait fait mais son équipe était revenue avec une seule idée en tête, gagner, quitte à péter des genoux et des tibias. Ça n'avait pas été beau à voir. Ils avaient écrabouillé leurs adversaires et au bout du compte, la brutalité triompha.
Lorsque la fin du match retentit, Kim fut l’une des seules à demeurer assise. Entre la sacoche de son ordinateur et ses escarpins, elle n’avait aucune envie de se lever. Néanmoins, elle était divinement bien placée et elle ne ratait rien du spectacle. Les vainqueurs firent des ronds sur la glace, des dérapages et des sprints, sous les acclamations, et Roff roulait des mécaniques. Même Kim devait bien admettre que c’était presque attendrissant.
Sortir de la patinoire était aussi éreintant que d’y entrer, mais Kim n’avait qu’une envie, c’était de rentrer chez elle. Coup du sort, elle se retrouva avec Aubépine et Gaëtan dans la mêlée, et ils arrivèrent ensemble. Cash, Martin et les autres étaient tellement emballés par la victoire qu’elle les avait perdus.
L’air frais apparut aux yeux de Kim comme une bénédiction. Sous les lumières de Saint-Paul qui effaçaient les étoiles dans le ciel, tous les supporters parlaient bruyamment, euphoriques et prêts à fêter ça toute la nuit.
“C’était un joli match, commenta Aubépine. Roff est vraiment bon. “
Le compliment pour son rival avait fait méchamment tiquer son pauvre demi-frère et Aubépine ne semblait même pas remarquer quel effet elle produisait chez lui. Encore un spectacle bien intéressant, nota Kim avec un petit haussement de sourcil. Était-elle aussi naïve qu’elle le laissait paraître, ou faisait-elle juste divinement bien semblant ? Elle ne pouvait tout de même pas ignorer que deux hommes lui tournaient autour depuis près de trois mois. Roff n’était pas du genre subtile. Mais Aubépine avait raison ; les hommes aimaient les filles béatement innocentes. Certains voulaient les protéger, d’autres jouer avec elles. Elles étaient si faciles à souiller, une simple tâche suffisait à ruiner leur jolies robes blanches. Et quel rendu artistique, quel chef-d’oeuvre, de les voir toutes abîmées et froissées à la fin du jeu.
Ils pouvaient se dire fièrement : oh, c’est moi qui aie fait ça, quel superbe gâchis. Kim ne pouvait pas le contester, ça paraissait être un jeu amusant. C’était toujours drôle de salir et détruire.
Roff était certainement de ceux qui comptaient les protéger mais, au bout du compte, il ne faisait que jouer avec elle, Kim se demandait même s’il s’en rendait compte.
Pour le bien d’Aubépine, Kim espérait qu’elle n’était pas aussi innocente qu’elle en avait l’air.
“Roff est toujours bon quand il s’agit de gagner, lui apprit Kim avec un sourire.
-Vraiment ?
-Oui, c’est sa spécialité, précisa-t-elle. Mais s’il gagne trop facilement, il se lasse tout de suite.”
Aubépine la regarda bizarrement. Oh, savait-elle lire entre les lignes ? C’était plutôt bon signe. Gaëtan n’était plus là, quelqu’un était venu lui parler sans doute. En tout cas, il n’était plus dans les environs et ça tombait bien, Kim avait depuis pas mal de temps déjà prévu de lui arranger son coup, à son nouveau frère chéri. Une petite conversation entre filles s’imposait.
“Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
-Je crois que tu le sais, répondit Kim. Tu lui plais bien.
-Comment tu… Pourquoi est-ce que… ?
-Tu sais de quoi ce monde manque le plus ? De solidarité féminine, lui dit-elle. Alors, je vais te donner un conseil. Ne te laisse pas amadouer par Roff, il obtient presque toujours ce qu’il veut. Et il a un méchant faible pour les Cendrillons. Le p’tit problème, c’est que des Cendrillons, dans ce monde, y’en a à la pelle et Roff n’est pas un Prince très loyal.
-Et je suppose que c’est moi, Cendrillon ?”
Aubépine se mordilla la lèvre de vexation et détourna le regard. Ce n’étaient certainement pas des choses très douces à l’oreille, personne n’aimait entendre qu’il était le plat du jour d’un restaurant capricieux mais, eh, valait mieux être averti avant d’être bouffé par un pseudo-gastronome.
“Pourquoi tu me dis ça ? C’est vraiment pour m’aider ou c’est parce que t’as un truc pour Roff ?
-Ça change quelque chose ?
-Je veux juste savoir si t’es la marraine bonne fée ou la sorcière.”
Les rires de Kim furent presque sincères. Au moins, elle savait suivre une métaphore.
“Je n’ai pas encore sorti de baguette que tu crois déjà en mes pouvoirs magiques, je suis flattée, ironisa Kim. Mais non, désolée, je suis juste une fille comme toi, en moins jolie mais carrément plus riche, donc je connais un peu mieux ce qui se passe derrière le décor. Et mon demi-frère, c’est ton deuxième chevalier-servant. T’es à un mariage près de faire partie de ma famille, alors même si je sais que Roff est assez difficile à résister, tu devrais vraiment bien réfléchir sur quel cheval monter.
-Les demi-sœurs de Cendrillon sont les pires.
-Elles font de Cendrillon un martyr, et n’est-ce pas ce qui la rend si séduisante ? Sans elles, Cendrillon ne serait rien de plus qu’une pauvre fille.”
C’était une étrange discussion à avoir mais Aubépine semblait raffoler du symbolisme de sa situation. Kim aimait aussi ce conte, elle le trouvait tragique et tellement vrai. Si l’on ignorait le côté excessivement angélique de Cendrillon, elle se retrouvait néanmoins dans une impasse où sa seule chance de mener une belle vie était d’épouser un Prince. Oh oui, le coup de foudre, c’était tellement magique, et bien sûr, c’était un bon prince, mais il était si facile de faire des parallèles avec leur propre monde. Exactement la même histoire, sans fille angélique, sans coup de foudre et sans bon prince.
“Je ne veux pas être Cendrillon, déclara Aubépine.
-Gaëtan ne te voit pas comme ça.
-Je sais…”
Et au sourire d’Aubépine, Kim comprit qu’il y avait peut-être moyen de réussir à faire pencher la balance de son côté.
“J’savais pas que vous étiez copines,” fit-on alors la réflexion.
C’était Roff qui avait certainement quitté ses fans quand il avait remarqué qu’elles parlaient toutes les deux et vu le regard noir qu’il lança à Kim, il se doutait du sujet. Il sortait clairement de la douche ; il avait les cheveux mouillés, sentait le savon et le shampoing, et il ne portait plus son attirail de Hockey.
“C’est la sœur de Gaëtan, justifia Aubépine avec un haussement d’épaules. Beau match, au fait.
-Ouais, merci…”
Il sourit à peine et continua plutôt de toiser Kim d’un regard bourré d’accusations qu’il ne s’embêtait pas à déguiser. Kim avait l’habitude de ce genre d’expressions sur son visage, elle était après tout la représentation de tout ce qu’il ne pouvait pas supporter, alors, elle ne fit que l’étudier avec un air ennuyé. C’était lui qui était venu interrompre leur conversation et bon, il était vrai que, pour une fois, elle était réellement en train d’essayer de lui saboter son coup.
“J’y vais, je vais retrouver Gaëtan, fuya Aubépine après quelques secondes de tension muette. Bye ! Oh et Kim… Merci du conseil.
-C’était un plaisir.”
Elle partit après un dernier sourire et Kim se demanda vaguement quand avaient-elles sympathisé. La discussion avait pris une drôle de tournure, et elle n’était pas sûre d’avoir beaucoup fait avancer les choses. Si seulement Roff n’était pas arrivé aussi vite ! Quel trouble-fête.
“Je me demande ce que tu as bien pu lui conseiller…, grinça-t-il.
-Tu viens de gagner un match qui était plutôt mal engagé, t’as pas autre chose à penser ? soupira-t-elle. T’as déjà failli perdre parce que tu la regardais plus elle que le palet, tu veux vraiment en rajouter ?
-Et comment tu peux savoir ça ? T’as débarqué à la moitié du match.”
Le reproche était évident dans sa voix. Martin avait raison. Il comptait ses fichues fangirls dans les gradins. Kim eut un petit rire jaune.
“Tu devrais vraiment regarder plus le palet quand tu joues,” l’avisa-t-elle.
Il fit un pas, puis deux vers elle et Kim soupira, excédée.
“Je veux pas que tu parles à Aubépine, l’avertit-il.
-Ca va être compliqué, minauda-t-elle. Elle va peut-être devenir ma future belle-sœur.
-Tu crois que Gaëtan a la moindre chance contre moi ?
-Qui te parle de chance ? s’enquit-elle, sardonique. J’ai pas le temps pour ça.
-Kim, je te jure, si jamais tu…
-Non, moi, je te jure, arrête-toi, le coupa-t-elle, tranchante cette fois. Aubépine est parfaite pour Gaëtan, et je me chargerai de les mettre ensemble, donc trouve-toi une autre Cendrillon. Tu peux toutes les acheter en lots si tu veux, mais laisse celle-là à mon frère.
-Et si c’est elle que je veux ?”
Il était trop proche, il sentait bien trop bon et elle était tellement énervée. C’était vraiment le contexte parfait pour qu’elle dise ou fasse quelque chose qu’elle regrette.
“Alors, tant pis pour toi, déclara-t-elle.
-T’es jalouse ?”
Elle ne répondit rien ; elle était tellement, tellement énervée. Son cœur bataillait à l’intérieur, il demandait des cris et du sang, qu’elle lui saute au cou pour l’embrasser ou l’étrangler. Pourquoi c’était toujours dans ces moments-là ? Pourquoi c’était dans les pires moments qu’elle se mettait soudainement à ressentir des choses, et pourquoi c’était toujours trop et n’importe comment ? Qu’était-elle censée faire avec tout ce désordre ? C’était tellement elle, tout ça. Elle s’évertuait à tout accomplir à la perfection, elle repassait tout en revue et calculait chaque mouvement, et pourtant… rien ne finissait jamais bien.
Pour ne pas exploser, elle ferma les yeux, leva le menton au ciel et souffla toute sa confusion électrique vers les étoiles invisibles.
“Ou alors… t’as quelque chose en tête ? ajouta-t-il. Laisse-moi deviner, ça t’arrange que ton demi-frère de merde reste attaché à une fille pauvre et sans influence, comme ça il refusera d’épouser toutes les femmes que lui présentera ton père. Et alors, il n’héritera pas de l’entreprise.”
Kim rouvrit les yeux. Le ciel était si noir. Le noir était une jolie couleur. Elle sentit ses lèvres trembler, rien qu’une fois ; autant abandonner. Elle le connaissait et naturellement, il la connaissait en retour. Ils voyaient ce qu’il y avait de pire chez l’autre. Ce genre de discussion, c’était comme ouvrir la boîte de Pandore, rien de bon ne pouvait en sortir mais eh, il avait déjà soulevé le couvercle. Quand elle reporta son regard sur lui, son sourire était amer sur sa bouche, elle pouvait pratiquement le sentir sur sa langue.
“Qu’est-ce qu’elle est pour toi ? demanda-t-elle. Je te demande sincèrement. Qu’est-ce qu’elle est pour toi ? Connais-tu seulement son numéro ? C’est la quinzième, ou la seizième ? Tu disais que tu les aimais toutes. A chaque fois, à chaque putain de fois, Roff. Ton cœur doit être immense pour que tu puisses aimer tant de filles, ou alors vraiment très petit. Mais pourquoi tu les jettes après ? Si tu les as aimées, tu devrais pas au moins… les quitter correctement ? Tu traites mieux tes plans culs. Alors, vas-y, dis-moi. Qu’est-ce qu’elle est pour toi ?”
Tous les autres n’étaient pas si loin. Ils n’étaient qu’à quelques pas, mais qu’est-ce qu’ils parlaient tous fort ! Certains criaient, et scandaient encore, comme s’ils étaient encore dans les gradins. Ah, tiens, c’est vrai, c’était la soirée de la victoire. Kim avait tout oublié. Et honnêtement, ils ne devraient pas avoir ce genre de discussions dans un endroit pareil, à un tel moment. C’était absurde. Mais dans les environs, c’étaient eux les plus discrets. La preuve, Roff prit un temps fou pour répondre.
“C’est quoi, cette leçon ? demanda-t-il. Tu me fais passer pour un sacré connard.
-Mais c’est ce que t’es. Et moi, je suis une sacrée connasse. On est ce qu’on est. C’est pour ça qu’on voit clair dans le jeu de l’autre. Aubépine, elle n’est rien qu’un jouet de plus pour toi, tandis que pour moi, c’est la clé pour ma liberté. Reste à savoir qui est le meilleur entre nous deux, ou bien le pire.
-Je suis pas ton ennemi, Kim.
-Oui mais je sais pas ce que t’es, Roff !”
Elle ne savait pas même ce qu’elle était. Pour lui et pour elle-même. Parfois, elle se mettait à se considérer comme sa propre ennemie.
“Aubépine est pas ta seule clé, finit-il par lui dire. Tu peux te libérer toute seule, je sais que tu peux. Et je suis là. C’est ce que je suis ; je suis là.”
Il était là ? C’était une vraie bonne blague. Kim partit, elle ne voulait vraiment plus rien entendre. C’était exténuant.
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Il était deux heures trente du matin quand sa mère l’appela, elle était rentrée chez elle depuis longtemps, snobant les festivités liées à la victoire, mais elle ne dormait pas. Ce n’était pas faute d’être fatiguée, pourtant. Elle était couchée dans le noir, et le sommeil tournait tout autour d’elle en la narguant.
“J’ai trouvé quelqu’un pour repousser ton service militaire d’au moins trois ans, l’informa-t-elle. Je pense qu’il peut même l’annuler si on y met du nôtre.
-Qu’est-ce qu’il veut ? demanda Kim.
-Il a un fils de trente-et-un ans toujours célibataire.”
Elle allait avoir vingt ans, dans quelques semaines, et peut-être serait-elle fiancée pour la seconde fois pour souffler ses vingt jolies bougies. Quel cadeau d’anniversaire bien triste. Au moins, il était de onze ans plus vieux qu’elle. Avec un peu de chance, il mourrait bien avant elle.
Saint-Paul était une école privée, ils choyaient leurs athlètes et ils mettaient leurs locaux sportifs à leur disposition ; l’équipe de foot avaient les clés des vestiaires ; les gymnastes, du gymnase ; les joueurs de Hockey, de la patinoire ; et Kim faisait encore de la natation l’année précédente et elle détenait les clés de la piscine. Elle avait une carte électronique pour ouvrir son grand portail à n’importe quelle heure. Ce n’était tout de même pas très malin d’aller s’y aventurer aussi tard dans la nuit. Surtout par les temps qui courraient. Clara et Rémi y avaient perdu la vie, dans cette école, et c’était toujours après les heures de cours. Peut-être l’endroit était-il maudit. Mais depuis, des caméras avaient été posées un peu partout, d’après le directeur, l’endroit était plus sûr que les coffres de la banque de France. Et de toute façon, elle s’en foutait. Ça faisait des années qu’elle n’arrivait pas à dormir. La mort semblait assez reposante, à la réflexion.
Elle n’avait pas réveillé les chauffeurs de la famille, elle avait simplement appelé un taxi.
Tout Saint-Paul était silencieux dorénavant et Kim sentit son esprit s’adoucir un peu. L’air froid l’apaisait alors qu’elle suivait le chemin tracé dans le parc de Saint-Paul, en direction de son complex sportif. Elle consulta quelques instants les réseaux sociaux sur son téléphone. La nuit était encore jeune, et Cash, Roff, et Martin postaient tout un tas de photos de la soirée qui s’allongeait au Deuil.
La piscine de Saint-Paul paraissait encore plus immense, la nuit, c’était sans doute parce qu’elle n’était jamais aussi vide et que le noir derrière les vitres les changeait en miroirs. Elle prit quelque temps pour se changer et ajuster son bonnet de bain ainsi que ses lunettes. A la seconde où elle plongea, l’eau innonda ses pensées et les immergea complètement jusqu’à noyer son trentenaire de futur fiancé. Elle commençait à revoir le visage de Rémi partout, partout dans le fond bleu de la piscine, et elle n’aimait pas sa tête. Il avait cet air accusateur et autoritaire, possessif comme un mari trompé. Le fait est qu’il ne l’avait jamais aimée mais eh, elle avait été à lui et il n’aimait pas qu’on touche à ses possessions, fussent-elles un bout de gomme dans sa trousse ou un caillou dans sa chaussure.
Pourquoi devait-il être encore là ? Il était mort ! mort, mort, MORT !
Son cœur battait dans ses oreilles et elle étouffait, s’asphixiait. Tout autour du visage de Rémi, elle commençait à voir des lumières. Puis, un nid d’abeilles vinrent lui bourdonner aux oreilles. Combien de longueurs avait-elle fait ? A peine dix. Pourquoi est-ce que… ?
Elle s’arrêta de nager et sortit la tête hors de l’eau, mais ça n’alla pas mieux, elle avait toujours l’impression de manquer d’air. Et pourtant, elle respirait fort. Et ses maudites lumières qui vacillaient, elles perturbaient sa vue… elle voyait tout trouble. Il fallait qu’elle sorte, tout de suite. Elle ne prit pas la peine de chercher l’une des échelles, elle nagea droit devant elle pour se hisser elle-même sur le bord. Mauvaise, mauvaise idée. Un éclair lui fendit le cerveau et embrasa sa vue, son cœur explosa.
Et tout disparut autour d’elle, elle se sentit rien qu’une seconde retomber dans l’eau et couler.
En tout début tu décris bien l'antagoniste entre Kim et Roff. J'aime bien la rentrée de Kim dans la patinoire, cela correspond tout à fait à l'image que j'ai d'elle.
Et la confrontation entre Kim et Roff est très électrique. Très bien rendu. En tant que lecteur, on ressent tout l'attirance et la confrontation.
Quand à la fin, on plonge clairement dans le coeur du sujet. (enfin on coule plutot je dirai)
Seul point auxquel j'ai pas vraiment adhéré c'est les 3 secondes de Kim. Elle qui cherche la perfection, redoubler ne lui correspond pas vraiment je trouve...
A bientot sur la suite, j'espère
Je suis super contente que le passage rende bien, les confrontations ne sont jamais bien évidentes à écrire ^^
Ah, tu parles du passage où je dis que Kim et Roff ont passé trois années consécutives dans la même classe ? En fait, Kim n'a pas du tout redoublé de classe, je voulais dire que de la quatrième à la seconde, elle et Roff avaient été dans la même classe mais je comprends que le passage puisse porter à confusion ^^ J'ai rajouté quelques précisions pour le rendre plus clair, merci de me l'avoir fait remarquer !
A bientôt, Arno, et encore merci pour ton passage :)