Chapitre X

Point de vue : elle

Le visage passé sous l'eau, il reste penché sur le lavabo pendant plusieurs secondes. Comme si le temps s'arrêtait un instant. Il lève la tête. Il se regarde et s'observe dans le miroir. Il sourit. On dirait qu'il vient d'accomplir une mission. Il marche vers la fenêtre. Il l'ouvre et prend un bol d'air. Ses yeux errent sur les toits de la ville qui s'étale sous lui. Des cheminées fumantes et des cheminées éteintes. Des antennes satellites et des lucarnes encore ouvertes. On voit des visages passer et repasser devant les fenêtres. Un croissant de lune, des étoiles éparpillées dans le ciel. Il rit, on ne sait pas pourquoi. Des gens encore coincés dans les embouteillages lèvent les yeux et se demandent ce qu'il se passe.

Tout ça m'échappe. Vos réactions. Je ne comprends pas. J'essaie mais mes efforts restent vains. Vous pleurez toutes les larmes de votre corps et l'instant d'après, vous riez aux éclats. Parfois, vous mêlez les deux en même temps. J'aimerais retrouver ce qu'on ressent quand on pleure, quand on rit. Vous, les humains, vous pouvez encaisser les coups jusqu'à ce que vous craquiez, jusqu'à ce qu'une goutte fasse déborder le vase. Parce que vous êtes humains.

Je ne sais plus ce que c'est d'être humaine. J'en ai des souvenirs encore confus. Je parviens petit à petit à éclaircir tout ça, mais il me faudra du temps avant que ce soit tout à fait net. Ma mémoire se recompose et les pièces du puzzle s'assemblent pour en dévoiler plus sur qui j'étais et ceux que j'aimais. Je regrette parfois ce que je leur ai fait, même si ce n'est pas entièrement de ma faute. Trop de gens sont morts de mes propres mains. Je ne sais pas combien au total mais il en a aujourd'hui beaucoup trop pour que je puisse me soucier d'un simple nombre. Aujourd'hui pourtant, j'aimerais savoir. Je voudrais quelque chose qui me rappelle ce que je fais et tous ceux qui sont morts.

La fenêtre est assez petite. Il y a juste assez de place pour s'appuyer sur le rebord et se pencher un peu. Les rideaux sont lie de vin, c'est assez sombre par rapport au reste de la pièce. Les portes en plastique coulissantes forment une douche plutôt étroite. Un flacon de gel douche et un autre de shampoing sont posés sur le bac de douche. Les joints des carreaux blancs sur les murs et le sol sont sales et peu entretenus. Certains se décollent même. Le meuble jaune pastel à droite de la porte renferme des serviettes de bains et des savons d'avance. Sur le lavabo, on trouve une petite boîte bleu azur avec son rasoir, sa brosse à dent et son dentifrice, un peigne et un déodorant. A gauche, il y a une commode en bambou avec quatre tiroirs, ses habits et une porte qui contient les produits ménagers. Dessus, une fausse plante verte et sa serviette pliée.

Quelqu'un toque. Il se frotte le visage. Il marche le long du couloir sombre qui mène à la porte d'entrée. Pas un tableau, pas même une simple photo pour décorer un peu. La lumière n'est pour ainsi dire jamais utilisée, elle éclaire si peu qu'elle ne sert pas beaucoup. Les toilettes sont du même côté que la salle de bains. En face d'elles, il y a son bureau et sa bibliothèque dans une grande et même pièce. Il avance jusqu'à la porte. Il s'arrête pour la fixer. Il l'ouvre mais il n'y a personne. Il a encore dû rêver. Il va à l'autre bout du couloir pour se mettre au chaud sous sa couette noire. Son lit est un deux places. Il a collé une lune et des étoiles phosphorescentes au plafond. Il aime les observer avant de s'endormir. Il regarde toujours par sa fenêtre ronde pour voir si la vraie Lune et les vraies étoiles montrent le bout de leur nez. C'est bien mieux de les contempler en vrai. Il a mis une lampe et une bouteille d'eau sur sa table de nuit. Dans un coin de la pièce, il y a deux carnets et des stylos posés sur le bureau d'appoint et un tableau en liège au-dessus. Il flâne sur les réseaux sociaux et s'endort le téléphone à la main.

Le réveil sonne. Il l'éteint, tout ensommeillé. Il se lève et s'habille. Il se prépare un café. Il avance au ralenti. Penser à tout ce qu'il doit faire dans la journée l'assomme. Il met sa tasse dans la machine. Il prend sa veste et ses clés. Il part.

Il attend le bus. Des gens à côté de lui. Pas un regard, pas une parole. Pas même un bonjour. On pourrait penser que c'est un malpoli, un grossier personnage mais il est perdu dans son esprit, comme préoccupé. Ils ne comprennent pas et le regardent de travers. D'où vient-il, avec sa sacoche trouée et sa mine fatiguée ?

Il monte dans le bus, sans dire bonjour au conducteur. Il y a ses amis mais il ne réagit pas. Il s'accroche à une barre et s'y suspend. On dirait que la vie lui pèse. Les gens ne bronchent pas, n'y font pas attention. Il doit être mal réveillé. Les autres ne peuvent pas savoir pour sa grand-mère, pas savoir ce qu'il traverse. Ils ne se posent pas de questions parce qu'ils n'y font pas attention. Ses amis le verront devant l'université, ils ne s'inquiètent pas pour lui.

Un arrêt. Deux personnes qui montent. Il observe à travers la vitre, comme s'il s'était arrêté de vivre un instant, son pouls ayant ralenti d'un seul coup. Les larmes veulent sortir. Il les retient. Tous ces gens autour, cette oppression, ce sentiment que ça n'arrive qu'à lui.

Musique dans les oreilles, il descend. Il avance, droit devant lui. Il presse le pas, tête baissée, jusqu'à son casier. Il y dépose ses affaires. Il est au milieu du couloir, seul. Les gens le regardent, de travers. Comme toujours. L'heure est arrivée. Plus personne autour de lui. Il est seul. Il s'assoit. Il met sa tête entre ses mains. Des bruits de pas. Des paroles qu'il ne comprend pas. Ses écouteurs arrachés.

« Andrew, qu'y a-t-il ? Andrew, tu m'entends ? Andrew !

- 'Scuse... Je me sens pas très bien. Je devrais rentrer chez moi. »

Cette réponse ne lui convient pas. Elle connaît Andrew. Il n'est pas comme d'habitude. Réagir comme ça. D'habitude, il dit ce qu'il a sur le cœur. Aujourd'hui, il est différent. Le Andrew qu'elle avait connu avait changé. Elle le laisse planté au milieu du couloir. Il ne bouge pas. Même ses yeux ne se sont pas levés pour la regarder. Elle ne comprends pas son état, son anniversaire était hier. Il devrait être heureux. Parfois, elle voudrait être dans sa tête, savoir ce qu'il s'y passe. Elle ne peut pas rester sans rien faire.

Elle va chercher la seule personne capable de les aider, en qui elle a confiance. Elle entre dans la salle des profs. Elle y est forcément. De toutes façons, elle n'a pas le temps de la chercher dans d'autres endroits. Elle a peur de la suite. Elle connaît Andrew, sa famille, son passé.

« - Sarah ? Que faites-vous ici ?

- Andrew a besoin de vous. »

Mme Hawthorn était là pour eux. Elle les avait toujours encouragés et soutenus dans leurs projets. Toujours à leur écoute. Ils discutaient ensemble pendant de longues heures. Elle leur a conseillé pas mal de choses ces derniers mois.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
H.Monthéraut
Posté le 19/05/2022
Bonjour,

"Tout ça m'échappe. Vos réactions. Je ne comprends pas. J'essaie mais mes efforts restent vains." Peut-être remplacer "Je ne comprends pas" par je ne sais plus où quelque chose du même genre. Elle a connu ses émotions, elle les recherchent même.

"Il a collé une lune et des étoiles phosphorescentes au plafond. Il aime les observer avant de s'endormir. Il regarde toujours par sa fenêtre ronde pour voir si la vraie Lune et les vraies étoiles montrent le bout de leur nez." Ça me rappelle des souvenirs et c'est très beau :)

Je suis surprise de voir ce nouveau personnage, la professeure. Et même ses amis. Je le voyais plutôt comme un solitaire endurci.
Benebooks
Posté le 06/02/2022
Coucou,
Je suis contente des descriptions, j'aime bien quand il y en a, et l'habitat d'une personne permet de montrer sa personnalité (celle d'Andrew parait d'ailleurs fasciner la Mort)
J'ai juste une remarque sur la fin du chapitre : c'est mon impression, mais je trouve qu'elle tombe un peu à plat, on dirait que tu as coupé en plein milieu d'un paragraphe.
Il manquerait juste une petite phrase, du genre : "elle leur a conseillé pas mal du choses...... Elle saurait quoi faire"
A bientôt
InTheKiosk
Posté le 17/02/2022
Hello :)
Je suis ravie de voir que les descriptions te plaisent (merci), d'autant plus si ça te permet de mieux appréhender un personnage.
Oui, on m'a fait remarquer la platitude de cette fin...ça gagnerait à être retravaillé (j'y réfléchis).
Merci beaucoup !
Edouard PArle
Posté le 20/01/2022
Coucou !
Je t'avoue que j'ai été un peu perdu dans la deuxième partie du chapitre "Elle connaît Andrew." qui est "elle" ? Tu es passé à la 3e personne ou tu décris un nouveau personnage ?
On a plus de descriptions (celle de la salle de bain est un peu longue pour un lieu assez banal) et un rythme un peu différent de d'habitude. Je t'avoue que je l'ai trouvé moins percutant mais c'était peut-être nécessaire pour faire avancer le récit.
C'est intéressant d'introduire de nouveaux personnages, à voir ce qu'ils auront comme rôle...
Mes remarques :
"Vous, les humains," je l'enlèverais pour donner plus de poids au "humains" de la phrase suivante
"J'en ai des souvenirs encore confus. Je parviens petit à petit à éclaircir tout ça, mais il me faudra du temps avant que ce soit tout à fait net. Ma mémoire se recompose et les pièces du puzzle s'assemblent pour en dévoiler plus sur qui j'étais et ceux que j'aimais." je trouve que les deux phrases font un peu répétition, tu pourrais n'en garder qu'une.
Voilà pour aujourd'hui,
A bientôt !
InTheKiosk
Posté le 21/01/2022
Coucou !
C'est un nouveau personnage (Sarah). Je vais changer ça pour que ce soit plus clair (merci de me l'avoir fait remarquer).
Oui, je suis d'accord ! Je vais raccourcir la description de la salle de bains. Il est effectivement moins marquant, ce qui n'était pas voulu à la base, je vois réfléchir à la façon dont je peux le retravailler.
Je suis d'accord pour les remarques (je les garde au chaud pour la réécriture).
Merci beaucoup ! Tes remarques me sont très utiles !
A très vite !
Edouard PArle
Posté le 21/01/2022
Ah ok, hâte de voir ce que tu vas faire de ce nouveau personnage !
Niels
Posté le 16/01/2022
Deux parties intéressantes dans ce chapitre, avec la Mort qui exprime son incompréhension face aux émotions qu'elle a oubliées, et l'introduction pour la première fois de personnages nommés autres qu'Andrew (Sarah, Mme Hawthorn).

On en apprend donc plus sur la personnalité d'Andrew et sa vie de tous les jours : il est d'ordinaire quelqu'un qui s'exprime beaucoup, d'assez extraverti j'ai l'impression, mais la mort de sa grand-mère et tout ce qui s'en est suivi l'a secoué, et c'est bien normal !

J'ai repéré une coquille : "elle comprends"
InTheKiosk
Posté le 16/01/2022
Merci encore pour tes commentaires ! Je suis contente de voir que le personnage d'Andrew te soit plus familier :)
Merci pour la coquille !
Vous lisez