Point de vue : lui
Sarah est partie. Je ne sais pas ce qu'elle fait. Je m'allonge sur le sol. Je me replie sur moi-même. Je me retiens de hurler. Des pas affolés, des respirations saccadées. Mme Hawthorn et Sarah s'arrêtent en me voyant. Je m'assois, je lève la tête comme un enfant qui se cache sous sa couette quand le tonnerre gronde dehors. J'ai honte de leur imposer tout ça, d'être si imprévisible. Elles ne sont pas à mon service. Elles ne sont pas mes esclaves non plus. Mais je ne peux pas me passer leur aide. Elles sont indispensables à ma survie dans ce monde.
Sarah est la seule amie que j'ai eue dans ma vie. La seule personne qui m'accepte et qui me supporte comme que je suis. Elle m'a accueilli, elle m'a aidé à m'intégrer dans la classe. On s'est déjà disputés. Pour la bonne cause, comme elle dit. J'ai eu des potes, des gens que je ne détestais pas et avec qui je discutais de temps en temps. Des rencontres d'un instant, qui n'ont pas perduré dans le temps. Un jour, j'ai arrêté de parler avec un de ces fameux potes. Et c'est comme si je les avais tous perdus d'un coup. Jamais on ne s'est fâchés, pourtant on ne s'est plus adressé la parole. Sarah a su être là à ce moment-là.
Mme Hawthorn. Je n'ai pas grand chose à dire sur elle. Je l'ai rencontrée aux portes ouvertes de l'université. On a parlé une dizaine de minutes. J'ai choisi mon université ce jour-là. Peut-être un coup de cœur mais je manquais de temps. Je me suis retrouvé face à la fiche de vœux, et je n'ai pensé qu'à cette université. Mme Hawthorn est la première personne à qui j'ai pensé. Je ne connaissais pas les débouchés, mais peu importait.
Mes parents ont tenté de me dissuader parce que ça ne leur plaisait pas trop, cette histoire d'atelier d'écriture. Je n'ai pas écouté et j'ai été pris. Je suis entré dans le première salle inscrite sur mon emploi du temps. Je n'avais pas regardé la matière ni le prof. C'était elle qui me regardait entrer. J'étais perdu et je ne l'avais même pas remarquée. Elle a commencé son cours. C'est la première fois que j'ai été autant captivé par une prof, le temps d'une heure. Elle l'avait remarqué. Les élèves attendent la sonnerie pour sortir. J'étais le dernier, comme d'habitude. On me prêtait peu d'attention. J'ai levé la tête, elle m'a tendu un papier de la taille d'une carte de visite. J'ai pris le papier et j'ai bêtement souris. Demain, 13 heures dans cette salle. Cela devrait vous intéresser. Je le tourne pour voir le dos. Atelier d'écriture. Mais je n'écrivais pas. Le lendemain, on était deux. Sarah et moi. On a commencé cet atelier en écrivant nos souvenirs d'enfance. On a mis des mots sur nos tracas. C'est comme ça qu'on s'est vraiment connus, tous les trois.
En les voyant arriver comme ça, toutes essoufflées, j'ai pensé à ce jour-là. Un sourire au milieu des larmes. Elles me relèvent. On va dans cette même salle, à nos places habituelles. On sort un cahier, un crayon. Pas besoin de nous le demander ou de nous donner des consignes, on sait déjà. Poser des mots sur notre mal-être. On s'y met tous les trois. Ce que j'écris n'est pas organisé. C'est confus dans ma tête. Ce méli-mélo d'émotions qui m'envahit d'un coup, sans le demander. Au moment le moins approprié. On se relit pour corriger. On se passe nos écrits, on se lit. On analyse.
Je ne savais pas qu'écrire me faisait autant de bien. Quand j'ai commencé l'atelier, ça me rendait juste heureux. Aujourd'hui, ça me fait du bien. Je me sens mieux que quelques instants auparavant. Elles l'ont remarqué, elles aussi. Ça se voit dans leurs yeux. Cette petite étincelle dans le regard et ce petit rictus qu'elles tentent de dissimuler.
Je tente de ne pas prêter attention à leurs expressions quand elles me lisent. J'essaie de ne pas lever les yeux, de ne pas croiser leur regard. Je sais qu'elles l'ont remarqué. Je ne veux pas en parler, mais je n'ai pas le choix. Je ne peux plus leur cacher. Au stade où on est. Je parle et je ne m'interromps pas. Comme si un pistolet était braqué sur ma tempe, comme si on me poussait à le faire. Je parle d'hier. Elles m'écoutent.
Je finis mon histoire avant de m'arrêter de parler. Le temps d'un silence avant que Sarah ne me serre dans ses bras de toutes ses forces. Elle enfouit son visage dans le creux mon cou. Je sens ses larmes sur ma peau. Je l'enlace à mon tour, je lui frotte le dos. Je lance un regard à Mme Hawthorn. Elle me sourit sans vraiment me regarder. Sarah se relève avant de se laisser tomber sur sa chaise.
« - Vous savez Andrew, la vie nous fait passer par des moments difficiles, qui peuvent paraître insurmontables au premier abord. On se remet en question, on doute à de nombreuse reprises. On en arrive même à penser au pire. Il faut savoir dans ces moments que d'autres personnes ont ressenti les mêmes sentiments que vous. Il y a toujours des gens autour de vous qui ont déjà vécu ce que vous traversez aujourd'hui, et aussi demain. Et ça, depuis des siècles.
- Je crois que j'ai compris le message. Je tâcherai de penser à parler avec des gens dans le futur pour me conseiller dans les situations que je ne maîtrise pas encore. »
Je ne sais pas comment la remercier. Lui dire merci pour ce qu'elle fait, pour nous, pour moi. En moins d'un an, elle a réussi à représenter déjà tant de choses en moi. Un peu comme une deuxième mère. Elle me comprend. Elle appuie où ça fait mal, pour que les mots sortent au bout de mon stylo. Comme si elle me connaissait par cœur depuis toujours. Mes réactions, mes sentiments, mes comportements. On dirait que quelqu'un lui a tout dit, peut-être même qu'elle arrive à lire dans les pensées.
Bon, petit commentaire.
« - Vous savez Andrew, la vie nous fait passer par des moments difficiles, qui peuvent paraître insurmontables au premier abord. On se remet en question, on doute à de nombreuse reprises. On en arrive même à penser au pire. Il faut savoir dans ces moments que d'autres personnes ont ressenti les mêmes sentiments que vous. Il y a toujours des gens autour de vous qui ont déjà vécu ce que vous traversez aujourd'hui, et aussi demain. Et ça, depuis des siècles.
C'est très juste ! Le personnage de cette professeure m'intrigue.
Je poursuis :)
Ce chapitre fait plaisir à lire, on voit le côté humain d'Andrew. Ses réactions et ses besoins sont logiques, et cela est agréable, car jusqu'à présent, tu as eu un peu de mal avec les réactions des personnages (la mère en deuil, Andrew qui reçoit le premier SMS...). Il faut t'accrocher et continuer dans cette lancée
Me voilà très heureuse d'avoir (enfin !) un personnage qui réagit logiquement ;)
Cela me fait vraiment très plaisir (que dis-je, cela me ravie). Merci énormément pour les encouragements !
Voilà donc la fameuse Sarah dont tu m'avais parlé dans ta réponse. Mme Hawthorn et elles ont l'air d'excellentes fréquentations pour Andrew. C'est agréable d'en apprendre plus sur le personnage, de "l'humaniser" en montrant ses amis.
Pas très habitué à lire des dialogues jusqu'ici mais tout va bien, ils sont très bien. Assez soutenus mais si tu restes cohérent avec ça, aucun problème.
Une petite remarque :
"me faisait autant de bien." -> ferait (puisque maintenant il le sait)
Un plaisir,
A bientôt !
Oui, c'est bien elle ! Je suis contente que ces personnages permettent de "mieux" comprendre Andrew.
C'est en grande partie parce que je n'aime pas trop écrire les dialogues, je l'admets (mais je suis très contente de savoir qu'ils marchent). Je prie pour que ça reste cohérent :)
Oui, remarque à garder au chaud pour la réécriture !
Merci beaucoup :)