Le lendemain, ils se levèrent de bonne heure et se remirent rapidement en route. Leur trajet se déroula sans embûches, ils avançaient vite, ne s’arrêtant que lorsque cela était vraiment nécessaire et sans jamais rester longtemps au même endroit. Ils n’eurent pas de mal à trouver de quoi boire et manger dans les petits villages sur la route. Il n’avait pas cessé de pleuvoir depuis leur départ et Tanwen commençait sérieusement à en avoir marre d’être trempée en permanence. Finalement, à la fin de la deuxième journée, ils arrivèrent en vue de la ville de Laxis. La frontière n’était plus très loin. Alors qu’elle allait se réjouir de bientôt mettre fin à leur cavale, Aydan pointa du doigt une longue colonne jaune et rouge qui serpentait lentement sur le paysage vallonné.
— Ce sont des gardes ? Demanda-t-elle avec inquiétude en voyant la quantité d’hommes en armes qui progressait doucement vers la ville.
— Non, c’est une légion de Spyr.
— Que fait-elle là ? Je croyais que les combats devaient avoir lieu en Brysie.
— Je l’ignore, dit-il. Ne perdons pas de temps, ils vont sûrement faire halte à Laxis pour la nuit.
N’ayant nulle part où dormir et plus rien à manger, ils se dirigèrent vers la ville. La nuit n’était pas encore tombée lorsqu’ils pénétrèrent dans l’une des auberges de la cité. Elle était pleine à craquer, tous les habitants de la cité venaient s’y retrouver après leur journée de travail. Ils réussirent tout de même à se faufiler en jouant des coudes jusqu’à rejoindre le comptoir derrière lequel se tenait l’aubergiste.
C’était un homme bedonnant dans la cinquantaine qui parlait fort et bruyamment avec quelques habitués des lieux.
— Est-ce qu’il vous reste une chambre pour la nuit ? Demanda Aydan.
— Bonjour, répondit-il sèchement. Tout dépend du prix que vous êtes prêts à mettre.
Aydan ouvrit sa bourse et déposa trois pièces en argent sur la table.
— C’est tout ! S’exclama le tavernier en riant.
— Ce sont les prix ordinaires pour une chambre à Spyr, vous n’allez pas me dire qu’elles sont plus chères ici.
— Vous êtes au courant que plusieurs légions s'apprêtent à camper dans les environs. Ça serait dommage de ne pas en profiter pour gonfler un peu les chiffres.
— Très bien, combien dans ce cas, soupira-t-il.
— D’ordinaire cinq, mais comme vous venez de Spyr, la vôtre sera à dix.
— Vous plaisantez !
— Tu demanderas à n’importe qui ici ce qu’ils pensent des gens de la capitale, dit-il avec un grand sourire.
— Vous êtes une crevure.
— Elle vient tout juste de passer à quinze. Maintenant, soit vous payez, soit vous fichez le camp d’ici avant que l’on vous mette dehors nous-mêmes.
Aydan pesta, mais il commença à fouiller dans sa bourse. Tanwen en profita pour lui poser une question.
— Et ces soldats ? Vous savez où ils vont ?
— Un messager m'a bien informé de leur destination, mais malheureusement, pas moyen de me souvenir où exactement.
Aydan posa les pièces sur le comptoir et l’aubergiste tendit le bras pour les saisir. C’est alors que Tanwen agrippa son bras et planta sa dague à quelques centimètres de son index.
— Et maintenant ? Dit-elle. Est-ce que cela vous aide à retrouver la mémoire ?
Les autres clients accoudés au comptoir se levèrent brusquement, mais l’aubergiste leur fit signe de se calmer.
— C’est bon. C’est bon. Rasseyez-vous, les gars. Il serait dommage de gâcher une soirée aussi rentable.
Les hommes obéirent et rangèrent aussitôt leurs armes qu’ils gardaient sous leur tunique.
— Tu me plais, toi, dit-il à Tanwen. Si tous les spyriens avaient autant de cran, alors peut-être que leur empire se porterait mieux. Pour ces hommes, il s’agit de la troisième légion, ils viennent tout droit de Mentis sur ordre de la Flamme de la Guerre, pardon de notre nouveau grand roi Sirius.
Ses compagnons ricanèrent lorsqu'il prononça son nom et l'un d'entre eux se mit même à mimer des aboiements.
— Ils comptent patienter ici un moment pour attendre d’autres légions en provenance de Spyr, mais également d'Astrie. Ensuite, ils traverseront l’Ydra au nord de Laxis pour prendre les troupes de Dérios par surprise.
— Alors c’est officiel, la guerre est déclarée ? Demanda Aydan.
— On a appris la nouvelle dans la matinée. J’imagine que la moitié de l’empire doit être au courant maintenant. Vous savez tout ce que vous vouliez savoir.
Tanwen jeta un regard à Aydan avant de retirer son arme.
— N’empêche, payer sa chambre quinze pièces. Vous devez vraiment être désespérés, dit-il en riant, suivi par ses camarades de beuverie.
Au vu du prix, le tavernier eut la décence de leur offrir un verre qu’ils savourèrent sur une table miraculeusement libre dans un coin de la pièce. Tanwen se sentait oppressé par le nombre de clients présents dans la taverne et elle avait encore en travers de la gorge la façon dont ils s’étaient moqués d’eux. Avec les Kléptars, un incident pareil ne se serait jamais produit et le tavernier leur aurait offert la chambre pour une bouchée de pain. C’était bien la seule chose qu’elle regrettait de sa vie d’antan.
— C’est à Dérios que tu as appris à négocier de la sorte ? Demanda Aydan en buvant une gorgée de sa bière.
— Ce n’est pas qu’à Dérios. Ce genre de types, on en trouve sur tout le continent.
— À Spyr, les guildes imposent des prix fixes en avance. Je ne comprends pas ce que fait le gouverneur de Laxis pour qu’on le laisse agir à sa guise.
— Parfois, j’ai vraiment l’impression que tu n’as jamais quitté Spyr, répondit-elle en soupirant.
Ils continuèrent de discuter autour d’un verre lorsque les portes de l’auberge s’ouvrirent avec fracas. Tanwen faillit faire une crise cardiaque lorsqu’elle reconnut la tenue d’un garde du Palais. Ceux qui l’accompagnaient étaient des soldats ordinaires et ne semblaient pas spécialement ravis d’être sous ses ordres au vu de leur mine renfrognée.
Le garde scruta la pièce du regard et Tanwen dissimula sa chevelure rousse sous la capuche de sa cape. Heureusement, ils étaient assis dans le fond de l’auberge et aucun d’entre eux n’avait de tenue voyante, Aydan s’étant débarrassé de son armure de garde juste avant de quitter Spyr. Dès qu’il eut terminé de sonder les alentours, lui et ses hommes se dirigèrent d’un pas rapide vers le comptoir du tavernier qui posa délicatement un verre qu’il venait d’essuyer. Leur entrée fracassante avait provoqué un certain silence dans l’auberge si bien qu’ils purent entendre leur conversation.
— Je cherche deux personnes, dit le garde de but en blanc.
— Encore un autre Spyrien, fit remarquer le tavernier à ses camarades.
— Il s’agit d’une jeune femme à la chevelure rousse et d’un garde aux cheveux noirs, continua l’homme.
Tanwen sentit son sang se glacer dans ses veines, elle tira doucement Aydan par le manche pour lui faire signe de partir. Mais la sortie était bloquée par des soldats et elle ne voyait pas comment se frayer un passage au travers de tout ce monde.
— Qu’est-ce que tu offres en échange ? Demanda le tavernier.
— J’implorerai Pyra de brûler cette ville en dernier, répondit-il froidement.
— Ha, ha, regardez ça. Il parle comme ces foutus prêtres. Écoute-moi bien, les seuls Adorateurs que je respectais étaient ceux de Laxis avant qu’ils ne soient tous remplacés par vos fanatiques.
Le garde commençait à s’énerver, mais l’un des soldats qui l’accompagnait posa une main sur son épaule.
— Et si tu allais prendre l’air ? Dit-il. Je t’informerai si je trouve quoi que ce soit.
Le garde lui lança un regard méfiant, mais il finit par obtempérer et il se dirigea vers la sortie.
— Pardonnez-le, c’est un garde du Palais dépêché par Spyr. Il ne fait pas partie de nos hommes.
— Il faudra lui dire de se calmer, répondit l’aubergiste. Décidément, ces Spyriens n’ont aucune manière.
— Oui, la route depuis Mentis fut plutôt longue. Il est encore plus à cran que d’habitude, plusieurs des siens sont morts récemment en se rendant en Astrie.
— Je suppose que Gladius ne doit pas beaucoup apprécier ces clowns.
Le soldat sourit.
— En effet. Il a refusé de participer aux opérations prétextant qu’il devait encore mater des rebelles dans sa région. Je pense surtout qu’il refuse d’obéir au nouveau gouvernement de Spyr. C’est le roi Sirius en personne qui est censé nous retrouver ici avec d’autres légions avant de passer la frontière.
— Si Sirius est à la manœuvre, alors la guerre devrait être pliée rapidement, dit-il en servant un verre au soldat. Quel dommage qu'il ait décidé d'être le chien de garde de ce prêtre taré.
— C’est vrai ce que l’on dit ? Qu’il serait le fils caché d’Aurel ? Demanda un autre client accoudé au comptoir.
— Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis Novi-Fyr, ce n’est plus le même homme. Maintenant, il est juste le pantin de la Flamme de la Foi, voilà tout.
Il but son verre d’un trait puis le reposa sur la table.
— Bon, et vous n’avez rien aperçu ? Pas de jeune femme rousse ni de gardes à ses côtés par hasard.
Il eut un moment de silence avant que le tavernier ne réponde.
— Non. Beaucoup de monde passe par ici dernièrement, mais rien qui y ressemble.
Le soldat soupira.
— Très bien, je vous remercie. Et encore, désolé pour le dérangement.
Il le salua avant de sortir à son tour, suivi par le restant des légionnaires. L’agitation réapparut aussitôt dans la taverne comme s’il ne s’était rien passé. Tanwen s’écroula de soulagement sur sa chaise.
— On a eu de la chance, dit Aydan. Allons dans la chambre, l’on montera des tours de garde pour la nuit.
Tanwen accepta et vida son verre avant de le suivre. Sur le trajet, elle jeta un regard à l’aubergiste qui lui fit un clin d’œil en souriant.
La nuit se déroula sans aucun incident, si ce n’est qu’encore une fois Tanwen eut du mal à trouver le sommeil. Ils partirent tôt le lendemain et galopèrent sans s’arrêter jusqu’à arriver en vue de l’Ydra. Il y avait un pont qui se trouvait au niveau d'un petit village à proximité, mais l’emprunter était bien trop risqué, car des gardes de chaque côté étaient aux affûts. Et puis le fleuve n’était pas si long et pouvait facilement être traversé à la nage. Après avoir vérifié que l’endroit était désert, ils s’arrêtèrent sur la berge. Tanwen était plutôt bonne nageuse et avait eu l'occasion de s'entraîner dans le Soleil Bleu à Dérios. Bien qu'ici le courant soit plus important, elle prit autant d'affaires que possible avec elle. De toute façon, sa monture ne pourrait pas la suivre dans le fleuve, alors autant ne rien laisser. Alors qu’elle était presque prête à s’élancer dans l’eau, elle remarqua qu’Aydan n’avait toujours pas bougé.
— Et bien alors ? Magne-toi !
— Je ne peux pas t’accompagner, dit-il.
— Tu plaisantes, on y est presque. À moins que tu ne saches pas nager ?
— Il n’y a pas que ça, admit-il. C’est ici que nos chemins se séparent. Il me reste encore des choses à faire du côté de Spyr. Des gens que je dois aider.
Tanwen eut un choc. Elle avait l’impression d’entendre Luke lui expliquant de nouveau qu’il souhaitait sauver ses amis. Bien sûr, Aydan n’était pas Luke et, malgré les quelques jours qu’ils avaient passés ensemble, elle se souvenait très bien de ce qu’il avait fait. Néanmoins, elle ne le considérait plus comme un ennemi. Cette escapade qu'elle avait vécue à ses côtés lui avait fait prendre conscience qu'il n'était définitivement plus le même homme qu'elle avait affronté à Ortie. C'est pourquoi elle le regarda droit dans les yeux avant de déclarer :
— Si c’est vraiment ce que tu veux, vas-y. Mais ne finit pas comme lui.
Aydan hocha la tête en souriant tristement.
— Bonne chance, j’espère que tu arriveras jusqu’à Dérios à temps pour mettre un terme à tout ceci.
Elle hocha également la tête avant de se retourner et de plonger dans l’eau froide du fleuve.
Je comprends Aydan, j'arrêtais pas de me poser la question de quand il allait se soucier de ses parents, de sa soeur ou même de Liam.
En tout cas chapitre très intéressant, le moment à la taverne était vraiment sympa. j'étais presque sûr que le tavernier allait les dénoncer mais finalement il a vraiment été impressionné par Tanwen.
Juste une petite suggestion de forme :
"C’est tout ! S’exclama le tavernier en riant" -- j'aurais plutôt mis "C'est tout ?!"
A plus ^^