Chapitre XI

Par Fidelis

Jour trois, cité de l’Étoile, branche Est, bloc 624, foyer 77.

Travailler en horaire décalé n’a jamais été une mince affaire pour l’organisme. Le premier jour de repos qui venaient ponctuer la période d’activité nocturne de Valéri était toujours altéré. Il se réveillait aux alentours de midi, l’esprit confus, privé d’une partie de ses heures de sommeil.

Pour bien réaliser qu’il se trouvait dans cette période, il avait pré enregistré une mélodie différente alimentée sur batterie, qui ne lui laissait aucun doute sur la temporalité du moment. Elle lui signifiait aussi une chose, moins attrayante que de penser qu’il n’allait pas travailler. Il devait nettoyer à son conapt.

C’est ce bruit d’emballage froissé qui l’interpella au moment d’ouvrir les yeux. Comme si, une bête sauvage s’était introduite chez lui, et fouillait ses restes sans vergogne pour se confectionner un menu gastronomique. Logeant au septième étage, il émit un doute.

Il crut d’abord à des parasites qui provenaient de l’extérieur avant d’identifier le son du polystyrène de ses plats précuisinés qui ne demandaient qu’à être réchauffés. Il releva son buste, en s’appuyant sur ses coudes, les sourcils froncés en direction de la porte entrouverte qui donne sur son salon salle à manger cuisine et dépendance. La formule tout-en-un ou, du, en même temps, le fameux concept libéral qui s’appliquait aussi dans les logements précaires.

Petite satisfaction, mais qui avait son importance, il nota au moment de sortir de son lit la température clémente, ce qui signifiait que son bloc était alimenté. Les médocs de sommeil immédiat qu’il avait pris la veille engourdissaient son esprit dans un état de semi-léthargique avancé.

Il poussa la porte, et se figea.

Au milieu de son salon, deux hommes vêtus d’une combinaison bleue, se batailler avec les restes qui débordaient de sa poubelle.

Il ferma les yeux, pas sûr de comprendre, avant de retenter l’expérience pour les découvrir à nouveau, au même endroit. Ils cessèrent de se chamailler en constatant sa présence, s’immobilisèrent comme s’ils attendaient une réaction de sa part.

Valéri referma la porte, respira à plein poumon, fit un point rapide sur la situation, ce qui l’embrouilla un peu plus, car la vision qu’il venait d’avoir n’avait aucun sens logique dans son esprit.

Il réouvrit à nouveau, pour tenter de se persuader qu’il subissait un blocage obsessionnel dû à sa journée de la veille, pour les redécouvrir toujours planté au milieu de son salon. Ils s’étaient raidis et affichaient un large sourire comme pour bien lui signifier qu’ils n’avaient aucune mauvaise intention, si ce n’est lui finir ses restes de la semaine.

Il les reconnut de manière imparable. Non pas en raison de leur ressemblance réciproque ni même de leur combinaison bleue avec des liserais lumineux, mais bien à cause de l’abat-jour que l’un des deux portait sur la tête.

Il y a des situations délicates dans la vie, dont on n’est jamais sûr de la réaction que l’on adopterait sans n’y avoir jamais été confronté. Il eut juste le temps de les entendre le saluer.

— Bonjour agent de sécurité Valéri…

Qu’il choisît de prendre la fuite, pour partir à vive allure en direction de la sortie. Leur présence incluait dans son esprit qu’ils avaient dû, pour pénétrer déverrouiller sa porte, et qu’il lui serait donc aisé de la franchir, même en y arrivant à une vitesse assez significative. La suite lui démontra que non, elle était toujours fermée de l’intérieur. Il rebondit dessus pour s’étaler de tout son long sur le sol.

— Nous sommes désolés d’avoir interrompu votre sommeil, mais nous tenions à venir vous saluer après notre rencontre d’hier, au magasin.

Il se frottait la tête, et en profita pour constater que tous les éléments de sécurité qui la rendaient inviolable, dont l’un d’entre eux devait à présent être imprimé sur son crâne, se trouvaient tous, bien à leur place.

Après la fuite, avorté, il retraversa le couloir pour faire face au danger et se munit d’une chaise, qu’il dressa entre lui et les agresseurs identifiés de sa poubelle.

— Comment êtes-vous entrés, qui êtes-vous et vous voulez quoi d’abord… Il jeta un œil à sa poubelle… en dehors de mes emballages gras, je veux dire ?

L’abat-jour confirma.

— Très bonne nourriture, pas la même qu’hier, mais très bonne aussi.

Valéri s’interrogea, est-ce qu’une nouvelle espèce de parasite avait remplacé les rats dans la cité Étoile, il se pinça la lèvre et se reprocha son mode de vie recluse.

— Toi, je t’avais dit de remettre cet abat-jour à sa place, et pourquoi vous me suivez jusque chez moi !

Il repensa d’un coup à un son vieux pistolet à balle en caoutchouc. Il devait traîner dans sa chambre depuis au moins cinq ans et ne l’avait jamais utilisé, et pour cause qui voudrait cambrioler le conapt d’un crevard au septième étage d’un bloc miteux.

Le deuxième continua son approche trop bien enguirlandée, selon Valéri.

— Votre magasin est un endroit exceptionnel et nous tenions à vous le faire savoir, d’ailleurs, nous avons de grands projets à son intention, et si nous sommes venus chez vous c’est juste pour vous l’annoncer.

Leurs voix semblaient étranges, s’aperçut Valéri, ils n’articulaient pas de manière naturelle, comme s'il s'agissait une forme d’apprentissage chez eux.

Il commença de façon très discrète à se diriger vers sa chambre. La chaise toujours bien ancrée dans ses mains pour les garder en respect, même s’il devait se l’avouer, ils ne donnaient pas une impression de dangerosité.

— Alors, d’abord, ce n’est pas mon magasin, je n’y suis qu’employé. Mais, vu votre comportement d’hier, j’ai peur que vos projets ne collent pas tout à fait avec l’image du Megaraptor, et encore moins avec les dictâtes de l’Impératrice.

Ils échangèrent un regard, qui soulignait leur incompréhension, Valéri en profita pour continuer d’avancer à petits pas en direction de sa chambre, pour finalement s’y précipiter et la refermer derrière lui. Il la barricada du mieux qu’il put sans oublier de les avertir d’un ton plein de menace.

— JE VOUS PRÉVIENS J’AI UNE ARME, SI VOUS ESSAYER D’ENTRER J’EN FERAI USAGE !

Il se mit à fouiller le bordel qui lui servait de chambre pour retrouver l’antiquité ainsi que ses munitions.

Un sourire malsain éclaira son visage, après une vérification rapide de son chargeur. Il revient à pas lent vers la porte en tenant son flash-ball d’une main, comme un enquêteur de bien-être prêt à réaliser un flag sur une salle de plaisir clandestine.

Il s’apprêta à actionner la poignée.

— JE VOUS PRÉVIENS J’ARRIVE ET ÇA VA MOINS RIGOLER !

Il l'ouvrit tout doucement, de moins en moins sûr de ses actes.

— J’AI UNE ARME A LA MAIN, VOUS M’ENTENDEZ ET SI VOUS ÊTES ENCORE LÀ, VOUS ALLEZ LE REGRETTER !

Il déglutit et se demanda, vu l’absence de bruit, combien de chance avait sa menace d’être prise au sérieux, puis donna une impulsion à la porte, le Flash-Ball braquait dans leur direction.

— ON LÈVE SES MAINS !

Au moment où elle s’ouvrit pour s’arrêter sur son butoir, il découvrit le salon, sans plus aucune présence étrangère, avec juste une particularité qui lui fit foncer les sourcils.

Sa poubelle était vide.

L’arme tendue, il regagna l’entrée du logement, pour constater rien n’avait changé, pour lui les deux inconnus devaient toujours se trouver dans les murs, ce qui le rendit encore plus nerveux. S’ils tentaient de se dissimuler, c’est qu’ils avaient de mauvaises intentions, conclut-il.

Le problème c’est qu’il n’y avait pas quarante mille endroits pour se cacher. Après avoir inspecté les chiottes salle de bain, renversé son canapé, balancé un coup de pied dans le tas de détritus qui jonchait le sol, en vint, il ne voyait pas très bien où ils pouvaient se planquer.

Il se demanda alors s’il n’avait pas hier confondu les pilules bleues des somnifères homologués avec une de celle du marché noir. Favorable aux hallucinations en tout genre, voire obsessionnelles, comme des inconnus que l’on croise la veille.

À bout d’explications tangibles, il retomba sur une chaise désœuvrée par l’apparition et surtout la disparition des deux suspects.

Dans un besoin urgent de renouer avec la réalité, il prit son téléphone et appela, la seule personne à qui il pouvait se confier, son collège de travail, Uriel.

 

 

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sakumo91
Posté le 27/03/2025
C'est sûrement la réaction que j'aurais aussi et ça le rend dotant plus humain. J'adore cette histoire. Ca fait partie de mes histoires préférées sur plume d'argent.
Fidelis
Posté le 28/03/2025
Ah oui l'histoire est folle, mais la réaction est cohérente, et la suite continue sur le même délire, merci à toi Sakumo pour tes encouragements
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