Chapitre XII

Par Fidelis

Le téléphone sonna.

Uriel, bien loin de ce que pouvait s’imaginer Valéri, ne se trouvait pas chez lui, mais sur son lieu de travail, au magasin. Il était passé par l’entrée des employés avec son badge, et avait ensuite emprunté le costume d’un agent d’ambiance. Son souhait, se fondre dans la masse au milieu des clients, qui ne prêtaient pas plus attention aux personnes déguisées en saucisse pour vendre de la choucroute qu’en Pinouf le pingouin très célèbre mascotte du petit écran. Il intervenait dans tous les programmes. Donné un coup de main au présentateur météo, s’incrustait sur les plateaux politiques ou encore dans la minute de l’implant. Émission créée pour vanter les mérites des dernières possibilités que la génétique offrait, comme les isotopes mutagènes ou autre puce de la taille du nanomètre.

L’agent de sécurité grimaça quand il comprit que c’était Valéri qui tentait de le joindre, et ça pour deux raisons. C’était son jour de repos. Il ne voulait pas qu’il apprenne qu’il sillonnait les rayons. Son idée, mettre la main sur les complices des deux suspects, il désirait être remarqué par l’Impératrice, dont le souvenir lui donnait des frissons dans la verge à chaque fois qu’il y pensait.

La deuxième était d’un ordre plus pratique. Il avait fait le guet depuis un moment en face des livres, sous le déguisement de Rat-bite, une figure haute en couleur. Moitié rat, moitié lapin avec une grosse bite, qui faisait d’ordinaire marrer les plus petits comme les plus grands. Il avait pris soin avant de se positionner, de revisionner les images, pour tenter d’identifier la personne âgée, visible sur l’écran à côté de mocassin d’indien, au moment où il commençait à se pisser dessus.

L’Impératrice l’avait bien souligné, c’est évident que les deux agresseurs agissaient avec des complices, et c’est là qu’il rajoutait sa touche de fin limier. Uriel était persuadé que les vieux portaient aussi des déguisements, afin de passer inaperçus, et avait réussi à choper un suspect.

L’avantage avec cette tenue de Rat’bite c’est qu’une fois le bras glissé autour du cou de l’individu, toutes ses protestations s’étouffaient dans les tissus très amples du costume. Il l’avait ensuite amené dans un endroit qui n’était pas couvert par les caméras pour lui poser quelques questions.

C’est juste à cet instant, que son téléphone s’était mis à sonner.

Il décrocha.

-Fall’… mmm… fot’

Valéri ne pipait rien, il se demanda s’il avait composé le bon numéro.

– Uriel, c’est bien toi, tout va bien ?

La fausse mascotte émit un râle, le vieux s’agitait. La tête démesurée du costume de Rab’bite, ne ne lui permettait pas de se faire entendre de manière convenable. Il la retira donc d’un geste agacé juste avec une main, pour la laisser tomber sur le sol.

– Fais chier, oui c’est moi qu’est ce qui t’arrive !

Valéri, rassuré, tenta de lui expliquer les raisons de son appel.

– Euh je crois que j’ai un problème, ou enfin deux plutôt.

Uriel leva les yeux au ciel et resserra son emprise autour du cou de sa prise qui continuait de s’agiter.

– Ah ouais, mais ça, je le savais déjà, je suis le premier à te le dire… puis à l’intention du vieux… arrête de bouger pas toi bordel !

– Hein quoi ?

– Non non je parle à ma femme, bon, dis-moi en dehors de ta crise existentielle, t’as un truc important à me dire, parce que là, j’suis un peu occupé.

À l’autre bout du fil, Valéri prit une grande inspiration pour finir par lâcher le morceau.

– Oui, écoute bien, j’ai reçu la visite, chez moi, des deux mecs en combinaison bleue qui sévissent dans le magasin.

S’en suivit un silence assez long, qui laissa le temps à la publicité du rayon, brico parano, de débiter son pitch.

– … Les nouvelles dalles en titane en tous coloris ou motifs animés vous protégeront non seulement des cris du voisin, mais aussi de l’atomisation de votre quartier…

Slogan qui n’échappa pas à l’oreille vigilante de Valéri.

– T’es au magasin ?

– Mais non, qu’est-ce que tu vas t’imaginer, j’ai fait une copie des annonces pour mes jours de repos. C’est pour rester dans l’ambiance, sinon ça me crée un stress, dis-moi je pige rien à ton histoire, tu veux dire que les kidnappeurs sont venus chez toi… te kidnapper ?

Nouveau silence.

– Euh, non, pas tout à fait, ils m’ont juste vidé ma poubelle, ensuite j’ai sorti mon vieux Flash-Ball et ils se sont volatilisés.

Uriel répéta la fin de sa phrase, pas certain de bien comprendre.

– Ils ont disparu ?

— Oui, comme je te le dis, ils se tenaient dans mon salon, j’y suis encore, et l’instant d’après, plus rien. La porte n’est pas fracturée, les fenêtres ne s’ouvrent pas, et je me trouve au septième étage, alors… Il continua sur un ton dépité… Ils ne sont plus là, c’est tout.

Uriel gonfla ses joues.

– Ouais mec, tu sais quoi, t’as besoin d’aide, tu peux pas rester comme ça.

– Non, mais je t’assure, moi aussi j’aurais douté s’ils n’avaient pas embarqué la poubelle avec eux, c’est quand même un signe. Elle était pleine, maintenant elle est vide. Ils fouillaient dedans quand je les ai surpris !

– Tu les as surpris en train de fouiller dans ta poubelle, tu veux dire que les mecs se sont introduits chez toi pour te voler ta poubelle… Il gonfla ses joues une nouvelle fois, et poussa un profond soupir… Tu réalises bien que c’est complètement con ce que tu me racontes, tu veux que je te dise, on est pote, ne répéter ça à personne, ça va t’attirer des ennuis.

Au son de sa voix, il comprit que Valéri était vraiment mal à l’aise par le constat, qui lui parut évident même à lui.

– Ouais je sais, je sais.

– Bon écoute mec, une poubelle qui disparaît c’est facile à expliquer. Hier t’étais sous came, t’es allé la vider pendant la nuit et les hommes en bleu tu en faisais déjà une obsession la veille, alors y sont restés dans ta mémoire, c’est tout… Il adopta un ton plus compatissant… Voilà ce que tu vas faire, les portails viennent de s’ouvrir, je vais t’envoyer l’adresse du psy de ma femme. Il habite pas loin de chez moi, tu vas le voir au plus vite, et tu lui racontes tout ça, parce que là, tu me fais faire du souci. J’ai connu un gonze comme toi un jour, et le gars était persuadé de se faire voler sans arrêt sa poubelle, pour y remédier il a décidé de s’y installer dedans. Il a dû finir éparpillé aux quatre vents quand ses molécules se sont barrées par l’embout d’une cheminée d’incinérateur, alors tu plaisantes pas avec ça et tu vas le voir le psy.

Valéri réalisa que son collège n’avait pas tort, il avait dû confondre somnifère et hallucinogène, et, avec le bordel qui régnait chez lui, cela n’avait rien d’improbable. Il se trouva d’un coup un peu ridicule, au milieu de son salon, son Flash-Ball à la main.

– Ouais t’as raison, je vais faire ça, je sais pas ce qu’y m’a pris, ça doit être la fatigue.

– C’est rien mec, je t’envoie l’adresse… Jette un œil rapide au sommet du crâne du vieux tenaillé par son bras qui ne remuait plus… Dès que j’ai terminé un truc, mais t’inquiète, je m’en occupe, tu vas voir il est très bien, bon j’te quitte.

Il ferma son phone et relâcha son emprise, le vieux tomba comme un sac sur le sol, inanimé. Il laissa échapper un soupir de déception.

– Merde, puis, et pour éviter de se donner mauvaise conscience, rajouta, de toute façon c’était pas le bon, il lui ressemblait pas.. Avant de partir se remettre en planque.

À l’autre bout du fil, l’agent de sécurité se sentait mieux. Une explication logique, rien de tel pour s’ancrer à la réalité. Il balança son arme dans un coin en vrac, et alla se prendre une douche pour l’aider à rester sur cette même idée. Il lui fallait chasser les effets hallucinogènes, l’esprit un brin coupable d’avoir gobé n’importe quoi sans vérifier. Il se mettait en danger c’est son collègue qui avait raison, il avait deux jours de repos et il devait en profiter.

Une fois sorti de sa salle d’eau microscopique, il lut l’adresse et le nom du psy qu’Uriel lui avait envoyés et il prit aussitôt rendez-vous. Il réussit à se trouver un créneau le jour même, en fin d’après-midi.

Satisfait par l’idée qu’il redevenait maître de la situation, il s’installa devant la télé avec un saladier de pop corn, pour tuer le temps jusqu’à l’heure de sa séance.

 

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sakumo91
Posté le 30/03/2025
C'est toujours aussi juste et décalé à la fois. On pourrait presque croire à un enfant entre Philip K. Dick et Terry Gilliam. Continue comme ça même si j'aurais aimé plus de détails sur l'apparence de la mascotte.
Fidelis
Posté le 31/03/2025
Une meilleur description du Rab'bit, la chimère moitié Rat moitié Lapin avec une grosse **** non non j'peux pas, mais on la visualise assez bien je crois, et je suis déjà assez outrancier, ne m'encourage pas ^^
sakumo91
Posté le 31/03/2025
Tu as raison, dis comme ça c'est peut être mieux que ça reste un peu flou...
sakumo91
Posté le 31/03/2025
D'un autre côté je parlais de la mascotte de pingouin...
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