Chapitre XI : curiosité funeste

Notes de l’auteur : Je n'ai pas réussi à scinder ce chapitre c'est pourquoi il sera un peu plus long que d'ordinaire.

Le soleil venait de se lever lorsque Elinora s’avança pour présider la cérémonie du jour. Malgré les travaux, le temple et surtout l’hôpital devaient rester ouverts aux fidèles venus chercher des soins ou simplement une bénédiction de leur déesse. Et cela d’autant plus que l’entrée du tunnel était quasiment rebouchée et que peu de gardes étaient présents. Elinora se positionna devant la statue de Pyrel et entama une prière reprise en cœur par l’assemblée. Les novices se mirent à chanter des chants liturgiques sous la direction d’une prêtresse confirmée, tandis que d’autres déambulaient dans le grand hall du temple avec des encensoirs, l’inondant d’une douce brume parfumée. Elinora se donnait corps et âme à sa vocation de prêtresse. Elle aimait s’abandonner totalement au chant ou à la prière en vidant son esprit et en ne faisant qu’un avec les autres adeptes. Elle fit une pause durant laquelle elle accorda sa bénédiction à quelques croyants en quête de réconfort, puis se mêla de nouveau au chœur en chantant avec eux. Le temple se remplit de leur voix cristalline qui raisonnait avec grâce sur les parois et les voûtes de l’édifice. Les quelques fidèles présents se contentaient de garder le silence en se laissant transporter par cette mélodie envoûtante.

En jetant un rapide coup d’œil sur l’assemblée, elle remarqua au fond de la pièce la présence de Théa et du roi Éléon sur son fauteuil en bois. Cette brève vision la fit sortir de sa transe, mais elle ne quitta pas le groupe pour autant. Elle était dans son rôle de matriarche et non de conseillère, qu’importe ce que la famille royale avait à lui dire, cela passerait après la déesse. Elle continua à diriger les chants et ne se dirigea à leur rencontre qu’à la fin de la cérémonie.

— Magnifique voix, commenta Théa.

— Merci, Votre Altesse. C’est une bonne surprise de vous voir en personne au temple.

— Le roi Éléon est venu voir l’avancée des travaux, répondit Théa.

Éléon ne disait rien dans son lourd fauteuil en bois. Il contemplait avec fascination la flamme vacillante d’une bougie qu’une novice lui avait offerte à son arrivée.

— Les travaux avancent bien. Vos hommes ont très bien travaillé et l’entrée du tunnel devrait être totalement murée dans la journée.

— Peut-être pouvons-nous discuter un moment, le temps que Son Altesse constate les lieux par lui-même.

— Certainement, si vous voulez bien me suivre, ma reine.

Théa donna l’ordre à deux gardes d’escorter le roi avant de suivre Elinora dans ses quartiers. Une fois assise autour d’une table à l’abri des regards, elle déclara :

— J’avais besoin d’un endroit plus discret que le palais pour vous parler de ceci.

Elle tendit une lettre à Elinora qu’elle s’empressa de lire. C’était une missive assez brève de l’ambassadeur Rigas affirmant que tout se déroulait comme convenu. Il soutiendrait le parti de Prosper Domitor et de son fils Sirius dans sa conjuration en échange d’une aide de leur part en cas de troubles à Dérios.

Elinora l’avait informé de la conversation qu’elle avait surprise entre Daélia et Ignace, mais elle n'y avait guère prêté attention. Elle ne pensait pas la jeune princesse suffisamment folle pour comploter contre elle aussi grossièrement.

— Vous me croyez à présent désormais ? Demanda Elinora.

— En effet, je regrette d’avoir douté de toi. J’ai demandé à ce que l’on me remette toutes lettres entrant ou sortant du palais. Il est clair que quelqu'un envoie des missives à Rigas en se faisant passer pour Éléon.

— Comment comptez-vous procéder ?

— J’ai chargé quelques gardes de confiance de surveiller les déplacements de Daélia. Malheureusement, je n’ai pas de preuve suffisante pour l’arrêter en dehors de ton témoignage.

— Et Rigas ? Vous soutenez sa position ?

Théa réfléchit de longues secondes avant de répondre.

— Non. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête de Daélia, son plan n’est pas tenable. Si elle demande l’aide de Spyr afin de se débarrasser de moi, elle apparaîtra juste comme une traîtresse aux yeux du peuple. Par précaution, je vais tout de même demander à Rigas de faire machine arrière et de rester fidèle au gouvernement actuel de Spyr en révélant l’affaire au grand jour. Dérios n’aurait rien à gagner à voir sa rivale s’unir sous la houlette d’un seul dirigeant si leur complot réussit. Au contraire, un pouvoir fragmenté entre trois têtes nous est plus profitable.

— Maintenant que Rigas est impliqué, n’avez-vous pas peur que le scandale de la révélation ne pousse les dirigeants de Spyr à nous accuser comme responsables ? Ils pourraient penser que l’on a aidé à fomenter le complot, que l’on souhaitait prendre le contrôle de la cité et que l’on s’est ravisé. Par les temps qui courent, certains sénateurs sont enclins à trouver dans n’importe quel signe un prétexte pour nous déclarer la guerre.

— Pas si Rigas révèle tout à l’une des autres Flammes en secret. Qu’importe de qui il s’agit, il sera certainement trop heureux de pouvoir évincer l’un de ses rivaux. Laris pourra faire l’affaire. Je pense que Rigas saura trouver les bonnes garanties pour se montrer convainquant. Et s’ils désirent vraiment la guerre, alors je serais prête à leur rendre ce plaisir.

Elinora n’aimait pas du tout l’idée de se retrouver impliquée dans la politique de Spyr ni les velléités bellicistes de Théa.

— Je pense que nous ne devrions pas nous en mêler. Donnez simplement l’ordre à Rigas de se désengager du complot et réglons le problème de Daélia en interne. Je pense qu’en la confrontant directement, elle reconnaîtra ses torts.

— Ma chère Elinora, j’apprécie grandement ton aide ainsi que tes conseils, mais sache que tu es trop tendre lorsque tu es dans ton rôle de prêtresse. La politique n’a rien à voir avec les querelles religieuses dont vous avez l’habitude.

— Bien au contraire, ma reine, les querelles religieuses ont souvent débouché sur des affrontements violents par le passé. C’est pourquoi j’essaie de ne pas reproduire les mêmes erreurs que mes prédécesseurs.

— Eh bien, dans ce cas, vous comprendrez qu’il faut parfois jouer avec les règles et chercher la guerre pour trouver la paix.

Théa fit un geste de la main pour clore le sujet.

— Très bien, et concernant Ignace ? Demanda Elinora qui, de toute façon, ne voulait pas débattre sur un sujet où Théa ne changerait pas d’avis.

— Comment cela ?

— Je vous ai dit qu’il faisait partie du complot. J’ai surpris leur conversation dans les jardins du palais…

— Écoute, je sais que les relations entre les Adorateurs de la Flamme et le Culte de Pyrel sont pour le moins tendues en ce moment, mais je ne peux pas le faire arrêter pour un bruit de couloir. J’ai déjà fait augmenter sa surveillance, même s’il ne sort pas souvent de son temple.

— Renvoyez-le à Spyr ! Demandez à ce que l’on vous envoie un nouveau légat.

— Les Adorateurs risquent de ne pas apprécier et leur influence est de plus en plus importante à Spyr. Je dois d'abord m’assurer que Daélia ne fasse rien de plus stupide et également m’occuper de Lucio. Plusieurs des biens volés ont été retrouvés dans un vieil antiquaire de la basse-ville, c’était l’un de ses receleurs. Sans oublier ce prétendu Ordre, bien qu'ils se soient faits discrets dernièrement. Je réglerai le cas d’Ignace le jour où j’aurais des preuves accablantes contre lui. Pour l’instant, il restera à Dérios.

Théa se leva, faisant savoir que cette conversation était terminée.

Elinora se leva à son tour et la salua poliment alors qu’elle quittait la pièce. Elle resta seule, pensive quelques instants dans son bureau. Elle avait toujours entretenu de bonnes relations avec Théa afin d’assurer la prospérité de son culte. En échange de son aide, elle lui assurait le respect et la protection de sa foi au sein des terres de la cité. Cela n’avait jamais posé le moindre problème et cet accord tacite existait depuis des lustres entre les Enfants de Pyrel et la Couronne. Cependant, tout semblait s’accélérer récemment. Beaucoup d’officiers, de nobles et de marchands commençaient à se lasser de l’emprise de Théa sur son fils, inapte à exercer son titre. Elinora avait cependant conscience que la survie de son culte était étroitement liée au maintien de Théa au pouvoir. Si Daélia venait à prendre sa place, elle serait certainement bien moins tendre à son égard. Elinora n’avait donc pas le choix et devait supporter Théa malgré son côté revanchard et le fait qu’elle soit prête à tout pour rester sur le trône. Elle sortit brusquement de ses pensées lorsque l’on toqua à la porte.

— Entrez !

La porte s’ouvrit et Anna entra dans la pièce.

— J’espère que je ne vous dérange pas, Sainte-Mère.

— Pas du tout, Anna. Est-ce que Son Altesse royale est partie ?

— Le roi Éléon et la reine Théa ont pris la direction du palais il y a quelques minutes à peine.

— Très bien, de quoi souhaites-tu me parler ?

— Piers a des nouvelles au sujet d’Ignace. Il souhaiterait vous rencontrer ce soir pour en discuter.

Ignace. Ce prêtre allait finir par la rendre dingue. L’Ordre des brûlés ne l’avait toujours pas recontacté, et en dehors de son entrevue avec Daélia, il n’avait rien fait qui puisse paraître étrange ces derniers jours. Si ce n’est bien sûr la manière un peu trop réservée qu’il avait lorsqu’il s’adressait à elle. Par moments, elle avait l'impression qu'il préparait ses répliques à l'avance comme un poème qu'il réciterait à chacune de leurs rencontres. Elinora espérait enfin trouver quelque chose à son sujet qui pourrait soit l’innocenter, soit confirmer les craintes de l’Ordre à son sujet.

— D’accord, je passerai vous voir à la fin de la journée.

— Oh non, il souhaite vous retrouver devant la porte du temple au coucher du soleil. Il m’a dit qu’il avait quelque chose d’important à vous montrer.

— Je l’y attendrai dans ce cas. Merci beaucoup, Anna.

La prêtresse s’inclina et se dirigea vers la sortie lorsque Elinora ajouta :

— Je sais que toute cette histoire peut sembler quelque peu étrange, mais sache que ton aide m’est très précieuse.

Elle se retourna et lui fit un sourire plein de gratitude avant de s’incliner de nouveau et de quitter la pièce.

Elinora n’avait pas grand-chose à faire de sa journée et en profita donc pour prier. Nul besoin d’une immense statue en bronze, chacun pouvait se recueillir à sa façon devant une bougie ou une simple icône de la déesse. Elle avait toujours une petite sculpture en bois représentant Pyrel et Elinora la sortait régulièrement lorsqu’elle souhaitait prier seule à l’écart des autres. Elle posa la statuette sur une petite table en bois et s’agenouilla devant elle.

Cela ne faisait que trois ans qu’elle occupait la fonction de matriarche des Enfants de Pyrel. Elle avait d’abord commencé comme novice en ayant un âge déjà relativement avancé pour devenir religieuse. Après sa formation élémentaire, elle avait su grimper les échelons à une vitesse fulgurante en faisant preuve de ferveur et d’abnégation.

Elle pria pendant une bonne partie de la journée et vaqua à ses occupations habituelles jusqu’à la tombée de la nuit. Lorsqu’elle termina sa routine, elle se dirigea vers la sortie et ferma les portes du temple en saluant une patrouille de gardes qui passait dans la rue. À la suite du cambriolage, Théa avait jugé bon de garder l’édifice sous surveillance pendant quelque temps.

Piers l’attendait près d’une fontaine publique quelques mètres plus loin. Il lui rendit son salut lorsqu’elle s’approcha :

— Sainte-Mère, j’espère que vous avez passé une bonne journée.

— Plutôt bonne, je l’espère pour toi également, Piers. Anna m’a informé que tu avais quelque chose à me montrer.

— Oui, ce n’est pas très loin d’ici, suivez-moi.

Ils déambulèrent dans les rues de la cité et Elinora en profita pour l’interroger sur ce qu’il se passait au temple des Adorateurs. Il lui répondit qu’Ignace était toujours aussi discret. Il limitait ses apparitions en public et quand il en faisait, c’était souvent avec l’air épuisé, comme s’il n’avait pas dormi de la nuit. De nouveaux prêtres continuaient d’arriver de Spyr et Piers avait de plus en plus de mal à s’entendre avec eux. Il n’aimait pas leurs méthodes violentes ni leur dévotion outrancière, et encore moins leur intransigeance vis-à-vis des règles du culte. Règles qui évoluaient assez régulièrement depuis Spyr sans que les Adorateurs de Dérios n’aient leur mot à dire. Plusieurs croyants étaient déjà venus se plaindre au temple du comportement de certains de ces nouveaux prêtres nouvellement arrivés dans les rues de la capitale. Ce qui l’inquiétait réellement était la haine grandissante envers les Enfants de Pyrel et les regards conspirateurs que les autres Adorateurs lui jetaient sans cesse.

Après quelques minutes de marches, ils arrivèrent au pied des remparts. Piers s’y arrêta et pointa du doigt le bas d’une tour de garde.

— Approchez, voyez par vous-même.

Elle s’avança et remarqua un léger symbole sur le mur. Il s’agissait d’un sceau noir qui semblait avoir été gravé à même la pierre en la brûlant par endroits. Des formes ésotériques étrangères y étaient dessinées représentant un demi-cercle horizontal surmonté d’un rond et de trois traits ondulés.

— Et qu’est-ce que cela est censé signifier ? Demanda-t-elle en se retournant vers Piers.

Il haussa les épaules.

— Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai jamais vu pareil sigil auparavant et j’espérais que vous pourriez m’éclairer à ce sujet.

Elinora regarda le signe de nouveau. Étrangement, il lui semblait plus familier. Elle s’avait qu’elle l’avait déjà vu auparavant, mais impossible de se souvenir où.

— J’ai surpris une conversation de prêtres qui en parlaient au temple continua Piers. Au début, je croyais qu’il s’agissait simplement des agissements d’enfants provocateurs ou bien le signe d’un nouveau groupe de malfrat. L’on parle de plus en plus d’un ordre bizarre venu s’installer en ville récemment. Un soir, j’ai dû rester assez tard, car il me fallait alimenter le brasier. En allant dans la cour pour récupérer du bois, j’ai aperçu Ignace et deux autres prêtres quitter discrètement le temple. Comme je me demandais ce qu’ils pouvaient bien manigancer si tard, je les ai suivis jusqu’ici. Ils se sont arrêtés devant ce mur et se sont mis à réciter des prières que je n’avais jamais entendues depuis que j’ai revêtu la toge des Adorateurs. J’étais trop loin pour bien voir la scène, pourtant, j’aurais juré apercevoir des flammes sortir de sa paume. Après leur départ, je suis allé vérifier et j’ai découvert ce signe sur le mur. Je sais que ça peut vous sembler très étrange, mais je vous assure que c’est la vérité.

— Non, je te crois, Piers.

Elinora se mit à réfléchir à toute allure. Piers n’était pas du genre à mentir et semblait sincère. Si Ignace était vraiment à l’origine de ceci, elle devait à tout prix faire part de cette trouvaille à l’Ordre. Ils devaient sûrement en savoir davantage à ce sujet. Mais avant ça, elle voulait vraiment savoir où elle avait vu ce symbole étrange.

— Je te remercie, Piers, j’espère qu’ils ne t’ont pas vu les suivre.

— Je ne crois pas, ils ne se sont jamais retournés et semblaient totalement absorbés par leur tâche.

— Bien, je vais essayer de me renseigner au sujet de ce sigil, dit-elle. Je reviendrai vers toi dès que j’en saurais davantage.

— Malheureusement, je ne pense pas continuer encore longtemps. Sainte-Mère, dit-il soudainement. Je m’inquiète pour Anna. J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose à cause de moi.

— Anna et toi pourrez toujours trouver refuge au temple, je te le garantis.

— Ce n’est pas le problème, dit-il en secouant la tête. Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne sois remplacé et que je retourne à Spyr. Je ne sais pas ce qu’ils y font là-bas, mais j’ai vu des prêtres que je connaissais fort bien changer de tout au tout. Ces mêmes hommes, qui étaient autrefois bons et charitables, se retrouvent maintenant à traquer les hérétiques dans les rues. L’on a toujours eu certains cas problématiques parmi nos membres, mais rien de cette ampleur. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas l’intention de finir comme eux.

— Tu souhaites quitter le culte de Pyra ? Demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

— Non, si je suis devenu prêtre, c’est parce que je croyais sincèrement aux pouvoirs de Pyra et que je souhaitais répandre ces bienfaits aux plus démunis ou aux égarés. Pas les soumettre par la force à sa volonté sous peine d’être châtié. Je continue à croire en ma déesse, ce sont les hommes qui sont dans l’erreur, pas elle.

— Cela ressemble beaucoup à ce que disaient les premiers fondateurs du Culte de Pyrel, es-tu sûr de ne pas vouloir te convertir ?

Piers sourit en songeant à l’idée.

— Et laisser Anna me charrier jusqu’au restant de mes jours ? Certainement pas ! Non, à vrai dire, je pense quitter Dérios, reprit-t-il sur un ton plus grave. Je sais que dans le royaume de Lysandre, il existe des Adorateurs échappant au contrôle de Spyr. Je pourrais certainement rejoindre l’un de leur monastère.

— Est-elle au courant ?

— Pas encore, je compte le lui dire ce soir, je sais qu’elle comprendra.

Elinora était surprise, elle ne pensait pas la situation si terrible au sein des Adorateurs du Brasier. Il faut dire qu’en-dehors d’Ignace qu’elle croisait parfois dans les couloirs du palais, ses contacts avec des prêtres de Pyra s’étaient faits très rares récemment. Elle respectait le choix de Piers, elle s’inquiétait juste pour Anna et sa réaction au départ de son mari.

— Je te souhaite bon courage, Piers. S’il y a quoi que ce soit que je peux faire pour vous aider, toi ou Anna, n’hésitez pas à me le faire savoir.

— Je vous remercie, Sainte-Mère. Je viendrai vous faire mes adieux, soyez en sûre.

Ils se saluèrent et Elinora regagna sa demeure à côté du temple. Cette discussion l’avait intriguée au plus au point et elle ne pouvait pas trouver le sommeil sans avoir découvert l’origine de ce signe au préalable. À peine rentrée, elle se mit à fouiller dans la quantité d’ouvrages théologiques et d’autres écrits qu’elle possédait chez elle. Après une rapide inspection, elle se rendit vite compte qu’elle manquait de documents. Elle prit les clefs et se dirigea vers le temple qui contenait une petite bibliothèque en son sein avec divers volumes religieux. Elle choisit plusieurs livres qui lui semblaient être vaguement en lien avec sa quête, puis les emmena dans son bureau. Elle se mit à les feuilleter rapidement à la lueur d’une bougie.

La nuit défilait alors qu’elle se perdait dans ce puits de savoir, lisant des textes remontant jusqu’à Novi-Fyr et l’exode vers le nord des premiers adeptes du culte de Pyrel. Les guerres incessantes entre les partisans de Pyra et ceux de Pyrel ainsi que les grandes invasions ont accéléré la chute de l’empire d’Aurora et l’installation de certaines de ces tribus sur le territoire qui deviendra plus tard celui de Dérios. Étonnamment, il n’était que très peu mention de l’Ordre des Brûlés. Un seul livre abordait la formation d’un groupe visant à traquer Ignis qui se serait constitué par des partisans de Pyrel sans entrer plus dans les détails. D’autres évoquaient bien plus tard l’existence d’un supposé royaume à l’Est né d’un ordre militaire, mais sans réellement en connaître l’emplacement exact.

Elinora commençait à désespérer lorsqu’elle trouva un livre poussiéreux aux pages jaunies et émiettées par le temps. L’ouvrage traitait de l’histoire d’Aurora en regroupant des notes, semble-t-il, rédigées par un intendant royal et recopiées par des scribes plusieurs siècles après. L’homme tenait un inventaire des différents événements de la vie courante durant tout le temps qu’il avait occupé à son poste. Évidemment, cette liste était grandement incomplète et de toute façon Elinora n’en voyait pas l’utilité. Elle allait la refermer lorsqu’une phrase dans l’un des derniers paragraphes attira son attention :

Journée assez calme, l’hiver approche et il y a de nombreuses inquiétudes quant à la possibilité de nourrir tout le monde. Le gouverneur d’Iskelvergr continue de reporter des troubles des populations locales et demande l’envoi de troupes de la capitale. Un homme s’est présenté à la cour ce matin en affirmant avoir vu un signe étrange sur le mur de sa demeure. Il affirme que la désolation va s’abattre sur cette cité. Le général Paxius l’a renvoyé sur-le-champ en interdisant de déranger Son Altesse Ignis pour de telles sornettes.

Elinora rouvrit le livre et se mit à feuilleter les autres pages jusqu’à tomber de nouveau sur la mention du symbole :

… Des gardes auraient aperçu un nouveau signe sur le mur d’un temple durant leur patrouille. Ignis a souhaité inspecter le lieu lui-même, bien que ses conseillers n’y voyaient qu’une perte de temps… Des nouveaux fanatiques s’opposant à Pyra ont été arrêtés. Ignis a tenu à leur parler, la déesse s’est occupée de les punir elle-même…

Elle tourna la page suivante :

Les signes se multiplient en ville et les habitants commencent à les remarquer. Le roi Ignis n’est pas réapparu en public depuis un moment et demeure toujours introuvable…

Elle continua sa lecture, mais l’écriture devenait floue et illisible, le papier s’effritant sous ses doigts. Elinora ne parvint qu’à déchiffrer les dernières lignes :

Il ne reste rien, plus rien. Tout a brûlé et, ironiquement, ce livre est la seule chose que j’ai pu sauver. J’imagine qu’aujourd’hui se termine ma mission en tant qu’intendant. Je suis las, si las. Je pense dormir un moment. Après tout, la ville est si calme maintenant…

Elle relut ce passage plusieurs fois avant de relever la tête en réalisant la gravité de la situation. Elle tourna le plus délicatement possible la dernière page et vit dessiné au dos le même symbole qu’elle avait aperçu sur la tour de garde. Elle en avait le cœur net à présent, ces signes étaient apparus peu avant l’incendie d’Aurora. Demain, elle devrait à tout prix contacter l’Ordre pour leur partager sa découverte. Elinora passa le restant de sa nuit à feuilleter des livres jusqu’à ce que la fatigue ne la rattrape et qu’elle s’endorme sur son bureau.

Ce sont des coups frénétiques à sa porte qui la réveillèrent le lendemain. Elinora mit quelques minutes à émerger en réalisant qu’elle était au temple et non chez elle.

— Que se passe-t-il ? Cria-t-elle en réponse aux battements sourds.

— Sainte-Mère ! C’est terrible ! Il y a eu un incendie dans Dérios !

Le sang d’Elinora ne fit qu’un tour et elle pensa immédiatement à ces lectures de la veille. Cela ne pouvait pas déjà se produire ? Elle ouvrit la porte et une prêtresse s’inclina aussitôt.

— Sainte-Mère ! Avez-vous bien dormi ? Vous semblez épuisée.

— Je vais très bien, je te remercie. Dit aux autres sœurs de se réunir et de se préparer à recevoir des blessés. Où se trouve l’incendie ?

— Tout de suite. Sainte-Mère. Vous verrez la fumée en sortant du temple, vous ne pouvez pas la manquer.

Elinora se prépara et sortit du temple. Elle ne put retenir un soupir de soulagement en constatant que la ville était toujours là. Le soleil était déjà haut dans le ciel, ils devaient être en fin de matinée. Une fumée blanche s’élevait d’une habitation en contrebas, signe que l’incendie était maîtrisé. Les habitants s’étaient relayés en formant une chaîne humaine jusqu’au puits le plus proche, tandis que des soldats dépêchés en renfort avaient supervisé l’opération. Elinora emprunta le chemin en direction de la bâtisse afin d’apporter son aide. Plus elle avançait, plus celui-ci lui semblait familier. Une pensée noire traversa alors son esprit et elle se mit à accélérer la cadence, bousculant sans ménagement les villageois se trouvant sur sa route. Alors qu’elle était toute proche de l’habitation, la foule compacte d’habitants venus aider à éteindre le feu ou simplement constater les dégâts l’empêchait d’avancer. Aucun d’entre eux ne disait un mot et tous affichaient une mine grave. Elinora entendit alors les cris d’une jeune femme devenir de plus en plus forts au fur et à mesure qu’elle jouait des coudes pour se rapprocher de la scène. Elle finit enfin par sortir de la foule et déboucha devant ce qui était la maison de Piers réduite désormais à l’état de ruine fumante. Anna était pliée en deux devant l’entrée et pleurait à chaudes larmes, brisant le silence des villageois par ses cris de désespoir.

 

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Talharr
Posté le 22/07/2025
Hello,
Pas mal d'informations, entre le symbole, Ignis qui disparait après avoir vu le symbole, tout est étrange. Ignace qui l'inscrit à Dérios. Intriguant.
Pour Piers, je m'y attendais quand il dit qu'il voulait partir, ça sentait le drame.
A l'ordre des brûlés et Tanwen d'aider notre prêtresse :)

Quelques remarques :
"Ils pourraient penser que l’on a aidé à fomenter le complot, que l’on souhaitait prendre le contrôle de la cité et que l’on s’est ravisé ?" -- je pense pas que ce soit une question.

"Sans oublier ce prétendu Ordre bien qu'ils se soient faits discrets dernièrement" -- une virgule ou un point entre ordre et bien.

"Cela n’avait jamais posé le moins problème" -- "moindre"

"lorsque Elinora ajouta ;" -- plutôt ":"

"Pas les soumettre par la force à sa volonté sous peine d’être châtié" -- "de sa volonté" plutôt ?

A la suite :)
Scribilix
Posté le 22/07/2025
Salutations,

Oui, pour Piers c'est un peu cousu de fil blanc. J'ai la fâcheuse tendance de tuer assez aisément mes personnages, peut-être un peu trop vite par moments. Pour l'enquête, ce sont en effet les mêmes symboles qui sont apparus à Aurora peu avant l'incendie. Je trouvais cela sympa de le faire au travers des archives et du journal hebdomadaire d’un conseiller de l’époque.
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