Chapitre XII : Le maître du Sénat

 

— C’est inacceptable !

Des cris de protestation s’élevèrent dans l’enceinte du Sénat. Les sénateurs se concertaient d’un bout à l’autre de l’hémicycle avant de revenir toujours plus bruyamment à la charge. Ils débattaient avec rage et argumentaient avec passion en laissant leurs émotions s’exprimer sans la moindre retenue dans l’hémicycle. Chose assez rare, la majorité d’entre eux était présente ainsi que les trois Flammes, ce qui n’arrivait en principe que pour les réunions obligatoires.

— Vous nous demandez de lever de nouveaux impôts sur notre fortune, alors que des sommes folles ont déjà été données le mois dernier ! S’époumona un sénateur rouge de colère. Peut-on savoir où se trouve le résultat ?!

— La population des faubourgs de Spyr meurt de soif pendant que vous tergiversez inutilement ! Répondit un second.

— Ce problème serait peut-être résolu si les Flammes avaient pris la peine de terminer l’aqueduc. Fit remarquer un troisième.

— Cet aqueduc est l’œuvre d’Aurel et il aurait dû être démonté, il y a bien longtemps ! Cria aussitôt un autre sénateur assis quelques mètres plus loin.

— Allons ! Allons ! Messieurs, calmez-vous.

Laris venait de prendre la parole.

— Une fois les festivités passées, nous nous occuperons du manque d’accès à l’eau qui frappe de plus en plus de nos habitants, je vous le promets. Mais pour l’heure, Spyr se doit d’être plus resplendissante que jamais. Tous nos efforts doivent se porter sur Novi-Fyr.

— Et combien cela va-t-il nous coûter ! Vous savez très bien que les finances de la République sont au plus bas.

— Comme chaque année, les festivités attireront des visiteurs de tout l’empire et au-delà. Les bénéfices réalisés par les commerçants seront taxés pour financer le coût des préparatifs ainsi que les futures dépenses d’aménagement de la cité.

Quelques remarques et critiques se firent entendre et les sénateurs s’en retournèrent aux débats sans être totalement satisfaits par sa réponse.

— Peut-être pourrions-nous suspendre encore certaines dépenses liées à l’armée en attendant ? Suggéra l’un d’entre eux.

Cette fois, ce fut Sirius qui se leva pour prendre la parole :

— Encore ! Le budget lié à l’innovation a déjà été drastiquement réduit et les légions restantes ont du mal à assurer la sécurité des habitants aux frontières de l’empire. Souhaitez-vous donc provoquer la chute de Spyr ?

Il n’avait jamais su faire dans la demi-mesure et sa réponse provoqua de nombreuses réactions entre ceux soutenant son point de vue et ceux l’accusant d’exagérer volontairement la situation. Bien sûr, il grossissait un peu les traits, la situation n’était pas si catastrophique, ce qui l’inquiétait en revanche était celle des gardes du Palais. Leur nombre n’avait cessé d’augmenter depuis les dernières semaines et Atrius semblait peu à peu s’en accaparer la gestion à lui seul.

— Peut-être pourrions-nous diminuer les fonds alloués aux gardes du Palais. Leur nombre et leur équipement surpasseront bientôt celui de la légion chargée d’assurer la sécurité de Spyr.

Plusieurs discussions reprirent aussitôt et des propositions fusèrent parmi les sénateurs 

— Il a raison, réduisons le nombre de gardes !

— Vous plaisantez ! Ces gardes sont le symbole de la République. L’on devrait au contraire supprimer la légion stationnée à Spyr.

— De toute façon, ils ne font rien d’autre que d’attendre dans leur caserne toute la journée, ajouta un autre.

Sirius répliqua aux critiques, mais finit par abandonner. Tout ceci n’était qu’une perte de temps et il était impossible d’arriver à un consensus même sur un sujet aussi simple que celui-ci. Tous ces petits hommes propres sur eux l’ennuyaient au plus haut point. Parfois, il lui venait à l’esprit d’user de son prestige dans l’armée pour s’en débarrasser en les arrêtant un à un. Avant de se raviser à chaque fois. Contrairement à son père, il n’était pas obsédé par le pouvoir.

Finalement, un autre sénateur continua les débats :

— Je voudrais souligner un point négligé jusqu’ici. Dernièrement, l’on assiste à une hausse des disparitions à proximité de Spyr et dans certains quartiers de la ville. Dans ces mêmes quartiers, le comportement abusif de plusieurs Adorateurs du Brasier nous a été plusieurs fois signalé.

— Et vous insinuez que les prêtres en seraient à l’origine ? Demanda Atrius d’un ton accusateur.

— Je n’insinue rien, je ne fais que relever des faits qui m’ont été rapportés.

— Eh bien, moi, je vous rapporte que les Adorateurs du Brasier ne font que répandre la parole de Pyra, comme cela a toujours été le cas. Je ne vois pas en quoi cela serait contraire aux principes de la République, à moins que les Spyriens n’aient décidé de se détourner de la foi. Mais je ne pense pas que cela soit votre cas, n’est-ce pas ?

— N… Non. Bien sûr que non, répondit l’homme légèrement décontenancé.

— Je jugerai personnellement les prêtres ayant manqué à leurs devoirs, continua Atrius non sans cacher son irritation. En ce qui concerne ces disparitions, je propose d’envoyer une équipe de garde du Palais enquêter dans la zone. À moins que vous ne considériez que s’assurer de la sécurité des habitants n’enfreigne encore leurs prérogatives.

— Pour qu’ils en enlèvent encore davantage ?! Cria quelqu'un.

Des cris d’indignation s’élevèrent aussitôt dans l’assemblée et Atrius les fit taire d’un revers de la main.

— Si vous n’avez rien de plus pertinent à dire, je propose de passer au vote.

— Je m’y oppose ! Cria Sirius.

Tout le monde se tut et se retourna dans sa direction. Il était rare que Sirius s’oppose aussi frontalement à une autre Flamme. Il avait plutôt tendance à chercher le compromis ou à laisser couler les critiques sans s’impliquer. 

— Je m’y oppose, répéta-t-il.

— Et puis-je savoir pour quel motif ? Lui demanda Atrius en grinçant des dents.

— Il appartient à des soldats professionnels de s’en occuper, pas aux gardes du Palais. Leur rôle est d’assurer la protection des institutions et c’est à cette tâche qu’ils sont le mieux formés.

— Dois-je vous rappeler que ces gardes sont avant tout des soldats et qu’ils sont tout à fait aptes à remplir ce genre de mission.

— Certes, mais ils ont souvent été en mission dernièrement et l’on a vu quel fut le résultat à Brys. Je pense que quelques jours de congé leur feraient le plus grand bien. De plus, cela fera un bon exercice pour les légionnaires de Spyr vu que nombreux ici doutent de leur utilité.

Plusieurs cris d’approbation émanèrent de l’hémicycle.

— Vous savez très bien que cet ordre a été créé justement afin d’éviter de faire appel à l’armée qui se trouve sous vos ordres. Peut-être que votre entêtement à les empêcher d’agir ne trahirait-il pas une plus grande soif de pouvoir ? Peut-être est-ce là ce que vous recherchez après tout, couper le Sénat de son moyen de défense légitime ?

Atrius se servait intelligemment d'une défiance ancestrale du Sénat contre la Légion. Lors des premiers temps de la République, nombre de sénateurs avaient eu peur que leur nouveau régime ne soit immédiatement renversé par un général ambitieux. Depuis lors, cette crainte persistait, tel un serpent de mer revenant sans cesse dans les débats. Sirius pouvait en dire autant de la menace que représentaient les gardes sous ses ordres.

— Et pourtant, voyez-vous, je ne cesse de m’interroger ? Qui les gardes du Palais servent-ils réellement ? Spyr ou bien vous et vos Adorateurs ?

— En servant Pyra, ils servent également tous les habitants de cette cité.

Sirius voulut répliquer avant de se raviser. Quelques mois auparavant, il l’aurait certainement envoyé balader lui et sa déesse, mais avec les visites récurrentes que lui rendaient Pyra, il ne savait plus trop quoi penser. D’un côté, il ne pouvait que reconnaître son existence et donc les fondements véridiques des Adorateurs du Brasier, bien qu’elle ne lui paraisse pas aussi grandiose que dans leurs contes. Mais de l’autre, il ne supportait pas de voir Atrius se constituer une petite armée juste sous ses yeux. Il voyait cela comme une menace envers le poste de Flamme de la Guerre qu’il occupait. D’autant que ces gardes étaient formés comme de vrais soldats. C’est Laris qui finit par répondre à sa place :

— Dans ce cas, peut-être pourrions dépêcher une mission mixte, composée de troupes régulières et de soldats du palais ? Qu’en pensez-vous ?

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, répliqua Sirius. Nous savons tous ici quelles sont les relations entre les légionnaires et les gardes.

— Ils ne feront que se gêner, surenchérit Atrius. Cela n’a aucun intérêt.

— Bien au contraire, continua Laris. Ça serait l’occasion parfaite de les faire coopérer. Après tout, les deux servent avant tout la République, n’est-ce pas ?

Sa proposition se voulait fondée et juste, mais le ton de sa voix indiquait qu’elle sonnait comme un avertissement adressé directement aux deux autres Flammes. Après encore quelques débats, la majorité des sénateurs acquiescèrent et proposèrent de passer au vote. Sans surprise, la proposition de Laris l’emporta et ce dernier se présenta encore une fois comme le véritable régent de la cité. Le vieux sage qui arrivait à s’imposer face au prêtre fanatique et au jeune général taciturne.

Les débats s’enchaînèrent encore un long moment sur divers sujets avant que les sénateurs ne se séparent. Atrius partit sans demander son reste. Sirius avait bien remarqué qu’il n’avait pas du tout apprécié qu’il s’oppose à son projet. D’autres sénateurs l’avaient complimenté pour sa fermeté, en regrettant cependant qu’il ne soit pas actif plus souvent lors des débats.

Sur le chemin vers le palais, il ne cessait de s’interroger. Pourquoi Laris laissait-il autant de contrôle sur les gardes à Atrius ? Ces soldats étaient normalement autant sous les ordres de la Flamme de la Plume que ceux de la Foi. Peut-être n’avait-il véritablement aucun attrait envers la chose militaire ? Même un excellent politicien doit pouvoir disposer d’une épée lorsque les choses se gâtent.

Le soleil était déjà en train de se coucher lorsque Sirius arriva devant ses appartements où l’attendait Odric. Il venait quelques fois lui faire des rapports sur la situation de la Garde, même s’ils évitaient au maximum de se rencontrer afin de ne pas trop éveiller les soupçons. Comme toujours, l’entraîneur garda un ton ferme et lui fit un salut militaire lorsqu’il arriva à sa hauteur. Sirius l’invita à entrer, mais ce dernier refusa.

— Je serais bref, dit-il. J’ai profité d’avoir des choses à faire au palais pour venir vous voir en personne, mais je ne peux pas disparaître bien longtemps avant que l’on ne remarque mon absence.

— Je comprends, comment se portent les recrues ?

— Celles que j’ai formées s’en sortent très bien, quoiqu’elles manquent encore un peu d’expérience. Pour les autres, Atrius a souhaité doubler le nombre de gardes et raccourcir leur formation. Plein de jeunes gens ambitieux se précipitent aux portes de la caserne rêvant de devenir garde sans en avoir les capacités.

— Je vois.

C’était à prévoir, former des soldats aguerris prenait du temps. Peut-être devait-il demander au Sénat d’imposer une limite aux nombres de gardes du palais, même si cela risquerait encore d’être perçu comme un coup de force contre les institutions de la République ou instrumentalisé comme tel.

— Et concernant cette mission à Brys, as-tu pu te renseigner ?

— Oui, les corps de nos hommes ont été retrouvés et les gardes partis en mission ont fait deux prisonniers. Ils sont en ce moment dans les prisons de Spyr, Atrius semble à tout prix vouloir les garder en vie.

— À quoi ressemblent-ils ? Demanda Sirius.

Odric secoua la tête.

— Je l’ignore. Atrius est très secret à leur sujet et n’autorise personne à les approcher en dehors d’une poignée d’hommes en qui il a toute confiance.

— Très bien, je vais devoir aller y faire un tour moi-même alors. Rien d’autre à signaler ?

— Rien, si ce n’est que des chants religieux ont été introduits dans la compagnie. Plus ça va et plus j’ai l’impression d’être un prêtre et non un soldat, soupira-t-il.

Sirius sourit. Odric était un officier endurci par ses années de service dans les légions de Spyr et n’avait absolument rien d’un prêtre. Au départ, il avait servi sous les ordres du roi Aurel, puis sous ceux de Prosper lorsqu’il était une Flamme. Lors de la création des gardes du palais, il s’était vu offrir un poste dans ce nouveau corps qui lui promettait une retraite confortable. Depuis toutes ces années, il n’avait pas cessé de rester fidèle envers Prosper puis Sirius lors de sa nomination.

— Que pense Laris de tout ce cirque ?

— Rien. Il vient quelques fois vérifier l’entraînement et la disponibilité des hommes. Pour autant que j’en sache, il ne réagit pas plus que ça aux mesures imposées par Atrius.

— Il faudra que je lui parle à ce sujet. Merci, tu peux disposer.

Il s’inclina et s’en alla tandis que Sirius partit dans le sens opposé. Cette histoire de prisonniers l’avait intrigué et il avait un peu de temps devant lui. Il sortit donc du palais et prit la direction des prisons avec son escorte de gardes personnels. Bien que la nuit tombait, l’air était encore bon. Ils arrivaient vers le milieu de l’été et les journées chaudes commençaient à s’enchaîner. La ville était pleine de vie et l’on pouvait sentir l’agitation à chaque coin de rue. Spyr était toujours en effervescence durant cette période de l’année et il ne s’y déroulait jamais une journée sans que des festivités n'aient lieu quelque part.

Sirius finit par arriver en vue du bâtiment. Il passa les lourdes portes grillagées sans problèmes et surpris les gardes de la prison paniqués qui ne s’attendaient pas à recevoir sa visite. Il inspecta les geôles avec ses hommes et déboucha sur un long couloir au bout duquel se trouvait une porte fermée. Devant étaient postés deux gardes du Palais qui lui barrèrent la route dès qu’il s’en approcha.

— Qu’est-ce que cela signifie ? S’étonna Sirius, outré qu’on ose ainsi se mettre en travers de son chemin.

— Mes excuses, votre honneur, mais cette partie est sous la direction de la Flamme de la Foi. Elle a explicitement demandé de ne laisser entrer personne, répondit l’un des deux gardes.

— Et cette prison est sous la direction de la Flamme de la Guerre, à ce que je sache. Maintenant, écartez-vous !

Les deux hommes hésitèrent et la tension monta d’un cran. Les soldats qui escortaient Sirius serrèrent le pommeau de leurs armes, prêts à dégainer. L’un des gardes du Palais échangea un regard avec son collègue et ils finirent par s’écarter à contre-cœur.

Sirius pénétra dans l’aile de la prison et fit signe à ses hommes de surveiller les deux gardes. Il inspecta les cellules qui s’y trouvaient, elles étaient entièrement vides. Plusieurs détails attirèrent néanmoins son intention. La cellule du fond contenait des traces de sang séché sur le sol et des empreintes de pas trahissaient des allers-retours fréquents dans le couloir. Par-dessus tout, une vive odeur de putréfaction et de sang émanait de l’endroit. Il ouvrit la trappe qui permettait d’accéder au four se trouvant sous la cellule, ce dernier était noir de suie. Les geôliers s’en étaient donc servis récemment pour torturer leurs proies. Sirius en savait assez. Il se retourna donc vers les deux gardes et leur demanda d’un ton grave :

— Où sont vos prisonniers ?

Personne ne lui répondit.

— Où sont-ils ?! Hurla Sirius en se rapprochant des deux hommes.

— De quels hommes est-ce que vous parlez ? Répondit l’un des deux gardes.

N’ayant pas la patience pour ces âneries, Sirius leva le bras en criant :

— Maîtrisez-les.

Ses hommes dégainèrent leurs armes et se jetèrent sur les gardes avant qu’ils n’aient le temps de réagir. Ils les plaquèrent contre le mur et, après les avoir désarmés, ils les forcèrent à s’agenouiller devant lui.

— Je vais me répéter une dernière fois, où sont passés vos prisonniers ?

— Atrius a demandé qu’ils soient transférés, répondit l’un des deux en grimaçant face aux soldats qui le maintenaient fermement.

— Où ça !?

— Nous l’ignorons.

Sirius soupira.

— Enfermez-les tous les deux dans la cellule, ils doivent être habitués à l’odeur. Et surtout, veillez à ce que personne ne vienne leur rendre visite. Cela leur fera réfléchir sur qui commande encore cette ville.

Les soldats s’exécutèrent aussitôt tandis que Sirius remontait les marches pour sortir de la prison. Il s’en voulait. Ces prisonniers étaient là, juste sous son nez, et il ne s’en était même pas rendu compte, trop occupé à jouer aux idioties mondaines imposées par son père. Résultat, Atrius avait eu le temps de les faire transférer avant qu’il n’ait pu intervenir et il n’avait aucune idée d’où ils se trouvaient maintenant. Le plus frustrant était qu’il n’avait toujours aucune information à leur sujet. S’il s’agissait juste d’assassins ou de voyous, ils seraient morts depuis longtemps, alors pourquoi Atrius semblait tenir à les garder en vie ? Il rentra chez lui la tête pleine sans être satisfait de sa virée.

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Talharr
Posté le 22/07/2025
Hello,

Début de chapitre intéressant, la montée en tension politique entre les Flammes continuent.
C'est ce qu'on veut savoir, qui sont les prisonniers mais bien évdemment Atrius à un temps d'avance.

Quelques retours :

"Plusieurs discussions reprirent aussitôt et des propositions fusèrent parmi les sénateurs ;" -- plutôt un "." ou ":"

"pour vous venir vous voir en personne" -- un "vous" en trop.

"Depuis toutes ces années, il n’avait pas cessé de rester fidèle envers Prosper puis Sirius lors de sa nomination" -- plutôt "il n'avais cessé".

"alors pourquoi Atrius semblait tenir à les garder en vie ?" -- "semblait tant tenir", je trouve que ça sonne mieux aha

A la suite :)
Scribilix
Posté le 22/07/2025
Re,
Tu auras la réponse pour les deux prisonniers mais pas tout de suite, il faudra encore patienter un moment.
Merci encore pour tes corrections et au plaisir de te revoir dans les chapitres suivant :)
Scrib.
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