Chapitre XII

Par Fidelis

Acelin s’était figé d’effroi, il porta avec difficulté son regard en direction d’Authaire tourné vers le parc qui continuait son récit.

— … Il n’y avait personne, mais la porte, elle, n’était plus inoccupée. Une substance à l’apparence de l’eau remplissait l’intérieur de la surface, là où l’on n’aurait dû apercevoir que le mur de la galerie. À la place, un liquide sombre et ténébreux qui ne reflétait pas la luminosité du chandelier.

Saisi par la terreur ou l’effroi, convaincu d’avoir perçu une plainte de femme à l’agonie, Acelin souleva l’énorme battant de bois qui la tenait close. Authaire du se retourner au même instant, l’apprenti n’eut que le temps de l’entendre hurler avant que tout ne bascule dans la démence.

— PAUVRE FOU, FERMEZ CETTE PORTE !

Il était trop tard, elle claqua contre les murs avec une violence inouïe. Le jeune homme trop curieux fut expulsé et se retrouva par terre sur le dos, l’imposant madrier en travers de son corps.

Une créature de cauchemar pénétra par l’ouverture, elle mesurait huit coudées de haut, sa forme se modifiait sans arrêt, c’était comme de l’eau très sombre animée par sa propre volonté.

Elle se composait d’un pied très épais, qui lui permettait de glisser sur le sol. Un tronc principal d’où sortait une dizaine de tentacules qui s’allongeaient ou se rétrécissaient très vite, avec au bout un visage de femmes dont les vociférations emplissaient le salon d’une frayeur innommable. Acelin reconnut les traits de la personne au bout des membres cauchemardesques.

C’était l’épouse d’Authaire.

Les cris devinrent épouvantables, un éclair d’une violence mêlé de rage frappa la fenêtre pour la faire voler en éclat. Le vent s’y engouffra, tel le souffle d’un démon qui vint éteindre d’un coup tous les chandeliers.

L’apprenti terrorisé par l’apparition recula, appuyait sur ses avant-bras, et se blessa sur les morceaux de verres brisés qui parsemaient le sol à de multiples endroits.

Authaire s’interposa entre la chose et lui, il ouvrit sa canne-épée, exécuta des moulinés pour la tenir en respect. L’abomination sembla le reconnaître. Elle cessa de hurler, les visages essayaient de parler d’une voix déformée.

— AaootHaIre… AaUThAirreee

L’ancien militaire ne désarmait pas pour autant.

— RETOURNE DANS TON NÉANT CRÉATURE DE L’ENFER !

Le jeune homme terrorisé sentit l’eau sur sa figure que le vent projetait par la fenêtre brisée. Il comprit d’instinct qu’il devait en profiter, et repoussa le lourd battant qui l’entravait pour se lever et s’enfuir par les volets détruits.

Dehors l’orage grossissait au-dessus du domaine, les bourrasques, la pluie et surtout les tonnerres se manifestaient de manière apocalyptique. Il courut comme un dément jusqu’à l’orée du bois, avant de se tourner pour reprendre son souffle. Les tentacules noirs sortaient à présent de plusieurs orifices de la maison, les effroyables cris continuaient, s’ajoutaient aux bruits des intempéries et arrivaient malgré les rafales de vent à se faire entendre.

Le tableau d’épouvante le saisit de terreur.

La demeure sembla alors se figer dans le temps.

La tempête se calma un court instant avant qu’une dizaine d’éclairs ne s’abattissent ensemble sur l’habitation. Elle s’embrasa de toutes parts avec la même facilité qu’un chandelier renversé sur de la paille bien sèche.

La scène cauchemardesque s’imprima à jamais dans son esprit.

Il s’enfuit au cœur de la nuit en courant le plus vite possible pour mettre assez de distance entre lui et cet endroit maudit.

Ses forces l’abandonnèrent peu à peu, son rythme diminua, jusqu’au petit matin où il découvrit un sentier qu’il se décida à suivre. Ce dernier le conduisit à l’entrée d’un village devant lequel il retrouva sa mule en train de brouter comme si rien ne s’était passé. Acelin la récupéra et se rendit chez le prévôt, afin de l’informer de ce malheur. Il lui fallut insister avant qu’on le laisse pénétrer dans le bureau du chef de la milice.

Un homme bien en chair avec une large moustache lisait des rapports avec attention. Il ne leva pas un regard sur Acelin, et lui déclara juste.

— Je vous écoute.

Le jeune apprenti ne savait plus par où commencer, Authaire, l’orage, la cave, les statuettes et surtout la créature.

— Un grand malheur vient de se produire, j’arrive en provenance du sud, il y a une maison à environ dix ou quinze lieues…

L’homme soupira avant de poser son feuillet pour l’interrompre d’un ton assuré.

— Dans cette direction, il n’y a qu’une habitation et elle a été détruite dans un incendie il y a cinq années avec ses occupants, paix à leurs âmes. Sir Authaire et son épouse ont péri dans la catastrophe, je ne vois pas ce qui pourrait s’y dérouler de plus terrible.

Acelin resta bouche bée devant le milicien qui continua sur un ton plein d’assurance pour bien lui faire comprendre qu’il valait mieux ne pas remettre en question ses affirmations.

— La foudre frappe souvent cet endroit, elle a dû enflammer de vieilles poutres avec l’orage à votre passage, je vous déconseille de vous y promener.

Il ne sut quoi lui répondre, sonné par cette déclaration.

Le jeune homme s’attarda un instant assis, la bouche entre ouverte.

Il réalisa qu’il rencontrerait beaucoup de difficultés à argumenter quoi que ce soit, après avoir pris connaissance de cette information, et aurait fait preuve d’imprudence à lui raconter l’entièreté de son histoire. L’apprenti acquiesça de la tête et repartit sans rajouter un mot. Il ne tenait pas à attirer l’attention des inquisiteurs, pourtant certaines paroles d’Authaire résonnaient encore dans son esprit.

"...Vous possédez, comme mon épouse, ce talent de voir des choses que certains n’imaginent même pas… »

Il ne sut jamais quoi en penser, même des années plus tard.

Quel secret cachaient ces pierres, et avait-il bien vécu tout cela, ou n’était-ce qu’une résurgence du passé ?

Un passé où il aurait joué un rôle actif et déterminait l’issue de cette famille et de cette maison.

Autant de questions auxquelles il ne pourrait jamais répondre, qui peuplèrent ses nuits de cauchemar, à l’approche des orages.

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Plume de Poney
Posté le 10/03/2025
Après Terry Pratchett et les Monty Python, voici que tu invoques Lovecraft dans mon esprit farfelu. C'est fort.
Pis c'est bien fait en prime, avec cette incertitudes sur la source de l'horreur, sur sa réalité...
Fidelis
Posté le 10/03/2025
Je suis démasqué, Lovecraft c'est bien invité à la fête, dans une France toute relative du XV siècle. Je suis parti du paradoxe final, ou il va avertir les autorités d'une catastrophe qui s'avère s'être déroule il y a bien des années, et ensuite Lovecraft c'est invité, et j'ai rien pu faire.

Tes commentaires me font toujours plaisir l'ami, bon pour la prochaine, on va calmer le jeu et le faire un peu se poser.
Il va rencontrer un personnage truculant, qui va l'accompagner ou du moins rester dans son girond jusqu'à la fin.

Merci à toi, pour tes encouragements.
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