Cette aventure, dont la dramaturgie ne changera en rien la manière de ranger les livres sur les étagères des bibliothèques, lui révéla un fait important. Il devait se montrer plus rigoureux dans ses choix, et ne pouvait se contenter d’un emploi si la nature de l’activité ne lui assurait pas un minimum de sécurité.
Sa crainte la plus sourde, dont il évitait de songer, résidait dans la volonté de ne plus jamais croiser de créature démonique, comme il avait eu droit.
Il effectua un long détour pour contourner les ruines de la demeure hantée. Au moment où il formulait ces pensées dans son esprit, il traversa enfin la frontière du duché, sans imaginer tout ce que cela pouvait impliquer. Jusqu’à présent, il avait en parti grandi à l’abri des tumultes de la vie. Tout d’abord dans son domaine familial de petite noblesse. Ensuite dans sa robe de bure derrière les murs bien épais du monastère.
Il ne s’était jamais intéressé aux joutes politiques ni aux conflits militaires qui laissaient des cicatrices conséquentes longtemps après que tout le monde eut rangé son épée. Hécatombes meurtrières qui rendaient les cultures orphelines et les maisons vides de paysans.
Les enrôlés à la va-vite d’hier terminaient enterrés à un rythme identique sur les champs de bataille, pour les plus valeureux d’entre eux. Ce qui leur donnait droit à une dernière marque d’attention et leur évitait de se faire dépouiller par les charognards qui nettoyaient toutes traces de ces conflits stériles.
Cicatrice douloureuse qui laissait le comté sans paysans, et un comté sans ses gueux, ce n’était plus tout à fait un comté. Afin de pallier ce problème, de la même façon dont une armée s’équipait, il était courant qu’après des échauffourées sanglantes, les autorités distribuaient à qui le voulait, un lopin ainsi qu’une fermette pour l’exploiter.
Acelin, jeune homme de bonne constitution, possédait plusieurs atouts indéniables pour prétendre à l’éligibilité de cette réforme agraire par défaut. Le premier, personne ne le connaissait, et le second, qu’il avait obtenu son trivium et débuté son quadrivium !
Le garçon comprit très vite l’opportunité qui s’offrait à lui.
Il entra dans le jeu des notables réunis pour l’occasion sur la place du village. Entouré d’une foule d’habitants joyeux qui en profitaient pour venir se rincer la glotte, en vidant les tonneaux, bien en évidence qui valaient dix recruteurs.
Juste à côté deux tréteaux et quatre planches.
Modeste mobilier de campagne, qui servait de bureau improvisé pour enregistrer les futurs exploitants agricoles. Le jeune homme interpréta cette rencontre providentielle comme un signe du destin, à qui il devait faire honneur, s’installer pour soutenir une communauté, évoquait chez lui la sensation de réaliser un acte moral.
Au moment d’apposer son nom à la suite des croix anonymes, il préféra pour plus de sécurité s’en inventer un nouveau et ainsi tourner une bonne fois pour toutes, la page sur son passé. Sa famille dont le statut leur exemptait d’éduquer leur progéniture l’avait envoyé, lui, le benjamin, loin de leur regard chargé de reproches, dans un monastère perdu. Sans oublier la mule de la « nature morte », qui ne manquerait pas de l’étiqueter comme voleur avant d’accepter sa disparition.
Lui savait se contenter de peu et ne demandait qu’une seule chose, la tranquillité. Son séjour dans l’atelier du botaniste, lui avaient fait apparaître certaines singularités chez les plantes dont il souhaitait poursuivre l’observation. S’occuper de leur nomenclature l’avait stimulé à travailler son latin et à le rendre contemplatif devant le spectacle des saisons.
Il signa, pour sa nouvelle identité, et d’Acelin de l’Amereître passa à Épiphyte de l’Amourette.
Il n’incarnait pas le nom d’un arbre prestigieux ou d’une fleur enivrante de couleur, mais celle d’une caractéristique qui inclue de nombreuses espèces. La particularité des épiphytes s’illustre dans le choix de leur lieu de vie, entre ciel et terre. Elles utilisent même la magie, diront certains pour assimiler des particules dans l’air ambiant, et cohabitent en grande majorité de manière positive avec leur hôte.
Mais la botanique effectuait ses premiers pas dans le monde de la science et l’on qualifiait ses nouveaux acteurs d’excentriques voire d’originaux.
Le nom Épiphyte ne ressemblait à rien de connu. À rien tout court si l’on y réfléchissait bien, et avait le talent des termes ignorés, de n’éveiller aucune émotion, aucun souvenir quand on l’entendait. Voire d’être très vite oublié, ce qui lui convenait comme un gant.
C’est d’abord étonné par cette idée puis amusé de la mettre aussitôt en application, qu’il apposa son patronyme en bas du registre officiel tenu par le bailli. Un godet de vin parfumé dans l’autre main avant de trinquer avec les villageois, ravis qu’une âme supplémentaire instruite et motivée s’implante dans leur charmante contrée.
En ce début d’automne, Épiphyte vit le jour, vierge de tout passé, dans un présent loin de tout privilège, mais avec le plus grand des atouts, la liberté.
Le contexte de cette nouvelle aventure pro pour notre héros est vraiment intéressant. Je ne sais pas à quel point la remise de terre de la sorte a été une réalité historique mais c'est quelque chose dont on parle assez peu, le fait que si tu vide ton duché pour envoyer du troufion mourir pour ton honneur, ben après c'est plus technique pour produire à manger...
Et guerroyer c'est bien, manger c'est pas mal aussi.