Le lendemain fut une journée encore plus chaude que la veille et Sirius enchaîna les réunions ainsi que les exercices d’entraînement à n’en plus finir. Lors d’une rapide visite dans les ateliers, son ingénieur en chef lui montra avec succès les réussites de sa baliste qui était maintenant pleinement opérationnelle. Il avait encore besoin de temps pour la version réduite et promit que son arbalète aurait une cadence de tir bien supérieure à n’importe quelle arme. Ayant toujours en mémoire sa piteuse démonstration de la dernière fois, Sirius se dit qu’il lui fallait attendre les résultats des tests de cette seconde arme avant de les exposer à la vue du Sénat. Néanmoins, les travaux avançaient bien et cela faisait au moins un signe prometteur.
À la fin de la journée, il décida de se rendre aux thermes de la ville en espérant s’y prélasser un moment. Spyr possédait plusieurs bains publics très appréciés par ses habitants. Les thermes étaient en théorie ouverts à tous pour une modique somme et permettaient en cela à toutes les couches sociales de la cité de s’y retrouver. Même si, en réalité, il y existait des établissements plus luxueux que seuls les citoyens pouvaient s’offrir.
Une fois à l’intérieur du bâtiment, Sirius enleva ses habits et les déposa dans une sorte de vestiaire avant de s’allonger un moment dans l’eau chaude. Il avait conservé son amulette en bois autour du cou, car il n’aimait jamais s’en séparer, même pour un court instant. Le bain était agréable et relaxant si bien qu’il s’y assoupit un moment. À son réveil, il faisait déjà noir et les thermes n’allaient pas tarder à fermer. Il ressortit de l’eau et enfila une toge prêtée à cet effet par les gérants des lieux avant d’aller chercher un morceau à manger. Il se sentait reposé et apaisé après ce bain chaud. Dès qu’il pénétra dans le réfectoire, tous ses muscles se crispèrent de nouveau lorsqu’il aperçut Prosper assis sur un banc en marbre. Il lui fit signe de le rejoindre avant qu'il n'ait le temps de l'esquiver et Sirius alla à contrecœur s’asseoir à côté de lui.
Ils ne s’étaient pas reparlés depuis cette étrange soirée à l’ambassade, il y a un peu plus de deux semaines maintenant. Il s’avait que son père complotait quelque chose qui le concernait directement, pourtant, ce dernier ne lui avait encore rien dit jusqu’à présent. Ils restèrent assis un moment l’un à côté de l’autre, ne sachant quoi se dire avant que Sirius ne se résigne à prendre la parole.
— Alors… Avez-vous pris des mesures concernant ce qu’il s’est passé lors de la soirée à l’ambassade ?
— L’entrevue entre Laris et Claude, tu veux dire ? C’est une vaste farce. Laris croit pouvoir compter sur le fils pour espionner le père, mais ce dernier est parfaitement au courant. Rigas est juste trop tendre et il ne veut pas le renvoyer à Dérios. Il persiste à voir en Claude son successeur. À sa place, il y a longtemps, que je me serais débarrassé d’un avorton pareil.
Sur ce point, Sirius n’avait aucun mal à le croire. Un silence gênant s’était de nouveau installé entre eux. Prosper se racla la gorge avant de déclarer avec gravité :
— Je suis venu te trouver ici, car j’ai quelque chose d’important à te dire.
— Cela concerne votre rencontre avec Rigas, je suppose.
— En partie, oui.
Il jeta des regards dans les deux sens en s’arrêtant avec méfiance sur les quelques personnes présentes dans la pièce avant de continuer.
— Dans trois jours, il y aura une réunion chez Orpis. C'est un sénateur, et avant tout un ami de longue date ayant toujours soutenu notre famille. Plusieurs personnes seront présentes, des membres du Sénat, l’ambassadeur de Dérios et quelques membres des élites régionales de l’Empire.
Deux personnes entrèrent dans la pièce et Prosper marqua une nouvelle pause le temps qu’elles aillent s’installer sur un banc un peu plus loin.
— Sirius, je veux que tu prennes le pouvoir par la force. Fait appel aux légions et renverse les deux autres Flammes.
Il prononça cette phrase le plus calmement possible, comme si tout cela allait de soi. Pourtant, cette révélation lui fit l'effet d'un choc. Sirius s'était préparé à quelque chose de la sorte et, au fond de lui, il savait que le jour viendrait où son père lui demanderait plus que d'assister à des vins d'honneur, mais sa déclaration était si soudaine.
— Vous n’y pensez pas ? C’est de la folie. Murmura-t-il.
— Au contraire, je suis on ne peut plus sérieux.
— Cela ne marchera jamais, ni le Sénat, ni les habitants de Spyr et encore moins les autres Flammes le toléreront.
— Au contraire, beaucoup de sénateurs soutiennent ta cause et Rigas nous a assuré le soutien de Dérios dans l’affaire. Pour ce qui est du peuple, ils te préfèrent de loin face à Atrius ou à ce vieux sénile de Laris. Beaucoup de gens restent attachés à la monarchie et sauront se satisfaire d’un unique souverain, quoi qu’on en dise.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi vous ne prenez pas le pouvoir vous-même ?
— Ne sois pas ridicule, nous savons très bien tous les deux qu’il ne me reste plus longtemps à vivre. Toi, en revanche, tu es encore jeune, tu pourras porter le nom des Domitor jusqu’au sommet. Et le moment est bien choisi, le gros de nos forces est à Spyr en ce moment même et aucune des autres Flammes n’a suffisamment de soutien au Sénat. En plus, Novi-Fyr te permettra de proclamer et de légitimer ton nouveau règne devant tous les habitants de Spyr.
Sirius réfléchit longuement. Cela pouvait effectivement marcher, l'opération demandait toutefois une préparation millimétrique pour saisir les lieux de pouvoir et gagner la confiance du peuple en un temps record avant que Laris ou Atrius ne répliquent. Et il restait la question des gardes du Palais qui ne se laisseront pas faire sans combattre. Le connaissant, son père avait sûrement déjà réfléchi à tous les détails pratiques. Une seule chose le chagrinait cependant. Une question qu’il voulait lui poser depuis un moment, et dont il connaissait très bien la réponse.
— Quand cela a été planifié ?
— Oh, ce fut assez simple, tu sais, il m’a juste fallu de…
— Quand ?! Cria Sirius en se levant et en le poignardant du regard.
Tous les autres clients se tournèrent vers lui. Sirius était furieux et il ne parvint à surmonter sa rage qu’au prix d’un énorme effort. Il se rassit tandis que les autres personnes présentes reprenaient leurs conversations.
— Depuis le début, répondit Prosper en baissant les yeux.
— Depuis que je t’ai succédé en tant que Flamme de la Guerre ?
— Depuis ta naissance, Sirius. Faire de toi une Flamme n’était qu’une étape, te voir en tant que seul régent de la cité était l’objectif final et il est maintenant à notre portée.
— Et durant tout ce temps, vous ne m’avez rien dit ? Vous m’avez élevé uniquement dans le but de réussir là où vous avez échoué ? Et qu’en aurait pensé ma mère.
— Miria aurait compris que…
— Je parle de ma vraie mère ! Pas de votre femme qui n’a même pas souhaité me voir sur son lit de mort.
— Je t’ai élevé comme un fils, comme un Domitor. C’est tout ce qui importe vraiment.
— Même maintenant, vous continuez d’esquiver la question ?
— Cela n’a pas d’importance, répondit à demi-mot Prosper.
N’y tenant plus, Sirius déversa toute la rage qu’il gardait en lui depuis tant d’années.
— Bien sûr que si c'est important ! Ça l'a toujours été à mes yeux ! Mais cela, jamais vous n’auriez pu le comprendre, aveuglé par votre soif de pouvoir ! Avec quelle putain avez-vous forniqué parce que votre femme n’était pas fichue de pondre un gosse. Ou bien peut-être avez-vous volé le nouveau-né d’une pauvre paysanne après l’avoir fait exécuter elle et toute sa famille !?
— J’ai fait ce que je devais faire pour ma famille ! Rien de plus ! Cria Prosper à son tour. Et je le referais sans hésitations si le choix se présentait à nouveau.
Ils étaient debout tous les deux et se faisaient face.
Cette fois, toutes les autres personnes dans la pièce s’étaient tues et les dévisageaient. Cela lui était complétement égal, car un torrent d’émotions contraires tournoyait dans son esprit. Il hésitait entre trouver un recoin et y fondre en larmes ou aller chercher une dague et la planter sur-le-champ dans le coup de cet homme qui se prétendait son père. Finalement, il ne fit rien de tout ça. Se contenant de pousser un cri de rage avant de s’en aller à vive allure en direction de la sortie. Il entendit la voix de Prosper retentir derrière lui :
— Tu ne peux pas échapper à ton destin, Sirius.
Il ne voulait pas l’entendre, il ne voulait plus l’attendre. Toutes ces années, tous ces regards noirs, et ces rumeurs à son sujet. Les épreuves qu’on l’avait forcé à endurer, les campagnes militaires qu’il avait menées. Tout ça pour accomplir le but d’un vieillard grincheux ?
— Dans trois jours ! Cria-t-il alors que Sirius disparaissait déjà en direction des vestiaires.
Et voilà le plan du père. Le pouvoir fait tomber les plus faibles aha
Encore un passage très sympa. On avance tranquillement et tout se met en place :)
Ah que va faire Sirius maintenant. Va-t-il céder dans trois jours :)
Deux petits retours :
"Sirius réfléchit longuement. Cela" -- il y a un dialogue juste avant. Le mettre à la ligne aiderait directement à comprendre que le père ne parle plus :)
"Bien sûr, que si c'est important" -- enlever la virgule.