Chapitre XIII : Enquête dans les faubourgs

Aydan ne savait pas ce qu’il avait fait pour que chaque mission sortant de l’ordinaire ne lui soit assignée. Alors qu’on lui avait promis qu’il passerait sa journée de garde à la caserne, il avait été sélectionné à la dernière minute afin de participer à une mission de recherche d’habitants portés disparus. Leur but était d’arpenter tous les faubourgs de Spyr, d’y fouiller les habitations suspectes et d’interroger les résidents à ce sujet. Cela promettait d’être long, fastidieux et sans aucune garantie de succès. La seule chose qui le consolait était que Liam faisait également partie des désignés et Aydan se réjouissait de revoir son ami auquel il n’avait pas parlé depuis un moment.

Ils vérifièrent leur équipement et sortirent de la caserne sous le commandement d’un capitaine de la Garde. Au lieu de se diriger directement vers les portes de la cité, ils s’arrêtèrent sur une place où des soldats de Spyr les y attendaient. Les chefs des deux groupes s’échangèrent froidement quelques mots en se regardant à peine. Rien de bien surprenant, les gardes du Palais avaient toujours eu du mal à s’entendre avec les légionnaires de l’empire.

Ils se remirent en marche ensemble, en prenant soin de former deux groupes bien distincts et en évitant tout contact. Les gardes du palais étaient partis en tête et Aydan se trouvait à l’arrière de la colonne. Il jetait parfois des coups d’œil par-dessus son épaule vers les légionnaires qui les suivaient quelques mètres plus loin.

— Pourquoi est-ce qu’ils nous regardent si bizarrement depuis tout à l’heure ? Demanda-t-il à Liam qui marchait à ses côtés.

— Je n’en sais rien, mais s’ils cherchent les problèmes, ils vont les trouver, répondit-il en lançant des regards noirs aux soldats derrière lui.

— Tu n’envisages quand même pas de te battre contre eux ?

— Seulement s’ils nous provoquent ou se mettent en travers de notre route.

— Je ne pense pas, je crois qu’ils sont venus nous aider à enquêter.

— On aurait très bien pu s’en charger tout seul. Ils sont juste là pour nous surveiller si tu veux mon avis.

— Je ne comprends pas pourquoi. Ils ne nous accusent tout de même pas d’être à l’origine des disparitions ?

— Je ne sais pas, tu n’as qu’à leur demander si cela te chante. Pour ma part, je n’ai aucune envie de leur parler.

Aydan ne souhaitait pas affronter d’autres soldats de Spyr. Après tout, ils étaient dans le même camp. De plus, il trouvait Liam étonnamment froid.

— Est-ce que tu aurais encore perdu aux dés contre l’un d’entre eux ? Avança Aydan en souriant.

Liam ne lui répondit pas, se contentant de maintenir le rythme de la marche.

Décidément, son ami avait beaucoup changé en l’espace de quelques semaines à peine. Aydan avait du mal à reconnaître le jeune homme apeuré devenu garde du Palais presque un mois auparavant. Il paraissait moins hésitant, plus confiant, voire même légèrement hautain par moment. Et par-dessus tout, il semblait avoir perdu son insouciance et sa joie de vivre que beaucoup appréciaient au sein de la compagnie.

En y repensant, tout remontait à cette fameuse nuit où il avait torturé un homme de sang-froid. À partir de ce moment-là, Liam avait rejoint l’élite très restreinte des gardes qui se voyaient octroyer des missions au sein même des temples des Adorateurs. Missions dont Aydan ne connaissait rien tant tous ceux qui y participaient restaient discrets à leurs sujets. Il s’était souvent remémoré le visage choqué de Liam ce soir-là, juste après avoir accompli son acte. Aydan se disait alors qu’il devait sûrement regretter son geste, mais il n’en était plus aussi sûr aujourd’hui.

Ils arrivèrent en vue de l’un des quartiers répertoriés comme un lieu de disparition et se séparèrent pour procéder au ratissage de l’endroit. Aydan partit avec Liam interroger des habitants sans réussir à obtenir autre chose que des renseignements partiels et contradictoires inutiles dans leur enquête. Tous en revanche reconnaissaient que la situation était préoccupante. Cela faisait plusieurs mois maintenant que des ivrognes, des femmes veuves, des personnes âgées ou des enfants disparaissaient mystérieusement. Et leur rythme semblait s’accélérer depuis quelques jours.

— C’est très étrange, souligna Aydan.

Ils venaient de quitter un apothicaire qui les avait renseignés sur la disparition de plusieurs de ses clients habituels.

— Toutes ces personnes ont en commun de vivre seules en ayant peu de relations dans la cité ou bien d’être des cibles faciles. C’est comme si elles avaient été visées exprès pour ne pas trop attirer l’attention du Sénat.

— On n’est toujours pas beaucoup plus avancé. Cela pourrait être n’importe quel taré dans cette ville, répondit Liam.

— C’est quelqu'un qui a dû traîner dans ce quartier en journée pour faire du repérage avant de choisir ses victimes. Peut-être même tout un groupe organisé. Ils doivent bien les retenir quelque part, on ne peut pas faire disparaître autant de monde sans laisser de traces.

Ils se dirigeaient vers le point de rendez-vous lorsque des cris attirèrent leur attention. Des légionnaires de Spyr et des gardes du Palais étaient en train de violemment se disputer devant la porte en bois d’un entrepôt.

— Écartez-vous ! Cria celui qui devait être le chef du groupe de soldats.

— Je n’ai pas d’ordre à recevoir de ta part, répondit l’un des gardes du Palais se trouvant devant la porte.

— Dans ce cas, vous ne nous laissez pas le choix, dit-il en dégainant son arme. Il y a longtemps, que je rêve de vous donner une bonne leçon. On va voir ce que vous valez vraiment.

Ils dégainèrent tous leurs glaives et s’apprêtaient à croiser le fer lorsqu’Aydan se précipita dans leur direction.

— Arrêtez ! Que faites-vous ?! Cria-t-il.

Bien que ce n’était pas son genre de se faire remarquer, il avait l’impression que s’il ne faisait rien, personne n’allait tenter de calmer le jeu. D’ailleurs, Liam, qui le suivait sur ses talons, avait déjà dégainé son arme et était parti rejoindre les autres gardes en se positionnant à leurs côtés. Ils furent tous un peu surpris de les voir débarquer de nulle part et le chef des soldats s’adressa directement à lui :

— Plusieurs villageois nous ont indiqué cette bâtisse comme étant suspecte, mais tes petits copains refusent de nous laisser entrer.

Aydan le détesta dès le premier regard. Il affichait un air supérieur et se prenait clairement pour le chef des lieux. C’était le genre de type qui aimait faire la loi et fanfaronner auprès des autres sans jamais rien avoir accompli soi-même. Cependant, ils étaient tous les deux techniquement des soldats de Spyr et ne pouvaient quand même pas s’étriper sur place publique pour un simple désaccord.

— Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en arriver aux armes, lui répondit Aydan en essayant d’apaiser la situation.

— Nous sommes déjà en train de fouiller l’endroit, vous ne feriez que nous gêner, rajouta l’un des gardes qui se tenait devant la porte.

— Vous croyez peut-être que jouer les chiens de garde pour le gratin de Spyr fait de vous de vrais soldats ? Qu’essayez-vous de cacher, au juste ?

— Ce ne sont pas tes oignons. Soit tu te calmes et tu attends que l’on termine, soit on règle ça ici et maintenant, répondit un autre garde.

C’était exactement ce qu’il ne fallait pas dire et Aydan vit une lueur de rage passer dans les yeux du légionnaire. Par précaution, il mit la main sur le pommeau de son arme en retenant son souffle lorsque la porte derrière lui s’ouvrit bruyamment. Deux gardes sortirent du bâtiment visiblement rameutés par leur altercation.

— C’est vide, vous pouvez vérifier par vous-même, dit l’un des deux hommes en allant dans la rue.

Tout le monde baissa alors son arme et les gardes s’écartèrent pour laisser passer les soldats. Aydan poussa un soupir de soulagement avant de les suivre à l’intérieur. C’était une sorte de large entrepôt où plusieurs caisses en bois y étaient empilées les unes sur les autres. Bien que les gardes avaient déjà fait le tour des lieux, Aydan insista auprès de Liam pour inspecter les allées improvisées à l’intérieur, mais il ne vit rien d’intéressant. Seule l’odeur des lieux était un peu particulière. En plus de sentir le renfermé, il émanait du bâtiment un relent à peine perceptible qui lui rappelait fortement celui qu’il avait senti dans les prisons de Spyr. Une odeur de sang.

Pourtant, il eut beau fouiller la pièce en détail, il ne vit rien de suspect. Tout était vide et propre, trop propre même. Sans trop savoir pourquoi, son regard se porta sur les deux gardes qui leur avaient ouvert la porte. Il remarqua alors un léger détail, ils avaient les bottes légèrement boueuses. Aydan trouva cela étrange, étant donné qu’il n’avait pas plu depuis sa dernière mission avec Luke. À moins qu’ils ne se soient rendus aux abords d’un puits… Il s’arrêta net et une sombre pensée lui traversa l’esprit alors qu’il regardait de nouveau le plancher en bois parfaitement astiqué. Est-ce que ces deux gardes venaient de nettoyer les lieux juste avant leur arrivée ? Il n’eut pas le temps d’y songer davantage, car il entendit le chef des soldats pousser un cri de rage en donnant un coup de pied dans une caisse en bois.

— Fouillez tout ! Cria-t-il en renversant d’autres caisses avec hargne.

Elles étaient vides ou bien ne contenaient que des objets mis en vrac sans grand intérêt. Une fois que lui et ses hommes eurent terminé de mettre le bazar, il s’adressa aux gardes du Palais qui leur avait ouvert la porte.

— Où étiez-vous, vous deux ?

— Partis inspecter l’intérieur, répondit calmement l’un des deux hommes.

— Menteur ! Vous avez caché les corps, avoue !

— Il n’y a jamais eu de corps ici, mais le vôtre pourra bientôt s’y trouver si vous continuez à nous parler sur ce ton.

— C’est ça, vous ferez moins les malins quand le Sénat aura appris ce que vous manigancez réellement.

— Je doute qu’ils soient ravis d’apprendre que les recherches ont échoué à cause d’un petit connard prétentieux, lui lança Liam d’un air provocateur.

L’homme fou de rage dégaina son arme. Liam fut plus rapide et le désarma en un éclair en lui éraflant la main.

— Qu’est-ce qui m’empêcherait de vous tuer ici et maintenant ? Dit-il en le fixant du regard.

Aydan s’approcha et mit une main sur l’épaule de son ami pour l’en dissuader. Liam le regarda, puis il regarda de nouveau l’homme avant de baisser son arme.

— On a terminé ici, allons-nous-en, déclara-t-il en tournant les talons avant de se diriger vers la sortie.

Alors que Liam avait le dos tourné, l’homme, qui devait se sentir profondément humilié de s’être fait maîtriser si facilement, sortit une dague et lui fonça dessus sans crier gare. Aydan réagit au quart de tour. Il s’interposa et réussit à arrêter son coup en lui agrippant le poignet. La lutte ne dura que quelques instants, car son adversaire était plus musclé et il le fit lourdement tomber sur le plancher qui craqua sous son poids. Il posa un genou sur son torse et leva sa dague alors qu'Aydan se débattait autant qu'il le pouvait. Le légionnaire allait dire quelque chose lorsqu’une lame lui transperça le ventre et s’arrêta à quelques centimètres du visage d’Aydan. L'homme se stoppa net et hoqueta de surprise. Un filet de sang sortit de sa bouche et il s’écroula sur le côté. Derrière lui se tenait Liam, un glaive ensanglanté à la main. Il aurait voulu dire quelque chose, mais il était encore sous le choc tellement tout était allé si vite. Liam l’aida à se relever et Aydan contempla le corps inerte du soldat baignant dans une flaque de sang. Les autres légionnaires avaient également sorti leurs armes sans trop savoir comment réagir face à la tournure des événements.

Les gardes se mirent en posture de combat et les deux groupes se firent face en attendant que quelqu’un passe à l’action. Au bout d’un moment, l’un d’entre eux rengaina son arme et déclara :

— Nous n’avons plus rien à faire ici, allons-nous-en.

Ces paroles semblèrent détendre l’atmosphère et plusieurs personnes baissèrent leurs armes. Personne n’était prêt à mourir pour une ordure pareille. Les légionnaires prirent soin d’emporter son corps avant de quitter les lieux sous les regards méfiants des gardes.

— Les Sénateurs vont entendre parler de ça ! Cria l’un d’entre eux alors que leur groupe s’éloignait.

Aydan jeta un dernier regard dans l’entrepôt avant de sortir à son tour. Son regard s’arrêta sur l’endroit où il avait chuté. Une planche du parquet avait été fissurée par l’impact et il pouvait légèrement apercevoir quelque chose sortir du sol. Il n’en était pas bien sûr, cela ressemblait vaguement à… une main ! Avant qu’il ne puisse observer la scène davantage, un garde referma violemment la porte de l’entrepôt en lui lançant un regard inquisiteur.

Bien évidemment, la mission fit chou blanc et aucun autre groupe ne trouva quoi que ce soit concernant les personnes disparues. L’incident de l’entrepôt fut rapporté et provoqua des émois entre le commandant des légionnaires et celui des gardes. Aydan apprit un peu plus tard que tous deux envoyèrent un rapport au Sénat en s’accusant mutuellement d’inaction et d’entraver le bon déroulement des opérations. Sur le chemin du retour, plusieurs gardes les félicitèrent pour leur réactivité. Aydan remercia Liam de l’avoir certainement sauvé la vie, bien qu’il regrettait de n’avoir pas su empêcher l’affrontement de dégénérer.

— Ne me remercie pas, tu m’as également sauvé la mise, répondit Liam.

— J’aimerais quand même te demander quelque chose. Pourquoi as-tu tué ce soldat ?

— J’aurais dû le laisser te poignarder peut-être ?

— Non,… Bien sûr que non. C’est juste que le maîtriser aurait peut-être permis d’éviter sa mort, ainsi que le compte-rendu devant le Sénat.

— Écoute, j’ai fait au plus simple, d’accord. Je n’allais pas commencer à hésiter alors qu’il risquait d’avoir ta peau d’une seconde à l’autre.

Aydan ne savait pas quoi ajouter. Certes, son ami venait de lui sauver la vie, mais peut-être par la même occasion avait-il détruit tout espoir d’une réconciliation entre les gardes du Palais et la Légion. Néanmoins, il profita d’être avec Liam pour l’inviter à boire un verre à la taverne avec Luke une fois qu’ils seraient rentrés en ville.

— Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée, lui répondit son ami.

— Allez, cela fait longtemps que l’on ne s’est pas réuni tous les trois.

— Je ne crois pas qu’il sera très ravi de me revoir, et puis je ne lui ai pas parlé depuis un moment.

Aydan sourit, il lui sembla retrouver le jeune Liam timide qu’il avait connu durant sa formation.

— Tu n'as qu'à rester juste le temps d'un verre dans ce cas. Tu t’en iras si jamais cela ne te plaît pas.

Liam hésita avant de finir par céder devant l’insistance d’Aydan.

— D’accord, mais juste un verre.

Tout sourire, Aydan ne cessa de lui raconter ses missions et toutes ses aventures en tant que garde. Bien que Liam ne dit rien à son sujet, son bonheur semblait être contagieux, car il rit de bon cœur à ses blagues jusqu’à leur retour à la caserne.

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Talharr
Posté le 23/07/2025
Hello,
Chapitre très intéressant, j'attendais de voir ce que devenait le groupe d'amis et beaucoup de questions en plus pour ce premier passage aha.
Les gardes sont bien évidemment plus que suspects. Le camp de Atrius d'un côté et le camp de Sirius de l'autre.
ça va mal finir cette histoire.
Et Liam. Qui pour moi réagit comme il faut en soit mais il a changé c'est sûr.

Les petits retours habituels :) :

"Ils se remirent en marche ensemble, en prenant soin de former deux groupes bien distincts et en évitant tout contact au maximum." -- le "au maximum" n'est pas nécessaire je pense. Soit mettre "d’éviter tout contact" ou juste enlever le "au maximum".

"Seulement s’ils nous provoquent et s’ils comptent se mettre en travers de notre route" -- "s'ils" qui alourdit la phrase, peut-être : "Seulement s’ils nous provoquent ou se mettent en travers de notre route."

"Ils dégainèrent tous leurs glaives et s’apprêtaient à croiser le fer lorsqu’Aydan se précipita dans leur direction pour les arrêter.

"— Arrêtez ! Que faites-vous ?! Cria-t-il." -- "Arrêter" puis "Arrêtez" à la suite. Je pense tu peux enlever le premier, ça rajoute même de l'impact au "Arrêtez".

"Vous croyez peut-être que jouer les chiens de garde pour le gratin de Spyr fait de vous des vrais soldats ?" -- bon là c'est vraiment une proposition mais t'es pas obligé de changer, j'aurais mis "de" au lieu de "des", je trouve ça dit encore plus que les légionnaires ne voient pas en eux des soldats.

"C’est ça, et vous vous ferez moins les malins quand le Sénat aura appris ce que vous manigancez réellement" -- une virgule après le premier "vous".

"Tu n'as qu'à rester que le temps d'un verre dans ce cas. Tu t’en iras si jamais cela ne te plaît pas" -- j'aurais enlevé le "que".

" Aydan ne cessa de lui raconter ces missions " -- "ses".

Voilà, à la suite :)
Scribilix
Posté le 24/07/2025
Salut, merci pour ton retour. Oui, la division légionnaires/gardes est plus que réelle, chacun obéissant à une flamme différente.
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