Chapitre XII : Festin divin

Sirius passa le restant de la journée à tourner en rond et lorsque le crépuscule tomba enfin, les deux Flammes se dirigèrent vers la grande tente qui servirait de lieu de négociation. Plusieurs braseros ainsi que des étendards de Spyr étaient dispersés tout le long du petit chemin en terre qui menait jusqu’au sommet de la colline. Des gardes du Palais étaient également postés dans la montée et devant l’entrée de la tente. À l’intérieur de celle-ci, se trouvait une table où des mets en tout genre venus des quatre coins de l’Empire y avaient été disposés. Atrius et Sirius prirent tous deux place autour de la grande table et attendirent patiemment l’arrivée des Déris. Au bout de quelques minutes, des cors se firent entendre et Sirius sortit de la tente juste à temps pour apercevoir la reine Théa descendre de sa monture. Il ne l’avait jamais rencontré auparavant, mais elle lui sembla aussi froide et colérique que les rumeurs le laissaient entendre. À ses côtés, se trouvait son fils, le roi Éléon, que des serviteurs aidaient à installer sur un lourd fauteuil en bois. Une autre jeune femme portant une robe somptueuse les accompagnait et Sirius se dit qu’il devait s’agir de la princesse Daélia. Enfin, un vieil homme barbu en armure complétait le groupe. Il s’agissait de Balwin que Sirius avait vaguement aperçu sur le champ de bataille. Ils étaient venus escortés par plusieurs gardes, mais il ne reconnut pas la célèbre armure des Brûlés parmi leurs hommes.

Sirius s’inclina avec politesse pour les accueillir.

— Votre Altesse, j’espère que votre voyage depuis Dérios fut agréable.

— Finissons-en au plus vite, grommela Théa en guise de réponse avant de rentrer dans la tente en passant à côté de lui sans daigner s’arrêter.

Daélia poussa également Éléon à l’intérieur et seul Balwin s’arrêta à son niveau pour lui serrer la main. Ils échangèrent un regard entendu, puis il fit signe à ses hommes d’attendre à l’extérieur avant d’entrer à son tour.

— Je suis ravi de voir que vous avez choisi la voie des négociations, s’exclama Atrius dès qu’il les aperçut. Je vous en prie, prenez place.

Ils s’assirent tous autour de la table et Atrius déclara aussitôt :

— C’est tout ? N’avez-vous donc aucun membre des Brûlés pour vous accompagner ?

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Ils ne représentent pas Dérios, à ce que je sache, répondit froidement Théa.

— Ils étaient censés être là, s’offusqua Atrius.

Sa voix avait déraillé, mais il ne s’était pas mis à crier pour autant. Sirius vit qu’il faisait un effort surhumain pour ne pas exploser. Connaissant les sauts d’humeur de la Flamme de la Foi, il lui jeta un regard pour lui faire signe de se calmer.

— Ils n’ont pas souhaité participer aux négociations, ajouta Balwin qui était lui aussi tendu par la réponse froide de sa reine.

Atrius ne dit rien et il eut quelques secondes de silence durant lesquelles l’on entendit seulement Éléon grignoter les plats qui se trouvaient devant lui. Sirius en profita alors pour prendre la parole.

— Cela ne fait rien que les Brûlés soient absents, c’est avec vous que l’on souhaite négocier. Malgré les désaccords entre nos deux cités, nous n'avons nullement l’intention de prendre Dérios. Nous sommes même prêts à vous rendre Ephis en échange de quelques réparations de guerre ainsi que la reconnaissance de la Brysie comme région sous la souveraineté de Spyr.

La reine Théa sembla vouloir répliquer quelque chose, mais sous le regard insistant de Balwin, elle capitula.

— Soit, dit-elle. Ce sont des conditions acceptables.

— J’aimerais y rajouter une clause que Sirius a oublié d’évoquer, s’empressa de déclarer Atrius.

Sa prise de parole provoqua aussitôt un vent de méfiance dans le camp des Déris.

— Je souhaite que les Adorateurs du Brasier deviennent le culte principal à Dérios et que toutes les sanctions prises à leur égard soient levées.

— Vous plaisantez ?! S’exclama Théa.

— J’ai bien peur que sur ce point je ne puisse pas faire de concession.

— Vous vous êtes servis des Adorateurs pour semer la pagaille dans ma ville. Et votre prétendu représentant, ce Ignace ! Cet espion aurait dû connaître le même sort que celui que vous avez réservé à Rigas et à son fils !

— Je suis profondément navré si les activités d’Ignace ont pu quelque peu vous perturber, mais je vous assure qu’il ne fait que servir les intérêts des Adorateurs et ceux de Pyra et que ces missions n’ont absolument rien à voir avec Spyr.

— Vous mentez ! Pendant combien de temps encore allez-vous vous cacher derrière votre déesse pour justifier vos crimes ? Vous croyez que je ne suis pas au courant des exactions qu’ont commis les Adorateurs envers les prêtresses du Culte de Pyrel ? Ni des cas de disparitions ou des rites malsains qu’ils pratiquent sur ma population. Et vous demandez de faire revenir un serpent de plus à ma cour.

Théa jeta alors un regard froid en direction de Daélia. Visiblement, il y avait quelque chose entre les deux que Sirius ignorait. Cela ne faisait rien, il devait s’en tenir au plan. Il serra un peu plus fermement contre lui une dague qu’il avait à la ceinture et regarda Balwin dans les yeux. Lui aussi était nerveux, mais il leur fallait encore patienter quelques minutes.

— Peut-être pouvons-nous nommer quelqu’un d’autre, proposa Sirius. Un Adorateur qui saura se montrer plus conciliant ?

— Pour quoi faire ? C’est votre culte le problème. Vous auriez beau nommer un nouveau pantin, cela ne change rien au fait que c’est vous qui tirez les ficelles.

— Ne craignez-vous donc pas que Pyra ne cherche à se venger ? Demanda Atrius.

— Mais arrêtez avec votre déesse. Ni elle ni Pyrel ne ferons quoi que ce soit pour nous. Ce sont simplement des fantômes créés de toute pièce par des Hommes qui souhaitent goûter au pouvoir sans avoir de couronne.

— Pourtant, elles existent bel et bien, répondit Sirius. Tous les soldats vous diront avoir vu leur magie à l’œuvre sur le champ de bataille.

— Ce sont des sornettes, rien de plus.

Du coin de l’œil, Sirius vit qu’Atrius commençait à perdre patience, il tortillait nerveusement une grappe de raisin entre ses doigts.

— Peut-être que vous n’y croyez pas, mais ce n’est pas le cas de votre peuple. Ils méritent d’avoir accès aux prêches des Adorateurs du Brasier, vous ne pouvez pas les priver de ce droit.

Théa sembla hésiter un instant, mais elle finit par revenir à sa position initiale.

— Non, je refuse, votre foi a fait bien suffisamment de mal comme ça. Elle restera bannie à Dérios et dans tout le royaume.

— Dans ce cas, il nous faudrait également bannir le Culte de Pyrel par soucis d’équité, souleva Daélia.

— Silence ! Tu ne devrais même pas avoir le droit à la parole, alors estime-toi chanceuse d’être là. L’on réglera ton cas dès mon retour à Dérios.

Daélia lui jeta un regard rempli de haine en se mordant les lèvres.

— Et qu’en pense le roi ? Demanda subitement Atrius.

Tous les regards se tournèrent avec surprise sur Éléon qui entamait déjà le second plat de charcuterie.

— Ne le mêlez pas à cela, sinon il n’y aura aucune négociation, le mit en garde Théa.

— C’est un roi, il me semble, non ? Il devrait être capable de prendre une décision par lui-même. Mon roi ! Dit-il en s’adressant directement à Éléon. Avez-vous déjà vu Pyra ? Avez-vous déjà contemplé ses pouvoirs ?

Atrius se leva et le fixa profondément du regard, Sirius aurait presque cru qu’il essayait de lui lancer un sort ou d’entrer directement dans son esprit. Mais Éléon semblait bien plus intéressé par les mets étalés sur la table que par les autres convives. Néanmoins, il leva la tête et fronça les sourcils en dévisageant Atrius avant de retourner à son assiette.

— Ça suffit ! Cria Théa.

Atrius soupira avant de se laisser retomber sur sa chaise.

— D’accord. D’accord. Dit-il. Restons-en à la proposition de Sirius. L’on pourra toujours tenir d’autres réunions concernant ce souci religieux.

Sirius fut étonné par son calme. Il n’était pas dans la nature d’Atrius de se montrer aussi compréhensif.

— En échange de la paix, nous récupérerons la Brysie et Dérios versera des compensations financières à Spyr. Avons-nous un accord ? Demanda-t-il en parcourant la tablée du regard.

Après un silence pesant, Théa finit par accepter.

— C’est d’accord, dit-elle. Dans ces termes, j’accepte votre offre.

— Fort bien, se réjouit Atrius. L’on signera le traité de paix une fois celui-ci rédigé à l’aube. Bien que je ne boive pas beaucoup, je vous propose tout de même d’entériner cela dans le respect des traditions spyriennes.

Atrius se pencha vers un coffre pour en sortir une bouteille de vin ainsi que plusieurs coupes en argent. Sirius se dit qu’il s’agissait du moment idéal pour agir. Il sortit sa dague de son fourreau et s’apprêta à se lever lorsque la voix de Théa raisonna derrière lui.

— Nous avons également apporté du vin de Dérios, c’est un très bon cru, je vous recommande de le goûter.

— Je viens déjà d’ouvrir une bouteille.

— Allons, cela serait dommage de ne pas respecter les traditions de Dérios en refusant un cadeau, répondit-elle avec méfiance.

Atrius laissa échapper un rire nerveux avant de re déposer la bouteille derrière lui.

— Soit, où est donc ce délicieux breuvage.

Théa fit signe à Balwin qui sortit de la tente avant de rentrer à nouveau quelques secondes plus tard avec une bouteille de vin entre les mains. Il commença lui-même à faire le tour de la table pour en servir à tout le monde.

— Je dois dire que vous les Spyriens savez y faire en termes de cuisine, dit Daélia qui avait elle aussi commencé à grappiller dans les plats de nourriture.

— Le climat y est plus clément, répondit sobrement Atrius.

Lorsque Balwin arriva son niveau, il lui servit du vin et se pencha légèrement en avant pour lui murmurer :

— Tout est prêt.

Sirius acquiesça en faisant mine de lui dire qu’il en avait assez. Une fois que tout le monde fut servi, Atrius se leva et porta haut son verre en déclarant :

— À la paix ! Aux réconciliations entre nos deux nations et, je l’espère, bientôt à celles entre les Adorateurs du Brasier et les Déris.

Il but une gorgée de son verre en premier et grimaça.

— Décidément, je ne m’y ferais toujours pas.

Sirius et les autres convives burent à leur tour. Le vin n’était pas mauvais, bien que ce ne fut pas le meilleur qu’il ait jamais goûté. Très épicé avec une pointe de cannelle.

— Il y a encore une question qui demeure toutefois en suspens, dit Atrius. Pourquoi aucune prêtresse du culte de Pyrel n’est présente, cela aurait été le bon moment pour enfin trouver un compromis.

— La matriarche des Enfants de Pyrel a dû rester à Dérios pour gérer des affaires courantes, répondit Balwin. Mais je suis sûr que vous aurez l’occasion de la rencontrer très bientôt.

Sirius but de nouveau une gorgée de vin. Son goût lui sembla meilleur, mais aussi plus familier. Pourtant, il ressentait toujours le même arôme épicé, avec peut-être en plus une très légère pointe de… citron. Il recracha discrètement dans son verre tout le liquide qu’il avait encore en bouche en regardant nerveusement aux alentours. Évidemment que cette boisson lui était familière, il n’y avait qu’un seul poison aussi discret et agréable en bouche, la fleur de Cyré. En avait-il absorbé suffisamment pour que la dose lui soit fatale ? Sirius n’en avait aucune idée et il scrutait les visages pour trouver un éventuel coupable. La bouteille venait de Dérios, est-ce que Balwin l’aurait trahi ? Non impossible, tout le monde en avait bu. À moins que… Sirius frotta son doigt sur le bord intérieur de son verre et lorsqu’il le retira, il remarqua qu’il était recouvert de plusieurs petits grains translucides. Son regard se porta alors sur Atrius qui esquissa aussitôt un rictus. Sirius commençait à avoir de plus en plus chaud et avait l’impression d’étouffer dans son armure.

C’est alors qu’Éléon se mit à crier. Sous les yeux stupéfaits des autres convives, il poussa une suite de hurlements aigus en essayant de se tourner vers l’arrière.

— Qui… Qui a-t-il ? Demanda Théa en déglutissant avec peine.

Elle lui serra le bras pour le réconforter et tourna la tête vers l’entrée de la tente. C’est alors que deux gardes du Palais entrèrent, suivis d’un homme que Sirius n’avait jamais vu. Il avait de longs cheveux noirs et une fine barbe et ses yeux étaient rouges comme la braise. Il paraissait jeune et vieux à la fois, et son visage avait des traits féminins. Mais surtout, Sirius avait l’impression que son regard pouvait transpercer la chair et lire directement en lui comme dans un livre ouvert.

— Ignace ! S’écria Théa stupéfaite.

La reine essaya de se lever, mais ses jambes flageolèrent et elle s’écroula sur le sol. Balwin ne fit pas mieux, le vieux général donnait l’impression d’être compressé par le poids de son armure et il s’écroula également. Sirius lança alors un regard plein de haine vers Atrius et il sortit sa dague pour se jeter sur lui. Il avait un peu perdu l’équilibre et sa vue était trouble, mais il parvint à l’agripper d’une main. Alors qu’il s’apprêtait à le planter de sa lame, l’homme qui venait d’arriver déclara :

— Cela ne sert à rien, Sirius.

Il arrêta net son geste et lui jeta un regard horrifié. C’était la voix de Pyra qu’il venait d’entendre, il n’avait pas rêvé ! Ignace lui fit un sourire apaisant et son cœur sembla s’arrêter. C’était un homme qui se tenait en face de lui, mais les traits de son visage, son expression, son sourire… Tout chez lui rappelait à Sirius sa déesse.

Atrius profita de son instant d’hésitation pour se défaire de son emprise. Sirius voulut le rattraper, mais perdit l’équilibre et s’effondra au sol. Il vit alors Ignace s’avancer sans prêter attention à Théa qui rampait de douleur à ses pieds. Il s’accroupit juste devant lui et caressa son visage en parlant d’une voix apaisante.

— Schhh, Schhh… C’est fini, mon grand général, c’est fini. Tu ne m’auras pas déçue du début à la fin.

Sa vision devint de plus en plus trouble. Il aperçut une dernière fois le visage d’Ignace et, derrière lui, Daélia qui essayait vainement de consoler Éléon. Le roi poussait toujours des cris de panique sans réussir à se calmer. Bientôt, ses cris se firent de plus en plus ténus, et puis ce fut le silence complet.

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Talharr
Posté le 11/08/2025
Je me disais aussi que le plan pour tuer Atrius était trop simple. Et puis qu'il accepte de boire sans faire attention, mouais c'était louche. Les verres étaient empoisonnées.
Et voilà Sirius, tu n'as donc rien appris des anciens ahaa
Le monde va prendre une sacré tournure maintenant...
A voir la suite :)

Quelques retours de forme :

"se dirigèrent vers la grande tante", "l’entrée de la tante" et "Sirius sortit de la tante" -- la sacré tante quand même, elle est partout ahaa

"nous n'avons nullement l’attention" -- "l'intention"

"Vous plaisantez ! S’exclama Théa" -- j'aurais plutôt mis " Vous plaisantez ?!"

"de lui lancer à sort" -- "de lui lancer un sort"

"Je viens déjà d’ouvrir une bouteille ?" -- alors sauf si Atrius ne sait pas ce qu'il fait (malheureusement c'est pas le cas ahaa) je pense mettre point.

"qui demeure en suspens toutefois" -- "qui demeure toutefois en suspens"

A plus ^^
Scribilix
Posté le 12/08/2025
Et oui, Sirius aura été trahis et manipulé jusqu'à la fin. Au moins maintenant il y aura moins de personnages à suivre et les choses vont s'accélérer. Tu te rapproche doucement de la fin.
A la prochaine,
Scrib.
Scribilix
Posté le 12/08/2025
et oui, la tante de Sirius est un etre omniscient, j'écrirais peut-etre une ballade en son honneur
Talharr
Posté le 12/08/2025
Attend, attend. Ils sont morts ? Oh j'avais encore espoir 😭

Oui je pense que la tante mérite un petit poème ahaaa 😆
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