Malgré les lourdes pertes qu’avaient subies les Spyriens, la bataille des plaines d’Ephis ne sonna pas la fin de leur campagne à Dérios. Bien au contraire, la nouvelle de leur victoire se répandit comme une traînée de poudre et la ville se rendit deux jours plus tard afin d’éviter un siège coûteux à sa population. Les troupes de Spyr prirent possession des lieux, remplaçant les étendards à l’effigie du cygne par celui de la salamandre. Un nouveau campement fut établi au pied même de la cité et Sirius octroya quelques jours de repos à ses hommes.
De son côté, Balwin reconstitua ses forces plus au nord en vue de préparer une contre-attaque. Dans les jours qui suivirent, plusieurs accrochages eurent de nouveau lieu entre son armée et celle de Sirius. Mais toutes les batailles ne se soldèrent que par des défaites ou de maigres victoires ne permettant pas d’inverser le cours de la guerre. Et ce, d’autant plus que Sirius continuait à recevoir des troupes fraîches venues des quatre coins de l’empire. Le rapport de force était tel que Balwin dut bien vite se rendre à l’évidence qu’il ne parviendrait pas à triompher de l’appareil minutieusement organisé que représentait la Légion. C’est donc le cœur lourd et après d’âpres négociations avec des officiers, des Brûlés et la reine Théa en personne qu’une demande de trêve fut envoyée aux Spyriens.
Sirius accueillit le messager avec courtoisie à Ephis. Il respectait son adversaire qui avait su prouver sa valeur et il voulait prendre soin à ne pas l’insulter en se montrant trop orgueilleux. Il fit aussitôt suivre à Spyr la demande de la reine Théa d’organiser des négociations de paix. Atrius ne tarda pas à lui répondre, annonçant qu’il s’y montrait favorable et qu’il était déjà en chemin pour le rejoindre. À sa demande, il voulait que la rencontre se tienne à Éphis. Les Déris hésitèrent pendant plusieurs jours avant de finalement céder à leur requête. Une grande tente fut installée au sommet d’une colline à proximité de la cité et l’on y transporta tout le mobilier nécessaire pour les négociations.
Sirius avait établi ses quartiers dans ce qui devait être autrefois une salle de commandement au sein du palais de la cité. La grande pièce ovale était remplie d’armoires débordant d’armes et d’armures ainsi que de parchemins jaunis par le temps. Au milieu, se dressait une vaste table en bois avec une immense carte d’Elanor. Les différentes factions du continent y étaient représentées à l’aide de petites figurines en bois à leur effigie. La salle semblait intacte et encore prête à l’emploi. Seuls les drapeaux de Dérios qui traînaient au sol ainsi que la figurine de cygne renversé sur la table venaient rappeler que l’endroit était passé à l’ennemi. Sirius était avachi sur un siège, les jambes posées sur la carte au niveau de Gelterre. Il contemplait le monde étendu à ses pieds et des rêves de grandeurs lui montèrent à la tête. Il se voyait maître d’un immense empire, ayant une déesse à ses côtés. Ils chevaucheraient tous les deux, traversant le continent du nord au sud et soumettant tous les villages sur leur passage. Pyra avait raison finalement, son sort n’était pas à plaindre.
On toqua à la porte et Sirius sortit brusquement de ses pensées.
— Entrez ! Cria-t-il.
Un soldat vint lui apporter une missive de Dérios. Sirius prit le parchemin puis congédia l’homme d’un revers de la main. Il déplia la lettre et se mit à la lire. C’est un message de Balwin, ce dernier acceptait son plan.
Seul dans sa cité, Sirius avait eu du temps pour réfléchir, mais également planifier sa prise de pouvoir. Et le moment était venu d’agir. En échangeant secrètement avec Balwin, les Déris avaient accepté de l’aider à se débarrasser d’Atrius en échange d’une paix juste et honorable, ce que Sirius leur avait promis. Avec quelques officiers de confiance mis au parfum, leur plan était de l’assassiner durant les négociations. Sirius lui porterait lui-même le coup fatal, tandis que ses hommes et ceux de Balwin se chargeraient des gardes du Palais qui ne manqueraient sûrement pas de vouloir le venger. Après cela, il ferait un retour triomphal à Spyr. Il aurait aimé éviter d’infliger un tel sort à Liam. Après tout, c’était un bon combattant, même s’il n’appréciait pas son tempérament. Mais ce dernier voyait Atrius comme un élu envoyé par Pyra pour les guider et lui vouait une allégeance inconditionnelle. Il n'accepterait jamais la mort de son maître sans combattre.
Sirius replia délicatement la feuille avant de la ranger précieusement dans sa tunique lorsqu’il sentit des mains chaudes se glisser délicatement contre son torse.
— Que vois-je ? La Flamme de la Guerre pactise avec l’ennemi ? S’exclama Pyra en s’asseyant directement sur la table.
Encore une fois, il ne l’avait même pas entendu apparaître derrière lui. Mais cela ne faisait rien, il était si heureux de la voir.
— C’est contre Atrius que je pactise, pas contre vous, répondit-il en lui attrapant ses mains.
— Je vois. Tu serais donc encore jaloux de lui ?
— Cet Adorateur ne vous connaît pas comme je vous connais. Il ne vous a pas vu tel que je vous ai vu. Tout ce qu’il souhaite, c’est votre pouvoir pour lui seul, voilà tout.
— Ainsi donc tu penses me connaître, dit-elle en retirant ses mains subitement. Mais dis-moi Sirius ? Ne désires-tu donc pas la même chose ? Ne rêves-tu donc pas d’avoir le monde à tes pieds ?
Pyra se pencha sur la table et renversa une statuette du bout du doigt.
— Tu es exactement comme les autres, soupira-t-elle. Votre arrogance n’a aucune limite.
Elle lui jeta un regard froid, mais à ses yeux, Sirius la trouvait encore plus magnifique que lors de la nuit qu’ils avaient passée ensemble. N’y tenant plus, il mit un genou à terre et se livra à elle.
— Je n’ai pas choisi cette vie ! S’exclama Sirius. On me l’a imposé dès la naissance. Pendant, longtemps, je n’ai pas compris pourquoi. Pourquoi je devais obéir aux ambitions déplacées d’un vieillard frustré de ne pas pouvoir être roi ?! Pourquoi je devais risquer ma vie aux quatre coins de l’empire pendant que Laris et les sénateurs profitaient de leur richesse bien à l’abri derrière les murailles de Spyr ?! Pourquoi je devais jouer le rôle de héros auprès d’un peuple qui n’en avait nul besoin ?! Tout le monde attendait de moi que je sois irréprochable, droit et juste. Mais au fond, je n’étais qu’une coquille vide, pas si différente de celles façonnées par le sculpteur aux doigts d’argiles sur tout le continent. Et puis vous m’êtes apparu. Pour la première fois, l’on a vu en moi autre chose qu’un pion que l’on pouvait déplacer à sa guise. Vous m’avez donné un but, un destin, mais surtout, vous m’avez redonné espoir. C’est pourquoi aujourd’hui, je suis prêt à vous confier ma vie.
Sirius la fixait droit dans les yeux. Il avait dit tout ce qu’il avait sur le cœur, ce qu’il n’avait jamais osé dire à qui que ce soit auparavant. Ou bien peut-être n’avait-il jamais trouvé qui que ce soit à qui se confier ? L’expression de Pyra changea légèrement, passant de la lassitude à la tendresse. Mais il lui sembla qu’elle faisait tout son possible pour ne rien laisser paraître, si bien que Sirius ne savait pas si elle avait vraiment été touchée par son discours.
Elle s’approcha alors de lui et glissa ses mains autour de son visage.
— Et pourquoi te choisirais-je plutôt qu’un autre ? Murmura-t-elle. Qu’as-tu donc à m’offrir qu’aucun autre mortel n’est capable ?
— Tout. Je vous offrirai absolument tout, le monde entier s’il le faut.
Pyra sourit.
— L’on m’a déjà fait cette proposition, il y a bien longtemps, soupira-t-elle avec nostalgie.
Elle se pencha alors doucement en avant et déposa un délicat baiser sur ses lèvres avant de s’écarter aussitôt.
— As-tu bien conscience du prix qu'il t'en coûtera de régner éternellement à mes côtés ?
— Je suis prêt à tous les sacrifices, répondit-il instinctivement, tant il ne pouvait détourner son regard d'elle.
— Soit. J'exaucerai ton souhait et tous les Spyriens se souviendront de ton nom pour toujours.
Sa robe commença aussitôt à s’enflammer de toutes parts et elle se mit à disparaître progressivement, comme si tout son corps entrait en combustion. Sirius savait que leur temps pour ce soir était écoulé, mais il ne voulait pas qu’elle parte, pas déjà. C’est pourquoi il lui tint la main jusqu’à la dernière seconde et jusqu’à ce que la chaleur des flammes ne le pousse à la lâcher.
— Je suis vraiment heureuse de t’avoir rencontré, Sirius, dit-elle dans un dernier sourire avant d’entièrement disparaître.
Sirius se retrouva de nouveau seul dans la pièce qui lui semblait maintenant froide et sombre. Il s’approcha de la carte et remarqua que la statuette que Pyra avait fait tomber était celle d’une salamandre, pile sur la ville d’Ephis. Il sourit avant de la remettre droite puis sortit de la salle.
Le lendemain fut une journée mouvementée, il fallait tout préparer dans les moindres détails pour les négociations, et surtout planifier leur complot. Sirius était encore en train de superviser les derniers préparatifs lorsque les cors raisonnèrent à l’entrée de la ville. Atrius venait d’arriver. Il soupira puis sortit du palais pour aller l’accueillir à contre-cœur. Lorsqu’il descendit de sa monture, la Flamme de la Foi afficha un air ravi et s’avança vers lui pour lui serrer le bras.
— C’est formidable ! Dit-il. Je dois avouer que j’avais quelques doutes sur vos véritables compétences en tant que chef de guerre, mais que Pyra me pardonne, vous n’avez pas démérité.
— Nous célébrerons la victoire après les négociations, répondit Sirius. Il nous faut encore gagner la paix.
— Ne vous inquiétez pas pour cela, je m’en occupe. Et de toute façon, nous sommes en position de force, ils n’auront d’autre choix que d’accepter nos revendications.
— Méfiez-vous, l’armée de Dérios n’est pas entièrement détruite, des éclaireurs sont encore tombés dans une embuscade hier soir. De plus, je ne crois pas que la reine Théa se montrera très coopérative, négocier avec Spyr revient un peu à trahir la mémoire de son mari.
— Pelès a trouvé la mort, car comme Aurel, il s’est montré téméraire et dénué de bons sens. J’ose espérer qu’elle aura plus de sagesse. Le cas contraire, je me tournerai directement vers son fils.
— Éléon ? Tout le monde dit de lui qu’il a un esprit malade. Ce n’est qu’un pantin que Théa a placé sur le trône pour pouvoir continuer à gouverner.
— C’est parce qu’il vit dans le mensonge et l’obscurité. Une fois que Pyra lui aura montré la voie, il reconnaîtra que notre mission est sacrée et se rangera à nos côtés.
Atrius avait l’air si convaincu par ce qu’il avançait que Sirius garda ses commentaires pour lui. Évidemment, il ne mentionna pas sa rencontre de la veille avec Pyra ni le sort qui l’attendait réellement. Alors qu’Atrius s’apprêtait à partir, il ajouta :
— Oh, et une dernière chose. Il faudra nous occuper du cas de Gladius. Je sais que vous étiez proches autrefois, mais il s’est montré coupable de trahison en refusant de prendre part à l’expédition.
— Bien évidemment, dit-il d’un air compréhensif.
Atrius hocha la tête, satisfait, avant de disparaître à l’intérieur du bâtiment, une demi-douzaine de gardes sur les talons.
Sirius s’était montré conciliant, car il savait que c’était le dernier ordre qu’Atrius lui donnait. Ce soir, il serait lui-même abandonné par la déesse qu’il adorait tant.
Nan chapitre vraiment intéressant encore une fois. Oui comme je le disais dans le chapitre précédent il devient le prochain Ignis. Aie aie aie...
Bon ça n'empêche que j'ai envie de voir Atrius mourir ahaa
A voir la suite du chapitre ;)
Deux retours :
"Une grande tante fut installée" -- alors à part si Sirius à une grande tante je dirais "tente" ahaa ^^
"Et pourquoi te choisirais-je plutôt qu’un autre, murmura-t-elle ?" -- le soucis de ponctuation :)
Je continue !