Chapitre XIII : Juste un verre

Une fois rentrés, Aydan et Liam durent faire un rapport sur l’incident. Les capitaines furent assez compréhensifs sur leur sort et déclarèrent vouloir attendre la réponse du Sénat avant de prendre d’éventuelles sanctions à leur égard. Par la suite, ils se changèrent en vitesse et Aydan partit convaincre Luke de le rejoindre immédiatement dans la taverne la plus proche. Liam et lui étaient déjà attablés, un verre à la main, lorsqu’il entra dans l’auberge. Il prit place à la même table et salua poliment Liam.

— Alors, comment s’est passée votre mission ? Il y a encore eu du grabuge à ce que j’ai cru comprendre, demanda-t-il à Aydan.

— Oui, juste un gars arrogant qui a mal fini. C’est surtout grâce à Liam, sans lui je ne serai plus ici, répondit Aydan.

— Je ne pouvais tout de même pas le laisser mourir aussi facilement, répondit Liam en souriant.

— Et alors, est-ce que vous avez retrouvé des disparus ? Demanda Luke sans relever la note d’humour.

— Malheureusement non. L’on va reprendre les recherches dès demain, annonça Aydan. Du moins si l’incident avec la légion n’engendre pas de trop grosses répercussions.

— Au moins, vous avez eu un peu d’action. Je pense que je vais finir par exploser si je dois passer encore une journée à surveiller des sénateurs qui ne font que brailler sans cesse, se plaignit-il.

Les discussions allaient bon train et les chopes vides s'empilèrent rapidement dans un coin. Ils racontèrent leurs problèmes du quotidien ainsi que les joies et peines de la vie de garde ou bien débâtèrent sur les derniers ragots ayant cours au sein de la cité. Leur relation sembla se dérider à mesure qu’ils parlaient et ils se surprirent même à rire ensemble, comme au bon vieux temps. Les choses se gâtèrent subitement lorsque fut abordée la question des Adorateurs. Liam qui jusqu’alors s’était montré plutôt jovial devint subitement très froid et laconique dans ses réponses.

— Tu ne veux toujours rien nous dire de tes missions au temple ? Demanda Luke.

— Rien d’important qui ne mérite que l'on en parle.

— En tout cas, je t’envie, lâcha Aydan. Tu es le plus jeune, mais je parie que tu seras le premier à monter en grade.

— Si ça se trouve, vous en ferez très bientôt partie, vous aussi. Après tout, Atrius nous dit tout le temps qu’il manque de gens.

— Non, si tu as été sélectionné pour en faire partie, c’est qu’il y a une bonne raison et tu le sais très bien, répondit Luke froidement.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Il prit une grande inspiration avant de répondre.

— Je vais être très clair, Liam. Pourquoi as-tu torturé cet homme ?

Luke avait posé la question qu’Aydan avait sur le bout des lèvres et qu’il n’avait jamais osé demander à son ami. Tous deux regardèrent avec attention Liam en attendant sa réponse.

— Je ne l’ai pas torturé, bredouilla-t-il. J’ai simplement fait ce qu’Atrius m’a ordonné de faire, c’est tout.

— Tu aurais au moins pu laisser ses gros bras s’en charger, ajouta Luke. Ce n’était pas à nous de faire ça.

— Il nous en avait fait la demande au cas où tu l’aurais oublié ?

— Et tu aurais pu refuser, continua-t-il. Pourtant, tu as quand même accepté de tuer un homme de sang-froid.

— Tais-toi ! Tu as bien vu leur visage ! S’énerva Liam. Ces hommes sont des assassins qui ont tué deux des nôtres. Aucun d’entre vous n’aurait eu le courage nécessaire pour les venger. J’ai simplement fait ce que l’on attendait de moi.

— Non, mais tu t’entends ! L’on n’est même pas sûr que ce sont bien eux qui les ont tués. Tu ne fais que répéter les paroles d’Atrius. Depuis quand les gardes du palais sont-ils devenus ses gardes personnels ?

— Il en a fait bien plus pour la Garde que les deux autres Flammes réunies !

— N’importe quoi ! Il nous utilise à sa guise, c’est tout ! Pourquoi doit-on escorter des prêtres ? Faire des prières à la gloire de Pyra tous les matins à la caserne ? Ou encore déposer chaque jour une partie de notre repas dans un brasero en guise d’offrande ? Si je me suis engagé, c’est pour servir mon peuple, pas un fou complètement sadique aux services d’une pseudo déesse à laquelle personne ne croit vraiment.

Liam se leva et saisit Luke par le col. Il avait un regard noir et semblait prêt à lui broyer le crâne d’un instant à l’autre.

— Retire ça ! Bien sûr qu’elle existe, imbécile ! Bien sûr qu’elle existe ! Que crois-tu que je ferais encore dans la Garde si ce n’était pas le cas ?

— Regarde-toi, regarde ce que tu es devenu. Tu n’as plus rien à voir avec le Liam que j’ai connu.

En entendant ces mots, Liam sembla prendre conscience de sa colère inexpliquée et desserra légèrement son étreinte, l’air un peu déboussolé. Luke en profita alors pour se dégager et se dirigea vers la sortie d’un pas rapide.

— Attends ! Lui cria Aydan en se levant alors qu’il sortait déjà de l’auberge.

Il finit par le rattraper quelques mètres plus loin dans une ruelle menant à la caserne.

— Que me veux-tu ? Lui demanda Luke agacé qu’il lui court après.

— Pourquoi es-tu parti ?

— Parce que je n’ai plus rien à faire avec vous.

— Écoute, je sais que Liam et toi êtes en froid à cause de ce qu’il a fait, mais vous pouvez toujours vous arranger pour ne plus vous croiser. Et puis, je suis sûr qu’avec le temps, vous allez…

— Non, Aydan. Je compte quitter la Garde ce soir.

Cette déclaration le surprit. Ce poste de garde du Palais représentait tout à ses yeux et offrait de nombreux avantages bien au-delà d’une généreuse rémunération. Il n’imaginait pas possible que quelqu’un souhaite en partir de son plein grès. Le concernant, il n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait faire en dehors de ça. Voyant son air choqué, Luke continua :

— J’en ai marre de tout cela. J’en ai marre de la Garde et des Adorateurs du Brasier. Ces prêtres sont en train d’asseoir leur emprise sur la cité à petit feu. Comment aucun d’entre vous fait-il pour ne pas s’en rendre compte ?

— Et tu comptes abandonner ? Après tout ce qu’on a enduré ?

— Je n’abandonne pas. Au contraire, je compte trouver des gens qui sauront m’aider à lutter contre ce fléau qui s’abat sur Spyr.

Aydan pensait qu’il exagérait. Certes, Atrius était souvent sur leur dos, mais il ne voyait pas en quoi ces prêtres posaient un problème. Ou plutôt, il refusait de le voir, car il ne voulait pas risquer de tout perdre.

— Arrête, ils ne sont pas si terribles que ça, ces Adorateurs. Assez intransigeants en ce qui concerne leurs dogmes, je te l’accorde. Je pense qu’au fond, ils viennent en aide au peuple à leur façon.

Luke serra les poings et se rapprocha de lui, l’air irrité.

— Pourquoi n’as-tu rien dit ce jour-là ? Demanda-t-il sèchement.

Il faisait sûrement référence à leur dernière mission ensemble et Aydan se souvint très clairement du comportement du prêtre envers ces deux gamins qui l’avaient aspergé de boue.

— Tu t’étais déjà interposé pour les sauver. Je ne voulais pas prendre le risque de me faire sanctionner une fois rentrée à la caserne. Et puis c’était quand même…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il sentit le poing de Luke sur son visage. Le choc fut si brutal qu’il le surprit et il tomba à la renverse.

— C’étaient des enfants, Aydan ! Des putains d’enfants ! Tu vois, c’est ça ton problème, tu ne penses qu’à ta petite personne et à ton poste. Spyr pourrait tomber en ruine que cela ne te dérangerait pas tant que tu aurais encore quelqu'un capable de te payer grassement pour lui cirer les bottes.

— Et toi ? Comment crois-tu que le monde tourne ?! Avec des gens honnêtes et intègres prêts à se sacrifier à la première occasion, peut-être ?! Tu te crois sûrement capable de sauver toutes les personnes du continent ! Répondit Aydan en se relevant, toujours un peu sonné par le coup qu’il venait de recevoir.

— Je préfère encore essayer plutôt que ne rien faire et m’y soumettre passivement.

— Eh bien, vas-y ! Quitte la Garde si c’est ce que tu veux, personne d’autre que moi ne t’en empêchera.

Luke sembla vouloir répondre quelque chose, mais se ravisa. Il lui tourna le dos et déclara :

— Quoi qu’il arrive, ne va pas dans ce temple, Aydan. Sinon, tu finiras comme Liam et personne ne pourra plus rien pour toi.

Il s’éloigna en le laissant là. Aydan n’arrivait pas à éprouver de la rage, seulement de la tristesse que les choses aient pu en arriver là. Après avoir fait quelques mètres, Luke s’arrêta.

— J’espère que tu t’en rendras compte avant la fin. Aydan, dit-il sans se retourner avant de se remettre en marche et de disparaître dans l’une des ruelles de Spyr.