Chapitre XIV

Par Fidelis
Notes de l’auteur : Alors on n'oublie pas, l'équipement de base, casque genouillères, coudières...

Il régla la consultation sans rajouter un mot de peur de s’enfoncer un peu plus. Puis il sortit par une porte dérobée, dans un souci de confidentialité qui lui parut bienfaiteur. Il n’avait pas envie de croiser une quelconque créature mythologique au doux parfum de perversité qui lui aurait fait encore plus regretter d’être venu.

Dehors, le ciel commençait à se teinter de bleu. Il augmenta l’ombre de sa casquette pour protéger ses yeux, enfonça les mains au fond des poches de son blouson, dépité par la conclusion du psy.

Bien qu’il s’avoua, ne pas attendre grand-chose de cet entretien. Si ce n’est de le rassurer sur sa santé mentale, après l’avoir entendu lui confirmer qu’il faisait juste face à un stress causé par son travail.

Il s’étira au milieu de la chaussée, à côté des papiers gras et des containers poubelles pleins. Ils allaient le rester jusqu’à la fin des festivités. Tous les services de nettoyage étaient invités à participer aux manifestations, comme la cérémonie d’ouverture qui n’allaient pas tarder à débuter.

Blasé, il descendit la rue et tomba sur une artère plus fréquentée, où des groupes vêtus des mêmes couleurs conseillées par son psy se formaient.

Valéri se dit qu’à présent qu’il se trouvait ici, il pouvait lui aussi profiter de l’ambiance, et tenter ainsi d’oublier les recommandations lunaires de Zigler. Il était trop tard pour suivre la diffusion de son domicile, et préféra accompagner des gens en direction un bar de confort, pour y pénétrer à son tour. Seul moyen à cette heure d’assister à la retransmission.

À l’intérieur se tenait un comptoir carré de dimension honorable, au milieu duquel un hologramme 3D diffusait en temps réel la cérémonie. À sa grande surprise, quelques places au premier rang se trouvaient encore libres. Il s’installa pour profiter du spectacle. Repensant d’un coup qu’il se trouvait dans la même branche que son collègue Uriel, il se décida à lui donner un coup de fil pour voir s’il ne voulait pas boire un verre avec lui.

En même temps qu’il composait le numéro, il se souvint des paroles du psy pour relativiser son problème. Il n’avait pas envie de savoir si c’était bien la femme d’Uriel auquel il faisait allusion, et préféra ignorer ce passage. Après tout, il faisait peut-être erreur, bien que c’était la première fois qu’il entendait parler de ce type de symptômes. Ce gars était taré, inutile d’y revenir dessus, pensa-t-il.

                                                         ***

Dans le Megaraptor la tension commençait à monter, comme dans toute l’Étoile. Uriel courait à vive allure après un mec qu’il avait tenté de choper par les cheveux. La tignasse synthétique lui était restée dans les mains, et à la manière dont il le distança, il comprit qu’il ne devait pas être si âgé qu’il en avait l’air.

Il s’arrêta haletant au bout d’un rayon, après avoir balancé la perruque sur le sol.

— L’enculé, c’était sûrement lui… Il reprenait son souffle avec difficulté, les mains posées sur ses jambes, constatant à voix haute d’un air déçu… Des faux cheveux putain j’ai laissé échapper le complice !

Pour continuer à passer incognito, il avait changé de costume, moins risqué c’était-il dit après les trois premières interpellations infructueuses. De Rat-bite le lapin rat, il c’était métamorphosé en Boob-pigs, le cochon nichon, dont il s’était rendu compte que sa notoriété était bien plus importante. Un grand nombre de clients poussaient des cris porcins pour le saluer, ce qui ne l’aidait pas à rester discret.

Il fouilla dans son déguisement, dont le ventre énorme handicapait ses gestes, comme de se saisir de son phone.

— Ouais Val, alors mon pote, ce psy efficace, je suis sûr que tu vas déjà mieux.

Il perçut tout de suite de la gêne dans les paroles de son collègue.

— Ben écoute, ton gars, il ne possédait pas sa norme ISO à jour… Il laissa passer un silence… C’est louche. Ça c’est du genre à te parler d’extraterrestre pour te faire croire que tu es malade. Alors, moi, tu me connais, j’aime bien rester dans les clous, du coup, je n’y suis pas allé, mentit-il.

Un silence s’immisça dans la conversation. Uriel n’était pas sûr de bien comprendre.

— Là tu fais un refus d’obstacle mec, je ne sais pas où t’es allé chercher ça, mais c’est pas de cette manière que tu vas t’en sortir. Tu dois affronter la réalité. Tu t’en balances de la norme ISO 2057, continue comme ça, et tu vas finir avec un cal’bar couleur arc-en-ciel et des cheveux bleus j’te l’dis moi !

C’est le moment que choisit la pub du rayon pour se déclencher.

— Pour sauver la planète, un moyen simple et ancestral issu de l’ancienne culture chinoise, mangez vos déjections garde les gens en bonne santé et leur assure une vie longue et pleine de prospérité…

Qui fit aussitôt sursauter son interlocuteur.

— Tu es au magasin sérieux, tu fais quoi encore là-bas !

— … Dans la gamme longue vie, vos déjections sont reconditionnées pour être consommées à n’importe quel moment de la journée…

— Mais non, je t’ai dit que j’ai enregistré un audio pour la maison va falloir que je te le répète combien de fois !

— … Refuser la gamme longue vie sera bientôt reconnu comme une pensée raciste et rétrograde répréhensible en vertu de la loi de la sauvegarde et de l’environnement…

— Et ta femme arrive à supporter ça, je me demande si ce n’est pas toi qui est sur une mauvaise pente.

— Écoute mec, ma femme, elle a pris ses problèmes en main, elle va se faire soigner tous les jours chez son psy. Je l’ai jamais vu dormir aussi bien. Comme quoi tu as eu tort de ne pas essayer, parce que voir des gonz' en bleue fouiller les poubelles de son salon c’est pas bon signe, moi j’te le dis.

— Ouais ouais c’est ça, ne t’inquiète pas pour mes poubelles. Bon, dis-moi, je t’appelais pour venir boire un coup, je suis dans ta branche tu te radines on se mate l’ouverture de la cérémonie en direct y a un holo géant dans le bar ça va être sympa.

Uriel avait couru toute la journée après des petits vieux dans le Megaraptor et ne se sentait pas d’attaque pour tenir un comptoir. Il songea au retour et à sa femme qui devait l’attendre.

— Euh écoute, on remet ça plus tard, j’ai promis à ma femme de rester un peu avec elle aujourd’hui. Tu comprends la semaine, on fait que se croiser, c’est le moment de renouer.

Le grand mastoc en costume ressentit dans l’intonation de la voix de Valéri qu’il se doutait de quelque chose.

— Ouais je vois l’idée, mais si tu veux mon avis, tu devrais lui changer d’ambiance sonore, faut pas t’étonner si elle consulte. Bon, pas grave, bonne fête de la démocratie, amusez-vous bien tous les deux, on se retrouve bientôt au boulot bye !

 

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sakumo91
Posté le 05/04/2025
Un texte oscille entre satire sociale, ambiance dystopique et malaise personnel, tout en conservant un ton grinçant et parfois absurde. C'est toujours d'aussi bonne qualité, bravo.
Fidelis
Posté le 24/04/2025
Merci à toi, super content que ça te plaise et j'espère que la suite te conviendra aussi.
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