Au moment où Valéri coupa sa communication, la retransmission holographique au milieu du bar captivait l’attention de tous les gens attablés autour du comptoir géant.
Une étrange impression avait filtré à travers son phone à l’instant où Uriel avait décliné son invitation. Il se plaignait en temps ordinaire qu’il ne voulait jamais sortir, et ce dernier connaissait la motivation qu’il gardait à faire plaisir à sa femme. Il ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi il lui mentait. Il n’arrivait pas à expliquer ce refus en dehors d’une seule raison, il se trouvait bien au magasin un jour de repos. Il ne pouvait pas s’agir d’heures supplémentaires, appliquées, non pas sur la base du volontariat, mais bien sous une forme d’invitation qu’on ne pouvait décliner. Ce qui l’aurait obligé lui aussi à devoir s’y rendre. Non il y avait autre chose qu’il lui échappait, mais le sujet bascula aussitôt à un plan secondaire.
Sur la place de l’Étoile, en plein cœur de la cité, le compte à rebours qui donnait le départ des jeux venait de débuter.
Dans le bar, les visiteurs occupaient à présent deux rangers devant le zinc et tous portaient leur attention sur les énormes numéros décroissant de manière inéluctable vers le zéro. En prime, la voix de leur présentateur favori, en la personne de la mascotte préférée de la population, le golem bicéphale, le mégalithe à double nature de granite retentissait. Des micros plans s’ouvraient sur des fenêtres éphémères. Elles montraient les avenues et les artères remplies d’une foule aux couleurs arcs-en-ciel, parcourues de multiple flash fluorescent qui regardaient toutes dans la même direction.
Le centre de la place de l’Étoile où le compte à rebours prit fin.
Juste après l’apparition du zéro, une boule multicolore immense gonfla jusqu’à englober une partie du public qui se trouvait à proximité, avant d’exploser pour laisser échapper des millions de confettis. Ainsi que les observateurs les plus proches qui réalisaient avec surprise que ce n’était pas un hologramme. On put noter au moment de la délivrance qu’ils vivaient de plein fouet l’enthousiasme général, en se retrouvant projetés à une bonne cinquante de mètre pour retomber sur les spectateurs agglutinés. Ravis de voir des silhouettes planer au milieu du décor.
Dans le bar une ovation ponctua le départ et tous les gens se mirent à hurler d’une joie entretenue par l’absorption d’alcool ainsi que des pilules qui flottaient dans les cocktails saturés. Valéri qui tenta à ce moment de boire le sien, tout juste commandé, se fit bousculer. Il en renversa la moitié sur ses habits qui s’imprimèrent de couleurs vives. Il émit un râle, ignorait de tous, avant de reposer son verre pour attendre que l’assistance se calme.
Les images en direct, retransmises par les drones qui survolaient la foule compacte, se rendaient sur les lieux des principales activités, décrites au fur et à mesure par la mascotte. À chaque fois des acclamations de satisfaction pour les saluer fusaient. Il put ainsi observer le circuit de bolides à gravité zéro, qui sillonnait l’entièreté du centre-ville, et dont la trajectoire des tournants relevés s’appuyait sur les façades des immeubles. Sur le chemin, il découvrit le ring géant multidisciplines qui trônait dans la branche Nord. Ensuite, la fête foraine qui réunissait les disciplines athlétiques, comme les différents sauts, courses ou lancées dont l’inventaire aurait été trop long à détailler. Puis il fila vers la branche Est, le Donjon de l’Impératrice aux promesses de sévices savoureux. Il continua en direction de l’une des branches Sud avec ces multiples jeux d’eau. Une cascade à la hauteur vertigineuse trônait en son centre. La retransmission poursuivit son chemin jusqu’à la deuxième branche au Sud-Est, cette fois-ci. Des stades superposés à trois dimensions célébrées dans les sports d’équipe et mélangeaient ainsi à travers ce montage de nombreuses autres disciplines « en même temps ». Pour arriver dans la zone Ouest, zone où se situait le bar. La clientèle se remit à hurler aux limites de l’hystérie.
Les voisins de Valéri lui renversèrent à nouveau son verre. Le liquide mystérieux atterrit sur ses chaussures, histoire de paraître assorti au reste de sa tenue. Il protesta une nouvelle fois. Les drones revinrent au centre de la cité, où les gens brillaient au milieu du décor, telle une nuée d’étincelles formant un lit de braises.
Il recommanda un autre cocktail, et se dit qu’il allait le boire cul sec pour essayer d’en connaître le goût. Le bar était à présent bondé, réalisa Valéri, qui n’avait plus l’habitude en dehors du magasin de côtoyer ses semblables. Foule joyeuse aux couleurs arc ciel, pour la plupart qui se réunissait et fraternisait en l’honneur de l’Étoile, propageant sa lumière comme le phare de la civilisation éclaire le néant.
Un feu d’artifice éclata au cœur de l’Étoile. Valéri au coude à coude autour du comptoir, entra sa tête dans ses épaules pour s’approcher de la paille qui pointait de son cocktail, et commença à en aspirer le contenu. Un liquide épais au reflet d’un mauve intense évoluait dans son verre de manière insolite. Comme s’il était vivant, parsemé d’un veinage vif-argent, le marbrait et irradiait une luminosité qui s’activait au même rythme que ses pulsations cardiaque, remarqua-t-il amusé.
C’est à ce moment que deux filles vinrent prendre place à ses côtés.
— Guuzi ?
Lui demanda la première un petit sourire aux lèvres, avec des yeux chargés de tendresse, aussitôt repris par la deuxième qui lui fit tourner la tête, intrigué.
— Guzzi guzzi ?
Il leur rendit, séduit par cette façon singulière de se présenter. L’une d’elles passa un bras autour de sa taille pour lui mordiller le cou, pendant que la deuxième sur ses épaules, pour lui sucer le lobe de l’oreille.
— Hummmm ! enchanté Guuzi, puis pivota, ah toi aussi c’est Guzzi, enchanté aussi, il se rendit compte qu’elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau.
Le visage presque enfantin, avec une coupe au carrée avec des cheveux l’une bleus turquoise, l’autre mauve fluo, et les mêmes yeux de couleur rose qui lui lançaient un regard mutin. Les bienfaits de la génétique, pensa Valéri qui commanda deux cocktails pour ses nouvelles amies. Il leur passa un bras autour des épaules et elles se lovèrent contre lui avec tendresse pour le couvrir de baisers dans au moment où les verres apparurent.
Il modula sa casquette pour en retirer l’ombre qui lui cachait les yeux et sourit de satisfaction. Il se dit qu’il n’avait pas perdu sa journée en fin de compte, et se laissa aller avec ses deux Guzzi, heureux de s’être arrêté pour assister à la cérémonie.
Le temps s’écoula très vite à partir du moment où il réussit à absorber son premier cocktail.
D’autres suivirent, puis il vit apparaître des gélules de toutes les couleurs, entre les lèvres de ses deux amies qu’elles lui donnèrent en l’embrassant. Leur salive avait un goût de fruit rouge acidulé, qui lui fit, à chaque fois, papillonner des yeux. Ses sens furent décuplés, surtout le toucher, qui commençait à éveiller en lui un désir de la même couleur que les yeux des sœurs jumelles. Il respirait l’odeur de l’une en plaçant son visage dans son cou, puis suçait l’oreille de l’autre, ce qui lui déclenchait un rire cristallin plein de promesses. D’un geste il commanda une nouvelle tournée.
Sa main se leva et une étrange impression de vertige s’empara de lui, puis, comme la première fois, une onde traversa sa vision. Elle n’altéra pas son environnement, mais retira toutes les personnes présentes autour de lui, pour le laissait seul au milieu du bar, un brin désœuvré.
Il se rendit compte aussitôt qu’il ne ressentait plus les effets de l’alcool et des drogues, il était redevenu lucide, en un clin d’œil.
Un frisson lui traversa le corps, un frisson d’angoisse, quelque chose lui disait que cette prise de conscience n’avait aucun lien avec les substances qu’il absorbait.
Il chercha du regard dans la salle d’un coup devenue vide, où avaient pu se cacher Guzzi et Guuzi, ainsi que tous les autres clients. Il eut d’un coup la sensation que le temps venait tout simplement de s’arrêter.
— Mais y sont où tous ?
Il se leva de son siège de moins en moins rassuré, l’hologramme s’était figé et plus aucune musique n’emplissait l’intérieur du bar.
Il se retrouvait seul au milieu d’un décor immobile.
Son premier réflexe, se saisir de son téléphone. Comme il le craignait, ce dernier n’affichait qu’un écran noir. C’est au moment de relever les yeux qu’il aperçut les silhouettes bleues, dont la présence lui arracha un cri d’effroi, avant de s’exclamer.
— Ah, mais non pas vous, vous n’allez pas recommencer !
Les deux inclinèrent la tête pour le saluer en même temps.
— Bonjour Valéri.
— Bonjour Valéri.
L’agent de sécurité grimaça.
— C’est un cauchemar, ce n’est pas possible, elles sont où mes Guzzi, puis une pensée folle lui traversa l’esprit, et si le psy avait raison ?
Celui qui portait toujours l’abat-jour tenta une approche.
— Du calme Valéri, tout va pour le mieux, nous avions besoin de vous parler et nous nous sommes permis pour cela de vous isoler un instant afin de pouvoir échanger avec sérénité.
Valéri recula d’un pas, des extraterrestres gay voulaient s’entretenir avec lui, il n’arrivait pas à savoir où il devait ranger la sérénité au milieu de tout ça.
— Attention, les gars, je possède un implant d’autodéfense qui me rend très dangereux si l’on s’en prend à moi, mentit-il pour les tenir en respect.
Ils adoptèrent de manière simultanée une gestuelle et des paroles pour bien lui montrer qu’ils n’avaient aucune mauvaise intention à son égard.
— Tu es prudent et tu as raison, nous comprenons très bien que notre intrusion dans ton quotidien aurait de quoi perturber n’importe lequel de tes semblables. Puis ils s’installèrent sur un tabouret du comptoir, là où se situaient auparavant Guzzi et Guuzi, pour rajouter d’un ton déconcertant. Moi, je goûterais bien l’un de ses cocktails.
Il repensa à l’image des Lyriens que le psy lui avait montrés et fronça les sourcils en se souvenant de la suite.
— Non, mais attendez, euh comment dire, désolé, mais je ne suis pas gay.
Les deux échangèrent un regard d’incompréhension, puis de se mirent à rire en même temps.
— Nous adorons l’humour ! c’est un trait de caractère qui s’est bien développé chez vous, mais avant d’aller plus loin, nous devons nous présenter. Nous sommes Eirin et Erein, nous avons traversé des éons de temps et d’espace afin de venir sur ta planète pour célébrer la grande récolte avec tous nos amis.
Il craignait de comprendre.
— Vous voulez dire que vous êtes des Lyriens ?
La partie description des jeux est vraiment prenante, on en aurait presque une crise d'agoraphobie :D