Sur son rocher, le chat-épervier-gargouille n’avait repéré aucune trace de vie autour du logement de Théo. Alors Alexandre s’en approcha sans crainte ni précaution.
Il explora d’abord la grange, mais n’y trouva aucune preuve du passage de Vincent. Elle était nickel, presque trop d’ailleurs, comme si on y avait méthodiquement effacé les reliquats d’une quelconque présence humaine.
Il brisa ensuite une vitre de la maison puis entra. Lors de sa première venue, son ébriété puis son envie de déguerpir étaient telles qu’il n’avait rien remarqué de particulier. Pourtant, Théo avait érigé son logement en véritable musée de la révolte et des modes de vie alternatifs. Au mur, il y avait beaucoup de posters de concert. Les artistes appartenaient tous à la scène underground. Beaucoup étaient connus pour leurs opinons dissidentes : il y avait des anars, des mecs d’ultragauche, des complotistes avérés, certains étant un peu tout cela à la fois. Chanteurs et musiciens partageaient les murs de Théo avec d’innombrables souvenirs de manifestations : tracts, affiches et pancartes, l’état de ces dernières attestant que toutes ces choses n’étaient pas que de la simple déco. Devant ce hall of fame de la contestation, Alexandre se sentit l’âme d’un flic. Ce ne fut pas une fouille qu’il entreprit, mais une véritable perquisition : il retourna, renversa, alla même jusqu’à ôter des lames du plancher. Il fallut la découverte d’un vieux coffre en bois pour faire retomber cette fièvre chercheuse.
Assis à même le sol, adossé au lit de Théo, Alexandre explora et vida le contenu de sa trouvaille. Il en sortit une pile de cahiers, des cagoules noires faisant penser à celles portées par les black blocs pendant leurs actions, des coupures de presse relatant les « exploits » de ces groupuscules extrémistes, ou présentant des ZAD, ces fameuses zones naturelles que des activistes de tous bords défendent contre des projets d’aménagement.
Il prit le cahier qui se trouvait le plus en bas de la pile et le feuilleta. Grâce à quelques dates disséminées çà et là, il comprit que Théo en avait noirci les pages durant son adolescence. Le jeune homme y déployait déjà sa verve anticléricale et reprenait à son compte de vieux slogans et de vieilles idées révolutionnaires. Il n’y avait là rien de très concret. Alors Alexandre s’en débarrassa vite et s’empara du cahier posé sur le sommet de la pile.
Après seulement quelques pages, il réalisa qu’il venait de trouver le manuel du parfait révolutionnaire moderne. Théo y planifiait toutes les actions de son groupe : manifestations, émeutes, occupations de sites, etc. Il y avait de tout ! Sauf un complot criminel visant à éliminer des prêtres.
Le dernier projet décrit par Théo était l’occupation de la ZAD de Roque, en Dordogne. Au vu du planning établi par le jeune homme, Alexandre comprit que Vincent et lui y étaient en ce moment même. Et qu’ils n’avaient pas l’intention d’en partir avant longtemps ! S’il voulait se confronter à eux, lui aussi devait s’y rendre !
Avant de quitter la chambre de Théo, il mit les cahiers dans son sac : il lui faudrait du temps pour atteindre Roque, du temps qu’il pourrait mettre à profit pour les lire et y dénicher les preuves dont il avait tant besoin.
Toutes ses découvertes le laissant un peu perplexe, il voulut les partager avec Arnaud. Alors, tout en descendant les escaliers, il l’appela. Tombant sur le répondeur, il préféra ne pas s’étendre et se contenta de lui dire où il se rendait. Dès qu’il raccrocha, il entendit se refermer une porte. Se précipitant au rez-de-chaussée, il eut la mauvaise surprise d’apercevoir le patron du bar en train de détaler. Cet enfoiré l’avait suivi ! Alexandre le rattrapa et lui asséna un violent coup de poing qui le laissa KO, étalé dans l’herbe, puis quitta ce village maudit sans attendre.
Le patron du bar mit plusieurs minutes avant de reprendre ses esprits. Lorsqu’il fut enfin capable de se lever et que sa mâchoire le fit un peu moins souffrir, lui aussi passa un appel, annonçant fièrement à son interlocuteur : « Le type dont vous m’avez parlé l’autre jour dans mon bar. Je l’ai vu. Et je sais où il va. »