Une fine pluie s’était mise à tomber alors qu’Aydan se faufilait sans un bruit vers le camp spyrien. Cela faisait plusieurs jours qu’il les suivait de loin, en prenant soin d’éviter de se faire repérer par les patrouilles. Depuis le haut d’une colline, il avait contemplé l’immense bataille qu’ils avaient livrée contre les troupes de Dérios. Pourtant, leur victoire ne l’intéressait guère. Il fut un temps où il aurait certainement éclaté de joie en apprenant la nouvelle, mais aujourd’hui, il voyait très clairement ce qu’étaient devenus les gardes du Palais et qui gouvernait réellement Spyr. Désormais, Aydan voulait simplement retrouver Liam et mettre un terme à tout cela.
Il savait qu’il ne serait pas facile de faire entendre raison à son ami. Liam avait été dans les premiers à se laisser corrompre par le discours des Adorateurs. Mais Aydan se disait au fond de lui que si son ami les avait suivis, c’était avant tout par naïveté, car le Liam qu’il avait connu n’était ni froid ni cruel. Bien au contraire, c'était un jeune homme plein de vie, juste désireux d’attirer l'attention. Dorénavant, il était méconnaissable. Aydan comprenait enfin tous les efforts de Luke, toutes ses critiques envers la Flamme de la Foi et ses refus d'exécuter certaines missions ainsi que son départ de la Garde pour rejoindre les Brûlés. Il avait eu raison depuis le début. Son ami était même allé jusqu’à y laisser sa vie pour tenter de les sauver, et Aydan ne l’avait pas écouté. Bien avant qu’il ne soit totalement sous l’emprise de Pyra, il avait volontairement fermé les yeux sur quelques dérives pour maintenir son poste de Garde qui lui était si cher autrefois. Il savait désormais que c’était une erreur qu’il ne pourrait jamais corriger. C’est pourquoi il se refusait à abandonner Liam à son sort, pas après tout ce que Luke avait sacrifié. Même s’il n’arrivait pas à le sauver, il se devait au moins d’essayer. Quitte à lui aussi y laisser la vie.
Et puis, Aydan avait une aide que Luke n’avait pas, un talisman magique. Il avait pris le temps de l’examiner durant ces quelques jours et il en était convaincu maintenant, cet objet était spécial. Il ne savait ni pourquoi ni comment, mais depuis qu’il le portait, Aydan sentait que ses sens étaient décuplés. C’était le même effet qu’après un rituel des Adorateurs, sauf qu’il restait pleinement maître de lui-même et qu’il ne sentait pas de rage bouillir en lui. Au contraire, peu importe la situation, Aydan était étonnamment calme et apaisé. C’était grâce à ce médaillon que l’étreinte de Pyra s’était peu à peu relâchée et qu’il avait pu recouvrir la raison. Bien qu’il l’ait arraché par la force à la Flamme de la Guerre, Aydan avait espoir qu’il lui permette de secourir son ami.
Il était posté à l’orée d’un bois, à quelques mètres à peine de l’entrée d’un campement spyrien. À l’abri de la pluie grâce à la fine capuche de sa cape, il guettait attentivement, l’entrée du camp. Il attendait le passage de la patrouille pour s’infiltrer à l’intérieur. Les tentes des gardes du Palais étaient toujours situées un peu à l’écart de celles des légionnaires, les deux institutions n’arrivant toujours pas à s’entendre. Aydan ne savait pas si Liam se trouvait à l’intérieur, mais il avait décidé de tenter sa chance ce soir.
Dès que le groupe de sentinelles disparut dans la nuit, Aydan se précipita contre la palissade en bois et entreprit de l’escalader. Il réussit sans trop de peine à atterrir de l’autre côté et se cacha aussitôt derrière une tente alors que plusieurs légionnaires courraient à vive allure juste devant lui. Il jeta un coup d’œil dans leur direction et vit qu’ils se dirigeaient également vers les tentes des gardes du Palais. Leur chef leva alors le bras pour donner silencieusement un ordre à ses hommes et les légionnaires stoppèrent leur course. Ils se mirent à progresser à pas feutrés en encerclant les tentes comme s’ils s’apprêtaient à lancer un assaut. Aydan essaya d’avancer le plus discrètement possible lorsqu’il entendit des éclats de voix et le bruit d’armes s’entrechoquant. Il jura en silence, c'était le pire moment. En penchant la tête en avant pour observer à nouveau la scène, il comprit qu’une bataille venait d’éclater à l’intérieur du camp entre les gardes du Palais et plusieurs légionnaires dirigés par une poignée d’officiers. C’était une rébellion ! Aydan soupira avant de sortir de sa cachette et de se ruer en avant.
Il passa juste à côté de plusieurs soldats stupéfaits qui ne réagirent même pas à sa présence. Une fois à proximité des combats, il dégaina son arme et lança des regards tout autour de lui en essayant d’apercevoir Liam. Il fut rapidement pris à partie par les deux camps et se retrouva à croiser le fer contre à peu près tout le monde tout en continuant son exploration.
Malgré leur faible nombre, les gardes du Palais arrivaient à tenir en respect les légionnaires. On aurait dit qu’ils s’attendaient à être attaqués, car ils avaient tous les yeux en feu, signe qu’ils venaient d’accomplir leur rituel. Et puis, tout le camp ne prenait pas part à la révolte. Visiblement, l’autorité d’Atrius commençait également à se répandre tout doucement au sein des légions. Les soldats qui ne se battaient pas étaient rassemblés dans un coin du camp en observant la scène l’air gêné.
Aydan continua de se frayer un chemin dans la mêlée en parant, déviant ou évitant les coups d’épées de toute part. C’est alors qu’il l’aperçut. Liam, dans sa fringante armure de capitaine de la Garde, observait la bataille du haut de sa monture. Ce dernier échangea quelques mots avec d'autres gardes avant de tirer sur les brides de son cheval et de s'élancer en dehors du camp avec plusieurs hommes sur ses talons. Aydan esquiva de justesse un carreau qui transperça l’armure d’un soldat derrière lui et il courut en direction d’un garde qui s’apprêtait à grimper à son tour sur un cheval. Il le plaqua au sol par surprise. L’homme se débâtit un moment jusqu’à ce qu’Aydan ne sorte une dague et ne la plante dans son torse. Il grimpa ensuite sur la monture et, profitant du chaos qui régnait dans le camp, il parvint à se jeter aux trousses de Liam sans que personne ne l’arrête.
Il galopa à vive allure en traversant comme une flèche la vaste plaine qui s’étendait devant Ephis. Il devinait vaguement au loin le groupe de Liam qui poursuivait sa route jusqu'à une colline boisée illuminée dans le noir par des dizaines de torches et de braseros. Une fois arrivé au pied de celle-ci, Aydan descendit de son cheval et entama aussitôt l’ascension. Il garda son arme de sortie, car bien que la nuit fût tombée, on avait pu l'apercevoir au milieu de la plaine. De plus, l’endroit était truffé de gardes et il dut progresser avec la plus grande précaution. Ces derniers se faisaient plus nombreux au fur et à mesure qu’il s’approchait du sommet. Il tomba également sur plusieurs cadavres que les hommes s’affairaient à déplacer et à empiler dans un coin. C’étaient des soldats de Dérios, Aydan les reconnut immédiatement à leur armure en bronze ornée d’un cygne sur le torse.
Finalement, il arriva au sommet de la colline où se trouvait la grande tente dressée pour les négociations. Juste devant celle-ci se tenait Atrius et à ses côtés, Aydan aperçut un homme qu’il ne connaissait pas. Il lui sembla étrange et le mit instantanément mal à l’aise. La dernière fois qu’il s’était senti aussi impressionné par quelqu’un était lorsqu’il avait surpris Atrius en pleine conversation avec Pyra. D’ailleurs, bien qu’il s’agissait d’un homme, les traits de leurs visages se ressemblaient étonnamment.
L’individu tourna brusquement la tête dans sa direction comme s’il l’avait entendu et Aydan se rabaissa en vitesse derrière le bosquet qui lui servait de cachette.
— Vous avez fait le bon choix en vous débarrassant de Sirius, déclara Atrius.
— Il a fait ce que j’attendais de lui, répondit l’homme. Maintenant, l’armée de Dérios n’existe plus et plus rien ne pourra se mettre en travers de mon chemin.
Aydan n’en croyait pas ses oreilles. Il reconnaissait la voix de Pyra émaner de ce dernier.
— Pourquoi ne pas m’avoir révélé sa paternité plus tôt ?
— Si je l’avais fait, tu l’aurais tué avant qu’il ne gagne cette guerre. En donnant cette lettre à Laris, j’étais sûre qu’il ferait l’erreur de révéler l’affaire durant Novi-Fyr.
— Je vois, murmura-t-il. N'avez-vous donc éprouvé aucun remords ?
Atrius fixait l'homme avec attention. Nul doute qu’il s’apprêtait à juger minutieusement ses prochaines paroles.
— Il était mignon, mais n'avait rien à voir avec Ignis. Ce n'était qu'un jeune homme peureux incapable de vivre par lui-même.
La Flamme de la Foi sembla se satisfaire de cette réponse.
— Fort bien, et concernant ce Lucio ?
— Il ne m'est plus d'aucune utilité. Qu'il fasse ce que bon lui chante, si jamais il ose contrarier mes plans, je l'éliminerai.
— Quand passons-nous à la suite dans ce cas ?
— Très bientôt, tout est enfin prêt. Rentrez à Spyr, consolidez mon culte et pleurez la mort de Sirius. Vous n'avez qu’à, je ne sais pas, ériger une statue en son honneur ?
— Est-ce bien nécessaire ?
— Je lui ai promis que l'on se souviendrait de lui pour l'éternité et je tiens à tenir parole. D'autant plus que nous ne serions pas ici sans son... Dévouement. Par la suite, envoyez-moi de nouveaux prêtres, la plupart des Adorateurs à Dérios ont été tués par Théa lors de ma capture. J'aurais également besoin de troupes pour encercler la cité.
— Ce sera fait. Deux légions dirigées par des gardes du Palais vous escorteront jusqu'à Dérios. Vous pourrez en disposer comme bon vous semble.
— Excellent. Prisonniers sur leur île, les Déris n’auront aucune échappatoire et, avec un sacrifice de cette ampleur, je serais en mesure d’enfin prendre le contrôle de ce corps pour toujours.
Il fit alors apparaître une petite boule de feu dans la paume de sa main et commença à la faire jongler entre ses doigts.
— J’en ferais venir des nouveaux le plus rapidement possible. Que faisons-nous pour les Brûlés ? Ont-ils flairé le piège en évitant de se présenter aux négociations ?
— Ce n’est pas impossible, après tout, ils ont une demi-déesse avec eux.
— Vous parlez de cette femme au visage à moitié brûlé ? Je croyais qu’elle ne présentait plus une menace ?
— C’est le cas. Ils m'ont déjà prouvé qu'ils n'avaient pas le courage nécessaire pour m'affronter. Et s’ils osent se mettre en travers de mon chemin, je les réduirai en cendres tout comme j’éliminerais chacune des prêtresses de cette maudite déesse qui se fait passer pour moi.
En même temps qu’il prononça ses mots, l’homme referma la paume de sa main, éteignant brutalement les flammes.
— J’apprécie ton soutien, Atrius, mais tu as bien conscience que, dès lors, je garderai cette forme pour l’éternité.
— Votre apparence n’a pas d’importance, seul compte votre pouvoir. Cette quête sera celle de votre résurrection. Enfin, vous retrouverez votre véritable puissance, celle louée par les textes anciens et qui fit la grandeur d’Aurora. Enfin, Spyr aura un véritable guide, une déesse qui montrera la voie à suivre à son peuple.
— Aurora, murmura l’homme. Oui, je pourrais tout reconstruire, soumettre de nouveau tout le continent. Les autres divinités d’Elanor auront beau s’allier, elles ne rivaliseront jamais avec moi.
C’est alors qu’Aydan reconnut Liam arriver devant la Flamme pour faire son rapport.
— Tous les Déris ont été éliminés votre honneur. Comme vous l'avez prévu, des hommes de Sirius se sont révoltés, mais la plupart ont déposé les armes. Seule une poignée d'entre eux s'est retranchée dans une aile du camp ouest. J'ai donné l’ordre aux gardes des autres campements de se réunir pour mater l'insurrection, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne se rendent.
Aydan aurait voulu sortir de sa cachette pour l’embarquer de force avec lui, mais c’était une idée stupide.
— Bien, répondit Atrius. Vous avez fait du beau travail, capitaine.
— Et que faisons-nous pour Sirius ?
— Mettez-le avec les autres. Nous dirons qu’il s’est vaillamment battu jusqu’au bout.
Liam acquiesça et fit signe à deux autres gardes de le suivre à l’intérieur. Au même moment, une jeune femme sortie de la tente et le poussa sans ménagement.
— Qu’est-ce que c’est que ça ! Cria-t-elle à l’attention de l’homme qui accompagnait Atrius.
— Vous avez souhaité vous débarrasser de Théa. Je n’ai fait qu’exaucer votre souhait. Maintenant, le trône vous appartient à vous et à Lucio.
— Pourquoi ne pas m’en avoir averti ? Si Éléon ou moi avions bu dans les mauvais verres, nous serions morts à l’heure qu’il est.
— Eh bien, soyez heureuse de ne pas l’être.
L’homme avait prononcé ces mots d’une voix froide et tranchante en la fixant dans les yeux et la jeune femme perdit aussitôt son aplomb.
— Daélia, reprit-il. Nous avions un accord. Je vous offre le trône et, en échange, vous autorisez de nouveau mon culte dans votre cité. Ne l’oubliez pas.
Daélia ne dit rien, mais le message était passé. Elle retourna dans la tente où en ressortirent quelques secondes plus tard Liam et les autres gardes. Ils transportaient le corps inerte de Sirius avec eux. Aydan ne fit aucun geste, il essayait de comprendre la scène surréaliste qui se déroulait sous ses yeux. Atrius et l’autre homme retournèrent à l’intérieur de la tente tandis que le groupe de Liam emprunta un petit chemin en terre. Il décida de les suivre tout en restant à distance raisonnable pour éviter de se faire repérer. Malgré l’obscurité, il n’eut aucun mal à se faufiler de cachette en cachette sans les perdre de vue.
Le groupe s’arrêta près d’un grand chêne où une fosse commune avait été dressée à ses pieds. Plusieurs cadavres de Déris et de Spyriens y étaient entassés pêle-mêle et recouverts d’un mélange de paille, de chaux et d’huile. Les deux gardes qui transportaient Sirius le jetèrent sans ménagement dans la fosse. Liam s’avança alors et contempla le corps de la Flamme de la Guerre.
— Finalement, Pyra ne t’aura pas tant protégé que cela. Regarde où ton glorieux destin t’aura mené.
Il se retourna ensuite vers ses hommes pour leur demander :
— Combien de corps reste-t-il ?
— Environ une dizaine, mon capitaine. Les autres les ont regroupés un peu plus bas sur la colline.
— Allez les chercher. Vous y mettrez le feu par la suite.
Les deux hommes s’exécutèrent et Liam prit la route pour retourner vers la tente. C’était enfin le moment qu’Aydan attendait. Son ami était seul et il pouvait espérer lui parler. Il sortit de sa cachette et marcha dans sa direction lorsqu’il entendit un râle en provenance de la fosse. Aydan s’arrêta net, surpris, et y lança un coup d’œil. Il aperçut alors le corps de Sirius émettre une suite de bruits rauques. Son ventre se gonflait et se dégonflait légèrement à un rythme irrégulier. Il respirait avec peine, mais il était en vie.
Que faire ? Aydan regarda, incrédule, le visage fermé de Sirius agonisant, puis reporta son attention sur Liam qui continuait sa route. Il était venu pour son ami, pour le sauver avant tout, et il n’en avait rien à faire du sort réservé à Sirius. Aydan ne le connaissait pas particulièrement et il avait horreur de l’aura de gloire surfaite qui l'entourait. Il était le genre de personne qui réussissait toujours tout ce qu’il entreprenait, le genre de personne qu’Aydan détestait par-dessus tout. Pourtant, le voir dans cet état ne pouvait signifier qu’une chose, lui aussi avait payé les frais des plans d’Atrius. Mais il était la Flamme de la Guerre et son prestige était encore grand dans tout l’empire. Instinctivement, il serra contre lui le médaillon. S’il appartenait à Sirius à l’origine, alors peut-être avait-il un rôle plus grand à jouer dans cette histoire. Peut-être était-il le seul capable d’arrêter Pyra ?
Il jeta un dernier regard vers la silhouette de Liam qui disparaissait dans la nuit, puis Aydan sauta dans la fosse. Il attrapa le corps de Sirius et le tira hors du précipice. Il le mit sur ses épaules et commença à descendre de la colline en évitant les patrouilles de garde. Par chance, il retrouva sa monture là où il l’avait laissée. Il déposa Sirius sur le cheval puis grimpa à son tour avant de tirer sur les rênes et de partir au galop.
ah t'as essayé de me faire une farce la dernière fois ahaa
Je me disais que la fin de Sirius était un peu étrange pour lui.
En tout cas très content de retrouver les passages avec Aydan, la vie est revenu aha
Je pense que malheureusement il n'y a plus grand chose à faire pour Liam...
Et le collier de Sirius. Héhé
Sinon rien à dire, fluide et agréable :)
Je continue !