Aydan chevaucha toute la nuit. Il voulait mettre le plus de distance possible entre lui et Éphis et il ne s’arrêta pour faire une pause que lorsque son cheval fut au bord de l’épuisement. Un peu avant l’aube, il finit par arriver devant une petite ferme laissée à l’abandon. L’endroit était intact et épargné par les pillages. Ses propriétaires avaient sûrement eu peur que la guerre ne s’invite chez eux et ils avaient quitté les lieux en précipitation en abandonnant plein d’affaires dans leur fuite. Aydan trouva ainsi facilement de quoi manger et se désaltérer. Mais ce qui l’inquiétait était l’état de Sirius. Son corps était brûlant et il transpirait à grosses gouttes en se tortillant dans tous les sens. Il n’avait fait que pousser des grognements incompréhensibles durant toute la nuit en murmurant parfois un seul nom : Pyra.
Malheureusement, durant ses recherches, Aydan ne trouva rien qui puisse lui être d’une grande aide, hormis quelques bandages. De plus, il ne savait pas de quels maux Sirius souffrait, ni même s’il en existait un remède. Il décida donc de l’allonger sur une paillasse dans la chambre à coucher en espérant que le repos l’aiderait à le remettre sur pied.
Il ressortit du bâtiment et emmena son cheval jusqu’aux écuries. Il partit ensuite faire un tour des lieux pour s’assurer que l’endroit était bel et bien sans danger. Dès qu’il eut terminé, il rentra de nouveau à l’intérieur et prit soin de positionner une marmite légèrement en hauteur sur une chaise juste derrière la porte d’entrée. Ainsi, si quelqu’un tente d’entrer à l’improviste, le bruit l’en informera aussitôt.
Aydan alla s’asseoir sur une autre chaise en bois juste à proximité de ce qui devait être un garde-manger et il se mit à réfléchir à la situation. Ils devaient être quelque part au Sud-Est d’Ephis et il avait fort à parier que l’armée spyrienne soit passée tout près d’ici en se dirigeant vers la cité. D’après la conversation qu’il avait entendue durant la nuit, l’armée de Dérios n’était plus en mesure de s’opposer à celle de Spyr et ces derniers contrôlaient toute la région d’Éphis ainsi que la route vers la capitale. Remonter vers le nord ne servirait donc à rien. Ils ne pouvaient pas non plus s'attarder dans les parages. Aydan avait croisé nombre de soldats en maraude et des compagnies de mercenaires devaient certainement arpenter les campagnes à la recherche du moindre butin. C'était un miracle qu'ils n'aient pas encore trouvé cette ferme, mais y rester trop longtemps, c'était prendre le risque de se faire capturer et au mieux être vendu comme esclave, au pire, livrés directement aux Spyriens. D’un autre côté, ils ne pouvaient pas non plus se rendre directement à Spyr. La ville était désormais entièrement sous le contrôle d’Atrius et ils se feraient rapidement arrêter. Non, le mieux était certainement de rejoindre une légion stationnée dans une des villes de l’empire et de les convaincre de se révolter. Mais la plupart d’entre elles étaient à Éphis. Peut-être en poursuivant leur route jusqu'en Astrie ?
Dans tous les cas, ils n’avaient pas d’autre choix que de faire une pause ici, le temps que l’état de Sirius s’améliore. Et même si Aydan se sentait encore plein d’énergie, il ne voulait pas non plus pousser son corps à bout. Il décida donc de garder les lieux durant la journée en prenant régulièrement des nouvelles de Sirius avant d’aller se reposer quelques heures.
Il fut réveillé au beau milieu de la nuit par ce qui lui semblait être des murmures répétés. D’abord timides, ils se firent de plus en plus forts. Aydan déboula dans la chambre de Sirius et le trouva éveillé sur son lit.
— De l’eau, murmura-t-il.
Il attrapa un pichet dans la pièce et le lui donna. Sirius y trempa aussitôt ses lèvres et bu goulûment comme si sa vie en dépendait.
Aydan le contempla un instant alors qu’il vidait la cruche à toute vitesse. Cela lui faisait drôle de le voir en si piteux état, courbé en deux sur sa paillasse. Lui qui autrefois dirigeait des armées avec panache du haut de sa monture. Il avait souvent cru que c’était quelqu’un d’exceptionnel. Qu’il faisait partie de ceux appartenant à la caste des Hommes qui, par leur grandeur, côtoyaient celle des dieux. Mais assis en tailleur sur la paille d’une ferme poussiéreuse, il ne lui semblait pas si différent des autres.
Dès qu’il eut terminé, Sirius laissa tomber la cruche et s’affala de nouveau sur son lit en soupirant de satisfaction.
— Elle m’a trahi, c’est cela ? Dit-il tout haut sans même tourner la tête vers Aydan.
— Si vous parlez de Pyra, alors il semble que oui. Elle et Atrius ont certainement dû planifier tout cela ensemble. Il y avait un autre homme également, mais je ne l’ai jamais vu auparavant.
— Ignis, murmura-t-il.
— Celui de la légende ? Demanda Aydan confus.
— Lui-même, j’en suis certain à présent. La seule personne que Pyra ait véritablement aimée un jour.
Il eut un bref silence et Sirius se retourna sur sa paillasse en regardant le mur.
— Laisse-moi, dit-il.
— Nous n’avons pas de temps à perdre si vous êtes rétabli. Les légions ne vont certainement pas tarder à revenir par ici pour rentrer à…
— Je t’ai dit de me laisser !
Voyant que Sirius ne voulait rien entendre, Aydan se leva pour quitter la pièce. Avant de sortir, il crut remarquer une fine goutte glisser le long de sa joue.
Aydan se présenta de nouveau le lendemain à son chevet et il trouva la Flamme de la Guerre dans la même position où il l’avait laissé la veille.
— Je suis venu vérifier que vous alliez bien, dit-il.
Pour toute réponse, Sirius se retourna péniblement dans sa direction. Il était dans un état encore plus terrible que la nuit dernière. Certes, sa maladie semblait avoir diminué et il ne transpirait plus, mais son teint était terne et son visage profondément ridé. Il n’avait sûrement pas dû dormir de la nuit. Cependant, Aydan pensait savoir ce dont Sirius souffrait maintenant, et cela ne pouvait être guéri par aucun remède.
— Il va nous falloir reprendre la route, cet endroit ne sera pas sûr éternellement. En partant avant midi, l’on devrait pouvoir attendre Laxis dans trois jours.
Il n’obtint toujours aucune réponse de Sirius qui avait le visage fermé et regardait piteusement les lattes du plancher.
— Il doit bien y avoir une légion là-bas qui acceptera votre commandement. Il faudra neutraliser les gardes du Palais qui l’accompagnent, mais ça sera déjà un début. Je suis sûr que les autres légions suivront.
Voyant que Sirius ne réagissait toujours pas, Aydan s’avança et le prit par les épaules.
— Vous êtes la Flamme de Guerre, bon sang ! Ressaisissez-vous !
Il voulut se dégager, mais Aydan le tenait fermement.
— Vous n’allez pas accepter ça ! Continua-t-il. Vous pouvez encore changer les choses.
— Il n’y a plus rien à changer ! S’emporta Sirius. Mon père et Pyra m’ont tous les deux promis un grand avenir, et voyez à quoi j’en suis réduit aujourd’hui. Trahi par les hommes et par les dieux. Abandonné par ma famille et par la seule femme que j’ai un jour aimée, quand bien même eut-il fallu qu’elle soit une déesse. Je n’ai absolument plus rien à faire de Spyr, de la République ou des Adorateurs. Je veux simplement que l’on me laisse en paix.
Il le repoussa et se recroquevilla sur son lit.
— Écoutez-moi, s’entêta Aydan. Je ne suis qu’un soldat, personne ne m’écoutera dehors. J’aurais beau les avertir, l’on me rira au nez, mais vous ! Vous êtes connu et respecté dans tout l’empire ! Et par-dessus tout, vous êtes le fils de l’ancien roi. Les gens vous préféreront forcément à un prêtre fanatique qui maintient son culte par la terreur en rasant des villages entiers.
— J’en suis incapable. Tout ce que je sais faire et n’ai jamais fait jusqu’à présent fut de suivre une route que l’on avait tracée pour moi. Jamais je ne saurais diriger un empire. Demandez à Gladius, je suis certain qu’il sera ravi de se débarrasser de ce prêtre. Il est un peu dur et les soldats ne l’apprécient guère, mais s’il y parvient, il saura faire régner l’ordre.
— Eh bien, pour une fois dans votre vie, prenez une décision par vous-même. Ne prenez pas le pouvoir parce que quelqu’un vous l’a demandé, ni même pour vous, mais prenez le pour le peuple. Mérite-t-il réellement de subir la tyrannie d’Atrius et d’une déesse sanguinaire ?
— Et pourquoi serait-ce à moi de les sauver ? Que puis-je leur offrir qu’un autre ne pourrait pas ?
— De l’espoir, dit Aydan.
Il sortit alors de sa tunique l’amulette en bois et la lui tendit.
— Vous vous en souvenez ? Je vous l’avais prise lors de votre arrestation.
Sirius fronça les sourcils.
— Vous… Je vous reconnais. Vous étiez un garde du Palais, n’est-ce pas ? Votre visage me semble… Moins froid qu’auparavant.
— Je ne peux pas croire qu’un tel objet ait atterri entre vos mains sans une bonne raison, continua Aydan en lui tendant l’amulette.
Il sut qu’il avait marqué un point, car les yeux de Sirius s’illuminèrent devant l’objet. Mais par fierté, il ne voulait pas avouer qu’il y tenait.
— Gardez-la, dit-il. Elle appartient à un fantôme de toute façon.
Aydan la déposa délicatement sur la paillasse et se leva.
— Je vais vous accorder encore un peu de temps pour réfléchir, mais sachez qu’il n’existe aucun destin qui ne soit tracé d’avance. C’est à vous qu’il revient de le saisir.
Il allait sortir de la pièce lorsque la voix de Sirius l’arrêta.
— Comment t’appelles-tu ? Lui demanda-t-il.
— Aydan.
— Pourquoi fais-tu tout cela pour moi, Aydan ?
— Je ne le fais pas pour vous. Je le fais pour sauver un ami, répondit-il.
Sur ce, Aydan sortit de la pièce. Il était confiant en son discours ainsi que dans les facultés de l’amulette. Il se dit que Sirius retrouvait vite son aplomb et qu’ils pourraient enfin partir d’ici.
Il s’écoula trois jours et trois nuits sans que la Flamme de la Guerre n’accepte ne serait-ce que de mettre le nez dehors. Aydan commençait à désespérer tout en se demandant s’il avait réellement fait le bon choix en le sauvant cette nuit-là. Pourtant, il ne perdait pas espoir de lui faire retrouver sa motivation, surtout qu’il avait beau se plaindre et dire qu’il voulait qu’on le laisse seul, cela semblait le soulager de lui raconter tous ses problèmes.
—... Il n’en a jamais rien eu à faire de moi. Tout ce qu’il voulait, c’était s’asseoir sur le trône.
Aydan soupira. Sirius ne faisait que ressasser cette histoire sans fins.
— Et votre mère demanda-t-il ?
— Ma mère ? Elle n’a pas souhaité me voir lorsqu’elle…
— Non, le coupa Aydan. Je parle de votre vraie mère, celle qui vous a donné ceci.
Il pointa du doigt le talisman que Sirius portait désormais autour de son coup. Il ne l’avait pas quitté depuis qu’Aydan le lui avait rendu.
— Elle est morte peu après la naissance de la République. Elle faisait partie d’une caravane et on l’accusa d’avoir entretenu des relations avec le roi Aurel. Dans le doute, on les a tous massacrés comme des chiens.
— Prosper ne vous a pas tué, pourtant.
— Non, il aurait vu un signe, un cercle de flamme ou je ne sais quoi et m’aurais pris sous son aile, bien qu’il sût pertinemment que je n’étais pas son fils. La seule chose que j’ai d’elle est ce talisman.
— Ce n’est pas un objet ordinaire, vous vous en rendez bien compte.
— Que voulez-vous dire ?
— Enfin, vous voyez bien qu’il améliore vos capacités physiques. C’est grâce à lui que j’ai pu sortir de l’emprise de Pyra.
— Non, je me sens plus serein et en meilleure forme quand je le porte, c’est vrai, mais je n’ai jamais rien remarqué de tel.
Aydan était abasourdi. Sirius avait cet objet depuis sa naissance et ne s’était jamais rendu compte du potentiel qu’il renfermait.
— Écoutez, il y a de cela quelques mois, je ne croyais absolument pas à ces légendes de divinités et de magie. Je n’espérais qu’à vivre une vie tranquille à la capitale, loin de toutes ces histoires. Mais j’ai vu de quoi Pyra est capable, j’ai subi l’emprise des Adorateurs et je peux vous affirmer que cet objet a un lien avec tout ça.
— Comment a-t-il atterri entre mes mains dans ce cas ?
— Je l’ignore, peut-être votre mère avait-elle des pouvoirs spéciaux ou bien elle était une prêtresse, cela n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est ce que vous allez faire à présent, maintenant qu’elle vous a légué cet objet. Elle vous a offert de quoi survivre dans ce monde parce qu’elle vous aimait et qu’elle voulait vous protéger. Alors ne laissez pas son sacrifice avoir été vain !
Sirius ne répondit pas, comme s’il était perdu en pleine réflexion.
— Reprenez ce qui vous revient de droit. Chassez Atrius et sa clique du pouvoir, défiez les dieux s’il le faut, mais ne laissez plus personne décider à votre place. Battez-vous, comme vous l’avez toujours fait !
Sirius leva la tête et le regarda les yeux grands ouverts.
— Battez-vous ! Répéta Aydan.
Forcément situation difficile pour Sirius. Et le mystère sur la mère s'épaissit. Pourquoi une simple esclave aurait eu un objet d'une telle valeur ? Intrigant.
Hâte de voir le Sirius énervé ahhaaa
Ah et dans le passage d'avant et un autre chapitre parle de plusieurs dieux. Intéressant... je suppose qu'on en saura bientôt plus.
Juste deux retours :
"mieux etre vendu" -- bon là c'est juste un accent manquant
" Il doit bien y avoir une légion là-bas qui acceptera votre commandement. Il faudra neutraliser les gardes du Palais qui l’accompagnent, mais ça fera déjà un début, je suis sûr que les autres légions suivront." -- ici je suis pas sûr que le "mais" soit nécessaire. En tout cas si tu veux parler de la légion mieux vaudrait l'enlever.
A plus ^^
pour les autres divinités malheureusement elles n'aparaitront pas. Le roman est déjà suffisament long et je voulais pas m'éparpiller. Ce sont juste des éléments de lore préexistants comme les autres royaumes d'ailleurs. Qui sait, ils serviront peut-etre pour une suite un jour ?
A la prochaine,
Scrib