Après ce discours mi-grotesque mi-magistral de Sasha, il me sembla qu’un malaise s’était propagé à l'ensemble du pays. Quand la discussion avec Jarnoff reprit, je sous-entendis habilement que j’étais une sorte de franc-tireuse qui fournissait la Fronde en matériel dans ma région mais sans pour autant réellement partager leurs objectifs politiques, agissant juste par plaisir, pour moi-même. D’après ce que je pus voir sur les écrans, il me semblait que le public m'appréciait.
En sortant du batiment avec Jarnoff, Alister vint m’embarquer dans sa voiture, laissant Sasha sur le carreau avec Leodan. Il débriefa mon interview.
— C’est bien. dit il. Tu ne t’es pas laissée éclipser par le discours de Sasha. C’est parfait, même si tu aurais pu être plus convaincante — mais à mon avis, le citoyen moyen de la Citée Consulaire est si con qu’il ne se sera aperçu de rien.
— Tant mieux. répondis-je. C’est quoi la suite ?
— La suite ? Parcours commando et tests physiques demain après-midi, ensuite, la Porte de l’Enfer ; puis, peut-être, les Jeux du Souvenir.
Je m’allongeait dans le siège et regardai le plafond avant de soupirer, ce pour quoi Alister me reprit :
— Ne soupire pas comme ça !
— Pourquoi ?
— Dis moi comment cela t’aide à gagner les jeux.
— Euh…
— Alors je ne veux plus te voir soupirer.
Le soir, au dîner avec Sasha, nous fîmes notre propre appréciation de la journée. Apparemment Sasha semblait pleine de regrets autant que de contentement d’avoir franchit le point de non retour vers la mort.
Ma nuit fut mouvementée. J’imaginais tour à tour Sasha, Kailen, Lysan et Diana dans les geôles des Mains de Sang, subissant la chambre sourde et mille autre sévices de par la volonté de Waltermann, lointaine mais bien présente. Ensuite, j’imaginait Alister courir au milieu d’une salle à l’air officiel, remplie de boiseries. Cette salle semblait être celle du gouvernement. Il avait un couteau planté dans le coeur et une épée à chaque main. Waltermann et Jorval, face à face haranguaient les autre membres du gouvernement. Alister traversa la salle en courant, tuant dix-sept gardes au passage avant de clouer Waltermann sur le mur, une épée dans chaque poumon.
C’est alors que dans ce rêve étrange, je sentit un choc à l’abdomen. Je me sentait projetée à travers les airs avant de buter sur la table d’un des membres du gouvernement. Je levai la tête et vis que Waltermann, tout mort qu’il était m’avait tiré dessus. Tandis que je me vidait de mon sang, Kailen tentait de me consoler, mais sans que je sache pourquoi, je le repoussai. A l’instant de basculer d’ans l’autre monde, je ressortis de ce rêve.
Au dessus de moi, telle un rapace, Sasha affichait une expression inquiète. En la voyant, je ne pu m’empêcher de me rappeler que quelques minutes plus tôt, je l’avais vu se faire percer l'oeil avec une perceuse par les Mains de Sang.
— Ça va ? me demanda-t-elle, l’air préoccupée.
— Oui, oui. édulcorai-je sa question.
Nous allâmes petit déjeuner et eûmes quartiers libres jusqu’au déjeuner. Ensuite, nous refîmes un tour d’hélicoptère en direction d’un autre terrain d'entrainement.
Celui ci se trouvait au bord d’une gorge, dans un bois. Je pu distinguer des câbles appartenant à un parcours quelconque qui la traversait de part en part.
Tout les 1700 candidats n’avaient pas étés amenés là au même moment si bien que nous n’étions que 100 environ, tous de la VIIème Province. Je supposais qu’il y avait plusieurs lieu comme celui-ci.
Une fois que nous fumes descendus, nous fûmes accueilli par un instructeur rêche de la garde Consulaire qui gérait ce terrain :
— Ecoutez moi bien bande de lavettes ! C’est la dernière épreuve de votre sélection, et si vous n’y réussissez pas, vous avez toutes les chances d’être butté avant l’arène, alors pas le temps faire le gogol !
Il pointa une rangée de sacs et dit :
— Vous voyez ces lests ? Ils pèsent dix kilos chacun et vous allez devoir courir quatre kilomètres avec autour de ce terrain ! dit il en désignant un parcours balisé. Allez y, vous avez trente minutes.
Je me précipitait vers les sacs et en prit un au hasard avant de me jeter dans la direction indiquée. Bientôt, la plupart des garçon ainsi que Sasha étaient parvenus à ma hauteur ; et si elle y resta, les autres continuèrent comme des dératés.
— Ne te grille pas dès la première épreuve comme eux. me recommanda-t-elle. Tu les rattraperas sur les suivantes.
J'acquiesçai. Vu comment elle avait défoncé les intrus dans la forêt, je n’avais envie que de lui faire confiance. Et cela paya. A la fin de la course, j’étais exténuée, pleine de courbatures et mourrais de soif, mais ceux qui étaient partis comme des flèches étaient loin derrière.
Une fois que le délai de vingt minutes fut passé, l’instructeur hurla à ceux qui avait passé la première partie de l’épreuve :
— A plat ventre !
Comme rien ne se passa, il se dirigea vers un pauvre type de treize ans avec des cheveux roux qu’il attrapa par l’oreille.
— J’ai dit à plat ventre ! s’époumona-t-il.
Et il tira l’oreille vers le bas. Le garçon criait de douleur si bien que l’instructeur sortit une matraque électrique et dit :
— Si tu ne la fermes pas de suite, je te castre avec ce truc !
Finalement le garçon se mit docilement à terre.
— Et bien vous autres ? Qu’est-ce que vous attendez ? Faites comme lui, sinon c’est vous que je castre !
Comme tout le monde, je me jetai contre le sol, mais avec un peu de retard. J’espèrait qu’il ne l’avait pas remarqué, mais à mesure qu’il s’approchait de moi, je mis à craindre ce qu’il pourrait bien me faire. Je cru un instant qu’il allait s’adresser à Sasha à côté de moi, mais il se tourna au dernier moment pour me mettre un coup de pied d’une violence inouïe qui me souleva de terre en hurlant :
— Debout ! Si tu ne montre pas plus de promptitude qu’un lombric anémique, je te jure que je te dévisse la tête avant de pisser dans le moignon qui te servira de cou ! Ensuite, je te démembrerait avant de t’éventrer pour te pendre avec tes propres boyaux, compris !? Voua autres, pareil !
Une fois que tout le monde fut debout il cria de nouveau :
— A plat ventre ! Debout ! A plat ventre ! Debout ! Bouffez moi le sol ! Relevez vous bande de minables !... et ainsi de suite.
La cadence imposée était telle que bientôt à force de me jeter par terre, j’avais les mains en sang.
Ensuite on ordonna, toujours avec les sacs, de franchir le plus vite possible une série de fossés, de barbelés à ras de sol sous lesquels il fallait ramper et deux murs l’un après l’autre par dessus lesquels il fallait sauter, épreuve que Sasha réussit sans mal mais qui me prit tout de même un certain temps et empira encore l’état de mes mains.
Après quoi il fallut faire du gainage pendant deux minutes entières, ce que bien peu desquels je ne faisait pas partie mais Sasha si réussirent.
Puis, l’officier nous amena au bord de la gorge.
— Regardez en bas ! Il y a un petit lac. Vous voyez ?
Je me penchai à la limite de tomber ; et en effet, une eau claire et pure, charriée par quelque ruisseau se déversait paresseusement dans le fond de la gorge, y formant une étendue de quelques mètres de profondeur.
C’est alors, qu’étant par malheur la personne à s’être avancé le plus en avant et peut être aussi parce que ma tête ne revenait pas à cet instructeur, je fus précipitée en avant et réalisai une chute de plus de trente mètres, l’air me cinglant le visage presque autant que l’eau à l’impact.
Je manquai d’être assommée et de couler à cause des kilos de pierres que je portais sur mon dos qui faillirent me briser la colonne vertébrale. Après de nombreuses et interminables secondes passées dans l’eau, alor que je commençais à manquer d’air, je parvint à me propulser vers la surface d’un coup de talon.
— Quel dommage ! me cria à la volée l’instructeur. Tu as glissé et survécu ! Voilà qui ne plaira guère au général !
Comme c’était prévisible ! Une tentative d’asssassinat pendant la sélection à cause de ma performance devant le public !
— Maintenant que tu es aussi insubmersible que le Titanic, je vais t’envoyer une corde lisse. Tu auras trois secondes pour t’y accrocher.
Pour être lisse, elle l’était, cette corde. Je me la nouait autour des aisselles aussi vite que je pus et levait les yeux vers l’instructeur. Voyant mon regard, il ordonna :
— Envoyez !
Je fus projetée en l’air à une vitesse incroyable, propulsée sans doutes par un système de treuil dimensionné pour remorquer des portes conteneurs ou je ne sais quoi d’autre. Je passai par dessus des filins passant eux même par dessus la gorge à la manière d’un pont de singe, supportant la poulie du dit treuil avant de retomber juste en dessous de celle ci.
— Très bien ! Maintenant, tu vas grimper sur la plateforme de cette poulie et te détacher de la corde avant de mettre un harnais.
Je m’exécutai, et, quand je fus engoncée dans un harnais, l’instructeur hurla de nouveau d’envoyer ; et, tout à coup, le sol se déroba sous mes pieds.
Je tombai de nouveau dans le vide en criant comme une souris. J’avais maintenant la tête en bas et j’étais dans un plus mauvais état que jamais.
— Je vais te poser une énigme ! me hurla l’instructeur.
— Vous croyez qu’il est temps de jouer aux devinettes ? répliquai-je. Pourquoi pas une charade, tant qu’on y est ?
— Ta gueule petite emmerdeuse. L’énigme est la suivante : “dans une pièce, nous avons le roi, le chef de la religion et l’homme le plus riche d’un pays donné. Entre eux, un malandrin quelconque, mercenaire de circonstance. Chacun de nos trois hommes exhorte cet individu de tuer les deux autres. Qui vit, qui meurt, et où est le pouvoir ?” Bonne chance ! ricanna-t-il. Si d’ici dix minutes tu ne l’as pas résolue, l’accumulation de sang dans ton crane te fera perdre connaissance et d’ici à trente minute ou une heure, tu seras morte !
Je m’efforçai de réfléchir. Celui qui aurait le pouvoir serait celui qui vivrait. Il fallait trouver qui l’avait.
La réponse la première partie, “qui vit, qui meurt” me semblait être que cela dépendait de l’assassin, mais ce serait là une réponse bien incomplète et fort peu précise. Différents types d’assassins, de terroristes ou autres criminels pourraient laisser vivre chacun des trois.
J’essayai de mettre à la place de l’assassin tout en appliquant la logique d’Alister, de manière à ne pas me laisser influencer par mes sympathies personnelles venant à l'encontre des personnes pouvant correspondre à ces descriptions en Asden.
Pour Alister, rien n’est plus important que le Pouvoir. Qui a le pouvoir ? Où est-il ? Voilà le maitre mot de l’énigme : le Pouvoir. Reste à déterminer qui le possède. La première des réponse serait le roi, mais c’est bien trop facile : il y a bien d’autres forme de Pouvoir ; comme celui de l’or et celui des illusions de la religion qui embrument les esprits simples et plient leurs actions.
La réponse est donc : partout est le Pouvoir, seul celui qui doit le voir en décide. Où l’on s’imagine qu’il est. Et donc, c’est l’homme dépositaire de ce que notre assassin croit être le premier des pouvoirs qui le possède réellement. Et qui vit. Tandis que les autres meurent ou tombent. Tuer ou Mourir, Faire Tomber ou Etre Déposé.
J’ouvris donc la bouche :
— Là est le Pouvoir où l’on croit qu’il est, et survit qui le possède.
— Vrai ! grogna l’homme en relâchant violemment un levier qui me fit retomber vers l’eau
Un peu plus tard, sur le trajet du retour vers le Palais des Jeux, j’en discutais avec Sasha. Quand je lui expliquai mon raisonnement pour trouver la réponse, elle y répondit :
— Tu as raison. Mais à ton avis, qu’est-ce que cela implique ?
— Qu’il suffit d’avoir l’air puissant pour l’être ?
— Exactement ! Sais tu combien y a t il d’habitants dans ce pays ?
— Pardon ?
— Il y en a cinquante millions. parmis eux, 1 million 200 milles sont dans l’armée ou la Garde Consulaire, un million dans la réserve et un autre million dans l’administration. Cela nous fait 3 millions 200 mille personnes pour le consulat. Mettons qu’une quinzaine de millions sont trop jeunes, trop vieux ou incapables pour se battre, cela nous laisse 35 millions de personnes contre eux ! Le Consulat est toujours en place, à un contre onze !
— Mais, objectai-je, le Consulat a des armes, pas le commun du peuple.
Elle secoua la tête :
— Parmis ces trois millions, combien seront ils loyal ; combien seront ils capables de tirer sur la foule, ce alors que de tous leur coeur, il la soutiendront ; combien de réservistes ne répondront-ils pas à l’appel des drapeaux ?
« Beaucoup. Beaucoup d’entre eux ; mais encore faudrait il que le peuple se révolte. Le Consulat a le vrai pouvoir car tout le monde le lui concède passivement ; mais si, au lieu d’espérer que quelqu’un ayant le pouvoir de le renverser n’arrive pour les sauver, le peuple puisait dans sa volonté par se libérer lui même, alors, le Consulat ne vaudrait plus rien.
« L’autorité, c’est le fait qu’un certain nombre de personnes, persuadés du pouvoir que vous possédez accepte de vous obéir docilement. Mais sans consentement, pas d’autorité : au mieux pour vous un génocide, au pire, être écharpé par la foule. Si l’autorité vous est refusée : vous tombez. Il aurait fallut déposer le peuple tout entier pour parvenir à rester en haut.
« Mais le Consulat est là depuis près d’un siècle maintenant, et bien peu de ceux qui l’on vu naitre vivent. Il a eu le temps de cimenter son assise dans la pierre tout en dessoudant celle du peuple.
« Il faut se rendre à l'évidence : il a le vrai Pouvoir. Contre les chiffres, le Pouvoir gagne toujours grace au manque de volonté et l’espérance qui nous fait nous tourner vers d'autres horizons, un lointain futur ; une utopie impossible comme toutes les utopies.
« Rien n’est réel d’autre que le Pouvoir, la Guerre, la Mort et l’Intérêt Personnel. Rien n’est plus faut que de croire à l’éternel ou au bien : il n’y que ces quatres choses qui dirigent le monde puis le renversent avant de revenir, tel une roue au mouvement inexorable.
« Ma Mort est prochaine ; toi tu peux vivre encore et peut-être faire que cette roue tourne dans le bon sens.