Chapitre XV. La Porte del'Enfer

Au lieu de nous emmener au Palais des Jeux, on nous amena plutôt dans une batisse perdue dans la campagne proche de la Citée Consulaire. 

De la taille d’un grand hangar d’aviation, c’était une construction haute de plafond et dont l’extérieur n’avait rien d’étrange sinon qu’il était ceinturée d’une barrière électrifiée avec un poste de garde. 

Les hélicoptères se posèrent en plein champ à quelque distance du bâtiment et on nous fit parcourir à pied la distance qui nous en séparait. A l’instant où nous arrivâmes devant le portail, la sentinelle nous ordonna précipitamment : 

— Rentrez vite ! Nous n’avons pas beaucoup de temps !

Il ne vint à l’idée de personne de se suicider en lambinant si bien que son ordre fut suivit sans problèmes. Immediatement après que les derniers membres de l’escorte furent rentrés, la porte se referma sur eux.

L’intérieur dénotait avec l’extérieur autant que la splendeur d’un palais d’empereur avec une chaumière misérable de paysan moyen-ageux. Noir et lisse était le sol, fait d’une sorte de marbre qui n’en était pas ; et qui, gravé à même le pavé formait un grand cercle irisé dont les rayons arrondis partant du centre donnait l’impression qu’il tournait sur lui même. A mi hauteur des murs, des mezzanines aux balustrades sculptées faisaient le tour de la pièce. 

Une cinquantenaire visiblement revêche et aigrie, avec peut-être une pointe de fureur sadique brillant dans les pupilles nous attendait, portant une grande canne droite et sans pommeau, dotée d’un embout en acier qui luisait malgré la faible clarté de la pièce dont l’utilité ne faisait aucun doute, puisqu’elle marchait parfaitement, faisant les cent pas.

— Parfait. dit elle à l’un des officiers de l’escorte. Nous avons eu le temps de nettoyer la Porte avant que vous n’arriviez.

L’homme acquiesça d’un mouvement de tête et lui laissa la parole.

— Je vous souhaite le bonjour ! s’extasia-t-elle, même si pour beaucoup d’entre vous, il sera bien mauvais ; et même peut-être le dernier si vous n’obéissez pas !

Elle se tourna vers la zone irisée du sol en riant tandis que des harnais tombaient du plafond.

— Que chacun d’entre vous enfile un de  ces harnais, et sans posez de questions, sinon je l’étrangle sur le champ avant de l'étriper !

Le harnais en question me coupait la circulation sanguine dans les jambes, si bien que je ne faisais qu’espérer que cette épreuve se terminerait bientôt. Sasha à côté de moi affichait l’expression la plus morne que je lui ai jamais vue.

Bientôt, des treuils se mirent silencieusement en action, soulevant du sol les 100 candidats de la VIIème Province. La femme lachat un gloussement de folle, puis, elle et tous les autres qui n’étaient pas suspendus en l’air comme d’étranges fruits passèrent sur la mezzanine où il s’activèrent, nous jettant des regards de temps à autre.

Je surpris certains de ces regards. Ils me donnaient l’impression d’être chargés d’une forme de culpabilité. Je me demandai alors qu’arriverait il ensuite. J’avais la ferme impression que quelque chose de caché mais pourtant d’une importance capitale régissait la trame sous mes yeux. Cette épreuve avait quelque chose de spécial, mais quoi ?!

Autour de moi, une volonté invisible s’attellait à quelque machination dont j’ignorais la nature. En tous cas, la seule chose sur laquelle je n’avais aucun doute, était que ce ne serait pas plaisant à découvrir.

Et puis, tout à coup, un bruit assourdissant emplit la pièce. On aurait dit deux pierres glissant l’une contre l’autre, un grondement défiant lentement répercuté et amplifié en écho par les murs de la salle vide.

Une bouffée de chaleur brulante monta vers moi tel un serpent et m'enveloppa pour m’étouffer. Mes yeux me faisaient horriblement mal, comme si leur eau allait se mettre à bouillir en moi et mes vêtement se carbonisèrent sans flammes, noircissant à vu d’oeil et devenant craquants comme des gateaux secs.

Cela me plongeaient d’ors et déjà en enfer, mais cela empirerait encore, je le savais déjà, tout cela n’ayant guère l’air d’une épreuve quelconque pour l’instant.

Le grondement de pierre s’amplifia encore, si bien que j’entrevis certains de mes compagnons se tordant de douleur porter leurs mains à leurs oreilles en sang.

Le filin auquel était accroché mon harnais tourna de quatre-vingt-dix degrès, me mettant en face de Sasha. Les vaisseaux sanguins de ses yeux avaient tous explosés, transformant le blanc en rouge. Elle avait les pupilles folles et ecarquillées. Je ne devais pas être dans un meilleur état, mais, me voyant elle articula, phrase que je reconstituai à partir des bribes à peines audibles qui me parvenait et du mouvement de ses lèvres : 

— Je ne sais pas toi, mais je crois que de toutes les puissances qui soient, seule la Mort fait consensus et ce pour l’éternité.

Ainsi donc, voici la Mort qui n’est guère que la Porte des Enfers quels qu’ils soient, voilà où j’étais.

L’iris de pierre, dans un grondement plus fort encore se mit en branle, chacun de ses pants commençant à se replier vers l’extérieur du cercle où ils étaient inscrits, révélant une clarté bleuâtre bouillonnante de fureur qui projetait ses ombres fantomatiques sur la pièce sombre.

Maintenant, mes yeux déjà brulés ne percevaient plus qu’éblouissement et chaleur, perdus dans la lueur envahissant la pièce un peu plus chaque seconde tandis que l’iris ouvrait le ciel à ses flammes infernales.

Peu à peu, le sol s’ouvrait et laissait distinguer le brasier vif et destructeur ainsi que l'entonnoir couvert de bruleurs qui le produisait, formé de neuf cercles concentriques allant chacun un peu plus vers l’Enfer.

Rien n’était plus que de lumière et chaleur, rien. Des dragons brûlants et virevoltants s'échappaient des flammes, venant lécher les candidats , leur arrachant des cris de douleur et emportant leurs vêtements en fumée, tel des ombres venues de la nuit, faisant voler leurs cendres dans une danse surnaturelle.

Et puis, dès lors que l’iris fut totalement ouvert, il ne resta plus rien que le souffle du dragon dont la bouche n’était autre que la Porte de l’Enfer, crachant plus de flammes que jamais. Le premier des étranges fruits suspendu en l’air tomba.

Je m’en souviens, il s’agissait là d’une fille qui devait avoir l’age minimal tant elle avait l’air juvénile, et la seule réflexion qui me traversa l’esprit à cet instant fut que de tous ceux qui se trouvait là, elle devait être la plus innocente : quelle ironie d’être la première à tomber dans la Porte de l’Enfer !

Elle avait des cheveux roux flamboyant qui l’était maintenant plus que jamais, couverts tout entiers de flammèches multicolores ; et des taches de rousseur sur  son visage qui s’était couvert de cloques avant même qu’elle n’arrive aux neufs cercles, où, avant de se carboniser et de devenir noir, son corps se boursoufla de toutes parts lui arrachant un cri déchirrant, qui se répercutant en echo, hanta longuement la salle tandis qu’elle s’évaporait.

Bientôt, ses cri laissèrent le silence à peine troublé par le souffle du dragon de la porte et la vieille à la cane : 

— “A vous qui entrez, laissez toute espérance !”

Voilà une phrase qui aurait pu plaire à Sasha… si elle n’avait pas été suspendue au dessus de la fournaise.

D’autres tombèrent, les uns après les autres. Sur leurs visages, à l’instant où ils disparaissaient se dessinait une dernière expression ; souvent la peur ou la tristesse, toujours la douleur, parfois la colère. Après quelques secondes dans les flammes, ils n’étaient plus que gaz et poussière.

L’ordre dans lequel ils tombaient n’avait pas vraiment de logique, mais cela m’importait peu. Bientôt, nous restâmes seulement une dizaine, et parmis nous était Sasha.

Je me pris à espérer qu’elle survive… mais encore aurait il fallu qu’elle en ait la volonté, mais elle voulait mourir et non vivre. Cependant, il y avait tout de même 40% de chances, si on ignorait sa performance télévisée.

Si j’avais eu un dieu, je l’aurait prié de la faire vivre. Un tomba et brûla. Puis un second, un troisième et un quatrième. Quand ce fut le tour du cinquième, je vis que nous n’étions plus que cinq avec Sasha, faisant que c’était sa dernière chance de mourir sur le champ, et sa première de survivre encore longtemps.

Mais hélas, le Destin en voudrait autrement !

Elle se détacha du harnais. Le temps n’était plus, de même que la lumière ou tout autre sensation : tout cela était dirigé vers sa dernière chute.

Chute qui fut d’une lenteur extrème à mon sens. Je la vis tomber sur le côté et virevolter à la manière d’une feuille morte. Ses cheveux prirent feu en premier, mais bientôt, l'ensemble de con corps en fut couvert.

Elle tomba tête la première dans l’entonnoir, mais elle n’eut même pas la chance d’en mourir ou de s’en assommer : non, souffrir, elle devrait souffrir jusqu’au bout. Elle rebondit sur la paroi et glissa un peu plus loin.

Le feu la dévorant prennait une couleur plus rougeâtre que l’ordinaire bleu de ses flammes. Elle me fut peu à peu dissimulée, n’étant plus qu’une ombre qui se débattait vainement contre un ennemi sans consistance ; mais qui bien qu’ennemi, lui apportait une grande chaleur, plus qu’aucun ami qu’elle ait pu avoir.

L’iris commença à occulter la fournaise, chaque seconde un peu plus. Je hurlai de voir Sasha réduite à un corp s’agitant sous l’effet de la chaleur, mais qu’en plus je la voyait pour la dernière fois.

Le pire, est que je ne pouvais en pleurer car la chaleur m'avait desséchée comme un cadavre. De plus, le peu d’eau qui sortait de mes yeux s'évaporait instantanément du à cette même chaleur.

Mais pleurer sert à empêcher les hormones de l’émotion de nous submerger, et, dépourvue de toute eau, je me trouvait sans ressource pour les évacuer, prêtes à perdre connaissance.

N’ayant rien d’autre, mes yeux pleurèrent bientôt des larmes de sang ! dans cette salle plus que sanglante, et qui avait depuis quatre-vingt-dix-sept ans vue 1632 morts chaque année soit un total de 158 304, les 67 autres annuelles (6499 au total) étant imputables aux Jeux en eux mêmes pour un total de 164 803 tués par le Consulat pour faire du divertissement et se souvenir de la guerre, de son avènement.

Bientôt, le sol se fut scellé et, il ne resta dans le silence que mes sanglots sanglants et la respirations des autre survivants.

Maintenant, il n’y avait plus de candidats, plus que les Champions de la VIIème Province pour les Jeux du Souvenir qui devraient honorer les morts de la Troisième Guerre Mondiale de leur sang coulant dans une arène devant les écrans de millions de spectateurs n’y voyant qu’un spectacle éloigné et sans impacts ur eux ; ce alors que pourtant, c’était la réalité, cette réalité que les gouvernements pré-crépusculaires d’Europe ainsi que leurs opinions publics avaient refusé de voir, préférant leurs confort immédiat par pur égoïsme à la prospérité commune future qui était pourtant possible.

Mais ainsi sont faits les Hommes : stupides jusqu’à la moelle. Il s’étaient perdus d’eux mêmes, à ne vouloir que piller leurs gouvernements tant que s’était possible tout en se lavant la conscience grace à des associations de quartier ou en prétendant faire le bien, redistribuant les richesses ou se posant en protecteurs hypocrites des pauvres, des ouvriers, des paysans ; ce dans le seul objectif d’étancher leur soif d’auto-admiration, se créant une fausse grandeur, s'appuyant sur la crédulité maladive des gens qui se croient plus intelligents que tous les autres, y croyant parfois sincèrement.

Mes aïeux m’ont condamnés à ce Destin parce qu’ils ont refusé de voir ce qui se produisait, croyant qu’être faible évitait les guerres. Si tu veux la paix, prépare la guerre, dit-on, mais Ils ont refusé de voir que d’autre acceptaient l’idée de tenir un pays par la force pour lui ouvrir les voies de l'avenir, mais eux sont resté là où ils étaient : dans l’illusion et la stagnation.

Ses réflexions me tentaient à me laisser mourir, car ce qui est mort ne saurait souffrir. Mais, tandis qu’on me faisait descendre dans mon harnais, je ressentis le besoin de m’accrocher à sa corde pour me stabiliser. Ce mouvement ramena l’Anneau sous mes yeux.

On me l’avait bien dit, je devais pas mourir. Et même si je devais mourir, mourir pour rien serait bien pitoyable par rapport à ce que Sasha avait fait. Donc, pour Lysan, pour Kailen, pour Sasha ; et peut-être même un peu pour Alister, je devais me battre jusqu’au bout, ne pas me laisser faire.

Mais surtout, je ne devais pas ceder à la tentation du réconfort immédiat que procure la mort. 

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