Chapitre XIX

Par Fidelis

Il se retrouva dans le noir absolue, un bruit lui fit comprendre que la porte venait de céder de l’autre côté, puis plus rien. Il rangea le pendentif dans une poche, et chercha à tâtons ses affaires avant d’essayer d’ouvrir le passage secret, en vain. Godomer n’avait pas menti, celui-ci ne pouvait s’actionner que d’un côté. Le jeune homme finit par se rendre à l’évidence, et se résigna à s’enfoncer à contrecœur dans le souterrain, avec la sensation désagréable, malgré tout, de l’avoir abandonné.

Il lui fallut le reste de la nuit pour s’en extraire et quand il arriva à son embouchure, loin très loin de la bastide, le soleil se levait. La fatigue l’assommait, épuisée, mal en point et son moral pas très reluisant, il y avait toujours une culpabilité et une promesse bien triste à laquelle il devait encore s’acquitter.

Il prit la direction du nord, le cœur lourd, en essayant tout le long du trajet de mieux comprendre ce qui s’était déroulé. Comme indiqué par Godomer, il arriva bien devant un village, aux alentours de midi. Couvert de sang et de blessures, il lisait dans le regard des gens leurs craintes à son sujet.

Sa sincérité délia les langues et il sut enfin où dame Alberade se trouvait. Chose étrange, peu de monde la connaissait. C’est un ancien qui finit par lui révéler qu’elle habitait à présent au couvent, et que c’étaient les sœurs qui s’en occupaient.

Il était délicat pour un homme de pénétrer dans un tel endroit, mais il avait espoir que son message serait entendu au vu de sa nature singulière.

Épiphyte s’adressa à travers le judas sans même distinguer un visage pour lui confirmer qu’on l’écoutait. Il souligna détenir un témoignage important à remettre à Dame Alberade de la part de son époux, sir Godomer. Il s’écoula un long moment d’attente. Il faisait chaud et il commençait à se sentir mal, sans nourriture ni repos depuis la veille. La porte finit par s’entrouvrir et on l’invita à y pénétrer.

Une nonne plutôt âgée semblait patienter avec une cadette à ses côtés qui s’éloigna à son approche.

Le jeune homme tenta un dialogue.

— Mes hommages, ma sœur…

Elle l’interrompit aussitôt.

— Ma mère, mère Gerloc, je vous prie.

Épiphyte avait depuis longtemps oublié les usages de ces communautés, et compris à l’apparence et au ton autoritaire qu’elle employait, que ça devait être elle en effet qui dirigeait ce sanctuaire.

— Ma mère, pardon, je suis de passage sur vos terres. J’ai marché toute la nuit depuis la bastide qui se trouve à dix lieux d’ici, où j’ai eu l’honneur de combattre avec sir Godomer, avant qu’il ne périsse.

La religieuse semblait mi-abasourdie mi-outragée par ces propos.

— Que me contez-vous là, vous êtes bien trop jeune pour avoir connu messire Godomer.

Elle reprit son sang-froid et rajouta d’un ton sec et autoritaire.

— Suivez-moi, et racontez-moi tout ça plus en détail, je vous prie.

Le messager ne comprenait pas ce qui paraissait compliqué dans son récit. Il l’accompagna à l’intérieur du couvent et poursuivit son histoire, avec l’espoir de sortir au plus vite, une fois sa promesse tenue.

Elle l’écouta impassible. Ils arrivèrent dans des jardins ensoleillés pour s’arrêter à une vingtaine de pas d’une résidante très âgée. Assise sur une chaise, une couverture sur les genoux, elle profitait de la lumière et de la chaleur pour ranimer son corps éteint.

Mère Gerloc lui désigna la personne du menton avec discrétion.

— Vous voyez jeune homme, c’est dame Alberade qui se trouve ici présente, son mari messire Godomer est parti il y a plus de quarante ans pour défendre la bastide dont vous me parlez. J’étais moi-même une cadette à l’époque et je m’en souviens très bien, mais vous, je doute que vous puissiez le connaître, ni même que vous ayez pu le rencontrer.

Il comprit qu’il devait y avoir une erreur sur la personne, avant de repenser au pendentif, témoignage ultime du géant à son épouse.

— Mais je vous assure, mère Gerloc, tenez, il m’a confié ce pendentif au dernier instant pour transmette sa mémoire à son épouse, et regardez-moi je suis blessé de toutes parts en ayant combattu avec lui.

Elle prit le bijou, le souffle coupé, ses mains tremblaient, ses yeux trahissaient sa surprise. Dessus, elle y découvrit les deux lettres de leurs initiales entrelacées sur le sertissage de la pierre.

La religieuse balbutia avec nervosité, chuchotait toute seule, désarçonnée, avant de se ressaisir et de s’adresser à nouveau à lui en le fixant droit dans les yeux.

— C’est impossible j’étais présente le jour où elle le lui a remis, à la sortie de l’église, peu de temps avant son départ avec ses soldats. J’ai entendu de sombres légendes concernant messire Godomer, qu’il continuait à se battre comme s’il ne voulait pas passer à trépas. L’amour tisse parfois des liens que même la mort ne peut briser. À présent, je comprends mieux pourquoi, et je sais aussi que de nombreuses personnes sont allées fouiller les lieux sans ne jamais retrouver ce pendentif.

Elle le regarda ensuite de manière étrange, perturbée et craintive.

Épiphyte frémit quand il réalisa dans quelle situation il venait de se fourrer, le cauchemar persistait.

Elle sembla finir pas se calmer et lui expliqua avec une pointe de gratitude pour débuter.

— Merci pour votre démarche, mon fils, vous passerez au dispensaire pour soigner vos blessures et vous ravitailler, vous avez effectué une longue route.

Puis elle chercha ses mots un instant et continua cette fois-ci sur un ton chargé de menace.

— Ensuite, je vous demanderais de quitter notre communauté, avant la tombée de la nuit. Vous détenez les pouvoirs du démon, mais possédez un cœur assez pur pour délivrer les âmes égarées. Je n’en dirai rien aux inquisiteurs, on va juste s’en tenir à la version que je vais vous exposer. Vous êtes allés fouiner dans les ruines de la bastide où vous avez trouvé ce pendentif, je compte sur votre discrétion pour n’ébruiter à personne l’histoire que vous m’avez contée.

Elle lui rendit le bijou, le regard encore chargé d’une dernière demande, celle qui justifiait la raison de sa venue.

— À l’exception de dame Alberade, c’est vous qui avez été choisi par messire Godomer pour le lui remettre, vous devez terminer ce que vous avez commencé.

Il finit par se détendre une fois qu’il l’eût écouté parler. Les inquisiteurs ne plaisantaient pas avec les gens qui prétendaient voir des fantômes. Il récupéra le pendentif et se tourna vers la veuve qui profitait du soleil. Il lui fallait encore le lui annoncer, et ne savait pas du tout de comment elle allait prendre cette révélation.

Il salua mère Gerloc une dernière fois avec respect, et loua en silence sa grande sagesse, qui lui avait intimé de l’épargner, puis se dirigea vers l’épouse de Godomer.

La vieille dame ne l’entendit pas s’approcher, son âge avancé ne le lui permettait plus. Elle se tenait assise les yeux fermés, aussi il se pencha à son oreille pour lui parler.

Sans entrer dans les détails, il lui confia qu’il avait rencontré son mari dans la bastide. Qu’ils eussent combattu ensemble, et que sir Godomer s’était sacrifié afin de protéger la citadelle et lui sauver la vie. Il lui avait demandé, un peu avant de périr, de lui remettre ce pendentif.

Il le lui déposa dans sa main pour la refermer dessus, et ajouta à son intention, l’avoir toujours aimé sans jamais l’oublier, et finit par se redresser.

Il ignorait si elle avait compris ses paroles.

Elle n’avait pas réagi.

Un instant s’écoula, les doigts de Dame Alberade commencèrent à lire l’objet avec lenteur. Ils réveillèrent l’histoire d’un bijou familier qui lui parlait du passé. Elle sentit les deux lettres entrelacées et plusieurs larmes s’échappèrent sur ses joues sèches et ridées.

Puis elle sourit avec timidité avant de lui dire, d’une voix affaiblie et chancelante.

— Soyez béni jeune homme, vous avez délivré mon Godomer, merci pour lui, il a fini de se battre à présent et mérite enfin de trouver le repos.

Elle garda serré le pendentif dans sa main posée contre son cœur, ferma une nouvelle fois les yeux, pour plonger dans le silence de ses souvenirs.

Épiphyte ne se fit pas soigner au dispensaire, il acheta de quoi se ravitailler au village et repartit sans traîner. Non qu’il doutât en la promesse de mère Gerloc. Il avait surtout besoin de retrouver des gens qu’il connaissait.

Des personnes bien vivantes pour l’aider à revenir à la réalité.

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Plume de Poney
Posté le 14/03/2025
J'ai l'impression qu'il y a un 'plus' en trop ici : " on va plus juste s’en tenir à la version"

Sinon un sacré Ghostbuster ce Acelin, c'est vrai qu'il descendrait du Malin que je n'en serais pas surpris
Fidelis
Posté le 14/03/2025
Ah oui c'est juste, un "juste" qui a échappé aux mailles du filet, merci à toi, il m'était invisible, surement dû au résumé de mère Gerloc que j'ai trouvé trop émouvant.
Plume de Poney
Posté le 14/03/2025
J'avoue que mère Gerloc sait émouvoir son auditoire. Et peut être qu'elle a voulu, un peu maladroitement, qu'Acelin est un juste parmi les justes à délivrer ainsi les âmes perdues au delà de la mort
Fidelis
Posté le 14/03/2025
Ah sympa l'idée, mais non il n'a aucune envie de retourner au monastère je suis sûr, même si dehors c'est un peu agité des fois.
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