Chapitre XX - Le dernier chapitre -

Par Fidelis

Le jeune homme, une fois de retour, préféra taire cette mésaventure. Il la rangea sous la routine sans surprise du quotidien. Son esprit l’interrogeait bien sur cette aptitude à dénicher l’étrangeté, avant de conclure en se remémorant toutes celles qu’on le lui avait déjà raconté et qui circulaient dans chaque province. Ici un chevalier sans tête sortait la nuit, pendant que là, en période de pleine lune des sorcières se réunissaient. Les légendes faisaient aussi partie de l’ordinaire, il n’avait juste, jamais imaginé en devenir acteur.

Il reprit le cours de sa vie, calme, lisse et sans aspérité.

Fréquenter les foires et les marchés avec assiduité, lui permirent de rencontrer et de bâtir certaines amitiés avec des marchands.

De nature curieuse pour découvrir les us et coutumes des populations les plus reculées, à l’image de ce Viking et son épouse qui n’hésitaient pas à venir commercer bien loin de chez eux. Ils résidèrent un mois dans le village, Morgan attendait un heureux événement. Épiphyte très attentif assistait à l’écart de tout cela. La grossesse arrivée à terme, ils décidèrent de s’en retourner vers dans le Grand Nord.

Le jeune homme n’incarnait pas l’âme d’un voyageur.

Ses mésaventures lui avaient donné la sensation qu’une épée de Damoclès le guettait à chaque détour du sentier. Lui intimant de manière inconsciente de ne pas s’éloigner de son clocher. Ce qu’il respectait quand il s’agissait de sa personne, mais là, regarder le couple reprendre la route, seul, avec le nouveau-né le perturbait plus que de raison. Il n’eut pas le cœur de les savoir dans une posture délicate sur les chemins. Il se joignit à eux sans rien leur dire le soir de leur départ, afin de les accompagner jusqu’au port le plus proche.

S’il ne l’avait pas fait, il aurait eu des remords le reste de son existence, comprit-il, et, comme il ne les avait guère vus durant leur séjour, ça lui permettait de profiter de leur présence. Moment partagé qui n’avait pas de prix pour lui, qui se nourrissait de plaisirs simples, basés sur l’amitié.

Le chemin pour retrouver les vallées côtelées de vignes se révéla long et ennuyeux. À force de traverser les villages les uns à la suite des autres, et d’échanger des banalités avec des étrangers, une immense sensation de solitude s’empara de son être.

Un matin, en arrivant dans l’un d’entre eux, il décida d’aller se promener dans la nature environnante. Au lieu d’aller à la taverne à supporter le regard soupçonneux des habitants, qui avaient tendance à deviner des brigands dans tous les gens de passage.

Il ne leur en tenait pas rigueur en cette période trouble, on prenait facilement les chiens pour des loups.

Il déambulait insouciant dans le sous-bois, les mains dans les poches en imitant le merle. Le fond de l’air encore frais, la forêt s’éveillait avec lenteur. L’atmosphère sylvestre l’enveloppa d’un parfum d’humus. En observant le branchage dense d’un vieux chêne, il sentit son pied s’enfoncer dans le vide, et bascula de tout son long dans un large trou creusé entre les arbres centenaires.

Étourdi, il se releva en se massant le coude quand une silhouette s’approcha pour l’interpeller. Il ne la reconnut pas tout de suite.

— Voilà ce qui arrive à se promener le nez en l’air… mais je te connais toi.

Il découvrit un individu qui tenait une pelle, et devina dans cette silhouette courbée l’architecte de ce terrier.

— C’est vous qui creusez des trous, ça vous amuse, dites-moi où vous êtes du genre indécis et vous n’arrivez pas à choisir votre place.

À contre-jour, il entrevoyait quelqu’un assez mince qui l’épié de manière intéressée.

L’inconnu changea de ton.

— Oui, c’est bien toi, Acelin le voleur de poules, philosophe à ses heures perdues et fainéant à temps plein.

Épiphyte leva un sourcil intrigué, observa mieux le personnage. Cette voix lui rappelait bien quelqu’un, mais le souvenir était lointain.

L’homme lui tendit la main dont il se saisit pour sortir de son trou, c’est à ce moment-là que sa mémoire lui revint et s’exclama.

— Floxel par tous les dieux !

L’intéressé souriait comme amusé en le regardant taper sur ses habits pour les nettoyer.

— Hum, tu possèdes une épée et un écu à présent, un véritable aventurier dit-moi.

Le déterré l’observa à son tour.

— Et toi, une pelle magnifique, mais si tu veux mon avis, tu devrais exercer tes talents sur un chantier en construction.

Ils finirent par se donner l’accolade, riant de bon cœur, heureux de se retrouver. Floxel était une vieille connaissance à l’époque où Épiphyte se nommait Acelin, et qu’il venait d’avoir l’âge pour participer aux récoltes.

Il l’avait rencontré dans une taverne. Il dissertait avec des amis sur la structure de leur société quand un noble s’en était mêlé. Ce dernier affirmait avec dédain que des traîne-savates n’étaient pas en mesure de savoir quoi que ce soit à ce sujet.

Floxel lui avait retourné la pensée concernant l’identité de son père, ce qui leur avait valu de se faire jeter dehors avec perte et fracas ou enfin surtout fracas vu qu’ils ne possédaient rien.

Il était habillé d’une façon bien singulière à présent, remarqua le jeune homme. Un long manteau garni d’une foultitude de poches, une pelle et un chapeau au large bord.

En regardant avec plus d’attention autour de lui, il découvrit de nombreux trous très ressemblants à celui qui l’avait réceptionné.

— Tu fais quoi dis-moi Floxel, tu cherches un trésor ?

Il lui sourit de manière énigmatique.

— Non je l’ai déjà trouvé, mon ami, viens j’ai une roulotte un peu plus loin, allons boire un godet. Je t’expliquerai cela plus en détail, à toi je peux bien te le raconter, tu es assez intelligent pour comprendre, et trop insignifiant pour être écouté.

Floxel avait toujours eu le sens du sarcasme et l’avidité du gain. Cependant il n’était pas du genre à se vanter pour rien, même si Épiphyte doutait de sa richesse, ou alors il faisait allusion à autre chose, pensa-t-il, au moment d’accepter.

En chemin, Floxel le questionna sur ces années écoulaient depuis leur dernière rencontre, du temps où il se nommait encore Acelin. Le jeune homme jamais avare de ses histoires lui conta ses aventures, ou ses péripéties. Ce qui le fit sourire à certains passages, rire à d’autres et parfois soupirer, avant de conclure en saluant la justesse de son nouveau patronyme.

— Épiphyte, tu as bien choisi, ça te va très bien.

Ils arrivèrent dans une clairière où sa roulotte l’attendait, et reconnut aussitôt la patte artistique de l’intéressé. Elle était couverte de signes cabalistiques, le tout composé de couleur très improbable.

Le chercheur de trésor très enthousiaste sortit sans traîner du vin, du pain et même de la viande séchée. Ce qui lui rappela les gueuletons improvisés qu’ils s’offraient en périodes grasses, amenant chacun de quoi se sustenter autour d’un feu pour refaire le monde en palabrant toute la soirée de manière amicale.

Il le lui raconta à son tour ses différentes expériences. Lui énuméra sa litanie de fléaux, comme les guérisseurs miraculeux, les astrologues funestes ou les gourous charismatiques.

Ils mangèrent et burent plus que de raison pendant que le soleil continuait sa course. C’est en fin d’après-midi que Floxel aborda l’origine de sa prétendue fortune.

— Tu vois Acelin, Épiphyte, pardon, toi tu attires sans le vouloir les incohérences ou la magie à l’inverse de moi qui l’ai toujours cherché sans jamais la trouver. Une vie à l’implorer dans la plus grande indifférence, jusqu’à ce jour où le destin m’a permis de faire une rencontre, la seule qui se révéla authentique.

Épiphyte était assis par terre. Les jambes allongeaient sur le sol les pieds croisés, le dos appuyé contre le tronc d’un arbre à l’écorce lisse, muni d’un godet de vin rouge parfumé. Il ne pensait pas qu’il allait revenir sur le sujet, et sa déclaration éveilla sa curiosité.

— Ah oui, raconte-moi ça, toi le nanti, comment peut-on devenir riche et vivre dans une roulotte ?

Floxel tira ses membres inférieurs contre lui, glissa une main sous son manteau tout en semblant réfléchir par où débuter.

— Ne te rends pas plus stupide que tu ne l’es, laisse-moi t’expliquer.

Le plus jeune posa son index sur ses lèvres pour lui indiquer qu’il pouvait commencer.

— Je me trouvais à Marseille. Je guettais les arrivées en provenance d’Alexandrie. Poussé par le projet d’acheter des peaux d’animaux exotiques, dans l’idée de confectionner des gris-gris ou des amulettes. C’est là que je vis descendre un homme mal en point. Il était débarqué sur un brancard, visiblement le voyage ne lui avait pas réussi.

Floxel sourit sans même s’en rendre compte en évoquant le souvenir.

— Tu me connais j’ai un talent naturel pour apprécier une opportunité quand elle se présente. À cet instant, je me suis dit qu’il était temps pour moi de devenir charitable, comme tout bon aristotélicien, en le soulageant dans sa peine, et de ses biens. Les mourants ont cette particularité, de ne pas savoir mentir. Plus l’heure approche, plus ils ont besoin de partager leurs péchés. Rédemption ultime, un moyen pour eux de penser qu’ils auront dit la vérité au moins une fois dans leur vie.

Il continua après une courte pause.

— Celui-là portait des vêtements coûteux à la trame usée. Son périple avait dû se révéler éprouvant. Il fut amené directement à l’hôpital du Saint-Esprit où je le suivis. L’obscurité effraie toujours les grands malades. J’attendis que le soir tombe pour me glisser dans sa chambre et faire en sorte qu’il se confie à moi. Ce qu’il réalisa, toute la nuit, sans s’arrêter avant de rendre son dernier souffle au petit matin. Mais, entretemps, il m’avait légué un livre, et c’est ce livre qui a fait de moi un homme fortuné.

Épiphyte plissa les paupières, intrigué, un petit sourire dessiné au coin des lèvres.

— Il y avait quoi dedans, la recette pour transformer le plomb en or ?

Il sortit sa main en dessous de son manteau et lui montra un vieux bouquin relié aux angles arrondis par les voyages. Il le tenait d’une poigne de fer, qu’il aurait fallu sectionner pour le lui arracher.

— Rigole, mais ce grimoire représente bien plus qu’un simple livre. Il sait où réside ce que tu désires le plus au monde, et te guide sur sa voie. Le moribond que j’ai croisé l’a cherché toute sa vie durant, et l’a trouvé en des terres bien reculées, sauvages et lointaines. C’est un exemplaire unique, il se compose de différents dialectes, écrits par de nombreuses personnes qui maîtrisaient les forces naturelles et occultes.

Épiphyte afficha une petite moue douteuse en observant l’ouvrage qui ne payait pas de mine.

— En attendant, il n’a pas porté chance à son ancien propriétaire.

Puis le jeune homme s’étira en douceur.

Les heures s’écoulaient et il commençait à ressentir la fatigue du voyage. Demain, il devait continuait la route, mais, dans l’immédiat, acheter des provisions au marché et trouver une auberge pour la nuit.

Il se leva enfin.

— Je vais devoir me retirer, je te laisse avec ton livre et ses richesses !

Floxel rangea le bouquin aux pages cornées sous son manteau, et se redressa à son tour pour le saluer. Ils échangèrent l’accolade, comme deux vieux amis heureux de s’être retrouvés.

Il ne se doutait pas que c’était la dernière fois qu’il le voyait en vie, et juste avant de prendre le départ, il voulut l’inviter à le visiter quand il serait rentré de voyage. Mais là, au lieu de le trouver en train de creuser, il le découvrit mort.

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Plume de Poney
Posté le 15/03/2025
Au revoir Floxel, petit ange superstitieux parti trop tôt...

J'avoue que quand Acelin est tombé dans son trou en pleine forêt, je me suis ça y est il nous fait une Alice au pays des merveilles ! Eh bien non, même si je ne m'inquiète pas du fait qu'il va encore vivre des aventures rocambolesques...
Fidelis
Posté le 16/03/2025
C'est le lot de consolation pour tous ceux qui cherche l'extraordinaire dans le quotidien, la mort.

Oui, on peut lui faire confiance, une simple halte dans une église, un tribunal ou une auberge, peut en sa compagnie, vite se transformer en foire à la saucisse, avec distribution de tartes aux poireaux, (celle qui font faire la grimace à toto)

Plume de Poney
Posté le 16/03/2025
Pour tant c'est bon la tarte aux poireaux... Avec des noix...
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