Chapitre XIX

Point de vue : lui

La nausée m'envahit. Tout ce sang sur le plancher, ça m'écœure. Ça me dégoûte. La texture est visqueuse. L'odeur m'écœure, c'est répugnant. J'avance malgré moi, comme poussé par une force invisible. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre, au bout du couloir. Des images me viennent en tête pendant que l'appréhension s'empare de mon corps. Ma main gauche me fait mal, la douleur me lance dans l'index. J'écarte les doigts, les ciseaux dans ma paume. Je me suis fait une coupure assez profonde sur le doigt. Je le mets dans la bouche. Il paraît que la salive cicatrise. C'est plutôt désagréable. Je presse la plaie contre mon pouce pour tenter de stopper l'hémorragie.

Ça y est, j'ai envie de vomir. C'est irrésistible, je n'ai pas le choix. Je me tourne un instant. Plusieurs traînées de cette substance poudreuse. Je crois savoir ce qui s'est passé ici. Un homme tout recroquevillé sur lui-même, les habits sanguinolents et les cheveux longs mouillés de sang. Il est assis sur le sol, exactement en face de moi. La poubelle est à mes pieds. Je ne peux pas me retenir. Ça fait trop d'un coup pour mon corps.

Il me regarde avec ses yeux étranges. Jamais je n'en avais vu de tels. Un bleu azur, froid et transperçant. Quand je plonge mon regard dans le sien, mon sang se glace. J'en ai la chair de poule. Il tient un couteau de cuisine à la main. Il allonge ses jambes. Il n'a pas l'air menaçant. Son regard est vif, ses pupilles bougent sans cesse. Il ne s'arrête pas. Je ne sais pas ce qu'il recherche. Il semble vouloir me dire quelque chose. Je jette un œil à ma droite. Pas le temps de prendre la corbeille. Ça sort tout seul. Ça éclabousse un peu partout. C'est très désagréable. C'est âpre dans la gorge. L'amertume reste ancrée, comme si elle avait tout imprégné sur son passage. Ça me brûle l'œsophage.

Une femme jetée comme un animal sur le sol. Son corps est éventré. Elle est toute ensanglantée. Il y a des traces de lutte et des marques de coups sur ses bras, des bleus et des plaies ouvertes le long de ses jambes. Une poignée de cheveux à deux pas de sa tête. Un homme assis, la tête en avant. Une balafre encore saignante sur le front. Un dos lacéré de profondes entailles faites au couteau. Il n'a pas eu la possibilité se débattre. Il a tenté de sauver la femme. On le voit à sa position et à son bras qui pointe dans sa direction à elle. C'est un massacre. Il n'y pas d'autres mots qui me viennent en tête. Je ne sais pas ce que je fous ici, ni comment je me suis empêtré dans ce foutu bordel. Je ne sais pas pourquoi je reste ici non plus.

L'autre homme est encore là. Il n'a pas bougé d'un millimètre. Je me demande pourquoi il ne s'est pas enfui loin d'ici. Il me tend une photo de sa main souillée, du sang séché dans les ongles. Ils sont trois sur le cliché. Il attire mon attention pour me montrer du doigt les deux corps immobiles et puis lui. Ce sont eux trois sur la photo. Il ne dit pas un mot. Et moi non plus. Je montre son couteau de ma main. Il m'étudie scrupuleusement avant de me le tendre. Je le prends pour le lancer à l'autre bout de la pièce. Il frappe le mur avant de rebondir sur le sol. Je l'aide à se relever. Je le laisse passer devant moi et descendre les escaliers. Un voisin a dû appeler des renforts. Les sirènes se font entendre dehors. Encore. Déjà deux fois en l'espace de quelques jours. Depuis l'enterrement. J'aimerais que ça s'arrête. Trop de choses d'un coup, j'ai besoin d'air.

Il fait nuit dehors. Je ne sais pas depuis combien de temps il attend ici. On s'accroupit sur la dernière marche. Les policiers arrivent. L'un d'entre eux le relève, les autres montent à l'étage. L'autre ne bronche pas. Ils ont déjà croisé sa route parce qu'il est connu des services. Ils l'ont déjà arrêté plusieurs fois même. On me fouille, on me menotte. Ils prennent ma déposition. Je leur donne les brouillons que j'ai trouvé dans la corbeille. Je les avais machinalement mis dans la poche arrière de mon pantalon. Je dois rester à leur disposition, simples précautions. La routine. Encore. Mon état ne s'est pas amélioré depuis tout à l'heure. Ils l'ont bien vu. On me fait asseoir dans l'ambulance. On me donne à boire.

J'ouvre les yeux. Il fait sombre. Le réveil affiche deux heures du matin. Il fait terriblement chaud. Je suis tout transpirant. Je suis allongé dans mon lit. Pas de coupure à l'index gauche, pas de main tachée de sang. Je bois un verre d'eau, puis un deuxième. J'ai juste besoin de me reprendre, de reprendre mon souffle après tout ça. Je me mouille le visage. Les bras aussi. Ça me fait du bien.

Je m'affale sur le canapé. J'attrape le bouquin du bout des doigts. Je l'avais laissé traîner sur la table basse. La Mort et moi. Je suis perplexe. D'après le résumé, on dirait un bilan de la participation du personnage principal dans une secte. Une secte qui croit en la Mort, en sa Toute-Puissance et en son Pouvoir sur les Humains.

Vibration. Désolée, pour cette nuit. J'ai fait une connerie. J'ai été prise au dépourvu. C'est une femme. Maintenant, je sais que c'est une femme. Ça ne m'avance pas beaucoup mais c'est déjà un début. J'aimerais comprendre à quoi tout ça rime. J'aimerais réussir à démêler les nœuds de cette affaire, à dissocier le vrai du faux. Je voudrais pouvoir maîtriser ces visions, trouver ce qui les cause.

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