Valéri suspicieux s’interrogea, et s’il était entré dans une phase intrusive des jeux démocratiques libres. Se pourrait-il que, de l’autre côté des écrans, les gens se bidonnent en le regardant essayer de comprendre ce qu’il lui arrivait.
Le lyrien poursuivit.
— Oui, bien, excellent même, c’est tout à fait cela, nous avons commencé à prendre contact avec quelques individus de votre espèce pour vous préparer à notre venue. Les lyriens c’est nous, et c’est nous également qui organisons la grande récolte.
Eirin fit apparaître trois cocktails sur le comptoir, un sourire ravi anima son visage. Valéri, lui, demeurait sceptique.
— Mais attendez, ils sont passés où les autres, tous ceux qu’il y avait autour de moi, je veux dire ?
— Ils sont restés à la même place, rassure-toi, nous avons juste modifié ta temporalité, ce qui nous permet de discuter sans être dérangés. La fête des jeux démocratique continue sur une ligne de temps, et à côté, sur une autre parallèle, il y a toi et nous qui évoluons. On peut en créer à l’infini, mais tout se déroule au même endroit, et toi tu te situes à présent dans deux endroits différents. C’est un petit tour de passe-passe, je crois que vous nommez cela un phénomène d’abduction.
Il repensa à l’incident du magasin.
— Voilà pourquoi vous n’apparaissez pas sur les images des caméras c’est ça ?
Ils oscillèrent de la tête pour le lui confirmer, puis lui tournèrent le dos pour faire face à leur cocktail, se chamaillèrent un court instant avant de porter leur dévolu sur l’un d’eux. Puis, ils se mirent à aspirer sur leur paille en même temps, et lui firent signe de venir s’installer au milieu d’eux.
Valéri retira sa casquette pour se gratter le crâne. Il jeta un ultime coup d’œil autour de lui pour voir s’il ne distinguait pas des drones-espions, laissa échapper un soupir, et finit par se dire qu’à présent qu’il se trouvait ici, autant accepter le dialogue. Il se résigna à prendre place au comptoir.
— Ouais aller de toute façon y reste plus que vous. Il se saisit de la dernière boisson, mais je préférais tout de même mes Guzzi, désolé. Il les regarda tour à tour. Vous êtes là pour quelle raison au juste, ou plutôt, pourquoi vous me harcelez, parce que ce n’est pas facile à vivre, je vous assure.
Erein aspirait sur sa paille sans prendre le temps de respirer, ce qui lui donna très vite un visage tout rouge, son frère jumeau lui répondit.
— On aime beaucoup ton magasin, lors de notre dernière visite, il n’y avait rien de tout cela. Il montre le bar autour de lui. Les hologrammes, les boissons, tous ces objets partout que vous fabriquez, c’est fantastique, vous avez réalisé beaucoup de progrès.
— La dernière fois que vous êtes venus ? Ah bon, ça remonte à quand ?
Erein trempa son index dans son grand verre avant de le porter à sa bouche.
— Il y avait beaucoup moins de monde. On avait fait une mégateuf, et du coup, j’avoue que ça a un peu dégénéré, mais rassure toi, on c’est tous mis d’accord afin d’éviter que cela ne se reproduise. La ville se nommait Babylone, elle n’existe plus, on a vu, c’est dommage, les gens étaient très accueillants.
Valéri avala avec difficulté et manqua de s’étouffer.
— Hein, Babylone, mais ça remonte à des milliers d’années, et toi et Eirin vous y étiez ?
Il oscilla de la tête pour le lui confirmer, l’humain, lui, fronça les sourcils d’un air intrigué.
— Moins dégénéré, tu veux dire que vous êtes responsable de la chute de Babylone ?
Ils parurent un peu gêné d’un coup, et le fixèrent du regard comme s’il cherchait une raison pour se justifier.
— Euh, oui, enfin, ce n’est pas nous à part entière, ce sont les petits gris y aiment beaucoup chahuter et les reptiliens, eux y adorent les fêtes de masse, alors les deux ensemble ben… Il mima avec ses mains une grosse explosion, ce qui devait vouloir dire que cela avait en effet dégénéré.
Valéri ouvrit de grands yeux.
— Ouuaou, les petits gris les reptiliens, mais euh c’est une véritable invasion !
L’abat-jour prit le relais.
— Non non, on ne fait que passer, on vient récolter, et on repart.
Il arqua un sourcil. L’expression lui fit songer à tout un tas de films où des extraterrestres débarquent pour mettre les hommes dans des presse-agrumes géants afin d’en remplir des thermos. Avant de les charger dans leurs vaisseaux et de se barrer à l’autre bout de l’univers.
Il tenta la question piège, celle qui risquait de le placer en première ligne du prochain génocide mondial.
— Euh rassurez moi, ce n’est pas nous que vous venez récolter, non, sinon vous ne vous donnerez pas la peine de discuter avec moi, termina-t-il en essayant de se convaincre tout seul.
Les deux le fixèrent, puis échangèrent un regard avant de se mettre à rire une nouvelle fois de bon cœur.
— Exceptionnel ce sens de l’humour, vous avez vraiment réalisé de gros progrès.
Valéri haussa les épaules.
— Difficile à dire pour moi, Babylone, ça remonte.
Eirin tourna sa tête de droite à gauche en signe de négation, puis tapota à nouveau sur le clavier du comptoir pour se resservir une consommation.
— Non, pas les humains, sinon on ne pourrait rien récolter sans vous, c’est vous qui faites pousser le fluiide. C’est pour cette raison que toutes les espèces se sont mises d’accord entre elles pour ne jamais nuire à votre évolution.
L’agent de sécurité laissa échapper un long soupir, soulagé, et termina son verre d’un trait pour fêter la nouvelle.
— Non, mais on ne sait jamais, mais pardon c’est quoi le fluide, parce que nous on ne cultive plus grand-chose, ou, enfin ça a dû changer depuis l’époque de Babylone.
— Pas le fluide, le fluiiide, et lui ne change pas. Il est l’âme de l’univers et ne pousse qu’à de très rares endroits, comme ici. C’est grâce à lui que nos vaisseaux peuvent passer d’une dimension à l’autre et naviguer sur de très grande distance.
Valéri se gratte la joue et se demande s’ils ne s’étaient pas trompés de planète, parce qu’il n’a jamais entendu parler d’un truc pareil.
— La conquête de l’espace, ce n’est pas notre fort. On a bien essayé une paire de fois, mais ça s’est vite arrêté. Trop coûteux, trop compliqué et surtout, c’est d’un ennui. Vous mettez des années à construire une fusée, elle voyage durant des mois pour arriver à destination. Pour finir par se crasher comme un étron sur la surface d’une planète où y a que des cailloux noircis par le soleil. Autant vous dire que, pour une société basée sur la consommation et le plaisir immédiat, ce n’est pas générateur de profit.
— Oui, mais ça c’est normal, on a fait en sorte que vous ne soyez pas intéressé par ce genre de progrès, pour rester sur place et vous consacrer au fluiiide.
Valéri se commanda un autre cocktail, il avait bien aimé le premier, et surtout avait réalisé qu’ici il pouvait tous les goûter sans rien payer.
— Comment ça, vous avez fait en sorte, c’est quoi le rapport entre les voyages dans l’espace et vous ?
C’est son frère jumeau qui répondit.
— Oui, toutes les espèces intelligentes finissent par un jour regarder le ciel, et décident de coloniser les étoiles. Le problème c’est que, bien souvent elles quittent leur monde d’origine, et si vous partez, ben le fluiiide ne poussera plus, alors on vous a conçus pour ne pas vous y rendre. Il afficha un grand sourire, très fier de cette astuce, et ne put s’empêcher de rajouter. C’est les lyriens qui ont pensé à ça.
Encore une fois Valéri craignait de comprendre.
— Attendez, attendez, qu’est-ce que vous voulez dire par, conçus ou fait en sorte ? Vous voulez dire que c’est vous qui avaient ? Il s’interrompit, déglutit avec difficulté, il avait du mal à cracher le morceau, l’idée lui paraissait si perturbante qu’il en avait peur de s’étouffer pour réussir par conclure...créé l’homme ?
Les deux lyriens échangèrent un regard et se demandèrent d’un coup s’ils n’étaient pas allés trop loin ou trop vite dans leurs révélations.
— Euh, disons qu’on y a participé oui, nous, ainsi que toute la pléiade. Mais attends, tu vas comprendre, quand on a réalisé que votre planète générait du fluiiide, cela risquait d’attirer de nombreuses civilisations. Si l’une d’entre elles s’installait sur terre, cela aurait créé des conflits. Alors, on a conclu un pacte. On a développé une espèce déjà embryonnaire ensemble pour qu’elle vive ici, et fasse pousser le fluiiide sans que personne ne l’ennuie. Ensuite, nous la pléiade, tous les cinq ou six mille ans on passe organiser la récolte, ainsi qu’un partage équitable. Ça évite les guerres et préserve la ressource, voilà pourquoi vous nous ressemblez beaucoup, aux lyriens, je veux dire.
Même assis, Valérie eu la sensation de chuter dans l’immensité d’un vide incommensurable. Il était en train de boire des cocktails avec deux abrutis qui arboraient un sourire perpétuel et qui lui lâchaient comme ça, entre deux gorgées qu’ils étaient son créateur.
Un doux vertige au goût épicé de paprika et de miel s’empara de lui.
Depuis l’aube des temps l’homme c’était posé les mêmes questions, qui était-il, pourquoi existait-il et qui l’avait créé. Il avait imaginé, pour y répondre, des mythologies des panthéons des Dieux à foison, avait fait la guerre et bâti des temples gigantesques. Prié pendant des millénaires, sculpté des statues pour ériger des représentations d’où émané la force, la sagesse l’omniscience, le pouvoir absolu sur chaque être ou chose qui composaient l’univers.
Son regard tomba sur Erein qui aspirait sur sa paille en faisant du bruit.
Avant de décider, un peu après avoir inventé le tire-bouchon quantique, qu’il était évident devant tant d’ingéniosité, que l’homme était son propre créateur. Pour refaire des guerres, refaire des temples, refaire des chants au nom de la sacro-sainte laïcité. Jusqu’à finir par dégueuler un truc contre nature comme un Présipape.
Tout cela pour apprendre, dans le courant d’une discussion entre deux cocktails, que les créateurs de son espèce oh combien crédule, rendue inapte à réaliser des voyages dans l’espace, et dont l’unique raison d’exister se justifiait dans son rôle de fermier astral pour un gang d’extraterrestres à l’allure d’illuminés sortis tout droit d’un asile.
L’abat-jour qui avait remarqué son malaise le questionna.
— Tout va bien ?
Il échangea un regard et se demanda s’il fallait en rire ou bien pleurer et but son verre cul sec une nouvelle fois.
— Ben ça fait beaucoup là, d’un coup, je veux dire, mais, euh lors de votre dernière visite, vous leur avez raconté la même historie ?
Eirin qui l’observait, commença à l’imiter et avala le sien d’un trait.
— Oui, bien sûr, bon, y nous on prit pour des Dieux, mais ça n’a rien changé et on s’est bien marré, et de toute façon l’homme oublie très vite. Ça aussi, c’est une particularité qu’on vous a léguée, mais attention pour votre bien. On ne tenait pas à ce que vous fondiez une religion, des temples des statues, ça aurait amené des guerres et tu connais la suite, alors l’oubli c’était encore le mieux. Puis, comme on vient à peu près tous les six mille ans, le souvenir s’estompe et disparaît.
Il hausse les épaules en signe d’impuissance.
— Incompétent et amnésique de mieux en mieux, et vous êtes combien d’espèces à avoir participer à l’élaboration de cette formidable création ?
Valéri avait la tête qui lui tournait, mais il ne savait pas si c’était dû aux multiples révélations ou à un effet du mélange alcoolisé.
— Très peu, cinq, mais une s’est retirée, elle s’est lancée dans des recherches différentes vers d’autres destinations et a préféré quitter l’union de la pléiade. Il en reste quatre, toutes pacifiques et bien intentionnées.
— Bien intentionnées et surtout très intéressées, conclut Valéri.
— Ne pense pas cela, on vous a légué beaucoup de nos qualités, la créativité, le sens de l’humour, sans oublier le sentiment le plus puissant de l’univers, celui qui motive la croissance du fluiiide, l’insouciance.
Il le fixa du regard, se demandant un instant s’il ne se foutait pas de sa gueule. Il préféra en chasser l’idée pour ne pas en connaître la réponse et tourner ses pensées vers des métaux ou un liquide précieux, vu qu’il ignorait tout de ce fameux fluide.
— Si tu veux, mais c’est quoi alors ce fluide ?
L’abat-jour se mit à avoir le hoquet après avoir bu trop vite son dernier cocktail, Valéri craignit qu’il finisse par vomir quand il s’aperçut qu’il changeait de couleur.
Eirin afficha un large sourire et haussa la tête.
— D’un point de vue technique, on pourrait même se demander, qui est-il ? Son aspect approche celui d’un métal liquide, il n’apparaît que sur un nombre très réduit de planètes, qui abritent déjà la vie, et pour une bonne raison, il se nourrit de la conscience des êtres vivants. Ce sont les hommes qui le font grandir à travers l’énergie ou l’information qui s’émanent de leur esprit. Il prend alors en densité, car vous ne vous en rendez pas compte, mais, depuis six mille ans, la vôtre à augmenter de manière exponentielle. Il est présent sous vos pieds, dans l’ombre, il apprend et s’enrichit de vos données cognitives émises par vos sentiments, et pour cela l’homme est le meilleur d’entre nous. Nous ne savons pas ce qui le fait apparaître, mais lorsqu’une planète en héberge, il faut en prendre soin comme si c’était la sienne. Il est ce que vous qualifiez de divin et aide toutes les formes de vie intelligente à s’épanouir dans l’univers, à travers un nombre infini de fonctions.
Valéri afficha une moue dubitative, il restait dans le flou, son explication ne lui avait pas apporté grand-chose.
— Il ne se manifeste jamais ?
— Quand on l’invoque, c’est la seule manière, et si, par malheur la récolte n’a pas lieu, sa densité devient si importante qu’il peut faire s’effondrer la planète sur elle-même. Elle se transforme en trou noir, et tout disparaît. Nous devons donc être attentifs pour ne pas le perdre.
Il oscilla de la tête avec lenteur et se demanda quel type de cérémonie il fallait réaliser pour qu’il décide de se montrer.
— Mais s’il est intelligent, pourquoi ne pas tenter d’échanger avec nous, avec l’espèce qui l’héberge, je veux dire ?
L’abat-jour prit le relais.
— Pour ne pas influer sur son évolution. Imagine si vous recevez des messages d’une entité sous vos pieds, cela créerait des religions des cultes, etc. Certains désireraient le voir et, comme il se situe dans le noyau de la planète et vous échouerez. Cela entraînerait des défaillances mentales dans vos esprits. Bien qu’il ne soit pas impossible qu’il eût déjà échangé avec certains d’entre vous, qui, je suis persuadé, ont du mal finir.
Valéri rectifia.
— Plus à l’heure actuelle, les troubles de l’identité ou la schizophrénie sont devenus des marqueurs sociaux très prisés, mais à une époque plus ancienne, oui, je confirme, ça serait passé moyen.
— Nous vous avons créé pour vous développer sur l’entièreté de la planète dans le but de le faire grandir et tous les six mille ans, nous venons vous visiter, nous festoyons ensemble pour célébrer la récolte. Ensuite il se sépare en quatre, mais continue à ne former qu’un esprit qu’une entité qui reste reliée à ce qui se déroule dans chacune des parties qui la composent, et nous accompagne. Au bout d’un certain nombre de millénaires, nous devons le libérer. Pour finir, il se sublime dans l’espace dans l’espoir d’ensemencer l’univers, à la manière des coraux dans vos océans.
Valéri parut songeur.
— Et tout cela, en plein milieu des jeux démocratiques libres, ça promet.
Les deux levèrent leurs bras au ciel en même temps, ravi de la nouvelle.
— Ouii et la récolte s’annonce exceptionnelle, nous en avons discuté avec les autres espèces. L’homme a fait d'immense progrès depuis notre dernière visite. Je leur ai parlé de l’endroit où tu travaillais et ils sont tous très impatients de le découvrir. Alors, nous avons eu l’idée d’organiser nos retrouvailles là-bas, chez toi, au Megaraptor, qu’en dis-tu c’est formidable pour toi !
A la nouvelle, cette fois-ci, Valéri ouvrit de grands yeux remplis d’effroi, se tétanisa, puis tomba du tabouret à la renverse.
Bon ça reste dans l'esprit de l'histoire, c'est à dire, on ne se prend toujours pas au sérieux, et c'est toujours très décalé.
Merci à toi Sakumo pour ton retour, et rassure toi avec cette nouvelle équipe, tu peux t'attendre à des surprises ^^