— On n’a pas toute la nuit alors dépêchez-vous, leur souffla Minos nerveusement.
Le Brûlé avait pris place à bord d’une barque amarrée à un ponton en bois et jetait des regards inquiets aux alentours. Il fallait faire vite, aucun bateau n’avait le droit d’entrer ou de quitter Dérios à la tombée de la nuit et des gardes patrouillaient régulièrement aux abords des quais. Finn et Tawenn étaient sur l’un des pontons en bois aménagés tout autour de la cité. De là où ils se trouvaient, ils ne voyaient que de frêles maisons en bois sur pilotis et le palais royal qui, du sommet de sa colline, semblait les narguer en permanence. Elle posa son sac à bord de l’embarcation avant de se tourner vers Finn.
— Tu ne feras rien de stupide en mon absence ? Lui demanda-t-elle.
— Non, je pense faire profil bas un moment. Dit-il en souriant. Et puis, tu me connais, qu’est-ce qui risque de mal se passer ? Essaie plutôt de ne tuer personne durant ton entraînement.
Elle sourit à son tour et ils s’échangèrent une accolade sur le quai avant que Tanwen ne grimpe à bord de la barque. Elle lui fit de grands signes de la main alors que l’embarcation s’éloignait doucement de la ville. Passé cet instant de tendresse, elle contempla la cité, qui ne ressemblait déjà plus qu’à un monticule de petites lumières, disparaître dans l’obscurité.
Ils ramèrent à tour de rôle afin de traverser le lac entourant Dérios jusqu’à rejoindre la terre ferme. De là, ils durent encore marcher un long moment jusqu’à atteindre une auberge qui accepta de les héberger alors que la nuit était déjà bien avancée. Ils ne dormirent que quelques heures avant de reprendre leur route. Après une longue journée de chevauchée et en changeant plusieurs fois de monture, ils arrivèrent en vue d’un campement perdu au beau milieu des bois.
Plusieurs tentes, et même quelques constructions en bois s’élevaient autour d’un grand feu de camp. Un fossé avait été creusé et quelques barricades de fortunes ainsi qu’une tour de guet venaient compléter la défense des lieux. Des hommes et des femmes étaient rassemblés et partageaient ce qui devait être leur repas du soir, et leurs éclats de rire parvenaient jusqu’aux oreilles de Tanwen. Dès qu’ils descendirent de leur monture, des sentinelles vinrent tout de suite à leur rencontre. Elles avaient de longues capes noires et de larges épaulettes que Tanwen reconnut tout de suite. C’étaient les mêmes que celles que portaient Kléo et Minos lors de leur première rencontre chez le forgeron. Minos fut chaleureusement accueilli par les siens qui étaient heureux de le revoir comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis plusieurs années. Ils prirent place autour du cercle et on leur tendit un bol de ragoût fumant. Tanwen se jeta immédiatement sur la nourriture. Elle était épuisée par le manque de sommeil et leur voyage éreintant, si bien qu’elle ne prononça presque pas un seul mot, se contentant d’écouter les conversations autour d’elle.
— Alors ? Vous l’avez trouvé ? Demanda l’un des hommes assis à côté d’eux.
— Il est dans la cité, répondit Minos. Nous ne savons pas encore quand il passera à l’action.
— Et pour le pendentif ?
— Il est entre les mains d’un bandit de la ville, un certain Lucio. Lux va réfléchir à un moyen de le récupérer en attendant que les autres nous rejoignent ici. C’est pour ça qu’elle est là, d’ailleurs, dit-il en désignant Tanwen de la tête.
Tous les regards se tournèrent dans sa direction et elle se sentit rapidement mal à l’aise.
— Je souhaite rejoindre votre ordre pour me débarrasser de Lucio, dit-elle afin d’en finir avec ce silence insupportable.
Les visages se tournèrent alors de nouveau vers Minos.
— Et qui va se charger de la former ? Il faudra tout lui apprendre comme aux enfants, maugréa une femme assise quelques mètres plus loin.
Tout son être irradiait la brutalité et la sauvagerie. Elle avait une longue chevelure blonde tressée, plusieurs tatouages tribaux sur son épaule et arborait fièrement un collier de griffes, d’oreilles et autres trophées d’un bestiaire aussi varié que dangereux. Sa musculature était impressionnante et faisait passer Tanwen pour une enfant de Pyrel qui aurait passé toute sa vie plongée dans les livres. Elle la dévisageait avec un dédain affiché, comme si elle ne la croyait pas capable de tenir une arme et qu’elle aurait mieux fait de retourner chez elle dès maintenant. Tanwen se sentit piquée au vif et prit sur elle en se retenant de se lever afin qu’elles aillent s’expliquer. Elle ne voulait pas tout gâcher au bout de quelques minutes à peine.
— C’est moi qui vais la prendre comme apprentie, répondit Minos.
Il eut un long silence suivi d’un éclat de rire dans toute l’assemblée.
— Toi ? Haha. Rappelle-moi la dernière fois que tu as pris un apprenti, s’esclaffa un homme épais avec une grosse barbe.
— C’est un ordre de Lux, soupira-t-il. Si elle n’est pas à la hauteur, elle partira d’elle-même. Et puis toutes les lames sont bonnes à prendre, surtout depuis que l’on a perdu Kléo.
Les rires se stoppèrent net. Minos relata la fin tragique de leur ami à ses compagnons qui l’écoutèrent la mine attristée.
— Entre ça et la disparition d’Aldis et d’Eden… Murmura l’un d’entre eux.
— Vous n’avez toujours pas plus d’informations à leur sujet ? Questionna Minos.
— Pas vraiment, la situation à Spyr ne cesse d’empirer. Nos contacts sur place nous ont rapporté qu’un Adorateur du Brasier a failli s’en prendre à un gosse des faubourgs dernièrement. Ils deviennent tous complètement fous là-bas.
— Et concernant ce Lucio, on a un plan pour se débarrasser de lui ? Demanda une autre Brûlée.
Minos secoua la tête.
— Pas encore, j’imagine que l’on frappera dès que nos autres membres nous auront rejoints. Espérons que la traversée se passera bien de leur côté.
Ils discutèrent encore de longues minutes de la situation avant de se séparer. On offrit une tente de libre pour que Tanwen puisse s’y installer. Elle ne savait pas vraiment dans quoi elle s’embarquait et était un peu inquiète à l’idée de fréquenter ces gens pendant plusieurs semaines. Ils s’étaient montrés plutôt froids et distants vis-à-vis d’elle, tandis que Minos lui avait à peine échangé trois mots depuis leur départ de Dérios. Peut-être qu’après tout, elle avait fait erreur et qu’elle aurait dû écouter Finn et quitter sa cité.
Elle était en train de ranger les quelques affaires qu’elle avait emportées avec elle lorsque Minos entra.
— C’était la tente de Kléo, dit-il en parcourant l’endroit des yeux.
— C’est donc à cause de ça qu’ils m’évitent depuis mon arrivée.
— Ils t’évitent parce que tu n’es qu’une étrangère à nos yeux. Chacun d’eux a perdu de près ou de loin quelqu'un qui leur était cher. Ils ont connu la souffrance et l’ont surmontée à coup d’entraide et de motivation. Si tu restes suffisamment longtemps et que tu termines ton entraînement, alors ils t’accepteront.
— Et donc, ce sera toi mon entraîneur ?
— En effet, cela te pose-t-il un problème ?
— Non, pas du tout.
En réalité, Tanwen était perplexe. Elle avait réussi à le blesser sans difficulté chez le forgeron et, malgré son air strict, il ne lui semblait plus être un combattant si redoutable que ça.
— Dans ce cas, repose-toi un peu. On commencera demain dès l’aube.
Il sortit sans rien ajouter et Tanwen s’allongea sur son lit de camp en soupirant. Cela promettait d’être éprouvant et Finn lui manquait déjà. Mais elle s’était fait une promesse et s’était juré de ne pas abandonner tant que Lucio serait encore en vie. Elle rejoindrait l’Ordre, se débarrasserait des Kléptars et enfin ferait du quartier des Tisserands un endroit où il fait bon vivre. Pour l’heure, elle tombait de fatigue et il lui fallait dormir si elle voulait supporter la journée de demain.
Comme prévu, le réveil fut brutal. Minos la sortit brusquement du lit en lui criant d’aller le rejoindre dehors. À peine fut elle habillée, qu’il lui ordonna de la suivre en courant en direction de la forêt. Elle ne sait pas exactement pendant combien de temps elle le suivit ainsi, mais Tanwen fut soulagée lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin à proximité d’une rivière. Elle se courba en deux afin de reprendre son souffle, puis s’accroupit près de l’eau pour se désaltérer. Lorsqu’elle releva la tête, Minos avait disparu.
Tanwen se leva en vitesse et commença à fouiller les environs, paniquée. Après avoir fait et refait le tour de l’endroit, elle dut se rendre à l’évidence, Minos l’avait laissée en plan. Cela doit être un genre de test, pensa-t-elle. Il attendait de voir si elle saurait retrouver son chemin. Malheureusement, elle n’avait pas du tout pensé à mémoriser la route et revenir sur ses pas lui garantissait de se perdre. Au lieu de ça, elle décida donc de suivre le cours d’eau en espérant finir par tomber sur un village.
Elle marcha plusieurs heures et, par chance, elle croisa un groupe de pêcheurs en train de relever leurs pièges. Elle leur demanda s’ils savaient où se trouvait un campement avec des soldats dans les environs. Ils lui indiquèrent une direction dans laquelle des hommes étranges avaient installé leur camp récemment et Tanwen se remit en marche après les avoir remerciés.
Au fil de sa route, le sentier lui sembla plus familier, et elle finit même par reconnaître une pile de rochers étranges qu’ils avaient croisés durant leur course matinale. Il était déjà la fin de l’après-midi lorsqu’elle arriva finalement au campement. Les gardes la saluèrent et partirent informer immédiatement Minos qui était allongé contre un arbre, une pomme dans la main.
— Il semble que ne te débarrassera pas d’elle aussi facilement, lui souffla l’un des Brûlés en riant avant de retourner à son poste.
— Tu en as mis du temps, se contenta-t-il de dire dès qu’il l’aperçut.
Il se leva et posa la pomme sur une souche d’arbre derrière lui.
— Prends la pomme, elle est pour toi, dit-il.
Tanwen mourrait de faim, elle n’avait rien mangé de la journée. Aussi, elle s’avança pour la ramasser lorsque Minos la saisit brusquement par les bras et la poussa en arrière.
— À quoi est-ce que tu joues ? Demanda-t-elle.
— Prends la pomme, répéta-t-il calmement.
Elle s’avança de nouveau et Minos la repoussa de la même manière. Elle essaya encore et encore, mais ne parvint jamais à s’en approcher à moins d’un mètre avant qu’il ne l’arrête. Tanwen commençait à perdre patience, elle avait horreur de ce genre de jeux auquel Minos prenait un malin plaisir à la tourmenter.
— Vous êtes satisfait ! Cria-t-elle. Ça vous amuse, c’est ça !
— Prends la pomme, se contenta-t-il de répondre impassiblement.
Elle était en rage. Se précipiter ne lui servirait à rien, elle le savait. Elle respira donc profondément afin de retrouver son calme et d’essayer de faire le vide dans son esprit. Elle s’élança en avant, mais cette fois-ci fonça directement sur Minos en espérant le faire tomber. Celui-ci fut surpris par sa force et il trébucha. Tanwen se releva aussitôt et se précipita en direction de la pomme. Elle la toucha du bout du doigt lorsqu’elle sentit une main l’agripper au talon et la tirer puissamment en arrière. Minos la plaqua au sol et l’immobilisa. Sous la secousse, la pomme roula et tomba de la souche pour atterrir sur la main de Tanwen qui la saisit aussitôt.
— Tu as eu de la chance, dit-il en se relevant.
Tanwen se releva à son tour et s’assit sur la souche d’arbre en commençant à dévorer la pomme.
— Va près du feu de camp, tu recevras un vrai repas. On verra ce que tu vaux avec une épée juste après. Aussi, pour ce qui est de la lutte la prochaine fois, pense à…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Tanwen était déjà partie en direction du souper.
Début de chapitre intéressant. L'entrainement s'effectue bien, peut-être un peu rapide mais à voir dans l'autre passage ce que ça donne :)
Les retours :
"Et puis, tu me connais, qu’est-ce qu’il risque de mal se passer ? " -- "qui risque".
"Elle contempla la cité qui ne ressemblait déjà plus qu’à un monticule de petites lumières disparaître dans l’obscurité" -- une virgule après "lumières" et une après "cité"
"leur voyage éreintant si bien qu’elle ne prononça presque pas un seul mot, se contentant d’écouter les conversations autour d’elle" -- une virgule avant "éreintant".
"Il eut un long silence suivi d’un éclat de rire dans toute l’assemblée" -- "Il y eut"
"On offrit une tente de libre pour que Tanwen puisse s’y installer" -- "une tente libre".
c'est parce que j'ai séparé mes chapitres mais l'entrainement continue bien par la suite.
Merci encore pour les coquilles :)