Chapitre XV : Des compagnons de fortune

Elle s’entrainait avec ardeur et les jours se succédèrent rapidement à un rythme régulier et intensif. Il lui semblait que Minos commençait à prendre goût à la former et il ne lui épargnait aucun supplice. Après le maniement de la dague et de l’épée, il passa aux leçons d’équitation ainsi qu’à la survie en pleine nature en lui enseignant comment différencier les plantes comestibles de celles toxiques. Tanwen apprit également des bases en secourisme et en médecine en préparant différents onguents et breuvages avec des ingrédients facilement disponibles dans n’importe quel sous-bois. Bien sûr, en quelques semaines, elle ne pouvait devenir une guerrière accomplie, mais elle serait au moins capable d’en maîtriser les rudiments.

Le soir, elle partageait toujours un repas chaud en compagnie des autres membres de l’Ordre. Tanwen sentait bien qu’elle ne faisait pas encore partie des leurs. Ils commençaient néanmoins à s’habituer à sa présence. Elle avait même retenu le nom de certains d’entre eux. En particulier celui de Hilda, la Brûlée, qui l’avait si mal accueilli et que Tanwen méprisait.

Minos jugea bon de lui enseigner des connaissances plus approfondies sur l’histoire de l’Ordre des Brûlés que ce que lui avait déjà appris Kléo lorsqu’elle était leur captive. Il profitait donc des repas pour lui raconter toutes sortes d’histoires sur leur groupe.

— Comme tu le sais déjà, notre Ordre traque Ignis depuis des générations, expliqua-t-il. Il naquit lorsque des membres du Culte de Pyrel décidèrent de prendre les armes et de se lancer à sa poursuite. Sa disparition soudaine entraîna de profonds débats et l’existence de l’Ordre fut remise en question. Parmi ses membres, certains l’abandonnèrent en vue de retourner à une vie plus calme, tandis que d’autres décidèrent de rester pour propager leur foi. Ils fondèrent un État que l’on surnomma, royaume de Volos, bien qu’il n’ait jamais eu de roi. Volos n’était que le nom donné par les tribus locales à la colline où fut bâtie notre forteresse. Ce royaume dura pendant plusieurs siècles en essayant tant bien que mal de propager le Culte de Pyrel avant de s’effondrer sous les assauts répétés des différentes tribus peuplant les grandes steppes de l’Est.

Minos montra à Tanwen une carte complètement jaunie par le temps. Elle vit des territoires et des noms de royaumes dont elle n’avait jamais supposé l’existence jusque-là. Malheureusement, tante Marta ne leur avait appris que les rudiments de la lecture et elle peinait à déchiffrer certains mots. Surtout, la carte semblait précieuse et Tanwen n’osait pas la prendre dans ses mains de peur d’y renverser un peu de sa soupe.

— Qu’est-il arrivé après la chute de Volos ? Demanda-t-elle les yeux toujours rivés sur la carte.

— L’Ordre tomba en déclin. Certains essayèrent bien de le recréer, mais toujours sans succès. Ce n’est que lorsque des incendies étranges commencèrent à se déclarer de plus en plus fréquemment qu’une poignée de fidèles se réunirent et décidèrent de reprendre la traque. Ils réanimèrent des réseaux éteints depuis longtemps et parcourent les quatre coins du monde en rappelant à leurs détenteurs quelle était la véritable signification de cette chose.

Il montra à Tanwen la broche qu’elle avait dérobée à Dérios et elle comprit que chaque personne ici devait en posséder une.

— Et ces étranges épaulettes que vous portez avec ce visage qui pleure une flamme ? Est-ce que tout cela à un rapport avec Ignis.

— Pas vraiment non, c’est plutôt symbolique. Du temps de Volos, tout le monde portait un masque identique lors des célébrations. L’on s’en servait pour commémorer nos morts et nous rappeler de leur sacrifice.

— Et vous n’avez jamais cherché à récupérer votre forteresse et vos terres ?

— Beaucoup aimeraient bien. Pour ma part, je pense qu’il faut passer à autre chose. En plus, beaucoup de rumeurs racontent que les ruines seraient occupées par un groupe d’occultistes cherchant à faire revivre une divinité étrange. De toute façon, elle se trouve sur le territoire de la Grande Chevauchée, un peuple de cavaliers très hostile qui réduit tous les étrangers s’aventurant sur leurs terres en esclavage. Afin de subvenir à nos besoins, beaucoup ici exercent un autre métier en plus de faire partie de l’Ordre. À l’Est, certains souverains nous ont offert leur aide en échange de quelques missions de mercenariat ou de protection. J’ai bien peur que les choses ne soient plus compliquées de ce côté.

Les autres membres du groupe se mêlèrent à leur conversation. Ils racontèrent leurs exploits et les endroits d’où ils venaient et ceux qu’ils avaient explorés. Le grand homme barbu raconta le nombre de fois où il avait frôlé la mort et où la petite femme assise à sa droite avait dû se porter à son secours pour lui sauver les fesses. Elle comprit immédiatement qu’il y avait plus qu’une simple relation d’amitié entre eux.

Plus ils parlaient et plus Tanwen réalisait qu’hormis Spyr et Dérios, elle ne connaissait absolument rien du monde qui l’entourait. Cette bande d’individus autour du feu lui sembla tout d’un coup prendre une dimension mystique. Beaucoup n’y auraient vu qu’une bande de mercenaires vivant dans la misère au milieu d’un camp de fortune. Mais à ses yeux, il s’agissait d’un groupe de compagnons du bout du monde affrontant mille dangers afin de vaincre un ennemi originel. Elle se prit même à s’imaginer parcourant des contrées inexplorées en leur compagnie, en n’en oubliant presque que son engagement n’était que temporaire et bien loin de leur quête.

— Et quand doivent arriver vos autres compagnons ? Demanda-t-elle.

— Je ne sais pas. La traversée du col de Vel est compliquée, il leur faudra du temps, répondit Minos.

— Ces montagnes sont si dangereuses que ça ?

— On voit que tu n’as jamais quitté Dérios, la vie n’est pas toujours aussi simple qu’ici, lui rétorqua Hilda. Imagine des sommets enneigés toute l’année, des pentes raides qu’il faut gravir sous un froid à te glacer les os. Et je ne te parle même pas des Griffols.

— Des quoi ?

Elle lui montra une griffe immense qui pendait autour de son cou.

— Les chamans des peuples vivant dans ses montagnes ont obtenu de leurs dieux la faculté de se changer en horribles bêtes au pelage blanc et aux griffes tranchantes comme des dagues. La plupart d’entre eux sont devenus complètement fous et se sont mis à attaquer les habitants des environs. Ils peuvent sentir l’odeur du sang à des kilomètres et connaissent par cœur les lieux de passage empruntés par les humains. Ils se tapissent pendant des journées entières sous la neige avant de fondre sur les malheureux qui passeraient à leur portée. Les déchiquetant en morceaux avant de se repaître de leurs entrailles. L’on raconte qu’une légion entière de Spyr partie conquérir l’Est aurait disparu dans l’un de ses cols par une nuit glaçante. Les quelques témoignages des habitants évoquèrent des traces de sang sur la neige pouvant se voir depuis le bas de la vallée.

Fière de son discours, Hilda la regarda avec amusement en espérant voir son regard terrifié. Tanwen le comprit rapidement et afficha un air qui se voulait robuste, mais son histoire lui avait fait froid dans le dos. Elle ne dut pas avoir l’air très convaincant, car les Brûlés éclatèrent de rire, et même Minos laissa échapper un sourire.

— Elle en fait toujours trop, ajouta-t-il avec plus de sérieux. Mais il est vrai que ces créatures peuplent les montagnes et que chaque caravane qui entreprend la traversée connaît souvent des morts dans ses rangs.

Ils terminèrent de manger et Tanwen eut droit à quelques heures de sommeil avant de retourner à l’entraînement dès le lendemain matin.

Une semaine s’était déjà écoulée depuis qu’elle avait posé un pied au camp. Sa formation avançait bien, même si elle n’était toujours pas parvenue à battre Minos en duel. Elle l’avait jugée trop vite, s’étant enorgueillée de l’avoir blessé lors de leur première rencontre. Elle dut rapidement se rendre à l’évidence qu’elle avait été chanceuse ce jour-là. Tanwen n’aurait sûrement pas tenu longtemps en combat singulier alors qu’il l’envoyait s’écraser lourdement sur le sol au milieu du camp.

— Combien de fois dois-je me répéter ! Lève ta garde !  Lui cria Minos.

Plusieurs Brûlés assistaient à ce spectacle quotidien en faisant des paris entre eux sur sa performance du jour.

— Vas-y ! Tu peux l’avoir ! Crièrent plusieurs d’entre eux alors que Tanwen se relevait péniblement.

Ces spectateurs réguliers l’énervaient au plus au point et elle fonça vers Minos pour en découdre encore une fois. Ce dernier soupira en secouant la tête et para sans difficulté son attaque. Elle enchaîna une suite de coups désordonnés en espérant le toucher avec une estocade, mais il la saisit par le poignet et l’envoya de nouveau valdinguer de l’autre côté du camp. Un cri de déception raisonna dans l’enceinte du campement alors que de l’argent passait de main en main en riant.

— Ça suffit, déclara Minos. Assieds-toi un moment et bois un peu d’eau.

— Je peux encore me battre ! Cria-t-elle en se relevant.

— J’ai dit, ça suffit ! On fait une pause. Cela ne servira à rien de continuer tant que tu ne te seras pas calmée. Et vous ! Dit-il à l’attention des Brûlés. Vous n’avez rien de mieux à faire que nous regarder toute la journée.

Les quelques spectateurs se dispersèrent aussitôt, retournant vaquer à leurs occupations.

Tanwen alla s’asseoir dans l’herbe à contrecœur et but un peu d’eau de sa gourde. Elle ne comprenait pas comment il arrivait à parer ses coups avec une telle aisance. Ils s’entraînaient depuis le début de l’après-midi et Minos transpirait à peine alors qu’elle était couverte de sueur.

Ils continuèrent à s’affronter jusqu’au soleil couchant lorsqu’un groupe de cavaliers arriva au campement. Des sentinelles accoururent pour prendre soin de leur monture et leur apporter de quoi se désaltérer après leur chevauchée. Minos partit à leur rencontre sous les protestations de Tanwen qui, bien qu’exténuée, voulait continuer à se battre. Il échangea quelques mots avec les nouveaux arrivants, puis ils se rendirent dans une tente afin de continuer leur conversation.

Elle savait bien que cela ne la regardait nullement et Minos lui avait ordonné d’attendre son retour, mais Tanwen s’ennuyait ferme et elle n’avait jamais été très patiente. Elle s’avança donc doucement en direction de leur tente et tendit discrètement l’oreille.

— Et vous l’avez ramené ici ? S’offusqua Minos.

— Il nous a donné des informations sur Aldis et Eden, répliqua une voix d’homme.

— Et il nous a juré vouloir rejoindre l’Ordre, renchérit un deuxième.

— Comment être sûr que ce n’est pas un espion ? Demanda Minos.

Tanwen reconnut la voix de Hilda qui répondit :

— Si c’est un espion, on a qu'a l’accrocher à un poteau et le faire parler. Il a peut-être plus d’informations à nous fournir que ce qu’il vous a déjà dit.

— Écoutez, je sais que c’est assez inhabituel, mais je pense sincèrement que ça serait un atout qu’il rejoigne nos rangs.

— Entre ça et l’autre gamine de Dérios, il va vraiment falloir revoir nos standards de recrutement.

— Tu dis cela parce qu’elle te ressemble.

— Fait attention à tes paroles ou bien, tu te serviras de ta langue pour la dernière fois.

— Ça suffit, déclara Minos. Je vais envoyer une missive à Lux, elle décidera de ce que l’on fera de lui. En attendant, gardez-le sous surveillance et ne lui faites pas de mal, c’est bien compris, Hilda ?

— Je ne promets rien, dit-elle.

Tanwen entendit qu’ils se levèrent et s’écarta rapidement de la tente. Elle vit Hilda en sortir et lui lancer un regard provocateur avant de continuer son chemin. Minos sortit juste après, suivi par deux autres hommes. Elle fit semblant d’être préoccupée par son arme, mais il l’interpella :

— Je t’avais demandé de m’attendre, il me semble.

— J’ai un problème avec ma dague, je voulais voir ça avec vous.

Elle la tendit à Minos qui l’inspecta brièvement avant de soupirer.

— Qu’as-tu entendu exactement ?

— Rien du tout ! S’empressa de répondre Tanwen qui ne pensait pas se faire démasquer aussi facilement. Peut-être simplement une histoire avec un prisonnier.

— Puisque cela te plaît tant d’écouter aux portes, félicitations, tu as gagné le droit de t’en occuper. Va lui apporter à boire et à manger et vérifie qu’il ne tente rien de stupide. Et pour l’amour de Pyrel, obéi aux ordres pour une fois !

Elle partit récupérer un morceau de pain et un pichet d’eau, puis l’un des deux hommes la guida jusqu’à une écurie aménagée près d’une des portes du camp. À l’intérieur, s’y trouvaient plusieurs montures au repos. Dans le dernier box, était attaché un jeune homme blond ayant dans la vingtaine. Tanwen y déposa la nourriture et s’avança afin de lui défaire ses liens. Une fois libre, il commença à se masser les poignets.

— Merci, je n’en pouvais plus de cette corde, dit-il en attrapant le pichet d’eau.

Tanwen sourit, il n’avait pas vraiment la tête d’un criminel, celle d’un soldat sans aucun doute, à en juger par sa musculature.

— Pourquoi t’ont-ils capturé ? Lui demanda-t-elle.

— Oh, ils ne m’ont pas capturé, c’est moi qui suis venu à eux.

— Que fais-tu en prison dans ce cas ?

— Disons qu’ils sont méfiants et qu’ils ne me font pas confiance. En même temps, je ne peux pas leur en vouloir, je n’étais pas vraiment de leur côté jusqu’à récemment.

Elle voulut en savoir plus, mais l’un des Brûlés lui fit signe de sortir.

— Comment t’appelles-tu ? Demanda-t-elle en vitesse.

— Luke

— Eh bien, je pense que nous nous reverrons, Luke.

Tanwen sortit du box et l’homme de garde referma la barrière en bois derrière elle.

 

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Talharr
Posté le 24/07/2025
Re,
Quand Luke avait dit qu'il allait rejoindre ceux qui pourraient l'aider, j'avais pensé aux brûlés mais sans en être certain. Les chemins se croisent :)
L'entrainement s'enchaine bien ici donc ça compense le passage d'avant.
Tanwen est vraiment sympa à suivre, tantôt elle écoute, tantôt elle désobéit. Une tête brûlée aha
J'aime bien la relation entre Tanwen et Minos. On dirait déjà son père spirituel aha

Pour les retours :

"Beaucoup aimeraient bien, pour ma part, je pense qu’il faut passer à autre chose." -- j'aurais mis un point après "bien".

"Le grand homme barbu raconta le nombre de fois où il avait frôlé la mort et où la petite femme assise à sa droite avait dû se porter à son secours pour lui sauver les fesses" -- je trouve que le "secours" puis le "sauver" alourdissent la formule peut -être modifier en mettant quelque chose comme : "avait dû intervenir pour le tirer d’affaire", qui reste dans ton ton.

"Si c’est un espion, on a cas l’accrocher à un poteau et le faire parler." -- "qu'à".

"avant de continuer ton chemin" -- "son".
"J’ai un problème avec ma dague, je voulais vous la montrer pour voir ça avec vous" -- ici aussi pour la redondance du "vous". Peut-être : "je voulais vous la montrer pour avoir votre avis."

A très vite :)
Talharr
Scribilix
Posté le 24/07/2025
Re,
Oui c'est tout a fait ça, Minos se porte un peu comme un mentor ou une sorte de figure paternel.
Il faut bien que les histoires se croisent à un moment d'où l'arrivée de Luke dans les camps des Brulés, ce qui reste en cohérence avec son caractère et son rejet des Adorateurs du Brasier.
Enfin très joli jeu de mot pour Tanwen, je n'aurais pas osé haha :)
A la prochaine,
Scrib.
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