Chapitre XV : L’intrus
Un coup de pied de son enfant réveilla Lucie en pleine nuit. Endolorie, elle se massa la peau autour du nombril et chantonna un air qui semblait apaiser son bébé. Il vivait en décalage avec elle, lui rappelant qu’il était le maître de ses émotions et de son corps.
La gêne de son ventre, la sueur, les douleurs dans le dos, les rêves horribles d’accouchements, tout s’additionnait pour transformer ses nuits en insomnies. Lorsqu’elle dormait plus de quatre heures, elle avait envie de brûler un cierge à l’église.
Un même cauchemar revenait la hanter dès qu’elle éteignait la lumière : celui où elle élevait seule son enfant. Elle se mordit les lèvres. Non, elle devait affronter la réalité en face : un rêve prémonitoire plutôt.
Cette pensée lui fit monter les larmes aux yeux et elle étouffa ses sanglots dans la couette. Elle regretta d’avoir dit à ses parents de partir tout de même en vacances. Ses doigts resserrèrent leurs emprises autour des draps du lit : ils seraient de retour dans dix jours, tout irait bien. Sa mère lui avait assuré qu’au moindre souci, ils reviendraient. Elle hésita à les appeler. Non, étant agriculteurs, ils ne prenaient jamais de vacances. Elle ne pouvait pas leur faire ça, pas à cause de prémonitions ridicules. Leur voyage à Bali était prévu depuis deux ans…
Son fils lui donna un nouveau coup de pied. Elle se massa lentement le ventre en lui ordonnant mentalement de se calmer. Juste une bonne nuit de sommeil, s’il te plaît ! Fais plaisir à maman !
Elle ferma les yeux, tentant de faire le vide dans son esprit.
Alors qu’elle se demandait si elle n’allait pas avoir recours à des plantes, un bruit inhabituel éveilla son attention. C’était un son métallique, une sorte de cliquetis. Elle repoussa les draps, s’assit au bord de son lit et tendit l’oreille .
C’est alors qu’une musique enfantine s’éleva dans le jardin. Les notes cristallines s’envolaient, tourbillonnaient dans la nuit silencieuse, au grès de la bise. Les traits de Lucie se figèrent. Pour ne pas défaillir, elle empoigna la tête de lit. Son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine.
Il s’agissait d’une des boîtes à musique de son mari. Elle reconnaissait ce son strident. La mélodie résonna quelques minutes et prit fin dans un souffle laissant place à un silence inquiétant. Un instant plus tard, elle entendit le même cliquetis. Sa stupéfaction se mua alors en terreur.
Dehors, dans son jardin, près de la terrasse, une personne remontait la clef de la boîte à musique. L’individu s’était certainement glissé chez elle, avait récupéré l’instrument et s’amusait avec ses nerfs à l’extérieur…
À l’idée qu’il puisse revenir dans la maison, monter les escaliers, arriver jusqu’à sa chambre et s’en prendre à elle, ses membres se tétanisèrent.
Elle eut envie de crier, de hurler, de pleurer, mais ses muscles ne lui obéissaient plus. Une boule d’angoisse se forma dans sa gorge, elle porta la main à son ventre dans un geste protecteur et se laissa glisser lentement au sol avec la ridicule idée de se cacher sous le lit. Après plusieurs essais, l’évidence s’imposa à elle : impossible, son ventre l’en empêchait. Où pouvait-elle se cacher ? Sa poitrine se comprimait à chaque note, son souffle devenait strident. Des feulements s’extirpaient de sa gorge comme un chat acculé. Son corps n’était qu’un immense vibrato accordé à la comptine. La nuit soupira les derniers sons et le silence s’empara de sa propriété. Elle resta pétrifiée, frissonnante, l’esprit éteint, attendant d’autres bruits plus terrifiants.
Rien.
L’intrus était-il parti ?
Elle compta jusqu’à dix pour se calmer et chercha du regard son téléphone. Par bonheur, il était en train de charger à quelques mètres. Le plus silencieusement possible, elle se déplaça et tendit ses doigts tressaillants vers l’objet. Le téléphone lui échappa des mains.
L’émotion gagna chaque parcelle de son corps et elle éclata en sanglots. La vision brouillée, elle réussit malgré tout, à le récupérer et à sélectionner le numéro de l’inspecteur. Les sonneries se succédèrent. Il ne répondait pas. Pas étonnant, il devait être dans les sept heures du matin. Elle composa le 17 et tenta d’expliquer la situation à son interlocuteur d’une voix chevrotante. Ce dernier lui assura qu’il envoyait une équipe au plus vite. Lucie raccrocha, s’assit sur le lit et fixa le mur.
Lorsque les sirènes résonnèrent, elle crut qu’il s’agissait d’une affabulation de son esprit. Les lumières bleues et rouges s’estampaient sur les cloisons.
Rouge. Bleu. Rouge. Bleu.
Quelqu’un frappait à la porte.
Rouge. Bleu. Rouge. Bleu.
Des bruits de pas retentirent dans les escaliers.
Rouge. Bleu. Rouge. Bleu.
— Madame, vous allez bien ? Vous êtes blessé ? demanda un homme.
Les couleurs se confondirent au fur et à mesure que la jeune femme retrouvait pied dans la réalité. Elle dévisagea le policier à l’uniforme bleu, hébétée.
— Où est le lieutenant Jakes ? Je veux lui parler ! s’entendit-elle répondre.
— Il est indisponible, madame. Il vous contactera dès que possible.
Lucie soupira puis fit signe à l’officier de s’avancer.
— Aidez-moi à descendre, je veux voir la boîte.
L’homme au teint cireux, et aux larges cernes, l’aida à rejoindre le salon. Les courbatures la démangèrent, mais après ce qu’elle avait vécu cette nuit, c’était une douleur nettement négligeable.
Arrivée au rez-de-chaussée, la jeune femme remarqua la porte ouverte du placard, les boîtes à musique posées sur le sol traçant comme un chemin vers l’extérieur.
Hésitante, elle suivit l’étrange ligne en pointillé. Le jour peinait à se lever, la nuit étouffait encore les rayons et ce fut le contraste du bois sur le dallage de la terrasse qui attira son œil. La petite danseuse en tutu rose surmontait un socle en bois acajou. La jeune femme s’arrêta, elle n’avait donc pas rêvé. Deux policiers s’avancèrent et inspectèrent l’objet comme si cette petite chose allait d’un moment à l’autre exploser.
— C’est qu’une boite… murmura-t-elle.
— Regardez madame, il y a un mot.
L’un des hommes enleva un petit papier qui était enroulé sur la clef de l’objet et le lui tendit. Lucie le lut à voix haute.
— Assassins. Où est le corps ?
Un frisson lui traversa l’échine et elle se sentit défaillir. Un des hommes la soutint et l’aida à s’asseoir sur sa chaise de jardin. Tout tourbillonnait dans son esprit. À quoi faisait référence le mot ? Qu’avait-donc fait Justin ? Pourquoi vivait-elle cet enfer ?
Elle regretta d’avoir laissé son téléphone dans la chambre, elle aurait voulu entendre la voix de sa mère. Elle avait besoin de quelqu’un, entendre une voix familière. Justin s’imposa dans son esprit et elle rejeta l’image loin dans son esprit. Il ne pouvait plus la soutenir.
L’un des policiers lui donna un sucre et un verre d’eau.
— Tout va bien, madame. On est là. On va rester, le temps que vous alliez mieux.
Elle acquiesça en prenant de grandes inspirations.
— Pourriez-vous rappeler l’inspecteur Jakes ? demanda-t-elle entre deux hoquets.
— Il ne sera pas disponible de la journée, Madame. Nous l’avertirons dès qu’il sera libéré de toutes obligations.
La jeune femme fronça les sourcils, mais n’ajouta rien.
— Pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé ?
Lucie retraça sa nuit dans les moindres détails puis termina son discours en demandant :
— Est-ce qu’il serait possible de faire surveiller ma maison ?
— Oui, nous attendons l’autorisation mais nous allons mettre cela en place. Ne vous inquiétez pas. Le lieutenant Jakes vous appellera dès qu’il sera disponible.
La sonnerie d’un portable la fit sursauter.
Elle ne voulait plus jamais entendre une mélodie de boîte à musique de sa vie. Jamais.
Pour le passage où elle crame les trucs toute seule, elle a vraiment pas peur Oo perso j'arriverais pas à être seule après un truc pareil tant que des potes seraient pas arrivés. Puis c'est marrant que la police n'embarque pas les boîtes à musique comme preuves sous scellés
Oui, j'ai essayé de travailler le passage pour qu'on s'imagine vraiment à sa place !
"Puis c'est marrant que la police n'embarque pas les boîtes à musique comme preuves sous scellés" => J'avoue que j'ai hésité, en vrai, je pense que les flics prennent les preuves... Je dois me renseigner :p
Bon, à bientôt !! J'ai hâte que tu sois à jour :p
C'est super que tu me laisses un petit com <3
"Non mais attend il y a un gars taré sur la terrasse qui te regarde à travers la fenêtre en train d'actionner une boîte à musique... Hum moi j'accouche direct je pense !!!" => XD possible, je demanderai à Solenne quand elle lira le chapitre ! XD
"La police ne reste pas très longtemps je trouve ils ne l'interrogent pas trop sur un potentiel suspect et sur le physique de la personne pour la retrouver" => Mmmm c'est vrai mais elle n'a vu personne car elle n'a pas bougé de son lit et je voulais garder les questions pour Arthur plus tard :p
A bientôt pour la suite ma bichette <3
Ah, tu me rassures au niveau de la qualité du chapitre, j'avais l'impression qu'il était un peu en dessous des autres !
A bientôt (sur Sillages peut-être ??? :D)