Chapitre XVI : La marche du phénix

Le paysage devenait plus montagneux au fur et à mesure que Sirius et Aydan s’enfonçaient en Astrie. Le temps commençait à fraîchir également et il pouvait apercevoir de la neige sur la crête de certains sommets.

Durant leur voyage, il n’avait cessé de ressasser les derniers événements qui lui étaient arrivés. La trahison que lui avait faite Pyra le faisait encore souffrir et il éprouvait avant tout de la rage. Il s’était d’abord laissé gagner par le désespoir en envisageant sérieusement d’en finir. Puis, sous les hospices d’Aydan, son désespoir s’était peu à peu changé en colère. Colère qui se transforma par la suite en haine. Elle grandissait au fond de lui depuis son départ de la ferme et elle ne cessait de s’étendre, tel un feu le consumant de l’intérieur. Encore une fois, l’on s’était joué de lui. Encore une fois, il n’avait été qu’un pantin que l’on pouvait briser à sa guise. Certes, le fait qu’Aydan lui ait rendu son médaillon l’avait quelque peu apaisé, mais il gardait une profonde amertume en lui qui le tiraillait au point de venir troubler ses courtes nuits de repos.

Sirius avait quelque peu honte d’avoir flanché et de s’être laissé aller à ce point devant ce dernier. Aydan s’avéra être une personne plus respectable que celle qu’il avait brièvement rencontrée alors qu’il était encore une Flamme. Ils avaient eu l’occasion d’échanger durant leur trajet jusqu’en Astrie. Lui qui lui avait semblé violent et sans scrupule était en fait un homme profondément noble depuis qu’il avait été libéré du joug de Pyra. Il était prêt à mettre sa vie en jeu et à tout perdre pour sortir son ami et les autres gardes de leur soumission. De ce qu’il avait vu en côtoyant Liam durant sa campagne, Sirius pensait qu’il n’avait pas beaucoup d’espoir de le ramener à la raison. Il s’était gardé de tout commentaire pour ne pas l’attrister, mais le regard d’Aydan lui avait fait comprendre que ce dernier était déjà au courant de la difficulté de sa tâche. À la nuit tombée, ils s’arrêtèrent pour camper avant de reprendre leur route dès le lendemain pour arriver enfin en vue d’Astra.

La ville était bâtie sur trois immenses monolithes de pierre se trouvant au centre d’une vallée. De longs escaliers sinuaient jusqu’aux sommets, mais un système de monte-charge avait été récemment inauguré pour faciliter l’accès. Une partie des habitations étaient construites au pied des monolithes. D’autres se trouvaient au sommet, sur les flancs, voire directement à l’intérieur. Plusieurs ponts suspendus assuraient la communication entre les bâtiments. Au centre des trois monolithes, sur une lourde plateforme retenue par de larges cordes, se trouvait la maison communale, siège du gouverneur de la cité. Le monte-charge permettait d’y accéder directement depuis les étages inférieurs.

Cette merveille architecturale n’avait pas été l’œuvre de Spyr, mais celle des Astriens avant que leur pays ne soit annexé par l’empire. Nombre de légendes locales étaient attribuées à ces monolithes et la plupart étaient gardées secrètes par les natifs restés méfiants envers les troupes de Spyr. De plus, Les Adorateurs du Brasier n’ont pas tardé à imposer une version officielle pour en faire le lieu où Pyra aurait vaincu Trya, une déesse antique vénérée par les Astriens avant leur soumission. Malgré leur prosélytisme, le culte des Adorateurs n’a jamais vraiment réussi à se répandre dans cette région reculée et ne laissait que peu de traces, si ce n’est quelques édifices dans la capitale locale, Astra. De nombreux villages continuaient de vénérer leur ancienne déesse et ils s’organisaient pour lancer régulièrement des assauts contre les spyriens.

Gladius était le gouverneur de cette province et d’aussi loin que Sirius ne s’en souvienne, il l’avait toujours été. Son règne de fer avait permis de maintenir l’ordre et de réduire les attaques, mais au prix de nombreux bains de sang et d'une population hostile qui le méprisait. Pourtant, il s’était toujours montré juste et bienveillant envers Sirius et l’avait grandement aidé durant ses années dans les légions en tant que jeune commandant. À bien y réfléchir, il le considérait comme un oncle, voire un père.

Ils progressèrent jusqu’au centre de la cité et demandèrent à emprunter le monte-charge. Les gardes, d’abord méfiants, se confondirent en excuses dès qu’ils reconnurent le visage de Sirius. On les accompagna sur la plateforme qui s’éleva progressivement dans les airs. Une fois arrivé devant la maison communale, Sirius descendit, et sans attendre que les gardes ne l’annoncent, il alla ouvrir lui-même les lourdes portes de la large demeure en bois. Il déboucha immédiatement dans un large hall. De part et d’autre, étaient suspendus des étendards, représentant les emblèmes des différents clans Astriens. Au fond de la salle, était accroché grand et flamboyant celui de la salamandre. Juste devant se trouvait un trône fait entièrement en bois de cerfs. Un homme mur à la carrure imposante y était assis. Il arborait une barbe grisonnante et une vilaine cicatrice venait lui traverser son œil droit. Dès que Sirius entra, il fit signe à un conseiller de s’en aller et se leva.

— Je peux savoir ce que le chien de chasse d’Atrius vient faire sur mes terres ?

— S’assurer que la brebis galeuse suive bien le reste du troupeau.

Il eut un long silence qui raisonna dans le hall avant que le visage de Gladius ne se déride et qu’il n’éclate de rire.

— Tu en as mis du temps, dit-il en s’approchant pour lui faire une accolade.

— J’ai eu plusieurs contretemps à Spyr. Et à force d’hésiter, je me suis égaré, admis Sirius. Mais maintenant, je sais quelle est ma tâche à accomplir.

— À la bonne heure, je commençais sérieusement à me demander quand est-ce que tu allais récupérer ce qui te revient de droit. 

— Vous n’avez donc pas cru à l’annonce de ma mort ?

— J’admets avoir été surpris et me suis préparé au pire. Mais cela aurait été un véritable gâchis de te voir mourir maintenant que tu sais enfin qui tu es vraiment.

— Vous saviez depuis longtemps que j’étais le fils d’Aurel ?

— Depuis le début. Prosper m’en a informé lorsqu’il t’a confié à moi.

— Et il n’est pas le seul, dit une voix sur sa droite.

Sirius se retourna et reconnut Odric qui s’avançait dans le hall.

— C’est un plaisir de vous revoir, général.

— Odric ? Mais je te croyais à Spyr ?

— Malheureusement, je ne pouvais plus y rester, ma couverture a été compromise. Tous les gardes sont devenus des partisans des Adorateurs et ils ont commencé à devenir de plus en plus méfiants envers les plus réservés à leur culte. C'était soit être sacrifié à Pyra, soit subir le même rituel que tous ces idiots. J'ai préféré trouver refuge ici.

— Comment est la situation là-bas ?

— La ville est entièrement passée sous la domination d’Atrius. Il règne par la terreur en enfermant dans ses temples tous ceux s’opposant à lui. Il a même renommé les gardes du Palais en garde de la Flamme pour l’occasion.

— Il était temps ! S’exclama Aydan qui était resté silencieux jusque-là.

— Et je peux savoir qui est ce jeune homme qui t’accompagne ? Demanda Gladius.

— Il s’agit d’Aydan, un ancien garde du Palais maintenant de notre côté, dit Sirius en le présentant. Il m’a sauvé la vie à Ephis et c’est grâce à lui que je me tiens devant vous aujourd’hui.

— Voyez-vous ça ? Net progrès pour un blanc-bec qui passait ses journées à se plaindre lors des entraînements, dit Odric.

Sirius vit le visage d’Aydan se crisper et blêmir comme s’il venait d’apercevoir un fantôme.

— Que tu sois un garde ou un légionnaire, cela n’a pas d’importance. Tu as ma gratitude pour être venu en aide à Sirius, répondit Gladius en lui tendant la main.

Aydan la serra et laissa échapper un léger grognement lorsque Gladius lui broya la sienne.

— Maintenant, il va nous falloir passer à la suite des opérations, dit le vieux général en retournant s’asseoir sur son siège tandis qu’Aydan se massait les phalanges. Atrius ne va pas tarder à envoyer les légions en Astrie pour se débarrasser définitivement de moi. Mes hommes sont les meilleurs de tout l’empire. La vie rude qu’ils mènent ici les rend plus féroces que les légionnaires mollassons du sud. Mais nous ne pourrons pas résister à un assaut de toutes les forces de l’empire, d’autant que les clans Astriens en profiteront sûrement pour passer à l’action.

— Est-ce que les légions accepteront vraiment d’obéir à Atrius et de retourner leur glaive contre leurs frères d’armes ? Demanda Aydan.

— Pas toutes, reconnut Odric. Son influence se répand progressivement au sein de l’armée par la supervision de ses gardes. Et cela d’autant plus depuis l’annonce de la mort de Sirius. Mais les choses vont certainement changer maintenant que vous êtes là.

— L’on peut propager la nouvelle de ton retour, proposa Gladius. Cela redonnera du moral aux hommes dans tout l’empire et ils seront plus enclins à trahir Atrius. Le peuple, également, appréciera de savoir son héros sain et sauf. Qu’en penses-tu, mon garçon ?

Sirius réfléchissait. Toutes les cartes étaient entre ses mains désormais et il lui appartenait de faire le prochain geste. Pour la première fois, il avait l’impression d’être vraiment maître de son destin et cette situation lui plaisait tout particulièrement.

— Attaquons-les en premier, dit-il. Marchons sur Spyr avec votre légion et rallions tous les soldats que nous rencontrons sur la route à notre cause.

— Les gardes de la Flamme ne nous laisseront pas entrer aussi facilement, l’avertit Odric. Même si l’on retourne les légions, ils sont suffisamment nombreux pour défendre la ville et un long siège s’en suivra.

— Alors il faut qu’un petit nombre d’entre nous s’infiltre à l’intérieur pour permettre aux légions d’entrer, proposa Aydan.

— Cela peut marcher, admit Gladius. J’ai d’excellents hommes qui accepteront volontiers de participer. Comme toujours, l’Astrie en profitera pour se rebeller après notre départ, mais on réglera leur compte une fois que le pouvoir sera rétabli à Spyr et que tu auras récupéré ton trône.

— Je devrais pouvoir contacter des soutiens de votre père qui ont échappé aux purges. Ils seront ravis de reprendre leur activité en occupant l’attention des gardes, dit Odric.

— Que faisons-nous des Adorateurs du Brasier ? Demanda Aydan inquiet. C’est par leur faute que nous sommes dans cette situation et que les gardes du Palais sont devenus leurs pantins.

— Tous ceux envoyés en Astrie sont en train de pourrir en prison en ce moment même. Pour ma part, je pense que la corde est la seule chose qu’ils méritent. Mais Sirius, si tu es amené à devenir roi, c’est à toi qu’il appartient de prendre cette décision.

Tous les regards se tournèrent vers lui.

— Il faut s’en débarrasser.

Il avait répondu sur le coup sans la moindre hésitation. Certes, le culte de Pyra était important pour de nombreux habitants dans tout l’empire, mais il avait vu de quoi la déesse était réellement capable. Il ne voulait plus que les Spyriens ne soient contraints de lui obéir. Ni que quiconque sur le continent ne lui appartienne.

— Leur temps est révolu, poursuivit-il. Il n’y a que dans leurs cendres que Spyr pourra renaître.

Gladius acquiesça les bras croisés. Il frappa ensuite dans ses mains et des domestiques accourent aussitôt pour leur apporter à chacun un verre de vin.

— Levons un verre à ce plan audacieux dans ce cas. À notre succès ! À la mort de ce fichu prêtre et de sa déesse ! Et à ton règne, Sirius !

Ils trinquèrent et vidèrent leur verre d’un cul-sec avant de passer à la suite des préparatifs.

Après avoir transmis tous ses ordres, Sirius passa la soirée en compagnie de Gladius. Ils ressassèrent le bon vieux temps, l’époque où il était encore son protégé à la légion et l’amitié qu’il avait entretenue avec son père. Il était ravi de le revoir après tout ce temps. Odric, comme à son habitude, partit vérifier que tout se déroulait comme il le fallait et Aydan s’était retiré dans la chambre qui lui avait été attribuée afin d'y passer la nuit.

 

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Talharr
Posté le 15/08/2025
Hello :)

Ahhh enfin Gladius nous apparait aha
On retrouve notre Sirius bien remotiver :)
Maintenant Sirius a une armée, des alliés et une cité à reconquérir.
ça va chauffer ! Aahha

A la suite :)
Scribilix
Posté le 16/08/2025
salut,
oui, il aura fallut attendre mais Gladius est enfin là ^^
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