Chapitre XVI : Nuit blanche

Elle était contente d’avoir pu parler à Anna et avait du mal à accepter ce qu’il venait de se passer. C’est la première fois, qu’elle avait réussi à soigner quelqu’un en appelant l’aide de Pyrel. Un exploit qu’Elinora n’était jamais parvenue à accomplir, alors que de nombreuses novices y arrivaient aisément. Elle prit directement la direction du temple. Une fois dans le hall, son regard s’arrêta sur l’immense statue de Pyrel qui trônait paisiblement en son centre. Les yeux de la statue étaient figés en direction de l’entrée, scrutant la pièce l’air inerte. Elle lui sembla pourtant qu’ils la suivaient du regard. En cet instant précis, elle ressentit très clairement une présence qui l’observait dans ce lieu. Le temple était désert à cette heure, hormis les blessés et les malades qui passaient la nuit dans l’aile adjacente ainsi que quelques prêtresses de garde. Elinora s’approcha de la statue. Un fin rayon de lune venait éclairer le marbre, le faisant baigner dans une douce et pâle clarté. Elle ferma alors les yeux et posa sa main sur la statue en murmurant quelques mots :

— Vénérable Pyrel, je sais que vous êtes là, montrez-moi un seul signe et je serais bénie.

Devant ses yeux ébahis, la lueur devint plus intense et une femme ressemblant comme deux gouttes d’eau à la statue, mais vêtue d’une longue tunique blanche apparut devant elle. Elle était jeune et belle et arborait une longue chevelure de flammes blanches qui ondulait dans son dos. Tout son être n’était pas fait de chair et d’os, mais plutôt de reflets. Elle n’avait pas de corps, juste une forme éthérée flottant légèrement au-dessus du sol. Elinora sentit instantanément une douce et reposante chaleur l’envelopper, la même qu’elle avait ressentie durant le combat entre Lux et Ignis. Elle tomba à genoux sous le choc et s’inclina devant sa déesse.

— Pyrel, dit-elle à demi-mot.

— Relève la tête, Nora, répondit la déesse d’une voix douce et calme.

Elinora se redressa et vit son sourire chaleureux et authentique qui lui réconforta le cœur.

— Personne ne m'a appelé comme cela depuis longtemps.

— Je le sais, et je sais aussi que ces personnes te manquent terriblement.

Elinora ne savait pas par où commencer. Elle se trouvait enfin face à sa déesse et l’émotion que suscitait cette rencontre la submergea et des larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Pyrel posa une main sur son épaule pour la réconforter. Bien qu’elle ne pût la toucher, Elinora ressentit tout de même son étreinte.

— Je suis là maintenant, dit la déesse. Je ne vais pas t’abandonner.

— Pardonnez-moi… C’est juste… Après votre visite, j’avais peur de vous revoir. J’avais peur de votre silence et qu’un matin, je me réveille et que votre don m’ait abandonné.

Elinora reprit ses esprits et sécha ses larmes. Elle ne voulait surtout pas que Pyrel la voie dans cet état, mais son regard, sa voix et sa présence étaient si réconfortantes qu’elle sentit qu’elle pouvait se livrer sans crainte.

— Tu dois avoir un millier de questions à me poser. Malheureusement, le temps presse, je n’ai pas autant de pouvoir en ce monde que Pyra et il m’est difficile de me matérialiser devant vous.

— Pourquoi ? Pourquoi ne m’avoir jamais montré de signe ni m’avoir octroyé votre bénédiction ? Pourquoi être restée silencieuse durant tant d’années.

— Contrairement à ma sœur, j’évite de me mêler à la vie des humains. Je pense que l’ordre des choses doit rester le même dans ce monde sans que les dieux n’interviennent. Je me suis tout de même permis quelques exceptions. Et lorsque je l’ai vu s’en prendre à toi, je n’ai eu d’autre choix que d’agir. Je ne pouvais pas décemment laisser ma sœur s’en prendre à l’une de mes prêtresses sans rien faire.

— C’est donc pour ça que vous êtes intervenues face à Ignis.

Pyrel hocha la tête.

— Ta foi était si puissante que je n’ai pas pu ignorer ton appel. Je n’accorde uniquement ma bénédiction qu'aux jeunes filles dont j’estime leur grandeur d’âme suffisamment digne de recevoir mon don. À ma grande surprise, tu es devenue matriarche de mon culte sans que je ne te rende visite. Durant toutes ces années, tu as continué de me vénérer avec ferveur, et ce, malgré mon refus de t’accorder le moindre signe. Je pensais que tu abandonnerais, que tu te rendrais compte que tu n’étais pas faite pour cela et retrouverais ta vie d’avant. Mais la persévérance des humains ne cessera jamais de me surprendre et, malgré mon absence, tu as continué de prier encore et encore avec toujours plus d’obstination. Cela m’aura fallu du temps, mais j’ai fini par voir en toi une véritable prêtresse.

— Vous voulez dire que c’était la première fois que vous interveniez en ma faveur ? Et ces flammes blanches qui m’ont sauvé la vie ce jour-là ? Tout le monde a péri et je suis la seule à en avoir réchappé. Vous me dites que ce n’était pas votre œuvre ?

— Je ne sais pas de quelles flammes tu parles, mais ce n’étaient pas les miennes. Je ne t’ai accordé ma bénédiction que lors de ton combat contre Ignis.

— Vous ne savez donc pas ce qu’il est advenu de mon enfant ?

Pyrel ne répondit pas et Elinora était sous le choc. Le seul signe qu’elle n’avait jamais eu de sa déesse et qui l’avait poussée à s’engager dans le culte n’était pas l’œuvre de Pyrel. Voilà pourquoi elle restait muette à ses appels, elle ne lui avait en réalité jamais accordé le moindre miracle. Elle s’était trompée sur toute la ligne.

— Je regrette, dit-elle d’un ton humble en voyant son air peiné. Je ne suis peut-être pas la réponse à ta quête, sache toutefois que je reconnais ta valeur et je te considère comme digne d'être la matriarche de mon culte.

Ses paroles lui allaient droit au cœur. Bien qu’Elinora aurait souhaité en savoir plus sur la nuit où elle avait tout perdu, Pyrel la reconnaissait maintenant et c’était le plus important à ses yeux pour le moment. Elle aurait aimé aborder des tonnes de sujets variés pendant toute la nuit, mais la prêtresse savait que leur temps était compté et elle se devait de se concentrer sur l’objectif de l’Ordre.

— J’imagine que si vous êtes là ce soir, c’est qu’il y a un lien avec toute cette histoire entre Ignis et Pyra.

Le sourire de Pyrel disparut de son visage, laissant place à un air plus sérieux.

— Oui, ma sœur continue ses folies. Et cette fois, elle a dépassé les bornes.

— Qui est Ignis ? Je veux dire qui est-il vraiment ? C’était un homme, même s’il avait clairement la voix d’une femme lorsqu’il m’a attaqué. Serait-il un dieu lui aussi ?

Pyrel marqua un silence avant de répondre. Elle contempla la lune qui brillait et un léger voile de nostalgie remplit son regard.

— C’est un homme, du moins s’en était un. Le premier et dernier roi d’Aurora. Ma sœur lui a pris son corps et maintenant lui-même ne sait plus ce qu’il est réellement.

— Vous êtes des divinités, pourquoi vouloir s’encombrer d’un corps mortel.

— Pyra et moi n’avons pas de corps physique. C’est ta prière et le fait que tu crois en mon existence qui expliquent que je me tienne ce soir devant toi et que je puisse te parler librement. De même, des Adorateurs du Brasier prient jour et nuit pour permettre à ma sœur de prendre forme humaine. Le jour où plus personne ne croira en nous, nous cesserons tout simplement d’exister.

— Comment est-ce possible ? N’êtes-vous pas censés être à l’origine de ce monde ? Comment un simple être humain pourrait vous vaincre ?

— Aucun dieu n’est immortel, Elinora. Nos pouvoirs se limitent à ceux que vous nous accordez. Ceux que vous appelez dieux ne sont en réalité que le reflet des croyances de l’Humanité. Nous n’existons qu’à travers la représentation que vous vous faites du monde. En cela, nous partageons vos joies comme vos peines et pouvons nous montrer cruels ou tristes. Certains d’entre nous sont peut-être même plus humains que certains Hommes eux-mêmes.

— Je ne comprends pas. Vous insinuez que si je vous vois devant moi, c’est uniquement parce que je le veux ?

— C’est exact.

— Et si je n’avais jamais cru en vous, il vous aurait été impossible de m’approcher.

— Cela aurait été beaucoup plus complexe, en effet, mais si tu avais déjà entendu parler des Enfants de Pyrel, alors une infime partie de toi aurait cru en mon existence. Dès lors, j’aurais pu forcer notre rencontre en puissant dans l’énergie octroyée par les prières des prêtresses qui, elles, croient en moi et m’honorent quotidiennement. C’est là que l’on mesure la puissance d’une divinité et l’importance des contes et des histoires. Une déesse comme ma sœur est connue de tout Elanor et possède de nombreuses légendes l’entourant. Elle aura donc beaucoup plus de facilités que moi à apparaître même face à l’esprit le plus terre-à-terre qui soit.

— Si tout cela se déroule dans nos esprits, comment pouvez-vous exister ? Je veux dire comment le feu que vous émettez peut-il nous soigner ou nous brûler ?

— Encore une fois, parce que vous y croyez. Cela n’est pas si différent de l’autorité que vous attribuez aux rois alors que ces derniers portent simplement un objet brillant sur leurs têtes. L’apparence est souvent plus importante que la réalité, et même un simple homme pourrait très bien devenir un dieu pour peu que ses semblables croient qu’il en est un.

Elinora était perdue. Elle comprenait ses explications, même si elle n’arrivait pas à admettre que tout cela émanait d’elle. De même, elle ne voyait pas comment un homme serait en mesure de devenir un dieu, cela lui semblait tout bonnement impossible. Elle décida néanmoins d’accepter ce qu’elle voyait en remettant ses questions religieuses pour plus tard.

— Donc Pyra a cherché à contrôler Ignis afin d’obtenir un corps mortel ? Demanda-t-elle en essayant de revenir à la véritable raison de la présence de la déesse.

— C’est cela, ma sœur a réalisé que son existence et ses pouvoirs ne dépendaient que du nombre et de la foi de ses fidèles. Elle avait peur de disparaître si ces derniers l’abandonnaient et elle se mit en tête de se trouver un corps physique. Qui de mieux qu’Ignis, le roi d’Aurora, pour servir de réceptacle.

Elle marqua une autre pause et soupira, Elinora vit encore ce voile de nostalgie sur son visage.

— Pour entreprendre ce projet fou, elle avait besoin de beaucoup d’énergie. C’est pourquoi elle sacrifia la population d’Aurora dans les flammes. Il semblerait néanmoins que tout ne se soit pas passé comme prévu et qu’elle échoua à prendre totalement le contrôle d’Ignis. Depuis, elle multiplie les incendies en espérant un jour parachever son œuvre.

— Alors les histoires que l’on raconte sont fausses ? Ce n’est pas Ignis qui a déclenché l’incendie ?

— Il n’aurait jamais fait une chose pareille ! Répliqua Pyrel. Lorsque ma sœur et moi ne faisions qu’un, il a tout fait pour nous honorer et nous aimer. C’était un bon roi. C’est son peuple qui était belliqueux et mauvais. Ses sujets voyaient dans le feu une arme de conquête destructrice plus qu’un bienfait protecteur et réconfortant. Au fil des siècles, nos personnalités se divisèrent et ma sœur a commencé à prendre de l’importance à mes dépens. Un soir, elle finit par le tromper pour obtenir son corps.

— Et sa prochaine cible est Dérios, elle compte réduire la ville en cendre.

— Pas tout à fait, il semblerait qu’elle ait fini par comprendre de ses erreurs. Certes, brûler des âmes lui permettait de renforcer son contrôle sur le corps d’Ignis, mais en sacrifiant tous ses fidèles lors de Novi-Fyr, elle s’est également privée de la source de son pouvoir. Et sans pouvoirs, comment maintenir un corps mortel destiné à vieillir puis à mourir ? Il lui fallait donc trouver de nouveaux adeptes prêts à propager sa foi et à la maintenir.

— Spyr ! S’écria Elinora. L’emprise des Adorateurs du Brasier sur la cité prenait tout son sens désormais. Elle ne compte pas raser Dérios, elle veut que Spyr le fasse pour elle ! Et pour cela, il faut que les soldats de Spyr se débarrassent d’abord des Brûlés.

Pyrel hocha une nouvelle fois la tête.

Son sang ne fit qu’un tour, elle devait à tout prix prévenir Lux de sa découverte.

— Il faut l’en empêcher. Pourquoi ne faites-vous pas appel aux Brûlés ? Ils traquent Ignis depuis des lustres.

— Je ne veux plus avoir de contacts avec eux. Ils vont contre mes principes en prenant les armes et leurs prières me tiraillent plus qu’elles ne me consolent. C’est justement la folie et la violence des hommes qui ont fait de ma sœur ce qu’elle est aujourd’hui. En faisant la guerre en mon nom, ils reproduisent la même erreur que leurs prédécesseurs, celle qui conduisit à notre séparation, Pyra et moi. Et je n’ai pas envie de devenir comme elle.

— Que comptez-vous faire ! Vous n’allez tout de même pas rester sans agir ! Si Dérios est détruite et votre culte aussi, vous disparaîtrez pour de bon.

— D’ordinaire, je ne veux pas intervenir sur le sort des Hommes. Si l’Humanité pense que mon heure est venue, alors soit je cesserai d’exister. En revanche, je ne saurais supporter de vous voir brûlées vives par ces Adorateurs fanatiques pour la gloire de ma sœur. C’est pourquoi je te prêterai ma force, cela devrait te permettre d’atteindre Ignis le moment venu.

— Attendez, vous voulez que ce soit moi qui me débarrasse d’Ignis. Je viens tout juste de recevoir votre bénédiction et je sais à peine accomplir des miracles. Jamais je n’y arriverai !

— En effet, la tâche qui se dresse devant toi est énorme, mais je crois en toi. Je sais que tu trouveras un moyen de sauver cette cité et je t’aiderai.

Elinora remarqua que Pyrel devenait moins lumineuse et de plus en plus transparente.

— Attendez ! Cria-t-elle.

— Je dois m’en aller pour ce soir, Nora. Je suis contente de t’avoir enfin rencontré.

Pyrel sourit une dernière fois avant de totalement disparaître, laissant Elinora seule dans le hall froid et sombre du temple.

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Talharr
Posté le 25/07/2025
Re,
Et bien quel chapitre ! tout prend son sens.
Ignis est donc contrôlé par Pyra. C'était pour ça le "soeur". Bravo aha.
Elinora qui se retrouve tout d'un coup propulser au niveau d'Héroïne.
Par contre pyrel aurait pu la voir plus tôt ou alors les doutes d'Elinora l'en empêchait.
Sinon le lore autour des dieux est vraiment chouette. Qu'avant les deux ne faisaient qu'une et qu'au fur et à mesure les humains eurent différentes croyances en créèrent deux.

les retours, moins nombreux je te rassure aha :

"Les yeux de la statue étaient figés en direction de l’entrée, scrutant la pièce l’air inerte. Elle lui sembla pourtant qu’ils la suivaient du regard." -- que les yeux la suivent du regard sonne bizarrement. Plutôt "Pourtant, elle eut l’impression qu’ils suivaient chacun de ses mouvements"

"⦁ Contrairement à ma sœur, j’évite de me mêler à la vie des humains. Je pense que l’ordre des choses doit rester le même dans ce monde sans que les dieux n’interviennent. Je me suis tout de même permis quelques exceptions. Et lorsque je l’ai vu s’en prendre à toi, je n’ai eu d’autre choix que d’agir. Je ne pouvais pas décemment laisser ma sœur s’en prendre à l’une de mes prêtresses sans rien faire." -- là c'est juste une remarque par rapport à tout ce qu'on a vu avant. Elle dit qu'elle ne peut que très peu intervenir. Pourtant Elinora dit régulièrement que les autres adeptes peuvent utiliser leurs "pouvoirs".

"Comme un simple être humain pourrait vous vaincre ?" -- "Comment"

"pouvons-nous montrer cruels ou tristes." -- sans le tiret entre "pouvons" et "nous".

A plus :)
Scribilix
Posté le 25/07/2025
Voilà, tu connais maintenant la vérité vraie :). Conçernant le fait que Pyrel soit moins présente c'est lié à son culte. Dans ce monde la force des dieux dépend de leur nombre d'adeptes car ils tirent leur force directement de leur foi. Plus une déesse est présente sur le continent comme Pyra car elle pousse à la conquete et plus grand sera son pouvoir et sa faculté à prendre force humaine. A contrario Pyrel dispose d'un culte bien moins grand et donc elle lui est plus difficile de prendre forme et de ne pas rester uniquement à l'etat de concept ( le feu). De plus le caractère des déesses dépend également de celui de leurs adeptes et des rites de leur culte.
Voilà voilà, j'espère que cela t'apporte quelques eclaircissements ;).
Scribilix
Posté le 25/07/2025
concernant les pouvoirs c'est en effet une partie du pouvoir de Pyrel qui s'incarne au travers des ses adeptes. Cependant l'énergie demandé n'est pas la meme entre soigner une entorse par imposition des mains et faire apparaitre une déesse de flammes devant soi. La quantité de foi (si l'on peut parler ainsi ) est plus importante.
Talharr
Posté le 26/07/2025
D'accord ok, je comprends mieux. Parce que qu'elle rejette d'abord Elinora : ok, que Pyrel est moins d'adepte : ok. Mais c'est juste que comme Elinora disait toujours que ses camarades recevaient les dons de leur déesse et qu'après Pyrel dit à Elinora qu'elle n'intervient que très rarement, j'avais pas compris ahaa merci pour tes explications :)
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