Chapitre XVIII

Par Fidelis

Valéri vit son corps basculer du tabouret au ralenti, pour atterrir sur le sol sans grâce ni légèreté. Il eut à nouveau la sensation qu’une onde passait comme un voile devant les yeux et tout le monde réapparut dans la salle. La musique assourdissante, la liesse, les Guzzi qui lui sautèrent au cou et le reste de la clientèle qui paraissait ravie d’assister aux premières rencontres sur l’hologramme géant.

Il remarqua que les deux Lyriens se fondaient dans la masse sans que la question de leur origine ne se pose. Ils dressaient chacun une coupe énorme où flottaient autant de gélules de différentes couleurs que les eaux usées pouvaient transporter de bouteilles en plastique, à la sortie d’un collecteur. L’agent oublia aussitôt ce que lui avaient raconté les deux visiteurs, pour plonger avec les deux Guzzi une paille dans une coupe afin d’en aspirer le liquide aux reflets métallisé rempli de paillette lumineuse comme autant d’étincelles au goût acidulé.

Il perdit en un instant la notion du temps. Les scènes défilaient dans un ordre qui ne lui semblait pas toujours linéaire. Le tout noyait dans la musique, ou le rire des Guzzi qui se coller à son oreille pour s’extasier de ce moment de débauche incontrôlé. Il croisa des tas de visages contre le sien, qui lui parlaient ou chantaient, eut très vite chaud et commença à se déshabiller, pour constater que nombre des personnes qui l’entouraient faisaient de même.

Puis il eut la sensation étrange que sans se déplacer les lieux autour de lui se modifiaient à de multiples reprises. Pour se rendre compte qu’il ne savait plus du tout où il se situait, mais remarquait toujours que les Lyriens et les Guzzi l’accompagnaient, jusqu’au moment où il eut envie d’uriner.

Il chercha des toilettes, ouvrit une porte, son équilibre laissait à désirer. Sa vision gommait tous les angles, le décor ne se composait que de courbes. Il avançait en s’appuyant l’épaule sur un mur et réussit à trouver ce qu’il pensa être une pissotière.

Il saisit sa verge, un large sourire de satisfaction, quand il entendu une série de coups violents, contre l’entrée. Il n’en tient d’abord pas compte et une fois terminée se décida de sortir pour délivrer la place.

— Ça vient ça vient du calme.

Valéri ouvrit la porte et arqua un sourcil quand il reconnut Uriel qui le dévisageait avec un air inquiet.

— Uriel !

Son entrain retomba aussitôt. Il réalisa que quelque chose venait de changer, peut-être était-ce le fait de ne plus se trouver dans un bar, mais bien chez lui. Son collègue parut hésitant, et le lui indiqua.

— Euh, tu veux pas enfiler un pantalon s’il te plaît.

Il abaissa son regard et découvrit avec effroi qu’il avait raison. Il sursauta mal à l’aise et fila s’habiller.

— Ouais, mais tu m’as pressé à taper comme ça.

Uriel remarqua sur le sol, une flaque à la forte odeur d’urine à l’entrée, là où Valérie pataugeait.

— Tu pisses sur ta porte ! t’as passé un stade mec puis répéta d’un ton chargé d’inquiétude, oh tu te rends compte, tu pisses sur ta porte !

Il enjamba la flaque pour pénétrer, son ami démentit d’un ton sans assurance.

— Mais nan j’ai renversé un huile hydraulique pour machine à laver. Il comprit à ce brusque retour à la réalité, sans plus d’effet des drogues absorbées, pour émerger chez lui, avec un amalgame de souvenirs en désordre dans sa tête que les Lyriens lui avaient encore joué un tour. Il râla à haute voix, regardait partout en se disant que si ça se trouve ils étaient ici justes à côté de lui, dans une temporalité décalée.

Il saisit d’un coup que la présence d’Uriel n’avait rien d’anodine.

— Mais qu’est-ce qui t’amène, je croyais que tu ne voulais pas sortir ?

Uriel inspectait de manière pas très discrète l’intérieur.

— Tu es tout seul ?

Valéri avait encore du mal à joindre les deux bouts.

— Euh, ben oui, comme d’habitude.

Ils se trouvaient face à face dans l’habitacle, le grand mastoc continuait d’observer son collègue, suspicieux, puis finit par cracher le morceau.

— T’aurais pas vu ma femme par hasard ?

Son collègue afficha un air de surprise non feinte, aucun souvenir de celle-ci ne figurait au milieu foutoir qui lui tenait lieu de mémoire.

— Ta femme, mais qu’est-ce qu’elle ferait ici ta femme ?

Il n’eut pas le temps de lui répondre, qu’un rire féminin en provenance de sa chambre s’invita à la conversation, les faisant tous les deux sursauter, mais pas pour les mêmes raisons.

Uriel s’y précipita pour confirmer ses craintes.

— J’en étais sûr, elle est ici !

Valéri ne comprenait rien, il eut juste le temps d’ouvrir la bouche qui resta en suspens sans rien ajouter.

Ce que découvrit Uriel le laissa sans voix. Son visage se figea dans un rictus d’incompréhension total, devant le spectacle qui s’offrait à lui. Les deux Lyriens et les deux Guzzi dans une partie de jambe en l’air sulfureuse, ponctuée de rires devenus familier à présent pour Valéri.

— Guuuzi !

Uriel referma la porte et resta un court instant immobile, comme s’il avait du mal à choisir la manière dont il devait réagir, avant de se retourner à nouveau vers son collègue.

— Tu fais une partouze chez toi, sans ma femme et tu m’invites pas !

Désemparée, Valéri gonfla ses joues pour souffler. Uriel paraissait avoir du mal à ingérer l’information, autant surpris qu’envieux, voire désappointé de ne pas avoir trouvé son épouse dans sa chambre.

— Je suis déçu, très déçu je croyais vraiment qu’on était ami !

Il tourna sur lui-même de colère ne sachant comment réagir, puis prit la direction de la sortie sans oublier de le culpabiliser, pendant que ce dernier tenter de le résonner.

— Non, mais c’est compliqué tout ça, laisse-moi le temps de t’expliquer tu vas où là !

Uriel lui lança en claquant la porte.

— Je vais chercher ma femme !

Tout s’était déroulé bien trop vite pour Valéri, il resta un instant immobile, puis son esprit lui rappela que les deux Guzzi se trouvaient dans sa chambre.

Il sursauta avant de s’y précipiter. L’ouvrit, guidait par le souvenir de le regard plein de promesses charnelles des deux Guzzi que sa mémoire avait conservés dans le bar, et la découvrit vide, sans plus aucune présence amicale.

Il explosa de rage et la claqua à en faire vibrer les murs. Les Lyriens s’étaient encore foutus de lui, comprit-il avant de se mettre à gueuler dans l’habitacle.

— Les gars soyez sympa revenez, c’est mes Guzzzi ooooh !

À sa grande surprise, il eut une réponse, qui tambourina contre sa porte. Un sourire réapparut sur son visage, exécuta deux bonds pour rejoindre l’entrée, avant de grimacer une fois cette dernière actionnée.

Uriel se tenait devant lui, il affichait un air sérieux.

— Bon, écoute, j’ai décidé que ça serait stupide de rompre une si vieille amitié.

Valéri fronça les sourcils doublement contrariés.

— Ça fait trois mois qu’on se connaît.

L’autre lui répondit en lui passant devant, et commença à se foutre à poil.

— Oui ben c’est ce que je disais, j’ai décidé de passer l’éponge sur ce malentendu, au nom de notre vieille amitié, et toi tu me laisses participer à votre partouze.

L’autre gonfla ses joues une nouvelle fois.

— Non, mais…

Il voulait lui dire que c’était inutile de se désaper, mais Uriel sans attendre de réponse, retourna dans la chambre une fois à poil qu’il trouva vide à son tour. Il se figea, son esprit encore imprégnait par l’image des deux Guzzi et des Lyriens enchevêtraient, il avait du mal à suivre.

Il inspira, ferma la porte puis l’ouvrit à nouveau et découvrir le même tableau, c’est-à-dire un foutoir sans nom ni personne. Un trouble immense l’envahit, accompagné d’un léger vertige, il commença à douter de ce qu’il avait vu, et pourtant. Sans un mot il alla s’asseoir sur une chaise dans le salon et demanda sur un ton fébrile.

— Euh, tu n’aurais pas un truc à boire, un truc un peu fort tu vois ?

Valéri comprenait sa déception, et tenta de le soutenir.

— Ouais bouge pas j’ai ça, et il faut que je te dise un truc aussi, en revanche euh, tu ne voudrais pas remettre ton pantalon, ça me gêne un peu là.

Uriel semblait avoir perdu une partie de ses sens, il restait immobile sur sa chaise, essayait d’analyser la situation.

— Dis-moi, juste pour me faire une idée, mais y avait pas quatre personnes dans ta chambre à l’instant, il s’arrêta et continua comme s’il se parlait à lui-même. Je viens juste de descendre j’aurais dû les croiser.

Valéri n’était pas porté sur l’alcool, mais se souvint d’un cadeau qu’on lui avait fait un alcoolique en cours de rédemption. Son theraphsy l’obligeait à offrir des bouteilles à tous les gens qu’il connaissait pour l’aider à s’extraire de son addiction. Une 5 iem République, il l’attrapa au fond du frigo, renversant des plats périmés sur le sol qu’il ne se donna pas la peine de ramasser. Un sourire s’afficha sur son visage quand il la tendit. C’était du lourd, du brut, qui vous garantissait la nausée du lendemain. Valéri n’avait jamais réussi à déterminer, si le gars qui le lui avait offert l’appréciait vraiment ou si au contraire c’était dans l’intention de le voir un jour se retrouver à sa place.

Il se saisit de deux gobelets en plastique dans son distributeur, et revint s’asseoir en face d’Uriel.

— Je le confirme il y avait bien quatre personnes, juste avant que tu ne sortes.

Puis lui posa son bras d’un bord de la table pour balayer tout ce qui s’y trouvait et l’expédier sur le sol pour faire de la place. Il déposa ensuite les gobelets et ouvrit la bouteille.

— Écoute bien ce que je vais te dire, tu ne vas pas me croire, mais les deux mecs que tu as vus dans la chambre, ce sont les mecs qui s’amusent à enlever des clients dans le magasin.

Il remplit les deux gobelets, son regard tourné vers son ami pour essayer de jauger l’effet produit par sa déclaration.

Il continua, sur un ton qui se voulait des plus mystérieux.

— Et ces gars-là, tiens-toi bien, y viennent d’une galaxie très lointaine.

Le regard d’Uriel d’abord absent se dirigea vers son collègue. Cela faisait beaucoup d’informations et d’incohérences pour lui, en trop peu de temps.

Il avait les traits du visage tendu, il se saisit du gobelet, le regard toujours fixé sur Valéri, et le but d’un trait. Le liquide toxique fit son chemin dans son organisme et lui tordit aussitôt l’estomac, ce qui l’aida à revenir à la réalité.

— Qu’est-ce que tu entends par galaxie lointaine ?

Valéri voulait juste expliquer qu’ils venaient d’ailleurs, se retrouva pris au dépourvu.

— Ben, pas d’ici quoi, tu vois les étoiles, ben eux, y habitent pile derrière.

Uriel se demanda quelle raison pouvait le motiver à lui raconter pareilles conneries.

— Voilà voilà, tu loges des extraterrestres chez toi, pour qu’ils fassent du trafic d’être humain, c’est ce que tu es en train de me dire, c’est ça ?

Le ton de sa voix était redevenu celui du mec blasé, qui pense savoir maîtriser toutes les situations.

Valéri but une gorgée à son tour, le regard toujours braqué sur son ami et jugea son résumé un peu maladroit.

— Non, ce n’est pas tout à fait ça, en fait ils squattent chez moi, un coup ils me piquent mes poubelles, ou ils occupent ma chambre. Pour terminer sur un air très évasif. C’est très étrange comme collocation.

Uriel ne pigeait rien à ce qu’il le lui racontait. Il décida dans sa tête de faire un tri sur les événements en cours pour se contraindre à garder une priorité sur laquelle il pouvait s’assurer d’une certaine véracité.

Il se resservit sans attendre son ami.

— Si tu me dis tout cela, c’est que tu penses que ce sont eux aussi qui ont enlevé ma femme, c’est ça ?

Valéri écarquilla les yeux et comprit sa méprise, il tenta aussitôt de se justifier.

— Ah, mais non pas du tout, ils ne la connaissent pas, non non ils logent ici, c’est loin de ta branche.

Il s’apprêtait à terminer son godet, au moment où la télé s’alluma toute seule, leur faisant tourner la tête dans sa direction. Les sourcils froncés en signe de contrariété devant cette intrusion sonore et visuelle en plein milieu de leur conversation.

Ce qu’ils découvrirent les laissa tout d’abord sans voix. Ils tendirent leur cou à l’extrême comme pour être sûrs de bien appréhender ce qu’ils découvraient.

C’était une retransmission des festivités qui se déroulaient au centre de l’étoile, sur la tour du Maestro, régent des poudreux, ou une petite sauterie avait lieu dans une ambiance convenue et en même temps très décadente.

Tous les fêtards vêtus de blanc s’agitaient en levant les bras cocktail à la main pour saluer les drones retransmetteur, dont l’objectif varié de plans très larges à d’autres, très ciblés. C’est dans cette foule compacte, parsemait de faux palmiers avec en plein milieu une piscine géante, que les deux reconnurent chacun des têtes connues, pour finir par s’exclamer.

— MA FEMME !

— MES GUZZI !

 

 

 

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sakumo91
Posté le 07/07/2025
Un texte toujours fougueux, délirant et sensoriel qui nous plonge dans un univers de science-fiction psychédélique mêlé à une comédie de mœurs intergalactique. Il y a une vraie originalité, de l’humour absurde bien assumé, et une ambiance immersive très réussie dans certains passages. On sent que tu prend plaisir à écrire, et ça se ressent.
Fidelis
Posté le 24/08/2025
Oui je me suis marré en l'écrivant, et oui ça se sent, merci à toi
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