Les sénateurs finirent par arriver l’air anxieux. Ils couraient dans tous les sens, volant de groupes en groupes et échangeant entre eux les nouvelles de la nuit agitée. Aydan vit Laris puis Atrius prendre place sur leurs sièges respectifs. Seul Sirius se faisait attendre.
— Il n’est jamais en retard d’habitude, pensa-t-il tout haut.
— Tu n’es pas au courant ? Lui répondit le nouveau garde qui se trouvait à ses côtés. Prosper Domitor a été retrouvé mort la gorge tranchée dans une ruelle ce matin. Après un tel choc, il doit certainement faire le deuil de son père.
Aydan fut surpris d’apprendre la nouvelle. C’était donc à cause de cela que les cloches n’avaient pas arrêté de sonner durant toute la matinée ? On lui avait annoncé qu’il devait capturer dans la nuit une liste de personnes suspectées de vouloir renverser la République et, par la même occasion, remettre en cause la place du Culte de Pyra. Il ne fut nullement question de tuer qui que ce soit. Prosper était peut-être vieux, mais il fut autrefois la Flamme de la Guerre et Aydan ne voyait pas un simple gredin le tuer. Visiblement, il n’avait pas été informé de toutes les étapes du plan.
Sirius finit par arriver. Il avait le teint blême et l’air blafard, et faisait tout son possible pour conserver sa contenance et sa droiture habituelle. Lorsque les trois Flammes furent enfin réunies, le président du jour se leva et descendit au centre de l’hémicycle pour ouvrir la séance. À peine eut-il terminé sa phrase d’introduction que les cris fusèrent parmi les sénateurs désireux de faire valoir leur ressentiment. L’un d’entre eux qui criait un peu plus fort que les autres eut le droit de prendre la parole :
— Nous exigeons des explications ! Une violation flagrante des lois de Spyr a eu lieu durant la nuit. Et tous les sénateurs ici présents devraient être offusqués d’apprendre que plusieurs des nôtres croupissent actuellement en prison. En plus de cela, Prosper Domitor a été retrouvé mort dans une ruelle à quelques mètres à peine du Sénat ! Et je ne vois en ce signe que celui d’un règlement de compte délibéré entrepris dans l’intérêt de Laris et de la famille Aretius.
— Au diable, Prosper ! C’était un ennemi de la République et il a eu ce qu’il méritait ! Cria un sénateur appartenant à la clique de Laris.
— Et vous, vous êtes un ennemi du peuple que vous êtes censé défendre !
Les réactions ne se firent pas attendre, et les insultes fusèrent de toutes parts. Tous les supports de Prosper n’avaient pas participé à la conjuration ; certains d’entre eux avaient échappé à la purge nocturne. Peut-être que Laris n’allait pas s’en tirer aussi bien qu’il l’espérait, à moins qu’il ne leur demande d’intervenir directement. Aydan s’était préparé à cette éventualité, mais il n’agirait que si Atrius ne lui en donnait l’ordre. Pour l’heure, cela n’était pas un problème. Sans leur figure d’autorité, les partisans de Prosper étaient divisés et Sirius n’avait toujours pas prononcé un mot à qui que ce soit depuis son arrivée.
Après un échange d’arguments et de protestations entre plusieurs camps, Laris se leva et finit par prendre la parole :
— Allons, Allons. Je suis le premier désolé de la fin tragique qu’a connue Prosper. C’était une figure importante de notre jeune République et il n’aurait jamais dû finir de la sorte. Je me tourne donc vers son fils, Sirius, la Flamme de la Guerre de cette cité, pour lui transmettre toute ma sympathie dans cette terrible épreuve.
Sirius qui était resté calme jusqu’alors se leva furibond.
— Menteur ! Vous l’avez tué et vous le savez ! N’essayez pas de cacher la vérité et assumez vos actes !
— Je comprends qu’étant donné les circonstances, vous soyez bouleversé, répondit Laris sans se départir de son ton courtois, mais n’accusez pas n’importe qui sans preuve de ce que vous avancez alors que nous avons déjà un suspect…
— C’est vous le suspect ! Vociféra l’un des sénateurs et les cris et les insultes fusèrent à nouveau.
Aydan serra un peu plus fermement le manche de sa flamberge entre ses mains. Il regardait avec insistance en direction d’Atrius, car il ne souhaitait pas manquer un éventuel signal. Mais ce dernier attendait impassible les bras croisés. Soudain, les portes de l’hémicycle s’ouvrirent et deux gardes du palais entrèrent en traînant un prisonnier jusqu’au centre des lieux. L’homme était mal en point, il portait un haillon troué et maculé de sang séché en guise de vêtement et ses cheveux en bataille ne venaient que renforcer son air hagard. Une lueur de folie se lisait dans ses yeux alors qu’il jetait des regards frénétiques tout autour de lui. Pour une raison étrange, cet homme lui semblait familier, mais Aydan n’arrivait pas à se souvenir où il l’avait déjà vu. Atrius se leva alors et prit la parole :
— Chers Sénateurs de Spyr. Ce que Laris essaie de dire, c’est que nous avons trouvé un coupable ayant causé ce tragique incident. Cet homme que vous voyez devant vous a été retrouvé à côté du corps de Prosper ce matin-même.
Les cris se turent et tous commencèrent à l’écouter.
— Je me dois de vous présenter mes excuses, en particulier à vous, Sirius. Cet homme appartient en réalité à un groupe que je traque depuis longtemps, un groupe de criminels qui se surnomme l’Ordre des Brûlés… Il marqua un temps d’arrêt, comme les Adorateurs du Brasier savent si bien le faire pour donner du poids à leur révélation. Cet ordre visait cette nuit à assassiner les différentes figures d’autorité de la ville afin d’imposer plus facilement leur foi délirante et prendre le contrôle de cette cité par la ruse. Tous ceux qui ont été arrêtés ce soir en faisaient partie. Malheureusement, je n’ai pas pu empêcher celui-ci de commettre son meurtre odieux envers Prosper.
— Et vous pensez que l’on va vous croire aussi facilement ? Demanda un sénateur.
— Je n’ai pas terminé ! Le coupa sèchement Atrius avant de reprendre son calme. Il semblerait que, malgré nos précautions, certains de leurs membres soient encore présents parmi nous. Fort heureusement, nous avons un moyen assez simple de les identifier.
Il leva le bras et montra une broche en cuivre à la vue de tous. Puis, il fit un signe de tête à deux gardes qui se précipitèrent vers l’un des sénateurs assis sur une rangée du fond de l’hémicycle. L’homme réagit rapidement et les esquiva. Il descendit les gradins à toute vitesse sous les cris d’étonnement des spectateurs et fut accueilli par un autre garde en contrebas. L’homme essaya de l’esquiver sans succès et fut plaqué face contre terre. Le garde fouilla alors dans ses vêtements et en sortit une broche similaire à celle qu’Atrius tenait dans sa main. Un nouveau cri de stupéfaction parcourra l’assemblée tandis que les gardes relevaient le sénateur pour le mettre à côté du suspect.
— Vous voyez, déclara Atrius. Ces hérétiques ont des espions partout, œuvrant sans cesse à renverser notre foi et notre République.
Plusieurs murmures s’élevèrent des gradins.
— Quand bien même, comment pouvons-nous être sûrs de ce que vous avancez ?
Un rire froid et cruel retentit alors sur la scène. Le suspect se releva subitement et Aydan le reconnut enfin. C’était l’un des deux hommes qu’il avait capturés à Brys et celui qu’Atrius avait torturé à la prison. Il n’avait aucune idée des supplices qu’il lui avait fait subir par la suite, mais l’individu était méconnaissable. Il montrait les dents comment un chien enragé et ses yeux injectés de sang poignardaient la foule du regard.
— C’est moi ! C’est moi qui l’ai tué, hahaha ! Cria-t-il avec un grand sourire. C’est moi qui l’ai tué ! Je revois encore son regard implorer ma pitié alors que je lui enfonçais ma dague dans le ventre avant de lui trancher la gorge ! Et bientôt, nous ferons la même chose avec chacun d’entre vous. Spyr tombera ! Et vous serez les premiers à assister à sa chute !
Il éclata de rire et Sirius se leva de sa chaise les poings fermés comme s’il allait le faire taire lui-même. Un des gardes s’en chargea en le frappant du pommeau de son arme. L’homme s’écroula sous le coup sans s’arrêter de rire avec hystérie.
— Que lui avez-vous fait ! S’écria le sénateur que deux gardes maintenaient fermement au centre de l'hémicycle.
Aydan n’entendit pas la réponse d’Atrius, mais il aperçut un sourire glaçant se dessiner sur son visage.
— Puisque nous avons eu la phase des aveux, poursuivit-il, nous devons maintenant passer aux sanctions. Fort heureusement, les gardes du Palais ont réussi à glaner des informations fiables sur l’emplacement de leur campement. Or, celui-ci se trouve sur le territoire de Dérios et il semblerait que la reine Théa et le roi Éléon se soient montrés plutôt négligeants à leur égard. Je demande donc au Sénat d’autoriser l’envoi d’une force d’expédition sur leur campement et, par la même occasion, de lever l’interdiction de quitter la cité pesant sur les gardes du palais. Si vous ne le faites pas pour les Adorateurs du Brasier ou pour Pyra, faites-le au moins au nom de la République. Après encore quelques questions et débats et voyant que les discussions diminuaient, le chef de séance se leva.
— Bon, heu, si personne n’a rien à ajouter, nous allons donc pouvoir passer au vote sur la proposition du citoyen Atrius.
Sans surprise, les partisans d’Atrius et de Laris votèrent en faveur du projet. Ceux de Prosper attendaient un signe de la part de Sirius, et, au grand étonnement de tout le monde, la Flamme de la Guerre leva également la main pour s’y montrer favorable.
— La décision d’envoyer une expédition est donc adoptée !
Les débats se poursuivirent en abordant le sort des différents prisonniers. Atrius se défendit de les avoir fait enfermer au temple, car les conditions de détention y étaient plus favorables qu’à la prison. De plus, il devait leur soutirer des informations pour leur propre sécurité. On décida donc de planifier leur jugement et de créer une commission mixte de sénateurs et d'Adorateurs afin d’enquêter sur ce sujet. Des messagers furent dépêchés pour répandre les nouvelles et prévenir l’ambassadeur de Dérios de l’expédition imminente. Certains sénateurs restèrent à la fin des débats et formèrent une ligne pour aller saluer Sirius et lui transmettre leurs condoléances. Aydan ne resta pas davantage, car un capitaine l’interpella. Il devait se rendre au palais et avertir Odric de la décision du Sénat. Il fallait se regrouper et débuter les préparatifs en vue de leur assaut sur le campement.
Aydan prit donc la route du palais, mais ne trouva pas Odric dans la salle des gardes. Au lieu de l’attendre, il commença à arpenter les couloirs où ils avaient l’habitude d’effectuer leur ronde en espérant tomber par hasard sur le capitaine austère. En chemin, il s’égara dans le palais et sa route le conduisit jusqu’à une pièce dont la porte était entrouverte. Aydan savait qu’il devait faire demi-tour, mais sa curiosité fut trop grande et il décida d’y jeter un coup d’œil. À l’intérieur, il surprit Atrius en pleine conversation avec une femme qu’Aydan n’avait jamais vue auparavant, et qui le frappa immédiatement par sa beauté. Il s’avait qu’il ne devait pas écouter aux portes et qu’il serait sévèrement puni si quelqu'un s’en apercevait, mais il n’arrivait tout simplement pas à dégager ses yeux de cette femme ravissante.
— Pourquoi avoir gardé Sirius en vie ? Lui demanda Atrius.
— Il est encore trop tôt pour qu’il meure. Il nous sera utile par la suite.
— Je ne comprends pas. Vous ne voulez pas le tuer et vous refusez d’utiliser le même procédé qu’avec les gardes du Palais. Cela ne vous ressemble pas de faire preuve de pitié et d’hésiter à ce point. À moins que cela ne soit de l’amour ? Se pourrait-il que vous refassiez la même erreur une seconde fois ?
— Pour qui te prends-tu ! Cria-t-elle d’une voix grave et profonde. Je pourrais réduire ton visage en cendre en claquant des doigts, ajouta-t-elle en agrippant la toge d’Atrius.
Aydan sentit son sang se glacer dans ses veines. Même lorsqu’Odric était en colère et le réprimandait, il n’arrivait pas à se montrer aussi effrayant. Pourtant, Atrius ne flancha pas d’un pouce.
— Vous n’en ferez rien, dit-il en se dégageant. Vous avez besoin de moi si vous comptez mener votre plan à terme. À moins que vous ne l’ayez oublié.
— Je n’ai pas oublié ! Sirius n’est pas Ignis ! Toi et lui plierez Spyr et Dérios à ma volonté.
Elle sembla alors se calmer et leva tout d’un coup la tête, l’air surprise, comme si elle réalisait où elle se trouvait. Puis, elle se tourna dans la direction d’Aydan. Il crut que son heure était arrivée, mais la femme se changea soudainement en flamme et disparut sous ses yeux ébahis. Il eut à peine le temps de comprendre ce qu’il venait de voir qu’une autre porte s’ouvrit sur le côté et Laris déboula dans la pièce. Lui aussi était furieux et ne rendit pas son salut à Atrius.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?! Pourquoi Sirius est-il encore en vie ?!
— Son heure n’est pas encore venue, se contenta de répondre Atrius.
— Ce n’est pas ce que l’on avait convenu ! J’ai accepté de jouer votre jeu et de faire porter le chapeau à votre prétendu ordre en échange de votre soutien et de celui des gardes. Cependant, Sirius doit mourir ! Il représente une menace pour cette cité bien plus grande que vous ne l’imaginez. Tout ce qu’il me suffisait de faire était de révéler cette conspiration au grand jour pour le faire arrêter sur-le-champ.
— Avec des soutiens divisés au Sénat, il ne représente pas une grande menace et le peuple s’opposera certainement à votre décision de le faire arrêter. De plus, en suivant mon plan, cela vous évite de passer pour le responsable de la mort de Prosper.
— Dois-je vous rappeler que sans l’aide de Rigas et des faux messagers partis durant la nuit, Gladius serait en train de marcher sur Spyr avec ses légions à l’heure qu’il est.
— Et vous l’avez renvoyé en Astrie, là où se trouve sa place, répondit Atrius qui commençait à s’impatienter. Écoutez, d’une façon ou d’une autre, l’on se débarrassera de Sirius. Il est encore trop tôt. Faites-moi confiance.
En ayant terminé, Atrius se dirigea vers la porte et Aydan s’éclipsa aussitôt, avant de se faire remarquer. Il erra sans but dans les couloirs en ressassant la scène qu’il venait de voir. Il n’arrivait pas à se dégager de l’esprit le visage de cette femme aux traits si parfaits qui s’était changée en flammes devant lui. Se pourrait-il qu’il s’agisse de Pyra ? Avec ce qu’il commençait à voir au temple, Aydan devenait de plus en plus croyant et, après tout, Atrius est la Flamme de la Foi, cela ne serait pas surprenant qu’elle vienne lui rendre visite en personne. Il se remémora alors leur dernière mission de formation dans le sud de l’empire et la lueur étrange qu’il avait vu émaner de sa tente. Par la suite, Aydan n’y avait plus pensé. Maintenant, tout cela commençait à prendre sens dans son esprit. Pyra rendait régulièrement visite à Atrius, il en était convaincu et il s’en réjouissait. Il éprouvait une sorte de fierté et de joie indescriptible à ce que leur chef et leur guide soit en contact direct avec une déesse. Finalement, il mit fin à ses réflexions et retourna dans la salle des gardes où il transmit les informations à Odric pour préparer la suite des opérations.
Super retournement de situation ahaa
J'avais encore espoir que Pyra ne soit pas si mauvaise mais là je pense qu'on a passé un niveau ahaa
Le passage du conseil au couloir est très fluide.
J'espère qu'Aydan va encore réfléchir mais c'est normal qu'il laisse couler :)
A sirius de faire quelque chose même s'il est manipulé de toute part...
merci pour ton retour. Oui, Sirius et Aydan sont mal embarqués mais le sort leur sera favorable