C’était une nuit douce et calme. Un léger courant d’air circulait entre les ruelles vides et venait rafraîchir Aydan ainsi que ses camarades au visage crispé. Ils étaient postés aux abords d’une imposante villa depuis de longues minutes et la tension devenait plus insoutenable à chaque seconde. Après une attente interminable, on donna le signal de passer à l’action et les hommes se précipitèrent vers les portes du bâtiment. Enfin, pensa Aydan qui n’en tenait plus. Les portes cédèrent rapidement et il fut l’un des premiers à pénétrer à l’intérieur. Ils inspectèrent rapidement les lieux en ne rencontrant que quelques esclaves qui n’opposèrent aucune résistance. Ils arrivèrent bien vite jusqu’à la salle à coucher d’où un homme en sortit l’air paniqué.
— Qu’est-ce que ceci ?
Aydan ne lui répondit pas et se jeta sur lui, le plaquant au sol.
— Ne bouge pas ! Cria-t-il tout en le maintenant fermement à terre.
Une femme sortit également de la chambre et poussa un cri de panique en voyant son mari au sol entouré par les gardes. Ils la firent taire rapidement, mais l'agitation réveilla toute la maisonnée. Deux enfants déboulèrent à leur tour d’une pièce adjacente en se demandant ce qu’il se passait et les gardes les attrapèrent aussitôt. Ils les poussèrent sans ménagement avec leur mère dans un coin de la chambre et l’un des soldats resta face à eux pour les garder sous surveillance. De son côté, Aydan força l’homme à se mettre à genoux au milieu de la cour. Un capitaine s’avança devant lui et déroula un parchemin pour en lire le contenu :
— Sénateur Orpis. Par ce présent décret, la Flamme de la Plume, Laris Aretius, vous arrête pour les faits suivants : Apologie de la monarchie, trahison de la République, violation du règlement interne du Sénat, préméditation d’usage de la force contre les institutions de Spyr et atteinte à l’ordre public et aux intérêts impériaux. À partir de ce jour, vous serez gardé en captivité dans l’attente de votre jugement par le Sénat.
— Quoi ? Vous plaisantez ! Je m’y oppose ! Réunissez le Sénat immédiatement et vous verrez ce qu’ils vous diront. Vous seriez radié de la Garde, soyez en sûr ! Répondit-il en se débattant vainement.
— Emmenez-le, ordonna le capitaine sans faire d’état d’âme.
— Cette République est corrompue jusqu’à l’os et vous faites partie des chiens qui la rongent !
Orpis continua de protester avec véhémence tandis que deux gardes l’embarquaient hors de sa villa. Aydan leur emboîta le pas avec le reste des hommes, puis ils prirent la direction de l’immense temple trônant sur la grande place de Spyr. Les prisons étant tenues par des légionnaires n'obéissant qu'à Sirius, il n'était pas prudent de les y emmener. Les Adorateurs du Brasier ne pratiquaient plus les sacrifices comme aux temps d’Aurora. Par chance, lors de la reconstruction de la cité, des chambres réservées aux anciens élus furent construites sous certains de leurs édifices religieux. Le grand temple de Spyr en possédait et il était prévu d’y enfermer toutes les personnes arrêtées durant la nuit. En effet, plusieurs groupes de soldats s’étaient répartis dans la cité pour capturer une vingtaine de sénateurs, nantis ou simples marchands suspectés de vouloir renverser la République.
Lorsqu’Aydan pénétra dans l’édifice religieux, il fut saisi par la chaleur qui s’en dégageait. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il venait. Grâce à Liam qui avait plaidé en sa faveur, il avait pu gagner la confiance de gardes plus expérimentés et se voir accorder l’accès au temple, du moins uniquement la partie qui leur était permise. Il était toujours impressionné par l’immense brasier se trouvant dans la cour au centre du bâtiment. Les flammes en son sein se gonflaient et se repliaient sans arrêt tels les battements d’un cœur, et celles-ci débordaient parfois du gigantesque brasero qui peinait à les contenir. Sur le sol de la cour, des sortes de fentes avaient été gravées dans la pierre. Partant des murs jusqu’à rejoindre le centre, elles dessinaient des symboles étranges qui se compilaient en un amas labyrinthique. De fines flammes les parcouraient, gagnant en intensité au fur et à mesure que l’on se rapprochait du foyer. Elles ressemblaient à des racines cherchant désespérément un combustible afin d’entretenir ce monstre brûlant. Mais c’étaient bien des prêtres qui se relayaient sans cesse pour alimenter les flammes. Aydan ne comprenait pas comment ils parvenaient à s’en approcher à ce point, la chaleur le faisait déjà suffoquer alors qu’il se trouvait à une distance raisonnable du brasier. Il les voyait s’avancer, domptant les flammes qui s’écartaient brusquement sur leur passage. Ils effectuaient une série de signes étranges avec leurs mains avant de verser une sorte de poudre à l’intérieur du brasero, puis se courbaient devant l’autel qui regagnait subitement en intensité. Aydan, qui n’avait jamais été un grand croyant et qui n’accordait que peu de crédits aux grands discours des Adorateurs du Brasier, restait en totale admiration devant ce prodigieux spectacle. Il pouvait lire sur leurs visages la frénésie et l’exaltation que provoquait chez eux la réalisation de leur tâche quotidienne et il devait bien reconnaître que toute cette cérémonie revêtait une dimension mystique.
Ils descendirent dans les caveaux de l’édifice et Ortis fut poussé sans ménagement dans une chambre avec un lit en pierre et le nécessaire de commodité. Après tout, être désigné comme sacrifice était à l’époque d'Aurora un très grand honneur et les élus étaient bien traités lors de leurs derniers instants. Aydan trouvait presque que l’endroit était trop accueillant pour y enfermer des criminels. Il remonta à la surface et ressortit rapidement du bâtiment. Il voulait prendre l’air et échapper à la chaleur des lieux. Sur le chemin, il croisa un autre groupe qui venait également d’accomplir sa mission. La nuit s’était bien passée, semble-t-il, bien qu’Aydan savait que le plus gros se jouerait demain au Sénat. Sur ça, il n’avait aucun pouvoir et cela ne regardait plus qu’Atrius. Il s’assit sur le perron du temple un instant pour relâcher la pression qu’il avait accumulée durant la nuit. Au bout de quelques minutes, Liam sortit à son tour du bâtiment et vint le rejoindre.
— Alors ? La chasse a été bonne ? Demanda-t-il en souriant.
— Vois par toi-même, dit-il en désignant un groupe de gardes traînant de force un vieil homme en toge. C’est le troisième groupe qui rentre de mission depuis que je suis assis là.
— Oui, il semblerait qu’on ait réussi à en attraper la plupart. Seuls, quelques-uns restent introuvables, mais ils ne constituent plus vraiment une menace.
— Et l’on ne va rien faire concernant la Flamme de la Guerre ?
— Atrius nous a ordonné de ne pas y toucher. Je ne sais pas quel accord il a conclu avec Laris, mais les deux Flammes doivent certainement avoir d’autres projets pour lui. Viens, suis-moi. Il va bientôt être l’heure du rituel, tu dois y être habitué désormais.
Aydan se leva et le suivit à l’intérieur du temple. Une ligne de gardes s’était déjà formée dans le hall et tous attendaient la venue des Adorateurs pour procéder au rituel sacré. Deux d’entre eux arrivèrent en transportant une large cuve en bronze. Ils prononcèrent quelques paroles qu’Aydan ne comprit pas et la cuve s’enflamma aussitôt. Elle brûla quelques secondes avant de s’éteindre brusquement et une épaisse fumée commença à en émaner. Elle déborda du récipient et se mit à recouvrir le sol aux alentours. L'un des prêtres ouvrit un petit coffret dans le nuage flottant au-dessus de la cuve et le referma après avoir capturé un peu de fumée. Il s’approcha ensuite du premier des gardes qui s’agenouilla.
— Ressens en toi la volonté de Pyra ! Dit-il à voix haute et de façon impérieuse.
Il ouvrit le coffret et la fumée sortie aussitôt de la boite et s’enroula autour du visage du garde qui l’aspira. Une fois terminé, il se releva et remit son casque avant de s’en aller et l’un des prêtres tendit une autre boite vers le suivant. Lorsque ce fut autour d’Aydan, celui-ci s’agenouilla et se livra comme les autres à l’étrange rituel. Lorsque la fumée envahit ses narines pour descendre dans sa gorge, il éprouva une sensation de chaleur qui se répandit dans tout son corps. Le stress et la fatigue accumulés durant la soirée disparurent aussitôt et il se sentit planer pendant quelques secondes. En se relevant, Aydan avait l’impression d’être plus fort que jamais et qu’il aurait pu se jeter seul face à une légion entière si Pyra lui en donnait l’ordre.
Les hommes se séparèrent un à un et Aydan partit prendre son tour de garde au palais. Le restant de la nuit passa rapidement et lorsque l’aube pointa, Aydan ne ressentait toujours pas une once de fatigue en lui. Ils déjeunèrent tous à la caserne puis prirent comme prévu la direction du Sénat. Les gardes se postèrent aux différentes entrées et sorties de l’hémicycle et Aydan fut assigné aux gradins, accompagné par de nouvelles recrues.
Atrius souhaitait diversifier les modes de recrutement. Ainsi, beaucoup d'apprentis étaient fils de roturiers ou de modestes artisans qui ne savaient que rarement lire. C’était la première fois qu’elles pénétraient dans ce bâtiment si prestigieux à leurs yeux et à celui de bons nombres d’habitants de la cité. Aydan leur expliqua donc les bases, où ils devaient se placer pour intervenir le plus rapidement en cas de problème, le ton poli et formel qu’ils devaient adopter face aux sénateurs, même les plus offusquants, et d’autres connaissances rudimentaires sur leur mission de garde. De toute façon, pensa Aydan, ils seront bien vite déçus en voyant que le Sénat n’est composé que d’une farandole d’idiots.
Le complot tombe à l'eau mais l'étincelle est allumée ;)
Le rituel étrange semble expliquer pourquoi les gardes aiment tant Atrius ahaa
A voir la suite du passage, en espérant qu'Aydan choisisse la bonne voie.