Chapitre XVIII : Ignition 3.

Sirius contemplait d’un air satisfait les restes de la flotte ennemie être engloutis par les eaux. Son plan avait mieux marché que prévu. Non seulement les navires ennemis n’étaient plus à craindre, et en plus, ces derniers avaient provoqué un incendie rendant toute sortie de la ville par les quais impossible. Bien sûr, ses troupes ne pouvaient pas non plus pénétrer dans la ville, mais de toute façon Sirius n’en avait pas l’intention.

— Envoyez la première salve ! Cria-t-il depuis le seul navire encore intact qui n’avait pas servi de brûlot.

Son ordre fut relayé par fanion aux divers radeaux et les catapultes envoyèrent une pluie de projectiles enflammés sur la ville. Le tout était minutieusement orchestré et des barques patientaient sur les rivages du lac pour venir ravitailler les radeaux en munitions directement depuis le camp Spyrien. Malheureusement, la portée de ses armes n’était pas suffisante pour atteindre toute la cité. De plus, à cause de leur départ précipité, il manquait de radeaux et ne pouvait attaquer qu’un seul côté de la cité à la fois. Néanmoins, les flammes se répandaient de façon incontrôlable dans les rues de Dérios.

Sirius esquissa un rictus en remarquant que l’un des projectiles s’écrasa à proximité d’un temple en haut de la cité.

— Quelles sont ces flammes ? S’étonna Gladius. Je n’ai jamais rien vu de tel. Est-ce encore là un sort de Pyra ?

— Détrompez-vous, général, ce feu est l’œuvre des Hommes. Nulle magie dont elle pourrait se repaître ne se trouve derrière celui-ci.

— C’est donc pour cela que vous étiez si confiant ?

— J’avais demandé à mes ingénieurs l’impossible. Concevoir une arme capable de prendre Dérios. Après plusieurs mois de recherches, ils y sont parvenus, au-delà de mes espérances. Tout ce que nous avons à faire, c’est attendre que les flammes fassent leur travail. À l’aube, la cité sera notre et pas une seule goutte de sang d’un légionnaire ne sera versée.

— Quand bien même, fit Gladius en contemplant le carnage qui se déroulait sous leurs yeux. Quel honneur y a-t-il à cela ?

Sirius ne répondit pas. Au fond de lui, il se réjouissait de savoir que Pyra allait disparaître par la même arme qui avait causé sa gloire. C’est alors qu’il aperçut une lueur étrange au sein de la cité.

— Quel est donc ce dôme lumineux ? Demanda-t-il.

— Le temple des Enfants de Pyrel. La divinité principale à Dérios.

— Faites en sorte qu’il soit rasé avec tout le reste.

Gladius acquiesça et partit transmettre son ordre tandis que Sirius restait sur le pont, le regard perdu dans les flammes. Une ère nouvelle approchait et les dieux n’y auraient plus leur place. Il avait enfin trouvé son but, il en était convaincu.

*

Le choc fut brutal et Aydan atterrit lourdement sur les marches. Il roula sur le côté, esquivant de justesse la lame de Liam qui percuta la pierre. Il aurait dû avoir l’avantage, Aydan avait le précieux talisman en sa possession. Pourtant, son adversaire ne faiblissait pas. Liam débordait de rage et enchaînait les attaques dans une frénésie guerrière inarrêtable. Lui seul savait combien de fois il avait dû assister au rituel des Adorateurs pour atteindre un tel degré de brutalité. Aydan esquiva une nouvelle fois sa lame et, profitant d’une ouverture, il tenta de le toucher sous l’épaule, dans un creux de son armure. Liam fit alors un geste insensé, il para directement sa lame avec son bras. L’épée ondulée traversa la chaire et s’arrêta au milieu de son membre. Alors, sans marquer un temps d’arrêt ou exprimer une seule once de douleur, il leva sa flamberge pour contre-attaquer. Aydan dégagea son arme, mais ne parvint pas à se retirer assez vite et la lame lui lacéra les côtes. Il fit un bond en arrière en réprimant un cri. Liam ne comptait pas le laisser reprendre ses esprits et il fondit sur lui pour assener un puissant coup de pied dans sa direction. Aydan para comme il put, mais le choc le propulsa en arrière et il dégringola les marches une à une jusqu’à se retrouver en bas de l’escalier.

Il se releva péniblement en reprenant son souffle. Il pouvait apercevoir Liam qui venait vers lui d’un pas déterminé. Des projectiles enflammés volaient au-dessus de leurs têtes et Aydan pouvait sentir la chaleur des flammes lorsque l’un d’entre eux s’écrasait à proximité.

— Liam ! Tu dois m’écouter ! Cria-t-il. Pourquoi as-tu rejoint la Garde ?

— Pour servir Pyra ! Répliqua son ami en armant son prochain coup.

— Ce n’est pas toi, Liam ! Pas celui que tu es réellement ! Répondit-il tout en parant sa lame. Où est donc passé le jeune homme rieur qui nous comptait des histoires au coin du feu et qui faisait le pitre pour divertir la compagnie ?

Liam ne répondit pas et continua à l’asséner de coup.

— Puisque tu ne veux pas m’écouter, je vais t’y forcer ! Cria-t-il.

Aydan lâcha son arme et plongea sur Liam en le saisissant par la taille. Ils tombèrent ensemble dans un roulé-boulé à l’issue duquel il se retrouva sur son ami. Il plaqua son genou sur son torse pour l’immobiliser et enleva son médaillon. Alors qu’il s’apprêtait à le passer autour du cou de Liam, ce dernier le mordit subitement au poignet. Aydan hurla de douleur lorsque son ami lui arracha un bout de peau avec les dents, mais il ne desserra pas son étreinte en le maintenant au sol. Liam réussit à se libérer un bras et se mit à lutter pour se dégager. Les deux hommes mettaient toute leur force et aucun des deux n’arrivait à gagner ne seraient-ce que quelques centimètres sur l’autre.

C’est alors qu’un projectile atterrit sur une tour à côté d’eux. Aydan releva la tête pour voir les morceaux de pierre se décrocher et chuter dans leur direction. Liam profita de cet instant pour replier sa jambe et le propulser en arrière. Aydan lâcha le talisman et s’écrasa contre un mur, une fraction de seconde avant que l’amas de pierres ne tombe sur son ami.

— Non ! Cria Aydan en voyant Liam disparaître sous les gravats.

Il se précipita vers lui et entreprit d’enlever les blocs un à un jusqu’à apercevoir le visage de Liam. Il n’avait plus les yeux en feu et un filet de sang coulait le long de sa joue. Son ami le dévisagea un bref instant avant d’esquisser un sourire.

— Je suis… Content de… Te voir, lâcha-t-il en respirant avec peine. Pardonne-moi… Pour Luke.

— Moi aussi, Liam. Ne bouge pas, je vais te soigner et tout redeviendra comme avant, tu vas voir.

— Il faut… Que tu l’arrêtes… Le temple.

Aydan enleva les autres gravats à la hâte et courut récupérer l’amulette qui était tombée à proximité. Il la posa ensuite sur le torse de Liam. Il s’attendait à le voir reprendre vie, mais ce dernier avait déjà rendu l’âme. L’objet n’eut aucun effet et le corps du garde resta inerte.

Aydan lui ferma alors les paupières, puis il se releva sans dire un mot. Il fronça les sourcils et son regard se porta sur le temple des Adorateurs un peu plus haut. Le bâtiment était en proie aux flammes tandis qu’une pluie de projectiles illuminait le ciel. Il ramassa sa flamberge et commença à gravir l’escalier.

*

Elinora croisa les bras devant elle et une fine barrière lumineuse apparut. Un torrent de flammes s’écrasa contre celle-ci. Dès qu’elles s’éteignirent, Lux bondit en avant et envoya sa faucille vers Ignis, mais ce dernier l’esquiva sans soucis. Il referma alors la paume de sa main droite qui s’embrasa et s’élança contre elle. Ils entamèrent une suite d’échanges durant laquelle Elinora fit son possible pour faire apparaître des barrières autour de Lux et la protéger des flammes d’Ignis. Elle devait également faire attention à elle-même, car ce dernier ne l’avait pas oublié. Il leva la main au-dessus de lui et trois traits enflammés ayant la forme de serpent foncèrent droit sur elle. Elinora matérialisa alors une épée faite de flammes blanches et les découpa uns à uns sans aucune difficulté. À vrai dire, ce n’était pas vraiment elle, mais Pyrel qui frappait au travers de sa lame. Sa toge tout entière s’enflamma et elle fut recouverte d’une armure de flammes éblouissantes. Prenant son épée à deux mains, Elinora chargea en avant. Ignis réussit à se débarrasser de Lux en agrippant la chaîne de son arme et en l’envoyant s’écraser contre l’un des murs du temple. Et il se retourna juste à temps pour bloquer son attaque avec sa main enflammée. Elinora croisa son regard et n'y vit que folie.

— C’est tout ! Cria-t-il. Tu ne peux faire mieux que cela, ma sœur ?

Il donna un coup de pied latéral à Elinora. Malgré l’armure, elle sentit le choc et fut propulsée contre une colonne de l’édifice qui se brisa à l’impact. Elle se releva indemne et revint à la charge.

Il fallait faire vite, Elinora savait que le pouvoir de Pyrel n’était que temporaire et la déesse n’allait pas pouvoir continuer bien longtemps à suivre un tel rythme. Mais il devait en être de même pour Pyra. Son contrôle sur Ignis lui coûtait énormément d’énergie et son culte à Spyr avait été réduit à néant.

Elles continuèrent de l’attaquer encore et encore sans parvenir à le toucher une seule fois. Pyra riait aux éclats à chacune de leurs tentatives et finissait toujours par les repousser. Finalement, à l’issue d’un énième assaut, il mit un puissant coup de poing dans le ventre de Lux qui fut propulsé tout droit dans les bras d’Elinora qui la réceptionna en manquant de tomber à la renverse. N’importe quel mortel serait mort sur le coup. La cheffe des Brûlés réussit pourtant à se relever, non sans peine.

— Bien, déclara Pyra. Je regrette de ne pas pouvoir m’amuser plus longtemps avec vous, mais le rituel arrive à son terme.

Il leur tourna le dos et se dirigea en direction du brasero. Les Adorateurs avaient terminé leur prière et se tenaient les mains en cercle autour de ce dernier.

Lux tenta d’envoyer sa faucille dans sa direction une dernière fois, mais ce dernier la saisit à main nue et en brisa la lame.

Tout est perdu, pensa-t-elle.

C’est alors qu’un grondement sinistre retentit. Le plafond du temple s’écroula et un projectile enflammé atterrit dans le hall, à l’endroit même où se situait la porte d’entrée. Elinora jeta un coup d’œil par l’orifice qui venait ainsi d’apparaître et fut horrifiée. La ville, toute la ville était en feu.

Ignis fut tout aussi horrifié qu’elle. Lui, qui affichait jusqu’alors un air rieur, semblait désormais inquiet. Il se précipita vers le brasero lorsqu’un autre projectile atterrit, cette fois juste devant lui. Les flammes en surgirent comme pour lui barrer la route tout en se répandant autour des Adorateurs qui ne voulaient pas bouger afin de ne pas rompre le sort. Ignis tendit la main dans leur direction et… rien ne se passa. Incrédule, il s’approcha pour mettre sa main au-dessus des flammes. Ces dernières crépitèrent subitement et il recula en se couvrant le visage. C’était léger, mais Elinora ne rêvait pas. Il y avait bel et bien une trace de brûlure sur sa main.

— Sirius ! Hurla Pyra avec rage.

Il envoya une suite de boules de feu par l’ouverture qu’avaient créée les projectiles, puis se retourna vers ses Adorateurs maintenant totalement encerclés par ces flammes. La situation était assez cocasse, ces derniers étaient pris au piège et Pyra ne pouvait rien faire pour les aider. La tunique de l’un d’entre eux s’embrasa. L’homme tint bon autant qu’il put, mais finit par lâcher les mains de ses collègues et à déambuler dans tous les sens en hurlant. Dans sa course, il percuta d’autres Adorateurs qui rompirent également le sort et prirent feu à leur tour. Finalement, tous ces adeptes furent emportés par les flammes sous les yeux de Pyra, impuissante. La lueur rougeâtre qu’ils pouvaient apercevoir sur la cité commença alors à diminuer. Elles n’étaient pas tirées d’affaire pour autant, car Elinora voyait également l’éclat de son armure vaciller.

— Il faut en finir, dit-elle à Lux.

Cette dernière acquiesça. Son arme étant brisée, elle sortit un glaive et fonça en avant, Elinora sur ses talons.

Malgré l’échec de son plan, Ignis débordait encore de rage et les repoussa sans soucis. Pourtant, il semblait plus lent et moins précis. Lux réussit même à lui entailler le bras avec son arme, bien que la blessure cicatrisa aussitôt. Alors qu’elle pensait la situation en leur faveur, Ignis propulsa une nouvelle fois Lux en arrière. Cette fois, il tendit sa main dans sa direction et des chaînes enflammées sortirent du sol pour l’immobiliser. Lux laissa échapper un cri de douleur au contact des flammes sur sa peau. Ce bref instant suffit à détourner l’attention d’Elinora. Elle ne fut pas suffisamment rapide et Ignis fonça dans sa direction. Son épée enflammée lui transperça le ventre et l’armure de flammes que portait Elinora disparut brusquement. Il retira son arme et elle tomba à genoux. Elle avait du mal à respirer, sa poitrine la brûlait. Ignis leva le bras au-dessus de son visage tandis qu’elle crut entendre Lux crier son nom.

Subitement, il leva le bras en l’air et les flammes surgirent au-dessus de lui pour s’écraser sur le plafond du temple.

— Tu résistes encore ? ! Cria Pyra stupéfaite.

Elle voulut rabaisser son bras, mais ce dernier semblait comme lutter de sa propre volonté.

— Cela ne sert à rien ! Si ce n’est pas à Dérios, alors ça sera dans une autre cité, mais ce corps m’appartiendra !

Finalement, elle parvint à rabaisser son bras et à le remettre en face du visage d’Elinora. Cette dernière se releva avec peine, ses jambes étaient chancelantes et elle ne savait pas comment elle parvenait encore à tenir debout. Derrière eux, elle aperçut l’un des projectiles des spyriens qui finissait de se consumer. Elle savait qu’Ignis ne résistait pas à ces flammes et une idée lui vint alors en tête. Elle mit toute sa force restante dans ses jambes et s’apprêta à se jeter en avant.

C’est alors qu’un jeune homme apparut. Elinora ne comprit pas comment personne n’avait pu le remarquer plus tôt. Il avait une épée de garde de la Flamme dans les mains et se jeta sur Ignis en criant. Ce dernier réagit au quart de tour, sa main s’embrasa à nouveau et il para l’attaque. Le jeune homme jeta alors un objet vers Elinora, juste avant qu’Ignis ne l’envoie au sol. C’était un petit talisman en bois qu’elle reconnut immédiatement. Un choix s’offrait à elle et Elinora repensa aux dernières paroles de Pyrel. Elle se précipita sur Ignis avec l’amulette dans les mains. Ce dernier se retourna et essaya de la frapper, mais Elinora esquiva et plongea sur lui. Elle lui passa alors l’objet autour du cou juste avant de sentir son poing en feu percuter sa blessure. Elinora cracha un filet de sang et s’écroula.

Ignis se prit la tête entre les mains et commença aussitôt à crier. C’était une voix très étrange, comme si deux personnes criaient en même temps. Il se mit à déambuler en lançant des flammes dans tous les sens de façon confuse et désordonnée. Ses pas le guidèrent hors du temple où il leva subitement la tête. Un nuage de feu sortit de sa bouche avant de s’envoler vers le ciel, comme s’il recrachait toute la souillure dont son corps était imprégné. Un autre projectile atterrit alors devant lui et il disparut dans les flammes.

Elinora ne vit que des bribes de la scène, car elle était incapable de bouger. Elle sentit des mains la retourner et vit le visage de Lux et celui du jeune homme se pencher sur elle.

— Ignis ? Articula-t-elle.

— Mort, pour de bon.

Elinora acquiesça.

— Il faut vous conduire au temple ! Continua Lux. Les autres prêtresses pourront vous soigner, la magie de Pyrel est encore présente et, avec quelques prières, elle vous aidera…

Pour la première fois, elle vit de la panique sur le visage de Lux. Elinora sut alors que son sort était déjà scellé.

— Comment t’appelles-tu, jeune homme ? Dit-elle en s’adressant au garçon.

— Aydan.

— Dis-moi Aydan, où as-tu trouvé ce médaillon ?

— C’est Sirius Arderius, l’actuel roi de Spyr qui me l’a confié, avoua-t-il.

Elinora laissa échapper un léger rire qui se transforma en quinte de toux.

— Sirius…

Sa vue s’embrumait et leurs visages devinrent troubles. Elle sentait bien qu’ils la secouaient pour qu’elle reste avec eux, mais son corps lui semblait peser une tonne. Surtout, toute son attention était focalisée sur la magnifique femme dans leur dos. Elle portait une robe blanche presque aussi étincelante que sa chevelure de flammes. Pyrel lui souriait sans dire un mot et Elinora comprit qu’elle la remerciait. En fin de compte, l'on avait exaucé son souhait le plus cher. Elle avait accompli sa tâche et elle put partir le cœur léger.